CA Paris, 1re ch. H, 7 mai 2002, n° ECOC0200166X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ministre de l'économie
Défendeur :
Benetton France Trading (SARL), Benetton Group (Sté), Per Bene (Sté), Benelyon (SA), Nova (SARL), Repsud (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lacabarats
Conseillers :
MM. Savatier, Maunand
Avoués :
SCP Annie Baskal, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay
Avocats :
Mes Karsenty-Ricard, Zerdoun, Robin.
En 1997, une enquête a été ouverte par le Conseil de la concurrence sur des pratiques anticoncurrentielles imputées aux sociétés du groupe Benetton.
A l'issue de cette enquête, deux griefs ont été notifiés au groupe Benetton et soumis à l'appréciation du Conseil de la concurrence :
- la mise en œuvre d'une pratique de prix de revente publics imposés ;
- la mise en œuvre d'une pratique consistant à imposer aux revendeurs de produits Benetton le choix des entreprises d'aménagement de magasins.
Par décision du 24 septembre 2001, le Conseil de la concurrence a dit qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre la procédure à l'encontre de Benetton.
Le 23 octobre 2001, le ministre chargé de l'économie a déposé au greffe de la cour une déclaration de recours contre la décision du Conseil de la concurrence. Ce recours ne porte que sur le premier des deux griefs notifiés à Benetton.
Par des écritures du 26 novembre 2001, le ministre chargé de l'économie demande à la cour :
- de qualifier au regard de l'article L. 420-1 du Code de commerce la pratique de prix de revente imposés mise en œuvre par les sociétés Benetton Group SpA et Benetton France Trading au cours de la période 1993-1996 ;
- de sanctionner au regard de l'article L. 464-2 du Code de commerce cette pratique ;
- de juger nécessaire de faire procéder à un complément d'investigations afin de rechercher s'il existe des indices graves, précis et concordants pour qualifier le comportement des sociétés Benetton Group SpA et Benetton France Trading, en ce qui concerne la période postérieure à 1996.
Par un mémoire du 25 janvier 2002 les sociétés Benetton Group SpA et Benetton France Trading demandent à la cour de rejeter le recours et de condamner le requérant aux dépens.
Par un mémoire de la même date, les sociétés Benelyon, Nova et Repsud demandent à la cour de prendre acte que le recours ne les concerne pas. La société Per Bene a sollicité par des écritures du même jour, la confirmation de la décision et sa mise hors de cause.
Le Conseil de la concurrence a déposé des observations le 13 février 2002.
Des observations ont également été déposées le 20 février 2002 par le ministre chargé de l'économie et le 13 mars 2002 par les sociétés Benetton. A l'audience du 2 avril 2002, la cour a entendu le représentant du ministre chargé de l'économie en ses explications, les conseils des sociétés Benetton, Per Bene, Benlyon, Nova et Repsud en leurs plaidoiries, M. l'avocat général en ses conclusions orales tendant au rejet du recours. Le requérant a eu la parole en dernier.
A l'issue des débats, l'affaire a été mise en délibéré pour être jugée le 7 mai 2002.
Considérant que le système de distribution du groupe Benetton sur le territoire français repose sur une filiale, la société Benetton France Trading, des agents commerciaux mandataires de cette société se partageant les cinq zones déterminées par Benetton pour le territoire national et un réseau de détaillants revendeurs ; que l'enquête du Conseil de la concurrence a été ouverte à la suite de plaintes d'anciens détaillants soutenant avoir été soumis par Benetton à des pratiques de prix imposés ; que le ministre chargé de l'économie fait grief au Conseil de la concurrence d'une part d'avoir fait une interprétation erronée des faits en retenant que la pratique de prix imposés n'était pas suffisamment caractérisée, d'autre part de ne pas avoir donné de base légale à sa décision en refusant des investigations complémentaires par l'absence de franchissement d'un seuil de sensibilité ;
Sur la pratique des prix imposés :
Considérant qu'en vertu de l'article L. 420-1 (2°) du Code de commerce, sont prohibées, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes ou coalitions tendant à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ;
Considérant que pour justifier sa demande au regard de ce texte, le ministre chargé de l'économie soutient que, pour la période 1993 à 1996, Benetton a livré aux revendeurs des produits pré-étiquetés ne permettant pas aux commerçants de modifier les prix indiqués sans altérer la marque Benetton et contrevenir ainsi à l'article 10 des conditions générales de vente imposées par le fournisseur interdisant toute modification de cette marque ;
Considérant cependant que tout fournisseur peut en principe déterminer librement les conditions de distribution de ses produits et diffuser auprès des revendeurs des prix conseillés ou indicatifs, même au moyen d'un système de préétiquetage ; que c'est seulement lorsque les engagements contractuels ou le comportement des intéressés démontrent qu'en réalité les prix proposés s'imposent aux revendeurs que la pratique en cause peut constituer une atteinte illicite à la liberté de la concurrence ;
Considérant que, contrairement à ce que soutient le ministre chargé de l'économie, la preuve d'une telle atteinte n'est pas en l'espèce rapportée ;
Considérant en effet que si certains revendeurs ont indiqué lors de l'enquête que le procédé du pré-étiquetage, combiné à l'article 10 susvisé des conditions générales de vente, leur interdisait de modifier les prix indiqués (M. Troyano, commerçant à Montpellier, Mme Lafortune, commerçante à Paris, les époux Gaudy, anciens dirigeants de la société Marine, Mme Laporte, revendeur à Lunel), d'autres ont en revanche affirmé que leur liberté de fixer les prix de revente des marchandises livrées par Benetton demeurait entière (Mme Schellino, commerçante à Paris, M. Lafay, revendeur à Rouen, M. Vitton-Mea, revendeur à Chambéry, M. Mauris, revendeur à Annecy, M. Sanchez, revendeur à Orléans, M. Dupuis, revendeur à Angers, M. Wolff, revendeur à Paris) ; que cette liberté a été rappelée à plusieurs reprises, notamment en 1990, 1993, et 1999, par Benetton au moyen de lettres-circulaires diffusées auprès des agents commerciaux à l'attention des revendeurs ; qu'en outre l'examen des types d'étiquettes utilisées par Benetton montre que les revendeurs ont la possibilité de modifier le prix des marchandises sans toucher à la partie de l'étiquette reproduisant le " code-barre " du vêtement et la marque appartenant au fournisseur ;
Considérant que la preuve d'une entrave à la concurrence ne saurait résulter que d'un faisceau d'indices constituant des présomptions graves, précises et concordantes ; qu'aucune circonstance ne permettant d'accorder à certaines déclarations de revendeurs une valeur probante supérieure à celle des autres, c'est à juste titre que le Conseil de la concurrence a retenu que les contradictions constatées entre les différentes déclarations et l'absence de mesures de surveillance, de contrainte ou de rétorsion appliquées par Benetton à l'égard de ses distributeurs ne permettaient pas de soutenir utilement la thèse d'une pratique de prix de revente publics imposée ; que la décision attaquée doit être, dès lors, sur ce point confirmée ;
Sur la demande de complément d'enquête :
Considérant que le ministre chargé de l'économie fait grief au Conseil de la concurrence d'avoir, pour rejeter sa demande de complément d'enquête concernant la période postérieure à 1996, fait référence à l'existence d'un seuil de sensibilité et à l'absence de toute incidence significative des pratiques dénoncées sur le marché ;
Mais considérant qu'un complément d'enquête ne se justifie qu'en présence d'indices sérieux de pratiques anticoncurrentielles qui auraient été négligés dans l'instruction de l'affaire ; qu'à défaut de toute précision fournie par le requérant sur ce point et en l'état d'investigations minutieuses n'ayant pas permis, au terme d'une instruction de plus de trois ans, d'établir la réalité des faits dénoncés, le Conseil de la concurrence a légalement justifié sa décision ; que le recours doit en conséquence être rejeté,
Par ces motifs : Rejette le recours ; Condamne le requérant aux dépens.