CA Paris, 4e ch. A, 22 octobre 1997, n° 95-015481
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Concurrence (SA)
Défendeur :
Sony France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Duvernier
Conseillers :
Mme Mandel, M. Lachacinski
Avoués :
SCP Dauthy Naboudet, Me Kieffer-Joly
Avocat :
Me Mitchell.
FAITS ET PROCEDURE
Les sociétés Concurrence, Jean Chapelle et Semavem spécialisées dans la vente de produits dits d'électronique de divertissement, ont saisi de 1987 à 1989 le Conseil de la Concurrence de pratiques qu'elles estimaient discriminatoires à leur égard, émanant de la société Sony France ;
Par décision en date du 6 novembre 1990 confirmée par arrêt de la Cour d'Appel de Paris en date du 5 juillet 1991, le Conseil de la Concurrence a infligé une sanction pécuniaire d'un million de francs à la société Sony France et l'a enjoint de mettre fin à l'utilisation de critères non objectifs et discriminatoires dans l'application de ses conditions générales de vente, de ses accords de coopération et de ses promotions ;
Par arrêt en date du 12 octobre 1993 la Cour de Cassation a rejeté le pourvoi formé par les sociétés Concurrence, Jean Chapelle et Semavem ;
Par exploit en date du 17 février 1994 la société Concurrence entendant tirer les conséquences civiles des décisions susvisées, a assigné la société Sony France devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de :
- constater qu'il est définitivement jugé que du 1er avril 1987 au 30 septembre 1989, la société Sony France s'est rendue coupable de pratiques prohibées par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, en faisant une application discriminatoire de ses conditions de vente au profit de ses revendeurs, alors qu'elle les a appliquées avec rigueur à la société Concurrence,
- dire que ces conditions de vente sont nulles en application de l'article 9 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et qu'elles étaient inopposables à la société Concurrence,
- condamner Sony France à payer à Concurrence une somme de 10 000 000 F sauf à parfaire,
- ordonner l'exécution provisoire,
- nommer un expert avec mission de calculer le prix d'achats réel de Sony sans bénéfice pour Sony France, des marchandises livrées à Concurrence, et de parfaire le préjudice subi par Concurrence du fait des pratiques prohibées,
- condamner Sony France au paiement d'une indemnité de 100 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ;
Sony France concluait à ce que Concurrence soit déclarée irrecevable et en tout cas mal fondée en ses demandes et sollicitait sa condamnation à lui payer une somme de 200 000 F à titre de dommages et intérêts outre 90 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ;
Concurrence répliquait en reprenant les termes de ses précédentes écritures et en sollicitant en outre paiement d'une somme de 200 000 F à titre de dommages et intérêts ;
Le tribunal par le jugement entrepris a dit la société Sony France mal fondée en son exception d'irrecevabilité et la société Concurrence mal fondée en sa demande en nullité des conditions générales de vente de Sony et de leur inopposabilité à son endroit, mais il a condamné Sony France à payer à Concurrence la somme de 300 000 F à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice par elle subi du fait des pratiques discriminatoires mises en œuvre par Sony France ;
Par ailleurs il a condamné Sony France à payer à Concurrence une somme de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ;
Appelante selon déclaration du 26 juin 1995, Concurrence demande à la Cour dans le dernier état de ses écritures de :
- réformer la décision entreprise,
- dire que les conditions de vente, promotions, accords de coopération de Sony, appliqués discriminatoirement, sont nulles en application de l'article 9 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et qu'elles étaient inopposables à Concurrence,
- dire que le montant des remises à rembourser s'élève à 3,213 millions de francs,
- dire que le préjudice subi du fait des pratiques s'élève à 5,06 millions et condamner Sony France au paiement de cette somme avec intérêts capitalisés à compter des faits, intérêts évalués forfaitairement à la somme de 7,5 millions,
- condamner Sony France à lui payer une somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts pour demandes abusives et une indemnité de 120 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ;
Sony France prie la Cour de :
- juger irrecevables et en tout cas mal fondées les demandes de constatations d'infractions à l'article 7 formées par Concurrence en ce qui concerne les pratiques prétendument condamnées par la Cour d'appel dans son arrêt du 7 juillet 1991 et les pratiques relevées durant la procédure d'instruction devant le Conseil de la Concurrence et en conséquence juger irrecevables les demandes d'indemnisation consécutives,
- juger Concurrence irrecevable, en tout cas mal fondée à se prévaloir d'un quelconque préjudice pour la période postérieure au mois d'octobre 1988,
- constater que les conditions générales de vente ont été déclarées licites et en conséquence débouter Concurrence de sa demande en nullité de celles-ci,
- juger que Concurrence n'apporte pas la preuve du préjudice lié aux pratiques discriminatoires condamnées par le Conseil de la Concurrence et en conséquence infirmer le jugement en ce qu'il a condamné Sony France au paiement de la somme de 300 000 F,
- condamner Concurrence à lui verser la somme de 200 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 100 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ;
Par ordonnance en date du 18 mars 1997 le conseiller de la mise en état, saisi de deux incidents, a :
- donné acte à Me Naboudet de ce qu'elle ne sollicitait plus communication de la pièce n° 4 intitulée " lettre de Sony à Seda en date du 18 juillet 1988 ",
- ordonné la production par le Conseil de la Concurrence de diverses pièces,
- fait injonction à Concurrence de communiquer à Sony l'ensemble des pièces visées à son bordereau du 30 janvier 1997 à l'exception des pièces à communiquer par le Conseil de la Concurrence ;
Le Conseil de la Concurrence a communiqué le 9 juin 1997 les pièces réclamées et les parties en ont été avisées le 10 juin suivant ;
Sur ce, LA COUR
I. SUR LA DEMANDE DE LA SOCIETE CONCURRENCE RELATIVE AUX CONDITIONS GENERALES DE VENTE
Considérant que Concurrence fait valoir que l'application discriminatoire des conditions générales de vente de Sony France entraîne automatiquement la nullité de plein droit de ces conditions en vertu de l'article 9 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Qu'elle ajoute que ces conditions sont nulles dans leur ensemble en raison de la règle de l'indivisibilité des contrats et de l'attitude de Sony qui a toujours imposé à Concurrence ses conditions en bloc ;
Qu'elle prétend également que des conditions de vente appliquées discriminatoirement, avec dérogations au profit d'autres revendeurs ne peuvent lui être opposées ou appliquées et qu'en conséquence elle est en droit de réclamer les remises octroyées aux autres revendeurs ;
Considérant que Sony réplique que ses conditions générales de vente ont été reconnues licites et par le Conseil de la Concurrence, la Cour d'Appel de Paris et la Cour de Cassation et par les juridictions de l'ordre judiciaire et qu'elles ne sauraient en aucun cas être annulées, sauf à porter atteinte à l'autorité de la chose jugée attachée à l'ensemble de ces décisions ;
Qu'elle expose encore qu'à supposer même que l'on admette que la nullité soit encourue, Concurrence ne saurait solliciter dans le même temps leur application à travers l'octroi de remises ;
Qu'enfin elle fait valoir que la jurisprudence sur l'indétermination du prix est étrangère aux circonstances de la cause et que Concurrence qui n'était pas tenue par une obligation d'achat exclusif ne peut s'en prévaloir ;
Considérant ceci exposé que si le Conseil de la Concurrence et la Cour d'appel de Paris, statuant sur recours contre la décision du Conseil, disposent du pouvoir d'enjoindre aux parties de mettre fin aux accords illicites qui les lient ou de les modifier, ils ne peuvent en revanche, par application de l'article 9 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 déclarer la nullité d'engagements, conventions ou clauses contractuelles se rapportant à une pratique prohibée ;
Que les juridictions civiles sont seules compétentes pour annuler des clauses prohibées par application de l'article 9 de l'ordonnance ;
Considérant qu'en l'espèce si le Conseil de la Concurrence et la Cour d'appel de Paris, statuant sur recours, ont analysé les conditions générales de vente de Sony, ils n'ont pas statué sur une demande en nullité desdites conditions pour laquelle ils n'avaient pas compétence ;
Qu'en conséquence Sony France ne peut valablement soutenir qu'une telle demande se heurte à l'autorité de chose jugée ;
Que par ailleurs si plusieurs décisions judiciaires ont déjà examiné les conditions générales de vente de Sony, il convient de relever que c'est dans le cadre de procédures opposant Sony France à Semavem ou à M. Chapelle et à la société Jean Chapelle, lesquels ne sont pas parties dans le cadre de la présente instance ;
Que la demande de la société Concurrence est donc recevable ;
Mais considérant qu'il convient de distinguer les conditions d'application des conditions générales de vente lesquelles peuvent être constitutives d'une pratique prohibée au sens de l'article 7 de l'ordonnance, des conditions de vente prises en elles mêmes ;
Que Concurrence ne saurait valablement soutenir que la nullité des conditions de vente résulte automatiquement du fait que Sony France les a mises en œuvre de manière discriminatoire ;
Qu'il convient de relever que Concurrence ne formule aucune critique à l'encontre du contenu des conditions de ventes, promotions et accord de coopération de l'intimée ;
Que les rapports de MM. Bourhis et Charrier démontrent que dans les états successifs des instruments contractuels proposés par Sony France, les remises quantitatives et qualitatives, le système de répartition et autres avantages prévus dans les clauses de ces accords ne sont pas restrictifs de concurrence, qu'on les prenne individuellement ou dans leurs effets cumulés ;
Que le fait pour Sony France, fournisseur de produits de marque, d'accorder des ristournes qualitatives ajoutées aux remises quantitatives à ceux de ses distributeurs qui offrent des services tels que la démonstration des produits à la demande des clients ou l'assistance technique au consommateur (services de réparation et de livraison) n'est pas en soi une pratique prohibée par l'ordonnance du 1er décembre 1986, dès lors qu'elles sont comme en l'espèce définies de façon objective et qu'elles ne limitent pas la liberté des commerçants de fixer leur politique de prix de façon autonome ;
Que de même les accords de coopération commerciale, pour lesquels l'adhésion des revendeurs marque leur consentement aux clauses qui y sont clairement stipulées, ne sont pas en eux-mêmes contraires aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance ;
Considérant enfin que le fait pour Sony France de proposer à ses distributeurs de participer à une promotion temporaire en leur offrant des remises promotionnelles, fonction du volume de leurs ventes, ou le fait de leur proposer de bénéficier d'une ristourne en contrepartie d'un engagement semestriel de chiffres d'affaires ne constitue pas davantage en lui même une pratique prohibée par le texte susvisé ;
Considérant par ailleurs que Concurrence ayant souscrit aux conditions générales de vente de Sony ne saurait soutenir que celles-ci lui sont inopposables ;
Qu'elle est simplement recevable à solliciter réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de l'application discriminatoire qu'a faite Sony de ses conditions générales de vente ;
Qu'il s'ensuit que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a débouté la société Concurrence de sa demande en nullité et en inopposabilité des conditions générales de vente ;
II. SUR LA RECEVABILITE DES DEMANDES DE CONCURRENCE RELATIVES A DES PRATIQUES DISCRIMINATOIRES AUTRES QUE CELLES CONDAMNEES PAR LE CONSEIL
Considérant que Concurrence fait valoir qu'elle est recevable à tirer les conséquences civiles d'infractions non condamnées par le Conseil mais condamnées par la Cour dans son arrêt du 5 juillet 1991 et se rapportant à la clause de rémunération de l'exposition des produits Sony et à divers aménagements aux remises et ristournes quantitatives et qualitatives consenties à certains revendeurs ;
Que de même, elle entend que soient prises en compte des discriminations non reprises dans les décisions du Conseil et de la Cour et relatives notamment à des discriminations en faveur des grossistes Caprofem et Pilote Distribution, à des conditions non prévues dans les barèmes accordées à certains revendeurs pour les opérations spécifiques, au régime attribué à Gitem, à l'application de la remise accordée aux distributeurs regroupés sous une enseigne commune, à des discriminations dans les obligations des contrats SAV et de mise en service à domicile, dans l'octroi des remises aux grossistes ;
Considérant que Sony réplique que les premières demandes sont irrecevables au motif que la Cour, par son arrêt du 5 juillet 1991, alors pourtant qu'elle pouvait conformément à l'article 15 de l'ordonnance réformer la décision du conseil, s'est contentée de rejeter le recours et que ce faisant elle n'a pu ajouter de nouvelles infractions par rapport à celles qui avaient été relevées par le Conseil ;
Qu'elle ajoute, qu'en cas de contrariété entre les motifs et le dispositif d'une décision, l'autorité de la chose jugée ne s'attache qu'au dispositif ;
Considérant qu'il résulte de la lecture de l'arrêt du 5 juillet 1991 que, contrairement au Conseil de la Concurrence, la Cour a retenu que " la société Sony n'avait pas strictement respecté ses propres conditions de vente en n'appliquant pas rigoureusement à tous ses revendeurs les conditions d'octroi des remises et des ristournes de nature qualitative alors qu'elle l'avait fait pour les sociétés Seda (Concurrence) et Jean Chapelle " ;
et que, " postérieurement au 1er avril 1987, avaient été constatés de nombreux aménagements discrétionnaires aux remises et ristournes quantitatives et qualitatives consenties à certains distributeurs parmi lesquels le groupe Darty, la Fnac, le BHV et les Galeries Lafayette " ;
qu'elle en a conclu que les dérogations ainsi constatées dans la mise en œuvre des documents contractuels organisant le réseau de distribution de la société Sony France caractérisent une entente prohibée ;
Considérant qu'en dépit de cette constatation de nouvelles pratiques discriminatoires, la Cour par son arrêt du 5 juillet 1991, a simplement rejeté le recours principal des sociétés Semavem, Jean Chapelle et Concurrence alors que celles-ci lui demandaient de réformer la décision déférée en ce qu'elle écartait certains des griefs et de renvoyer le conseil à se prononcer sur d'autres ;
Considérant cependant que Sony ne saurait se fonder sur la seule rédaction du dispositif pour en conclure que Concurrence est irrecevable en sa demande tendant à voir réparer le préjudice par elle subi du fait de ces pratiques ;
Considérant en effet, qu'il n'y avait pas lieu à réformation dans la mesure où, ni le contenu de l'injonction, ni le montant de la sanction pécuniaire n'étaient modifiés, la Cour ayant pris soin de préciser dans les motifs que l'injonction faite par le Conseil comprenait dans sa formulation générale la cessation des pratiques visées dans l'arrêt ;
Considérant que la demande de Concurrence dans la mesure où elle ne tend ni à une requalification des pratiques sanctionnées par le Conseil puis la Cour, ni à retenir sur le fondement de l'article 7 de l'ordonnance des griefs déjà examinés et écartés par le Conseil et/ou la Cour ; qu'elle tend uniquement à tirer les conséquences du dommage causé à Concurrence par les pratiques anticoncurrentielles constatées par le Conseil et la Cour ou par la Cour seule est recevable ;
Considérant en revanche que Concurrence est irrecevable en sa demande relative aux pratiques qui n'ont été sanctionnées ni par le Conseil ni par la Cour ;
Que d'une part une telle demande s'analyse comme une demande nouvelle en appel, les pratiques incriminées n'ayant pas été invoquées devant les premiers juges alors qu'elles étaient connues de Concurrence avant l'introduction de la présente instance et ne résultent pas de la révélation d'un fait par le jugement ou postérieurement ;
Considérant au surplus, qu'il résulte de l'arrêt du 5 juillet 1991 que, contrairement à ce que soutient Concurrence, toutes les autres pratiques aujourd'hui visées dans ses écritures et dont elle avait saisies le Conseil, ont été discutées quant à leur existence et la qualification qui pouvait leur être donnée, dans le cadre de la procédure contradictoire suivie devant les rapporteurs, et que la décision du Conseil s'est prononcée sur leur ensemble, même si elle ne répond pas explicitement et individuellement à chacun des multiples moyens et arguments successivement développés et réitérés sous diverses formes dans les écritures des sociétés Concurrence, Semavem et Jean Chapelle ;
Que Concurrence ayant saisi le tribunal et la Cour d'une demande en indemnisation suite aux pratiques discriminatoires prohibées par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et mises en œuvre par Sony France, la Cour ne peut sous peine de porter atteinte à l'autorité de chose jugée réexaminer ces faits et rechercher s'ils constituent une entente ou pratique prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
III. SUR LA RECEVABILITE DE CONCURRENCE A AGIR POUR LA PERIODE POSTERIEURE AU MOIS D'OCTOBRE 1988
Considérant que la société intimée expose que Concurrence est irrecevable à agir en indemnisation de son préjudice pour la période postérieure au mois d'octobre 1988, dès lors qu'après cette date, elle n'a procédé à aucun achat auprès de Sony France ;
Considérant que Concurrence réplique qu'il existe un lien entre la procédure devant le Conseil et celle en réparation des préjudices et que c'est l'absence même de courant d'affaires qui justifie son intérêt à agir ;
Considérant ceci exposé, que l'intérêt à agir devant le Conseil s'apprécie différemment de l'intérêt à agir devant les juridictions judiciaires dans la mesure où le Conseil examine seulement si une pratique a un objet anticoncurrentiel ou est susceptible d'avoir un effet anticoncurrentiel sur un marché et ne recherche pas si cette pratique porte atteinte à la situation d'un particulier ;
Considérant qu'en l'espèce l'objet du litige étant circonscrit à l'indemnisation du préjudice subi par Concurrence du fait des pratiques discriminatoires mises en œuvre par Sony, celle là doit justifier avoir été personnellement victime de ces pratiques après octobre 1988 ;
Or considérant qu'il n'est pas contesté que Concurrence a cessé à compter du mois d'octobre 1988 de s'approvisionner auprès de Sony France et s'est adressée à la société Semavem, société distincte qui est un grossiste ;
IV. SUR LA REPARATION DU PREJUDICE
Considérant que Concurrence étant déboutée de sa demande en nullité et en inopposabilité des conditions générales de vente, est mal fondée à se prévaloir des conséquences juridiques de la nullité et à solliciter le remboursement par Sony France de la différence entre les marchandises facturées à Concurrence et leur prix d'acquisition sans bénéfice, soit selon ses premières écritures la somme de 3,47 millions ;
Considérant que Concurrence expose par ailleurs qu'à supposer que la nullité des conditions de vente ne soit pas retenue, le préjudice résultant de la suppression indue de remises accordées aux autres correspond aux remises qui auraient dues être pratiquées sur les achats ;
Qu'elle ajoute que l'attitude de Sony France a eu des conséquences économiques, que les remises dont elle a été privée l'ont empêchée de reconstituer ses marges, tout en baissant ses prix, lui ont fait perdre des ventes, ont entraîné une perte de clientèle ;
Considérant que Sony France réplique que l'appelante n'a subi du fait des pratiques relevées par le Conseil aucun préjudice indemnisable, qu'elle a bénéficié au cours de la période litigieuse de divers avantages supérieurs à 8 % de son chiffre d'affaires en produits Sony, compensant largement ceux que Sony France a accordés à d'autres distributeurs ;
Qu'elle fait également valoir que l'évolution des résultats financiers de Concurrence démontre qu'elle n'a nullement été entravée dans sa progression par l'effet desdites pratiques ;
Qu'elle prétend aussi que l'octroi de remises à la Camif et aux comités d'entreprise, les aménagements des accords de coopération et l'octroi d'une remise supplémentaire à Darty n'ont eu aucune incidence sur Concurrence ;
Considérant ceci exposé que l'action en réparation du préjudice subi du fait de pratiques anticoncurrentielles répond aux caractéristiques de l'action quasi délictuelle de droit commun et suppose en conséquence de la part de Concurrence la preuve de pratiques fautives, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre le dommage et la faute ;
Considérant qu'il résulte tant de la décision du Conseil que de celle de la Cour que Sony s'est rendue coupable au cours de la période du 1er avril 1987 à octobre 1988, seule période à prendre en compte pour les motifs sus énoncés, de pratiques prohibées par l'article 7 de l'ordonnance à savoir :
- des aménagements discrétionnaires aux remises et ristournes quantitatives et qualitatives consenties à certains distributeurs parmi lesquels le groupe Darty, la Fnac, le BHV et les Galeries Lafayette,
- l'octroi à la Camif et aux comités d'entreprise de ristournes correspondant à des services qu'ils ne fournissaient pas,
- des dérogations consenties par Sony France, sans la moindre justification, à de grands groupes de distributeurs (Carrefour, Auchan, Connexion, Digital) dans la mise en œuvre des accords de coopération et des conditions de vente spécifiques aux campagnes de promotion ;
Considérant sur le lien de causalité entre ces fautes et le préjudice dont se prévaut Concurrence que Sony France fait à juste titre observer que s'agissant des remises accordées aux comités d'entreprise, l'appelante ne démontre pas avoir personnellement subi de ce fait un préjudice puisqu'elle indique dans ses écritures que cette pratique a empêché Semavem, société distincte, de continuer à vendre aux comités d'entreprise ;
Considérant qu'en ce qui concerne le régime dérogatoire accordé à la Camif qui n'effectuait pas certains services (démonstration et service après vente) Concurrence n'est pas davantage fondée à solliciter réparation de ce chef dès lors, d'une part qu'elle n'est pas une entreprise de vente par correspondance et d'autre part qu'elle mentionne dans ses écritures que ce sont les sociétés Jean Chapelle et Semavem qui auraient été victimes de cette pratique discriminatoire ;
Considérant en revanche que s'agissant d'une part des aménagements constatés dans la mise en œuvre des contrats de coopération commerciale conclus avec les distributeurs Carrefour, Auchan, Connexion, Digital et des conditions de vente spécifiques aux campagnes de promotion et d'autre part des conditions d'octroi de remises et ristournes quantitatives à des distributeurs comme Darty, la Fnac, le BHV, les Galeries Lafayette, il est indéniable que même si Concurrence n'avait pas signé de contrat de coopération avec Sony, ces pratiques sont directement à l'origine du préjudice par elle subi ;
Qu'en effet les bénéficiaires des dérogations sont des concurrents de la société appelante sur Paris, s'adressent à la même clientèle ;
Qu'ainsi si Darty à la différence de Concurrence a son propre service après vente, il demeure que toutes deux pratiquent la vente à emporter ;
Qu'il convient également de relever que dans le classement des revendeurs traditionnels du réseau, Concurrence a occupé pendant l'exercice couvrant la période d'avril 1987 à mars 1988 le 15e rang des clients Sony dont les deux premiers étaient détenus par Darty et la Fnac ;
Considérant cependant que Concurrence ne fournissant ni documents comptables certifiés ni études financières et ses calculs étant basés sur un grand nombre d'hypothèses sans tenir compte de facteurs propres à l'entreprise et des ristournes exceptionnelles accordées par Sony France au cours de la période concernée, il apparaît nécessaire, faute d'éléments d'appréciation suffisants, d'ordonner une expertise dans les conditions ci après indiquées au dispositif afin de déterminer l'importance du préjudice subi par Concurrence ;
Que toutefois il y a lieu d'allouer dès à présent à Concurrence une indemnité provisionnelle de 100 000 F ;
V. SUR LES DEMANDES EN PAIEMENT DE DOMMAGES ET INTERETS POUR PROCEDUIRE ABUSIVE
Considérant qu'eu égard, d'une part à la complexité des demandes formulées par la société Concurrence, d'autre part au fait que Sony succombe pour partie, aucune de ces deux sociétés ne saurait qualifier la procédure d'abusive ;
Qu'en conséquence, elles seront déboutées de leur demande en paiement de dommages et intérêts de ce chef ;
VI. SUR L'ARTICLE 700 DU NCPC
Considérant qu'en l'état, l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile à l'une ou l'autre des parties ;
Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Concurrence de sa demande en nullité et aux fins d'inopposabilité à son endroit des conditions générales de vente de Sony ; Le réformant pour le surplus et y ajoutant, Dit irrecevables les demandes de la société Concurrence fondées sur 1°) les griefs écartés par le Conseil de la Concurrence et la Cour d'Appel, 2°) les faits postérieurs au mois d'octobre 1988 ; Dit la société Concurrence recevable à se prévaloir des pratiques anticoncurrentielles constatées par la Cour dans son arrêt du 5 juillet 1991 ; Avant dire droit sur le préjudice, Ordonne une expertise et commet pour y procéder M. Philippe Guilguet, 6 Place Denfert Rochereau, 75014 Paris, Tél. 01.43.27.05.20, Fax 01.42.79.89.13 avec mission connaissance prise du présent arrêt, d'entendre les parties et tous sachants contradictoirement, de se faire communiquer tous documents utiles détenus par les parties ou par des tiers, de fournir à la Cour tous éléments permettant de déterminer l'importance de toutes causes de préjudices telles que définies par le présent arrêt ; Dit que la société Concurrence consignera la somme de 30 000 F à valoir sur la rémunération de l'expert avant le 15 décembre 1997 ; Dit qu'à défaut de consignation dans le délai imparti la mesure d'expertise sera caduque ; Dit que l'expert déposera son rapport au greffe de cette Cour avant le 1er juin 1998 ; Désigne Madame Mandel, conseiller pour suivre les opérations d'expertise ; Condamne la société Sony à payer à la société Concurrence une indemnité provisionnelle de 100 000 F (cent mille francs) ; Déboute les sociétés Concurrence et Sony de leur demande en paiement de dommages et intérêts pour procédure et demande abusives ; Rejette toute autre demande des parties ; Condamne la société Sony aux dépens de première instance et d'appel ; Admet la SCP Dauthy Naboudet titulaire d'un office d'avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de Procédure Civile.