Conseil Conc., 6 juin 2002, n° 02-MC-08
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Demande de mesures conservatoires présentée par la société autocars Mariani
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport oral de Mme Nguyen-Nied, par M. Nasse, vice-président, présidant la séance, Mmes Mader-Saussaye, Perrot, MM. Charrière-Bournazel, Lasserre, Piot, membres.
Le Conseil de la concurrence (section I),
Vu la lettre enregistrée le 08 février 2001, sous les numéros 02/0022/M et 02/0021/F par laquelle la société autocars Mariani a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par les sociétés Calvi Corse touristique, Corsicar et Gestion service qu'elle estime anticoncurrentielles et demande que des mesures conservatoires soient prononcées ; Vu le livre IV du code du commerce relatif à la liberté des prix et à la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié fixant les conditions d'application de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002, fixant les conditions d'application du livre IV du code de commerce ; Vu les observations présentées par la société autocars Mariani, ainsi que les sociétés Calvi Corse touristique, Corsicar et Gestion service et le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement, et les représentants des sociétés, Calvi Corse touristique, Corsicar et Gestion service entendus au cours de la séance du 7 mai 2002, la société autocars Mariani régulièrement convoquée ;
Considérant que la société autocars Mariani, dont le siège est situé à Calvi, a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par les sociétés Calvi Corse touristique, Corsicar et Gestion service, à l'occasion d'une procédure de mise en concurrence initiée par le département de la Haute Corse, qu'elle qualifie d'entente anticoncurrentielle sur le fondement de l'article L. 420-1 du code de commerce ; qu'à l'appui de sa saisine, la société autocars Mariani expose que, lors du dernier appel d'offres lancé par le département de la Haute Corse, relatif au transport public de voyageurs et notamment la desserte d'établissements scolaires, elle s'est portée candidate à l'attribution de trois lots portant les numéros 208, 210 et 211 et s'est trouvée en concurrence, sur chacun de ces lots, avec deux, voire trois sociétés appartenant toutes à une même personne, Monsieur Guglielmacci, à savoir, les sociétés Calvi Corse touristique, Corsicar et Gestion service ; que ces sociétés, par leur comportement, "créent un milieu artificiellement concurrentiel" et "trompent le département de la Haute Corse sur la réalité de la concurrence" ; que ces pratiques sont constitutives d'une entente prohibée par l'article L. 420-1 du code de commerce ; qu'accessoirement à sa saisine, elle demande que le Conseil prononce des mesures conservatoires ;
Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 12 du décret du 29 décembre 1986 précité, reprises par l'article 42 du décret du 30 avril 2002, qu'une demande de mesures conservatoires ne peut être examinée que pour autant que la saisine au fond est recevable et ne soit pas rejetée faute d'éléments suffisamment probants, en application de l'article L. 462-8 du code de commerce ;
I. - Sur la saisine au fond
Considérant qu'il résulte des pièces non contestées du dossier que, lors de l'appel d'offres lancé au cours de l'année 2000, par le département de la Haute Corse pour l'attribution d'un certain nombre de marchés de transport scolaire, les sociétés Corsicar, Calvi Corse touristique et Gestion service ont déposé des offres concurrentes portant sur plusieurs lots ; que, sur le lot n° 208, les sociétés Corsicar et Calvi Corse touristique ont déposé respectivement des offres de 1 750 F et de 1 850 F ; que, sur le lot 210, les sociétés Calvi Corse touristique, Corsicar et Gestion service ont déposé respectivement des offres de 3 700 F, 3 400 F et 3 500 F ; que, sur le lot n° 211, les sociétés Corsicar et Gestion service ont respectivement déposé une offre de 4 100 F et de 4 400 F ; que les sociétés Calvi Corse touristique et Corsicar ont toutes deux pour gérant Monsieur Guglielmacci et que la société Gestion service, dont Monsieur Guglielmacci est actionnaire majoritaire, est, pour sa part, gérée par le gendre de ce dernier et salarié de la société Corsicar ; qu'il résulte, en outre, des pièces du dossiers que ces trois sociétés envisageaient d'assurer les prestations avec les mêmes véhicules et les mêmes personnels ;
Considérant qu'en l'état du dossier, il ne peut être exclu que les sociétés Calvi Corse touristique, Corsicar et Gestion service, qui, pour les deux premières, ont le même dirigeant et pour la troisième, est détenue majoritairement par ce dirigeant tout en étant dirigée par un membre de la famille de celui-ci, et qui ont déposé des offres présentées comme concurrentes pour assurer les prestations de transport scolaire des lots n° 208, 210 et 211, aient mis en œuvre des pratiques anticoncurrentielles au sens de l'article L. 420-1 du code de commerce ;
II. - Sur la demande de mesures conservatoires
Considérant que la société autocars Mariani demande au Conseil de la concurrence de prononcer les mesures conservatoires suivantes :
- faire injonction à la société Calvi Corse touristique de cesser l'exécution de son marché de transport scolaire sur la ligne n° 211 Calenzana - Calvi ;
- interdire aux sociétés Calvi Corse touristique, Corsicar et Gestion service de participer aux futures procédures de mise en concurrence portant sur l'attribution de marchés scolaires sur une zone géographique qu'il appartiendra au Conseil de déterminer ;
- publier la décision du Conseil de la concurrence statuant sur les mesures conservatoires ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 464-1 du code de commerce, dans sa rédaction applicable après l'entrée en vigueur de la loi du 15 mai 2001 : "Le Conseil de la concurrence peut, à la demande du ministre chargé de l'économie, des personnes mentionnées au dernier alinéa de l'article L. 462-1 ou des entreprises et après avoir entendu les parties en cause et le commissaire du Gouvernement, prendre les mesures conservatoires qui lui sont demandées ou celles qui lui apparaissent nécessaires. Ces mesures ne peuvent intervenir que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante. Elles peuvent comporter la suspension de la pratique concernée ainsi qu'une injonction aux parties de revenir à l'état antérieur. Elles doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence" ;
Considérant, en premier lieu, que le Conseil de la concurrence n'est pas compétent pour enjoindre à une société de suspendre l'exécution d'un marché public, l'appréciation de la légalité d'un acte administratif relevant de la compétence exclusive de la juridiction administrative ;
Considérant, en deuxième lieu, que la saisissante invoque, à l'appui de sa demande, "l'imminence de nouvelles procédures de mise en concurrence" en expliquant qu'elle a saisi le tribunal administratif de Bastia d'une demande d'annulation de la décision administrative attribuant le lot n° 211 et que cette affaire est actuellement pendante devant la juridiction administrative ;
Considérant toutefois, qu'aucun élément ne permet de savoir à quelle date il sera statué sur cette affaire ; que de surcroît, quand bien même l'attribution du marché serait annulée, cette situation ne saurait être qualifiée d'urgente dans la mesure ou aucun élément ne permet de considérer comme certain que les sociétés en cause réitéreraient la pratique qui leur est reprochée ; que les faits dénoncés en l'espèce concernent des marchés qui ont déjà été attribués et que l'urgence n'est, dès lors, pas constituée;
Considérant, en troisième lieu, que la société autocars Mariani, qui a présenté des offres pour trois lots de transport scolaire, a été attributaire de deux d'entre eux ; qu'elle n'apporte aucun élément de nature à établir qu'elle se trouverait dans une situation de péril à laquelle la suspension de l'exécution du lot n° 211 pourrait remédier ni que les pratiques dénoncées porteraient une atteinte grave et immédiate à ses intérêts économiques et seraient susceptibles, notamment, d'altérer ou de compromettre son fonctionnement ; qu'elle n'apporte pas non plus d'élément de nature à établir que les pratiques dénoncées porteraient une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, ou à l'intérêt des consommateurs justifiant des mesures d'urgence ;
DÉCIDE
Article unique : La demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro 02/0022/M est rejetée.