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Décisions

Conseil Conc., 13 juin 2002, n° 02-D-35

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Saisine et demande de mesures conservatoires présentées par la société Spinevision

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de Mme Douillet, par Mme Pasturel, vice-présidente, Mme Perrot, M. Gauron, M. Piot, M. Ripotot, membres.

Conseil Conc. n° 02-D-35

13 juin 2002

Le Conseil de la concurrence (section IV),

Vu les lettres enregistrées le 12 février 2002 sous les numéros 02-0018-F et 02-0019-M, par lesquelles la société Spinevision a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques imputées aux sociétés Medtronic, Medtronic Sofamor Danek, Medtronic Sofamor Danek France et Sofamor (Société de fabrication de matériel orthopédique) qu'elle estime anticoncurrentielles et a sollicité le prononcé de mesures conservatoires ; Vu le livre IV du Code de commerce, relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, fixant les conditions d'application de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, ainsi que le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu les observations présentées par les sociétés Medtronic, Medtronic Sofamor Danek, Medtronic Sofamor Danek France et Sofamor et le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Spinevision, Medtronic, Medtronic Sofamor Danek, Medtronic Sofamor Danek France et Sofamor, entendus lors de la séance du 7 mai 2002 ;

I. - LA SAISINE

Considérant que la société Spinevision est une société anonyme créée en 1999, qui a son siège social à Paris ; qu'elle conçoit, développe, fabrique et commercialise des implants et des instruments destinés à l'orthopédie, à la neurologie et à la neurochirurgie ;

Considérant que la société Spinevision expose qu'elle a mis au point des implants très performants - le "Plus" et l'"Uni-T" -, qui ont reçu l'homologation CE et fait l'objet de demandes de brevets en France et à l'étranger ; que ces implants sont d'ores et déjà utilisés avec succès en Europe et que, par l'avancée technologique qu'ils représentent, ils sont susceptibles de détrôner les implants actuellement sur le marché, et notamment, le "CD Horizon" proposé par le groupe américain Medtronic ;

Considérant que la société Spinevision soutient que le groupe Medtronic est en situation de position dominante et qu'il a entrepris d'empêcher son développement et, finalement, de l'exclure du marché en déployant un ensemble de pratiques consistant en la mise en œuvre de pressions exercées sur des salariés et des clients potentiels et en l'introduction récente, par l'un des représentants en France du groupe, la société Sofamor, d'une action en concurrence déloyale fantaisiste devant le Tribunal de commerce de Paris ; que ces pratiques tombent sous le coup des dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce ;

Considérant que la société Spinevision prétend que l'assignation en concurrence déloyale vise à la décrédibiliser et à la déstabiliser financièrement au moment où, procédant au lancement commercial de ses produits et à une levée de fonds, elle est particulièrement vulnérable ; que cette action, qui porte atteinte à sa crédibilité auprès des acheteurs et des investisseurs, a d'ores et déjà des conséquences sur sa trésorerie et qu'elle est de nature à entraîner sa disparition du marché "d'ici à quelques mois" ; que, par ailleurs, la procédure ainsi engagée risque d'empêcher le développement d'avancées technologiques très prometteuses et porte ainsi atteinte au marché et à l'intérêt des consommateurs ; que la société Spinevision demande, en conséquence, au Conseil de la concurrence d'enjoindre, à titre conservatoire, à la société Sofamor de se désister de l'instance pendante devant le tribunal de commerce ;

II. - LA DEFENSE DES ENTREPRISES MISES EN CAUSE

Considérant que les entreprises mises en cause concluent au rejet de la saisine au fond faute d'éléments suffisamment probants permettant de présumer l'existence de comportements anticoncurrentiels ; qu'elles contestent la position de domination du groupe Medtronic sur le marché des implants rachidiens, quel que soit le marché géographique retenu, tout en préconisant, en l'espèce, une définition européenne de ce marché ; qu'elles contestent, en outre, avoir mis en œuvre des pratiques abusives, faisant valoir, notamment, que l'action en concurrence déloyale contre Spinevision est loin d'être manifestement infondée et qu'elle ne s'inscrit pas dans un plan d'éviction ;

Considérant que, subsidiairement, les défenderesses concluent au rejet de la demande de mesures conservatoires faute de démonstration par la société Spinevision d'un risque d'atteinte grave et immédiate à ses intérêts ou à ceux du secteur, en relation de causalité avec les pratiques reprochées ; qu'elles soutiennent également que la mesure sollicitée excède la compétence du conseil ;

III. - LA PROCEDURE

Considérant que, par courrier du 30 avril 2002, adressé à la présidente du Conseil de la concurrence, la société Spinevision a versé trois pièces supplémentaires aux débats, en indiquant que ces documents lui étaient parvenus après le 27 mars 2002, date limite du délai qui lui avait été imparti pour présenter ses observations ; que les sociétés mises en cause ont sollicité, en séance, le rejet desdites pièces en faisant valoir qu'elles leur avaient été remises le 3 mai 2002, soit deux jours ouvrés avant la séance fixée au 7 mai ;

Considérant qu'aucune disposition du Code de commerce et du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 n'impose de délais pour la mise en état de procédures de mesures conservatoires, qui se caractérisent par l'urgence mais dont l'instruction doit viser, dans un temps nécessairement restreint, à réunir le plus d'éléments possible permettant au conseil de se prononcer sur le bien-fondé de la demande ; que le dépôt de pièces après l'expiration du temps imparti ne saurait donc, à lui seul, justifier leur rejet de la procédure, à condition, toutefois, que la partie adverse ait bénéficié d'un temps suffisant pour assurer sa défense au regard des pièces ainsi produites ;

Considérant qu'en l'espèce, il est constant que les sociétés mises en cause n'ont reçu les pièces litigieuses que le vendredi 3 mai 2002, soit deux jours ouvrés seulement avant la séance ; que, dans ces conditions, elles n'ont pu bénéficier d'un temps suffisant pour en prendre connaissance utilement et organiser leur défense ;

Qu'il convient, par conséquent, d'écarter des débats les pièces transmises tardivement par la société Spinevision ;

Considérant que l'article 42 du décret du 30 avril 2002 reprenant les dispositions de l'article 12 du décret du 29 décembre 1986 modifié, énonce que "La demande de mesures conservatoires mentionnée à l'article 12 de l'ordonnance (devenu l'article L. 464-1 du Code de commerce) ne peut être formée qu'accessoirement à une saisine au fond du Conseil de la concurrence. Elle peut être présentée à tout moment de la procédure et doit être motivée" ; qu'une demande de mesures conservatoires ne peut donc être examinée que pour autant que la saisine au fond est recevable et ne soit pas rejetée faute d'éléments suffisamment probants, en application de l'alinéa 2 de l'article L. 462-8 du Code de commerce ; qu'en outre, la demande de mesures conservatoires doit être, en elle-même, recevable ;

IV. - SUR LA SAISINE AU FOND

Considérant que l'article L. 462-8, alinéa 2 du Code de commerce dispose que le Conseil de la concurrence "... peut aussi rejeter la saisine par décision motivée lorsqu'il estime que les faits invoqués ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants".

En ce qui concerne le marché pertinent et la position du groupe Medtronic sur ce marché

Considérant qu'il ressort du dossier et notamment des différentes études de marché, courriers ou attestations émanant de chirurgiens, qu'il existe une demande spécifique portant sur les implants rachidiens, c'est-à-dire des dispositifs médicaux destinés à être fixés sur la colonne vertébrale des patients au cours d'interventions chirurgicales visant à la correction de déformations ou à la réalisation de fusions osseuses ; qu'il n'est donc pas exclu qu'il existe un marché des implants rachidiens ; que ce marché connaît actuellement une forte croissance qui s'explique à la fois par des raisons techniques (amélioration des produits qui apportent désormais une réelle réponse aux attentes des patients) et sociologiques (allongement de la durée de la vie, modes de vie plus sédentaires...) ;

Considérant qu'il ressort également des pièces du dossier que les implants distribués par la société Spinevision (notamment le "Plus") et ceux distribués par le groupe Medtronic (notamment le "CD Horizon") sont utilisés dans les mêmes types d'opérations chirurgicales sur le rachis et plus particulièrement dans des cas de scolioses ; que les indications thérapeutiques de l'utilisation de ces deux produits sont semblables ; que ces deux produits apparaissent donc substituables entre eux et les deux entreprises en concurrence directe sur le même marché ;

Considérant que la directive n° 90-385-CEE du 20 juin 1990, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives aux dispositifs médicaux implantables actifs et la directive générale n° 93-42-CEE du 14 juin 1993, relative aux dispositifs médicaux ont harmonisé les régimes juridiques européens relatifs à la commercialisation des implants ; que ces deux directives prévoient, dans leur article 4.1, que "les États membres ne font pas obstacle, sur leur territoire, à la mise sur le marché et à la mise en service des dispositifs portant le marquage CE (...)" ;

Considérant qu'en application de ces textes, tout nouveau dispositif médical mis sur le marché avec la certification d'une autorité d'un des Etats membres de l'Union est automatiquement certifié conforme aux normes européennes et peut ainsi librement circuler dans l'Union européenne ;

Considérant que ce marché européen se distingue en particulier du marché américain, régi par les normes d'approbation propres de la Food and Drug Administration ("FDA") ; que la société Spinevision a indiqué que ses implants avaient ainsi reçu l'homologation CE et qu'ils avaient, par ailleurs, été homologués aux Etats-Unis ;

Considérant que les implants rachidiens semblent donc répondre, au sein de l'Union européenne, à des caractéristiques identiques et apparaissent substituables entre eux dans l'ensemble du territoire européen;

Considérant que s'il existe en France, une réglementation particulière tenant à une procédure d'inscription sur la liste des produits remboursables par la sécurité sociale, cette seule spécificité paraît insuffisante pour circonscrire le marché au territoire national;

Considérant que ces éléments conduisent à considérer qu'en l'état des éléments soumis au conseil, il n'est pas exclu que le marché pertinent soit le marché européen des implants rachidiens ;

Considérant que le groupe américain Medtronic, auquel il n'est pas contesté qu'appartiennent les quatre sociétés mises en cause, dont le siège est situé à Minneapolis (Minnesota) et dont l'activité se rattache à la technologie médicale, principalement dans les domaines cardio-vasculaire, neurologique et rachidien, était, en 1999, premier sur le marché européen avec une part de marché de 24,9 %, celles de ses deux plus proches concurrents étant respectivement de 21,6 % et 15,2 % ; que ce groupe a vendu en 1999, 2000 et 2001 respectivement 29,9 %, 41 % et 35 % des implants rachidiens vendus dans le monde, alors qu'au cours de ces trois années, ses deux concurrents les plus proches en vendaient, respectivement 22,9 % et 17 %, 24 % et 12 %, 22 % et 15 %; qu'en 1999, le groupe Medtronic a vendu 32,2 % des implants vendus en France alors que ses deux plus proches concurrents, J & J/Dupuy/Acromed et Stricker/Howmedica/Osteonics, en ont vendu respectivement 20,8 % et 13,5 %.

Considérant, ainsi, que les principaux concurrents du groupe Medtronic sur le marché mondial et le marché européen des implants rachidiens détiennent des parts de marché proches des siennes ; que, par ailleurs, ces marchés, sur lesquels les opérateurs sont nombreux et la recherche de l'innovation intense, sont très concurrentiels; qu'en conséquence, le groupe Medtronic n'apparaît pas être en situation de s'abstraire de la concurrence et que, dès lors sa position ne peut être qualifiée de dominante;

En ce qui concerne les pratiques dénoncées

En ce qui concerne les pressions prétendument exercées sur les salariés de la société Spinevision :

Considérant que la société Spinevision soutient que certains de ses salariés auraient été "harcelés" et "menacés" afin qu'ils cessent de travailler pour elle ; qu'elle produit à cet égard un unique courrier, en date du 5 mai 2000, adressé par la société Medtronic Sofamor Danek France à M. Dominique Petit, ancien salarié de la société Sofamor, ainsi rédigé :

"Vous avez quitté notre société le 30 juin 1999 dans le cadre d'un accord transactionnel. Compte tenu de faits très précis qui ont été portés à notre connaissance, nous tenons à vous rappeler, de la façon la plus formelle, les obligations qui sont les vôtres, à savoir :

- Devoir de confidentialité dont la portée vous a été clairement explicitée,

- Engagement de ne pas porter dommage à notre société.

Sans préjudice des actions que nous pourrions déjà entreprendre, nous vous demandons donc de mettre fin immédiatement aux agissements qui pourraient être contraires aux engagements pris" ;

Considérant que l'accord signé entre la Sofamor et M. Petit, versé aux débats par la société Sofamor SNC, fait apparaître qu'en juillet 1999, pour mettre fin au différend né du licenciement, contesté, du salarié, la Sofamor a versé à ce dernier, alors chef de projet à son département Recherche et Développement, une indemnité transactionnelle moyennant l'engagement par M. Petit, notamment, de restituer "tous documents ou objets" qui auraient pu lui être remis à l'occasion de l'exécution du contrat, d'"observer la discrétion professionnelle la plus absolue en ce qui concerne son activité au sein de la société Sofamor", de "garder secrètes toutes informations et de ne pas les utiliser, d'une quelconque façon et sous une quelconque forme, pour son propre compte ou pour le compte de tiers, qu'il aurait pu recevoir pendant la durée de ses fonctions et, notamment, tout projet ou document commercial (...) ou technique, toute liste de clients ou projets d'opérations" ;

Considérant dès lors, eu égard à l'emploi occupé par M. Petit jusqu'en 1999, au sein de la société Sofamor et à sa qualité actuelle d'inventeur chez Spinevision, qui ressort d'une demande de brevet déposée par cette dernière société, que l'intervention de la société Medtronic Sofamor Danek France n'apparaît pas être une pratique relevant des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce ; que la société Spinevision ne produit pas d'autre élément au soutien du grief ainsi invoqué ;

En ce qui concerne les pressions prétendument exercées sur les clients potentiels de la société Spinevision :

Considérant que la demanderesse allègue encore que des pressions ont été exercées sur des chirurgiens du rachis, principaux décideurs dans l'achat des matériels, afin de les décourager de recourir à ses produits ;

Considérant qu'elle verse une lettre en date du 8 juin 2000, adressée par le professeur Dubousset, praticien à l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul à Paris et co-inventeur du produit "CD" commercialisé par la société Medtronic, à M. Ron Pickard, de la société Medtronic Sofamor Danek (à Memphis), rédigée comme suit (traduction de la société Spinevision) :

"Cher Ron,

Danilo Campani m'a indiqué que vous étiez quelque peu inquiet de voir qu'au cours de la convention Imast se tenant à Barcelone, Reinhard Zeller présentera une modification du matériel d'instrumentalisation rachidien qui ressemble beaucoup, dans ses principes de pose chirurgicale, au CD-Horizon. Le matériel est différent et améliore probablement l'utilisation de cette technique. Il a pu être développé grâce aux personnes et aux ingénieurs travaillant par le passé, chez Sofamor Danek, à Rang-du-Fliers. Comme vous le savez, Reinhard Zeller travaille avec moi et c'est naturellement qu'il m'a demandé conseil, ce que j'ai accepté, car la seule chose importante à mes yeux est l'amélioration de la condition des patients. Quelques opérations ont été réalisées (moins de 5 pour le moment, toutes réalisées par Reinhard Zeller) ; les débuts sont encourageants mais il est encore trop tôt pour en tirer des conclusions. Je veux également vous confirmer que je continue à promouvoir le CD-Horizon, dans le monde entier, mais il est absolument nécessaire de l'améliorer, notamment la sécurité lors de l'introduction de la vis qui se fait "les yeux fermés". C'est pourquoi nous tiendrons une convention à Paris, le 1er juillet prochain, sous ma direction. Ne soyez pas inquiet, je suis toujours un membre de votre équipe et je continue d'encourager la société Medtronic Danek. Cordialement" ;

Considérant que les termes employés dans ce courrier ne permettent pas d'étayer l'accusation de "pressions" qui aurait été exercées sur le professeur Dubousset ; qu'il en ressort seulement que ce praticien, co-inventeur du "CD", l'ancêtre du "CD Horizon", qui collabore à la promotion de ce dernier implant produit par Medtronic, entretient des relations professionnelles suivies avec le docteur Zeller, co-inventeur du "Plus" ; que la société Medtronic Sofamor Danek conçoit de l'inquiétude quant à un éventuel rapprochement entre le professeur Dubousset et sa concurrente Spinevision ; que le professeur Dubousset reconnaît les mérites du nouveau produit développé par celle-ci et les limites du "CD Horizon" ; qu'il assure néanmoins la société Medtronic Sofamor Danek de sa fidélité ;

Considérant qu'il n'apparaît pas, au vu de la réponse du professeur Dubousset, que le sentiment d'inquiétude de son correspondant, qu'il s'efforce d'apaiser, ait excédé les limites d'une expression normale pour prendre la forme de pressions tendant à le dissuader d'utiliser les implants de la société Spinevision ;

Considérant que la société Spinevision produit, par ailleurs, une attestation du Docteur Reinhard Zeller, en date du 10 février 2002, dont il ressort que le chef de service de ce dernier à l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul, le professeur Seringe, lui a "fortement conseillé" d'utiliser pour une intervention sur une scoliose, des vis pédiculaires nécessitant le recours à un matériel "Stealth Station" (système de navigation) mis à la disposition du service par la société Sofamor Danek, et que son refus, motivé par des considérations thérapeutiques, "a donné lieu à une violente altercation" ;

Considérant qu'à supposer que l'incident relaté par le docteur Zeller puisse être considéré comme la manifestation d'une pression exercée sur un praticien pour favoriser les produits Medtronic, la seule circonstance que le professeur Seringe serait un "ancien élève" du docteur Cotrel, co-inventeur avec le professeur Dubousset du "CD", ne permet pas d'imputer ladite pression au groupe Medtronic ;

Considérant que la société Spinevision fournit encore une attestation du docteur Bolger, chef de service du département de chirurgie à l'hôpital Beaumont de Dublin (Irlande), qui indique, selon la traduction proposée par la saisissante, qu'en 2001, lors du renouvellement du contrat de consultant extérieur liant le docteur Bolger à la société Medtronic Sofamor Danek, son interlocuteur s'était montré préoccupé de sa collaboration parallèle avec la société Spinevision ; qu'il lui avait été néanmoins proposé de renouveler son contrat à condition qu'il n'utilise pas "d'autres produits que ceux provenant de Medtronic Sofamor Danek, devant les chirurgiens qui visiteraient [son] service, lors des démonstrations de l'utilisation de la "Stealth Station" ; que le docteur Bolger conclut ainsi : "Tout en comprenant ses préoccupations, j'ai expliqué à Monsieur Campani que je ne pouvais pas m'engager ainsi, partant du principe que j'utilise les produits qui sont les plus adéquats pour mes patients, sans tenir compte de leurs fabricants. Pour les cas où je n'utiliserai pas les produits élaborés par Medtronic Sofamor Danek, j'ai accepté de ne pas présenter ces produits aux chirurgiens venus en visite et de mettre en avant la "Stealth Station" plutôt que n'importe quel autre type d'implants rachidiens que j'utilise communément" ;

Considérant que le souci exprimé par Medtronic qu'un de ses consultants extérieurs, le docteur Bolger, chargé d'effectuer des démonstrations de l'utilisation de son système de navigation chirurgicale "Stealth Station", devant des chirurgiens en visite dans son service, ne fasse pas la promotion du produit d'un concurrent, a fortiori si un différend commercial existe avec celui-ci, n'apparaît pas être une pratique relevant des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce ; qu'il peut être observé, au demeurant, que la société Medtronic semble finalement s'accommoder du fait que le docteur Bolger exerce pour elle une activité de consultant pour la "Stealth Station" et collabore parallèlement avec Spinevision pour les implants chirurgicaux et qu'en définitive, les parties se sont, semble-t-il, mises d'accord, le docteur Bolger ayant accepté de promouvoir auprès de ses visiteurs, les produits Medtronic "plutôt que n'importe quel autre type d'implants rachidiens [qu'il] utilise communément" ; que l'intervention de Medtronic n'apparaît donc pas constitutive de pressions ;

Considérant qu'en définitive, la société Spinevision ne produit pas d'éléments suffisamment probants au soutien du grief de pressions exercées sur des chirurgiens, acheteurs potentiels de ses produits ;

En ce qui concerne les pressions prétendument exercées sur les intermédiaires du marché :

Considérant que la société Spinevision invoque aussi des pressions qui auraient été exercées sur des agents de liaison intervenant entre les fabricants de matériel chirurgical et les professionnels afin que l'accès à différentes manifestations permettant aux acheteurs et vendeurs de se rencontrer lui soit refusé ; qu'elle explique ainsi que le groupe Medtronic a tenté d'empêcher sa participation aux Ateliers 2002 de maîtrise orthopédique organisés au mois de mai à la Cité des Sciences de la Villette, à Paris, puis ayant échoué dans cette démarche, a finalement renoncé à participer à cette manifestation ;

Considérant qu'elle produit sur ce point une lettre en date du 26 octobre, par laquelle le directeur général de la société Medtronic Sofamor Danek France s'adresse au professeur Doursounian, organisateur de la manifestation, en ces termes : "Pour faire suite à votre courrier du 22 octobre 2001 fixant le prochain rendez-vous en vue de l'organisation des Ateliers 2002 de Maîtrise Orthopédique, j'ai été surpris de voir apparaître sur le visuel d'annonce joint, la société Spinevision, dont nous n'avions pas évoqué le nom lors de notre précédente entrevue du 11 septembre 2001. Un différend commercial important nous oppose à cette société, et risque de se solder par une action en justice. Compte tenu de ces paramètres, je me vois dans l'obligation d'annuler la participation de Medtronic Sofamor Danek aux Ateliers 2002 de Maîtrise Orthopédique. Je suis désolé que des problèmes d'ordre concurrentiel viennent perturber l'organisation de ces Ateliers, mais vous comprendrez que la situation actuelle va à l'encontre de l'association de nos deux sociétés dans le cadre d'un partenariat" ;

Considérant qu'il ne résulte pas de ce courrier que le groupe a dénigré son concurrent ou exercé des pressions sur les organisateurs de la manifestation, tendant à empêcher la participation de Spinevision à celle-ci ; qu'il apparaît seulement que Medtronic n'a pas souhaité participer au colloque aux côtés d'un concurrent auquel l'oppose un différend commercial et qu'il a préféré se désister en des termes exclusifs de toute appréciation désobligeante sur son concurrent ; qu'il est constant que la mention par Medtronic d'un différend commercial l'opposant à Spinevision n'a pas conduit les organisateurs du congrès à en exclure la société Spinevision, laquelle ne peut invoquer un préjudice résultant pour elle de la non participation de son concurrent ;

Considérant, ainsi, que la correspondance précitée ne constitue pas un élément venant étayer de manière suffisamment probante l'allégation de pressions qui auraient été exercées par le groupe Medtronic sur des intermédiaires du marché ;

En ce qui concerne les pressions prétendues résultant de la tentative de rachat :

Considérant que la société Spinevision indique, par ailleurs, qu'entre décembre 2000 et janvier 2001, elle a été approchée par le groupe Medtronic en vue de son acquisition par ce groupe et que des "demandes répétées" de rachat lui ont alors été adressées ; qu'elle soutient qu'à cette occasion, le groupe Medtronic lui a soumis, comme préalable à un échange d'informations sur leurs produits respectifs, une proposition de contrat de confidentialité contenant une clause attributive de compétence aux juridictions américaines en cas de litige ; qu'elle a refusé de signer ce contrat, comprenant qu'elle se serait trouvée à la merci de Medtronic qui aurait pu alors s'approprier ses brevets et, finalement, s'assurer de son rachat aux meilleures conditions ;

Considérant qu'à l'appui de ses allégations, la société Spinevision, outre la proposition de contrat de confidentialité, verse des courriers électroniques échangés entre M. Jean-Pierre Capdevielle, l'un de ses administrateurs, et M. David Miller, responsable technique, basé à Memphis, chez Medtronic Sofamor Danek ;

Considérant que dans un courrier électronique du 23 décembre 2000, M. Capdevielle écrit (selon la traduction proposée par la société Spinevision) : "Cela fut un réel plaisir de vous rencontrer (...) à Atlanta (...) je veux vous remercier pour le temps que vous m'avez consacré et pour votre véritable intérêt pour les réalisations actuelles de Spinevision et ainsi que ses projets pour l'avenir. J'ai été particulièrement ravi d'entendre vos commentaires positifs sur nos premiers projets et leur soutien par les plus grands chirurgiens internationaux du rachis (...) la date (...) envisagée pour tenir notre prochaine réunion est trop tardive. En remplacement, je suggère que vous avanciez la date de votre arrivée à Paris aux premiers jours de janvier. En effet, le 8 janvier, nous avons un cas difficile de scoliose programmé à l'hôpital Saint-Vincent de Paul avec le Docteur Zeller ; Gérard et moi-même serions enchantés de vous y convier. Ce même jour, nous souhaiterions également faire une présentation détaillée de Spinevision et vous présenter la liste complète des demandes de brevets, des tests et des dessins techniques de nos produits. Nous espérons (...) une offre officielle et détaillée de la part de Medtronic qui serait examinée lors de notre prochain Conseil d'Administration, aux côtés des deux autres offres (.) nous attendons avec impatience (...) de poursuivre nos discussions que je vous demande amicalement de garder absolument confidentielles à ce stade. PS. Gérard vous enverra (...) un accord de confidentialité modifié, pour information" ; que dans un message électronique du 27 décembre 2000, M. Miller répond : "(...) Je veux seulement vous faire connaître mon intérêt et celui de Medtronic Sofamor Danek pour la recherche de futurs intérêts communs. Je sais que vous avez d'autres partenaires financiers et que vous avez besoin de liquidité à ce moment de votre développement (...) Je désire voir les produits, les demandes de brevets et quelques vieux et chers amis qui travaillent avec vous maintenant. Je ne serai pas en mesure de vous donner un engagement autre que notre vif intérêt, jusqu'à ce que je connaisse votre technologie. J'espère que cet arrangement est acceptable (...) ; que dans un message du 10 janvier 2001, M. Miller indique : "Cette réunion à Atlanta a été une joie. Cela fait plaisir d'entendre que Spinevision connaît le succès et de songer à un partenariat entre nos deux sociétés (...). J'espère également que vous avez eu le temps d'examiner le contrat de confidentialité et de l'approuver. Je serai heureux de le signer avec vous afin de pouvoir dialoguer ouvertement et librement lors de notre réunion du 19. Cet accord nous protégera tous les deux (...)" ;

Considérant que ces messages électroniques ne sont nullement révélateurs de pressions ou de manœuvres imputables au groupe Medtronic, pas plus que de "demandes répétées" de rachat ; qu'ils témoignent de l'existence de contacts en vue d'un "partenariat" financier entre les deux sociétés que la société Spinevision ne semble pas subir mais bien au contraire réclamer ; que l'insertion d'une clause attributive de compétence au profit des juridictions américaines dans la proposition de contrat de confidentialité soumise par le groupe, à l'occasion de ces contacts, et finalement non signée par Spinevision, ne traduit pas davantage un abus mais s'inscrit dans le cadre des rapports de force qui peuvent s'instaurer entre concurrents engagés dans des négociations de nature commerciale ; qu'il apparaît, au surplus, que les deux parties ont concouru à la rédaction du contrat de confidentialité ;

En ce qui concerne l'action judiciaire engagée devant le Tribunal de commerce de Paris par la société Sofamor :

Considérant que, par acte d'huissier du 29 octobre 2001, la société Sofamor a assigné la société Spinevision devant le Tribunal de commerce de Paris afin d'obtenir sa condamnation, pour concurrence déloyale, à payer à "la société Medtronic Sofamor Danek", notamment, la somme de 6 millions de francs (914 694,10 euros) à titre de dommages et intérêts ;

Considérant que, devant la juridiction consulaire, la société Sofamor prétend, en substance, avoir été dépossédée de son savoir-faire par la société Spinevision constituée par un de ses anciens salariés, M. Gérard Vanacker, lequel aurait débauché trois autres de ses employés, afin de développer les recherches commencées par Sofamor, de déposer des demandes de brevets portant sur des inventions résultant en réalité de ses travaux et de ses investissements et de détourner sa clientèle ;

Considérant que la société Spinevision qualifie cette action en justice de fantaisiste, faisant valoir que n'étant étayée par aucun élément sérieux, elle tend, en réalité, à déstabiliser et décrédibiliser un futur concurrent ; que pour soutenir que cette pratique revêt un caractère anticoncurrentiel, elle invoque une décision de la Commission européenne IV 35.268 du 21 mai 1996 ITT Promedia NV/Belgacom ;

Considérant que dans cette décision, la Commission européenne admet qu'une action en justice puisse être constitutive d'un abus de position dominante, mais à deux conditions cumulatives : "le fait d'intenter une action en justice, expression du droit fondamental d'accès au juge, ne peut être qualifié d'abus, sauf si une entreprise en position dominante intente des actions en justice (i) qui ne peuvent pas être raisonnablement considérées comme visant à faire valoir ses droits et ne peuvent dès lors servir qu'à harceler l'opposant, et (ii) qui sont conçues dans le cadre d'un plan ayant pour but d'éliminer la concurrence" (point 11 de la décision) ;

Considérant que dans sa décision T-111-96 du 17 juillet 1998 ITT Promedia NV/Comm. CE, le Tribunal de première instance des Communautés européennes a validé cette analyse : "(...) il importe de souligner, comme l'a fait à juste titre la Commission, que le fait de pouvoir faire valoir ses droits par voie juridictionnelle et le contrôle juridictionnel qu'il implique est l'expression d'un principe général de droit qui se trouve à la base des traditions constitutionnelles communes aux États membres et qui a été également été consacré par les articles 6 et 13 de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales du 4 novembre 1950 (...) L'accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit, ce n'est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le fait d'intenter une action en justice est susceptible de constituer un abus de position dominante au sens de l'article 86 du traité. Ensuite, il convient de relever que, constituant une exception au principe général d'accès au juge, garantissant le respect du droit, les deux critères cumulatifs doivent être interprétés et appliqués restrictivement, de manière à ne pas tenir en échec l'application du principe général (...)" (points 60 et 61 de la décision) ;

Considérant que le Conseil de la concurrence a adopté une analyse analogue fondée sur l'exigence des deux mêmes conditions cumulatives, dans ses décisions n° 99-D-77 du 7 décembre 1999 et n° 00-D-24 du 10 mai 2000 ; que la Cour de cassation dans un arrêt de la chambre commerciale n° 1675 en date du 9 octobre 2001, a rappelé que l'abus de droit suppose l'intention de nuire ;

Considérant qu'il est constant, en l'espèce, que la société Spinevision a été fondée en 1999 par un ancien salarié de Medtronic, M. Gérard Vanacker, et compte parmi ses inventeurs trois anciens chercheurs ou techniciens de cette même société, M. Bette, M. Petit et Mme Cazin, ces deux derniers ayant quitté la Sofamor respectivement en juin 1999 et en janvier 2000 ; que les deux sociétés interviennent dans le même domaine ; que le produit développé par Spinevision constitue, selon cette dernière, une amélioration du produit de Medtronic ; que la Sofamor prétend qu'il résulte de documents issus de ses laboratoires que ses anciens salariés effectuaient pour son compte des travaux directement en relation avec les brevets déposés par Spinevision et que deux de ces salariés, MM. Petit et Bette, étaient tenus par une clause de confidentialité à son égard ; que la réalité de cet engagement de confidentialité est établie en ce qui concerne M. Petit ;

Considérant que la circonstance, soulignée par la société Spinevision, que la société Sofamor se borne, dans le cadre de la procédure pendante devant le tribunal de commerce à demander des dommages et intérêts "et non pas l'arrêt des pratiques incriminées", n'est pas révélatrice du caractère abusif de l'action engagée, dès lors que l'action en concurrence déloyale, fondée sur les articles 1382 et suivants du Code civil, tend couramment à l'obtention d'une indemnité censée venir réparer le préjudice invoqué ;

Considérant que ne paraît pas davantage révélateur du caractère abusif de l'assignation le fait que la société Sofamor se soit abstenue de contester les brevets déposés par la société Spinevision, les deux actions ayant des fondements différents ; que la société Sofamor fait valoir que son action en concurrence déloyale est fondée sur une usurpation de son savoir faire, le débauchage de ses salariés et le détournement de sa clientèle ;

Considérant, en conséquence, qu'il ne ressort pas du dossier que l'action en justice engagée par la société Sofamor contre la société Spinevision ne vise manifestement pas à faire valoir ce que Medtronic (Sofamor) considère comme un droit dont elle est titulaire ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la saisine ne comporte pas d'éléments suffisamment probants permettant de penser que des pratiques qui auraient pour objet ou pour effet d'entraver le libre jeu de la concurrence au sens des dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce seraient commises par les entreprises mises en cause ; qu'en application des dispositions de l'article L. 462-8 du même code, il y a lieu de rejeter la saisine au fond et, par voie de conséquence, la demande de mesures conservatoires.

Décide

Article 1er : La saisine au fond enregistrée sous le numéro 02-0018-F est rejetée.

Article 2 : La demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro 02-0019-M est rejetée.