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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 26 juin 2002, n° ECOC0300128X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Pharma-Lab (SA)

Défendeur :

GlaxoSmithkline (SAS), Pfizer (SCA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Kamara

Conseillers :

Mme Delmas-Goyon, M. Le Dauphin

Avoués :

SCP Jobin, SCP Hardouin, Me Teytaud

Avocats :

Mes Freget, Chenin, Thill-Tayara.

CA Paris n° ECOC0300128X

26 juin 2002

La société Pharma-Lab exerce l'activité de grossiste-exportateur en spécialités pharmaceutiques, et ce, en vertu d'une autorisation qui lui a été délivrée par arrêté ministériel du 2 octobre 1995. A cette fin, elle achète des médicaments à des laboratoires implantés en France pour les revendre dans des pays de l'Union Européenne.

Par lettre en date du 10 juillet 2000, enregistrée sous le n° F 1249, la société Pharma-Lab a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques prétendument anticoncurrentielles, telles des livraisons partielles ou des retards de livraisons, tendant, selon Pharma-Lab, à entraver de diverses manières son activité et à restreindre le commerce intracommunautaire des médicaments. Ces pratiques étaient imputées à neuf laboratoires pharmaceutiques, parmi lesquels la société Laboratoire GlaxoSmithkline (ci-après la société GlaxoSmithkline), filiale française du groupe GlaxoSmithkline, et la société Pfizer SCA (ci-après la société Pfizer), filiale française du groupe Pfizer.

La saisine susvisée était assortie d'une première demande de mesures conservatoires.

Par décision du 23 octobre 2000, non frappée de recours, le Conseil de la concurrence, après avoir, pour juger la saisine recevable, relevé qu'il était compétent pour appliquer les articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne (ci-après le traité CE) à des pratiques susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun, même si ces pratiques n'ont pas d'effet sur le territoire français, a estimé que la demande de mesures conservatoires n'était pas fondée au regard des dispositions de l'article L. 464-1 du Code de commerce.

Le 4 janvier 2001, la société Pharma-Lab a complété sa saisine initiale en dénonçant au Conseil la décision qu'avait prise la société Pfizer, qui l'en avait informée par lettre du 27 juillet 2000, de cesser totalement, à compter du 1er mai 2001, ses livraisons de Tahor, spécialité (appartenant à la classe des hypolipémiants) précédemment exploitée par la société Parke Davis, laquelle avait été absorbée par Pfizer.

Le 18 janvier 2002, la société Pharma-Lab a encore complété sa saisine en dénonçant au Conseil la décision qu'avait prise la société GlaxoSmithkline, qui l'en avait informée par lettre du 30 novembre 2001, de cesser à l'expiration d'un délai de six mois d'honorer ses conmandes d'un ensemble de 26 produits issus de 16 spécialités et de la soumettre, pendant le délai de préavis, à un contingentement de ses livraisons.

Faisant valoir que la généralisation de ces refus de vente procédait d'une politique visant à restreindre le commerce parallèle des médicaments et à cloisonner les marchés des Etats membres et qu'elle créait "un péril considérable à la fois pour la concurrence et pour l'entreprise", la société Pharma-Lab a transmis au Conseil de la concurrence, le 18 janvier 2002, une nouvelle demande de mesures conservatoires (reçue le 22 janvier 2002 et enregistrée sous le n° 02/0008/M), tendant à obtenir qu'il fût fait injonction aux sociétés Pfizer et GlaxoSmithkline de poursuivre, sur la base de la moyenne mensuelle des quantités antérieurement livrées ou commandées, selon le cas, et jusqu'au prononcé de la décision sur le fond, les livraisons du produit Tahor, pour ce qui concernait Pfizer, et des produits anciennement commercialisés par la société Smithkline Beecham et par la société Glaxo Wellcome, pour ce qui concernait la société GlaxoSmithkline.

Par décision n° 02-MC-07 du 15 mai 2002, le Conseil de la concurrence a rejeté cette demande.

LA COUR,

Vu le recours formé par la société Pharma-Lab à l'encontre de la décision précitée, par voie d'assignation à l'audience du 4 juin 2002, délivrée les 27 et 28 mai 2002, aux termes de laquelle Pharma-Lab demande à la cour:

- à titre principal, d'annuler la décision n° 02-MC-07 du 15 mai 2002 en ce qu'elle est fondée sur une appréciation erronée de sa situation,

- à titre subsidiaire, de réformer ladite décision en ce qu'elle a rejeté sa demande de mesures conservatoires et de faire injonction aux sociétés GlaxoSmithkline et Pfizer de reprendre ou de poursuivre les livraisons à son profit des produits visés par leurs décisions d'interruption des ventes dans toutes leurs références, et dans les conditions suivantes:

* pour le Tahor, sur la base de la moyenne sur 18 mois des quantités totales livrées d'octobre 1999 à décembre 2000 et commandées de janvier 2001 à septembre 2001,

* pour les produits anciennement commercialisés par la société Smithkline Beecham (Dexorat, Engerix, Havrix, Requip, Twinrix), sur la base de la moyenne des livraisons effectuées d'octobre 1999 à septembre 2001,

* pour les produits anciennement commercialisés par la société Glaxo Wellcome (Ceporexine, Epivir, Combivir, Flixotide, Imigrane, Lacmital, Naramig, Serevent, Zelitrex, Zinnat), sur la base moyenne mensuelle des quantités livrées d'octobre 1999 à décembre 2000, et des quantités commandées de janvier 2001 à septembre 2001,

- en tout état de cause, de condamner les sociétés GlaxoSmithkline et Pfizer à lui payer la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu le recours formé par la société GlaxoSmithkline à l'encontre de cette décision, par voie d'assignation à l'audience du 4 juin 2002, délivrée le 31 mai 2002, aux termes de laquelle GlaxoSmithkline demande à la cour:

- de dire que le Conseil de la concurrence est incompétent pour connaître des pratiques alléguées,

- en conséquence, d'annuler la décision n° 02-MC-07 du 15 mai 2002,

- d'inviter les parties à mieux se pourvoir devant la Commission européenne,

- de condamner la société Pharma-Lab à lui payer la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu les conclusions en date du 3 juin 2002 par lesquelles la société Pharma-Lab demande à la cour de rejeter le recours de la société GlaxoSmithkline et de condamner celle-ci à lui payer la somme de 10.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu les conclusions en date du 4 juin 2002 par lesquelles la société GlaxoSmithkline demande à la cour :

- à titre principal, de prononcer la jonction du recours de Pharma-Lab et de celui qu'elle a, de son côté, formé, pour incompétence du Conseil de la concurrence, à l'encontre de la décision n° 02-MC-07 du 15 mai 2002 et, sur ce dernier recours, d'annuler ladite décision et d'inviter la société Pharma-Lab à mieux se pourvoir auprès de la Commission des communautés européennes,

- à titre subsidiaire:

* de dire que le recours en annulation formé par la société Pharma-Lab est irrecevable,

* de rejeter le recours en réformation formé par ladite société, faute de réunion des conditions posées par la Cour de justice des Communautés européennes pour le prononcé de mesures conservatoires au titre de l'application des articles 81 et 82 du traité CE ou, subsidiairement, des conditions posées pour l'octroi de telles mesures par l'article L. 464-1 du Code de commerce,

- en tout état de cause, de condamner Pharma-Lab à lui payer la somme de 20.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu les conclusions en date du 4 juin 2002 par lesquelles la société Pfizer demande à la cour:

- de déclarer irrecevable ou, à défaut, mal fondée la demande d'annulation de la décision du 15 mai 2002 formée par la société Pharma-Lab,

- de rejeter la demande de réformation de ladite décision,

- de condamner la requérante à lui payer la somme de 10.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Ouï le représentant du ministre de l'économie en ses observations rendant à l'irrecevabilité du recours de la société GlaxoSmithkline et à l'accueil du recours de la société Pharma-Lab et celui du ministère public en ses conclusions tendant au rejet des recours;

Vu les notes déposées le 11 juin 2002 par la société GlaxoSmithkline et par la société Pfizer, après y avoir été invitées par le président, en vue de répondre aux arguments développés par le représentant du ministre chargé de l'économie

Sur ce:

Sur la demande de jonction d'instances:

Considérant qu'il est de l'intérêt d'une bonne justice de juger ensemble le recours formé par la société Pharma-Lab à l'encontre de la décision du Conseil en date du 15 mai 2002 (inscrit au répertoire général de la cour sous le n° 2002-08966) et celui que la société GlaxoSmithkline a formé contre la même décision (inscrit au répertoire général de la cour sous le n° 2002-09428);

* Sur le recours de la société GlaxoSmithkline:

Considérant que, pour conclure à la recevabilité de son recours, la société GlaxoSmithkline fait valoir qu'ayant admis, à juste titre, que la vérification de sa compétence était un préalable nécessaire à l'examen de la demande de mesures conservatoires formée par la société Pharma-Lab, le Conseil ne s'est pas contenté de rejeter cette demande mais a explicitement retenu sa compétence en séparant l'examen de sa compétence d'attribution des "autres conditions de recevabilité d'une saisine" et s'est ainsi d'ores et déjà prononcé sur une question de droit;

Mais considérant que, si le Conseil de la concurrence a, en statuant sur le bien-fondé de la demande de mesures conservatoires formée par la société Pharma-Lab, implicitement décidé que la saisine émanant de cette entreprise était recevable après avoir relevé que les faits invoqués entraient dans le champ de sa compétence - ce qu'il avait, au demeurant, déjà admis par la décision précitée du 23 octobre 2000 non critiquée par la société GlaxoSmithkline - le recours visant ce chef de la décision du 15 mai 2002 n'est pas néanmoins recevable;

Considérant, en effet, qu'il résulte des dispositions de l'article L. 464-8 du Code de commerce que le recours en annulation ou en réformation devant la cour d'appel de Paris prévu par ce texte n'est pas ouvert contre les décisions par lesquelles le Conseil de la concurrence déclare une saisine au fond recevable;

Sur le recours de la société Pharma-Lab:

* Sur la demande d'annulation de la décision déférée:

Considérant que la société Pharma-Lab expose qu'ayant, par lettre du 18 janvier 2002 enregistrée le 22 janvier 2002 par le Conseil de la concurrence, sollicité le prononcé de mesures conservatoires à l'encontre des laboratoires Pfizer et GlaxoSmithkline, elle a, par lettre du 11 février 2002, demandé l'extension desdites mesures aux produits de la société Lily France au motif qu'elle venait de recevoir une correspondance de cette société l'informant de l'interruption à compter du 1er avril 2002 de toute livraison en ce qui concernait plusieurs de ses produits phares ; que, toutefois, par lettre du 14 février 2002, le rapporteur général du Conseil de la concurrence l'informait de ce que sa demande du 18 janvier 2002 serait examinée en séance le 9 avril 2002, sans qu'il fût fait état de la demande d'extension du 11 février 2002, dont le Conseil n'a accusé réception que le 25 mars 2002, date à laquelle il était, cependant, encore possible d'opérer la jonction de ces demandes et d'attraire le laboratoire Lily France à la séance du 9 avril 2002 ; que, tout en indiquant "qu'elle n'entend pas faire appel du refus de jonction", lequel constitue un acte d'organisation de la procédure, la requérante fait valoir qu'en omettant de joindre à l'examen de sa première demande celle visant la société Lily France, le Conseil s'est privé de la possibilité de prendre en considération l'effet cumulé des diverses mesures arrêtées par les laboratoires précités, comptant parmi ses principaux fournisseurs, qu'il a en conséquence été conduit a une mauvaise appréciation de la situation" et donc de l'atteinte qu'elle subit et de celle causée au marché, et que "c'est à la seule lumière de ce grief' que la cour doit prononcer l'annulation de la décision frappée de recours;

Mais considérant que le moyen tiré par l'auteur du recours de ce que la décision du Conseil de la concurrence est fondée sur une évaluation erronée parce qu'incomplète des données de fait et de droit propres à justifier le prononcé de mesures conservatoires implique que la cour procède elle-même à l'évaluation de ces éléments et substitue, le cas échéant en tout ou en partie, son appréciation à celle du Conseil par voie de réformation dc la décision de ce dernier;

Qu'il s'ensuit que le grief articulé par la société Pharma-Lab au soutien de sa demande tendant à l'annulation de la décision du 15 mai 2002, étant insusceptible d'emporter une telle conséquence, est inopérant et que cette demande ne peut qu'être rejetée;

* Sur la demande de réformation de la décision déférée:

Considérant qu'il est constant que les pratiques dénoncées par la requérante ne sont susceptibles de recevoir de qualification juridique qu'au regard des dispositions des articles 81 et 82 du traité CE;

Considérant que, s'il devait être tenu pour assuré que ces faits n'entrent pas dans le champ de la compétence du Conseil de la concurrence, la demande de mesures conservatoires s'y rapportant devrait être déclarée irrecevable;

Considérant que, selon la société GlaxoSmithkline, l'incompétence du Conseil et, par voie de conséquence, celle de la cour, en tant qu'autorités françaises de concurrence, résulte de l'absence d'effet sur le marché national des pratiques dénoncées par Pharma-Lab ; qu'elle précise que cette absence d'effet est établie, même à ce stade de la procédure, puisqu'elle est liée au statut de grossiste-exportateur de la société Pharma-Lab, lequel limite son activité à la seule exportation en gros des médicaments en dehors du territoire national ; que GlaxoSmithkline ajoute qu'il ressort des dispositions du livre quatrième du Code de commerce, et spécialement de l'article L. 470-6, que ce n'est que lorsque les autorités françaises de concurrence sont compétentes pour appliquer les articles L. 420-1 et L. 420-2 dudit code qu'elles peuvent appliquer également les dispositions correspondantes du traité CE, c'est-à-dire les articles 81 et 82, et que ni ces textes ni l'article 9 du règlement 17-62 ne sauraient avoir pour conséquence d'étendre la compétence desdites autorités, leur mission d'application du droit communautaire ne pouvant les conduire à intervenir sur le fonctionnement de marchés situés hors de France; que GlaxoSmithkline relève, eu outre, qu'aux termes de sa communication, publiée le 15 octobre 1997, relative à la coopération entre la Commission et les autorités de concurrence des Etats membres pour le traitement des affaires relevant des articles 81 et 82 du traité CE, la Commission, après avoir rappelé qu"'en pratique, les décisions d'une autorité nationale ne peuvent s'appliquer efficacement qu'aux restrictions de concurrence dont les effets se produisent essentiellement sur le territoire de l'Etat de cette autorité" (point 24), souligne qu'"en principe, les autorités nationales traiteront les affaires qui produisent essentiellement leurs effets sur le territoire" (point 26)

Mais considérant, en premier lieu, que, pourvu que leur droit national leur ait conféré les pouvoirs nécessaires à cette fin, les autorités nationales de concurrence sont compétentes pour appliquer les dispositions d'effet direct des articles 81 (§ 1) et 82 du traité CE en tant que ces dispositions font partie intégrante de l'ordre juridique applicable sur le territoire de chacun des Etats membres;

Et considérant que l'habilitation des autorités françaises à mettre en œuvre les règles de concurrence communautaires résulte des dispositions de l'article L. 470-6 du Code de commerce selon lesquelles, pour l'application des articles 81 à 83 du traité CE, le Conseil de la concurrence dispose des pouvoirs qui lui sont reconnus par les articles du livre quatrième du Code de commerce, les règles de procédure prévues par ces textes étant applicables;

Qu'il s'ensuit que le Conseil est compétent pour se prononcer sur l'application des règles communautaires de concurrence à des pratiques qui affectent le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun, même si ces pratiques, bien qu'ayant, comme en l'espèce, leur origine sur le territoire français, ne produisent pas d'effet sur un marché national;

Considérant, en outre, que s'agissant de pratiques émanant de laboratoires installés en France dont il est allégué qu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet de limiter les exportations parallèles vers les territoires d'autres Etats membres de l'Union, il incombe au Conseil, autorité nationale de l'Union disposant en l'espèce des pouvoirs d'enquête nécessaires, d'examiner la licéité de ces pratiques au regard des articles 81 et 82 du traité CE, sauf à ce que la Commission ouvre une procedure, ce dont il n'est pas justifié à ce jour relativement aux pratiques en cause;

Considérant, en second lieu, que le pouvoir de prendre des mesures conservatoires participe de l'exigence d'effectivité du droit reconnu aux autorités chargées d'appliquer les règles communautaires de concurrence, incluant les autorités nationales, de faire cesser les infractions auxdites règles et d'assurer l'exécution des obligations qui en découlent; qu'il en résulte, conformément à l'exigence d'efficacité et d'uniformité d'application du droit communautaire sur l'ensemble du territoire de l'Union, comme à celle de sécurité juridique des entreprises, que les critères d'appréciation du bien-fondé de telles mesures sont ceux définis par le droit communautaire et que les dispositions de l'article L. 464-1 du Code de commerce doivent, en tant que de besoin, être interprétées à la lumière de celui-ci;

Considérant que, selon la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes et du Tribunal de première instance (cf. notamment CJCE 17 janvier 1980 Camera Care Ibid c/ Commission, C-292-79, Rec. 1-119, CJCE 28 février 1984 Ford c/ Commission, 228-82 et 229-82, Rec. I-1129, TPI 12 juillet 1991 Automobiles Peugeot c/ Commission, T-23-90, Rec. II-653), les dispositions conservatoires, qui doivent entrer dans le cadre de la décision susceptible d'être prise à titre définitif et rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence, ne peuvent intervenir que s'il existe, à première vue, une violation des règles communautaires de concurrence et afin de parer à une situation de nature à causer un préjudice grave et irréparable à la partie qui les sollicite ou intolérable pour l'intérêt général et que, si l'autorité compétente n'est pas tenue de constater une infraction prima facie avec le même degré de certitude que celui requis pour la décision finale, elle doit être convaincue de l'existence d'une présomption d'infraction raisonnablement forte;

Or, considérant que les pièces produites par la requérante ne sont pas de nature à satisfaire à cette dernière exigence et que le Conseil de la concurrence, après avoir exactement relevé que des pratiques anticoncurrentielles qui viendraient perturber l'activité d'exportation de la société Pharma-Lab affecteraient le commerce entre Etats membres et seraient donc, si elles étaient établies, susceptibles d'être prohibées par les articles 81 et 82 du traité CE, et rappelé que ladite société se heurte depuis le 1er mai 2001 à une interruption totale de livraison du produit Tahor commercialisé par la société Pfizer tandis que la société GlaxoSmithkline lui a fait connaître, par lettre en date du 30 novembre 2001, qu'elle cesserait les livraisons de plusieurs produits dans un délai de six mois et que, durant la période intérimaire, les livraisons de ces produits seraient très limitées, se borne à énoncer, sans étayer ces affirmations d'aucune constatation ni procéder à aucune analyse des éléments dont il a eu connaissance depuis sa saisine, qu'il ne peut être exclu que les difficultés auxquelles la Société Pharma-Lab est confrontée résultent d'une entente tacite ou expresse entre les laboratoires pour s'opposer à l'exportation de produits pharmaceutiques afin de réduire la concurrence par les prix dans le marché commun et qu'il ne peut non plus être exclu ni que certains des laboratoires en cause (dont Pfizer et GlaxoSmithkline) détiennent une position dominante sur le marché d'un médicament pour lequel il n'existe pas de substitut, ni que la Société Pharma-Lab soit victime de discriminations de la part de ces laboratoires, ayant pour objet ou pour effet de limiter la concurrence dans le marché commun et d'entraver le commerce entre Etats membres;

Et considérant, d'une part, que, ainsi que l'a rappelé le Tribunal de première instance des Communautés européennes (TPI 26 octobre 2001, Bayer AG c/ Commission, T-41-96, Rec. II-3383), l'objectif de l'article 81 § 1 du traité CE n'est pas d'éliminer de manière générale les obstacles au commerce intra-communautaire mais est plus limité dès lors que seuls les obstacles à la concurrence mis en place par une volonté conjointe entre au moins deux parties sont interdits par cette disposition, que la preuve d'un accord entre entreprises au sens de ce texte doit reposer sur la constatation directe ou indirecte d'une concordance de volontés entre opérateurs économiques sur la mise en pratique d'une politique, de la recherche d'un objectif ou de l'adoption d'un comportement déterminé sur le marché et qu'en l'absence d'une telle concordance de volontés, et pourvu qu'il le fasse en n'abusant pas d'une position dominante, un fabricant peut adopter la politique de livraisons qu'il estime nécessaire, même si, par la nature même de son objectif, tel celui d'entraver les importations parallèles, la mise en pratique de cette politique peut comporter des restrictions de concurrence et affecter les échanges entre Etats membres (points 173, 174, 176) ; qu'en l'espèce, les éléments mis aux débats par la société Pharma-Lab, lesquels tendent à démontrer la réalité d'une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs et à ses propres intérêts, ne sont pas de nature à faire présumer que les cessations de livraisons invoquées se rattacheraient à un accord de volontés entre les fournisseurs de produits pharmaceutiques visés par la saisine, étant au demeurant observé que la société Pfizer fait valoir qu'en application d'une politique de "rationalisation" de la distribution européenne des produits Pfizer, appliquée indistinctement à tous les grossistes, répartiteurs et exportateurs, elle a unilatéralement décidé d'allouer à chacun de ses clients une quantité de produits en fonction d'un critère objectif, à savoir la part de marché détenue par eux sur le marché français, et que la société GlaxoSmithkline soutient, de son côté, qu'une année après Pfizer, le groupe GlaxoSmithkline a dû, sous l'influence d'une pluralité de facteurs, procéder à une réorganisation intégrale de sa distribution, ce qui l'a conduit à retenir comme principe l'interruption de l'attribution directe de produits résiduels aux grossistes-exportateurs ;

Considérant, d'autre part, que le refus de vente ne tombe pas sous le coup de l'interdiction de l'article 82 du traité CE du seul fait qu'il émane d'une entreprise en position dominante et que la cour ne trouve pas davantage dans les éléments communiqués par la requérante les données qui permettraient d'établir que les laboratoires pharmaceutiques en cause détiendraient apparemment une position dominante sur un ou plusieurs marchés pertinents, dont ils pourraient abuser;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les éléments soumis à l'appréciation de la cour ne suffisent pas à établir le caractère vraisemblable de l'incompatibilité des pratiques dénoncées avec les dispositions des articles 81 et 82 du traité CE;

Considérant, surabondamment, que la preuve n'est pas rapportée que les autres conditions nécessaires à l'adoption de mesures conservatoires seraient réunies;

Considérant, en premier lieu, que la société Phama-Lab soutient que sa demande de mesures conservatoires est justifiée en raison d'une atteinte grave et immédiate à l'économie du secteur de l'importation-exportation de médicaments dans le marché commun et à l'intérêt des organismes de sécurité sociale comme à celui des patients sur ce marché; qu'elle fait valoir que la mise en place à l'échelle de l'Europe entière, par des entreprises telles que Pfizer, GlaxoSmithkline ou Lilly, d'un système de contingentement (supply chain) destiné à limiter les livraisons de spécialités pharmaceutiques dans chaque pays aux volumes correspondant à la consommation intérieure de chacun d'eux fait peser sur le commerce parallèle des médicaments en Europe un risque de disparition et que celle-ci affecterait gravement les intérêts ci-dessus mentionnés dès lors que le commerce parallèle fait bénéficier tant les patients que les organismes d'assurance-maladie non seulement d'économies directes et quantifiables mais encore d'économies indirectes en ce qu il incite les laboratoires à limiter les écarts entre les prix de remboursement qu'ils tentent d'obtenir clans les divers Etats membres et ainsi à modérer leurs ambitions dans les pays où traditionnellement ils essayaient d'obtenir les prix les plus élevés qui leur servaient ensuite de référence dans les pays à moindre pouvoir d'achat;

Mais considérant qu'alors que la preuve de l'atteinte ainsi alléguée à l'intérêt général implique, eu égard notamment à la disparité, faute d'harmonisation conmunautaire, des dispositions réglementaires au moyen desquelles les autorités nationales contrôlent, directement ou indirectement, les prix de vente appliqués par les entreprises pharmaceutiques et le coût d'achat pour les consommateurs finaux, une appréciation concrète des conditions effectives de fonctionnement des marchés concernés des pays de l'Union européenne vers lesquels la société Pharma-Lab exerce son activité d'exportateur, à savoir le Royaume-uni, les Pays-Bas, l'Allemagne, la Belgique, le Danemark et la Suède, ainsi que de l'impact (avéré ou potentiel) sur ces marchés des pratiques décrites à l'appui de la demande, les éléments communiqués ne permettent pas d'évaluer l'incidence sur ces marchés de l'interruption des livraisons directes à Pharma-Lab du Tahor et des produits GlaxoSmithkline énumérés par la requérante;

Considérant, au surplus, que la mesure de l'utilité collective du commerce parallèle de médicaments, affirmée par la requérante et déniée par les sociétés GlaxoSmithkline et Pfizer, est sujette à discussion, étant observé que l'existence dans une partie des Etats membres de l'Union européenne, principalement ceux de l'Europe du nord, où les prix domestiques des médicaments sont les plus élevés, de dispositifs d'incitation à ce commerce - lequel ne se maintient qu'en raison de la diversité des systèmes nationaux de soins de santé - ne suffit pas par elle-même à établir que le recours à celui-ci procurerait des avantages appréciables aux organismes d'assurance-maladie et aux consommateurs;

Considérant, sur ce point, qu'aux données contenues dans un document émanant de l'Association des sociétés européennes de pharmacie (EAEPC), représentant les entreprises intervenant sur le marché parallèle des produits pharmaceutiques (pièce n° 10 de la société requérante), dont ladite association tire la conclusion que "le recours aux médicaments du marché parallèle profite aux payeurs comme aux consommateurs", peuvent être opposés les doutes formulés par les autorités communautaires dans divers documents, tels la communication de la Commission concernant le marché unique des produits pharmaceutiques du 25 novembre 1998 (p. 6), la résolution du Parlement européen du 4 mai 1999 sur la communication précitée de la Commission, ou encore l'avis du Comité économique et social du 16 janvier 2001 (point 10.7.3) ; qu'il résulte de ces documents que les importations parallèles, lesquelles représentent environ 10% de parts de marchés dans les Etats où elles sont les plus importantes (Royaume-Uni, Pays-Bas, Danemark), suscitent de sérieuses interrogations sur le point de savoir si le différentiel de prix justifiant les flux de produits intracommunautaires se traduit en définitive par une réduction substantielle des coûts pour les patients ou les systèmes de soins ou, pour la plus grande partie, par des marges revenant aux différents acteurs de ce commerce;

Considérant, en second lieu, que la requérante soutient que c'est en faisant une appréciation inexacte et tronquée de la situation réelle de l'entreprise que le Conseil de la concurrence a conclu à l'absence d'atteinte grave et immédiate à ses intérêts ; qu'elle lui reproche d'avoir, sans motifs sérieux, écarté à tort l'existence d'une atteinte future mais certaine, alors que les mesures prises par GlaxoSmithkline et Pfizer entraînaient la perte de 20% du montant total de ses approvisionnements et de 25% du chiffre d'affaires réalisé par elle avec les laboratoires pharmaceutiques - la perte irrémédiable de volume d'achats de produits pharmaceutiques étant de l'ordre de 30% si l'on y ajoute les effets de la décision prise par la société Lilly France - et alors que Pharma-Lab avait fait un effort particulier pour démontrer qu'elle ne disposait d'aucune source d'approvisionnement alternatif pour les produits en cause, les grossistes-répartiteurs étant eux-mêmes soumis à un régime de quota de la part de ces trois laboratoires pour ces produits, ceux-ci constituant en outre, en raison de leur notoriété, les "produits phare de son commerce" et lui assurant l'essentiel de ses revenus;

Mais considérant, d'abord, que, bien que l'interruption totale des livraisons de Ta/wr par Pfizer fût effective depuis le 1er mai 2001 et alors même que la société Pharma-Lab était informée, depuis la réception de la lettre du 30 novembre 2001, de la décision de GlaxoSmithkline de cesser toute livraison d'un ensemble de 26 produits à compter du 1er juin 2002, décision prise après l'application d'un régime de restriction ayant conduit, selon les précisions donnée par Pharma-Lab dans sa demande de mesures conservatoires en date du 18 janvier 2002, à une diminution de 30% du chiffre d'affaires réalisé avec les produits GlaxoSmithkline au cours de l'exercice comptable clos le 30 septembre 2001, l'assemblée générale des actionnaires de Pharma-Lab appelée à approuver les comptes dudit exercice, réunie le 11 décembre 2001, a constaté un chiffre d'affaires en légère diminution par rapport à l'exercice 1999-2000, un bénéfice de 15.463.179 F contre, respectivement, 17.604.521 F et 8.314.836 F au titre des deux exercices précédents, le résultat d'exploitation étant de 15.758.000 F (contre 26.260.000 F et -14.788.000 F au titre des deux exercices précédents) et les capitaux propres s'élevant à 30.463.188 F au 30 septembre 2001 contre 29.918.689 F au 30 septembre 2000 ; que les actionnaires, dont l'un détenait à cette date 96,55% des actions, ont décidé d'affecter le bénéfice de 1'exerciçe à hauteur de 3.733.569 F à la réserve spéciale des plus-values à long terme et le solde, soit 11.729.610 F, augmenté d'un prélèvement de 3.733.389 F sur le report à nouveau créditeur, à titre de dividendes, le dividende net étant de 7.731,50 F par action; qu'ensuite, le rapport de gestion présenté lors de l'assemblée du 11 décembre 2001 indique que la baisse du résultat d'exploitation par rapport à l'exercice 1999-2000 "est dû principalement à une baisse de marge, qui reste malgré tout satisfaisante" et énonce sous la rubrique "Perspectives" " Pour la fin de 2001 et le début de 2002, l'activité de notre société devrait encore être satisfaisante. Le rapprochement avec le Groupe CERP Lorraine devrait permettre à notre société de poursuivre de nouveaux développements.";

Considérant qu'il ressort de ces éléments que les décisions des sociétés GlaxoSmithkline et Pfizer invoquées au soutien de la demande de mesures conservatoires - décisions dont les effets étaient soit connus, soit prévisibles - n'ont pas été regardées comme spécialement alarmantes par les dirigeants de la société Pharma-Lab;

Considérant, enfin, qu'il n'est pas établi que la requérante serait dans l'impossibilité de compenser, au moins partiellement, par le report sur d'autres produits ou d'autres fournisseurs, la perte d'un certain volume de livraisons consécutive aux décisions précitées, étant observé que Pharma-Lab exerce son activité d'intermédiation sans être tenue à aucune des obligations de service public, telle celle d'assortiment, pesant sur les grossistes-répartiteurs;

Considérant, en conséquence, que la preuve n'est pas rapportée que les pratiques dénoncées porteraient une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs non plus qu'à l'entreprise plaignante, étant, au surplus, observé que cette appréciation n'apparaît pas susceptible d'être modifiée, ni d'un chef ni de l'autre, par la prise en considération de l'effet cumulé de ces pratiques et de celles imputées à la société Lilly France, cette dernière, avec laquelle Pharma-Lab a réalisé, respectivement, 10,5%, 7% et 4,8% du chiffre total de ses achats au titre des exercices comptables 1998-1999, 1999-2000 et 2000-2001, l'ayant informée, par lettre du 7 février 2002, de l'interruption à compter du 1er avril 2002 de toute livraison en ce qui concernait sept de ses produits;

Qu'il y a donc lieu de rejeter le recours de la société Pharma-Lab;

Considérant que l'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Par ces motifs, LA COUR, Joint le recours 2002-9428 de la société GlaxoSmithkline à celui de la société Pharma-Lab 2002-8966; Déclare irrecevable le recours de la société GlaxoSmithkline ; Rejette le recours de la société Pharma-Lab; Rejette toute autre demande ; Dit que cbacune des requérantes supportera la charge des dépens afférents à son propre recours, ceux exposés par la société Pfizer étant mis à la charge de la société Pharma-Lab.