Cass. com., 9 avril 2002, n° 00-13.921
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Sintel (SA)
Défendeur :
Lotus (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dumas
Rapporteur :
Mme Champalaune
Avocat général :
M. Jobard
Avocats :
SCP de Chaisemartin, Courjon, SCP Célice, Blancpain, Soltner.
LA COUR : - Sur le moyen unique, pris en ses cinq branches : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 27 janvier 2000) que la société Lotus développement (société Lotus) développe et commercialise des logiciels informatiques et des services connexes par l'intermédiaire de grossistes qui revendent ces produits à des détaillants ou à des utilisateurs ; qu'en 1993, la société Lotus a conclu un contrat de distribution avec la société Sintel par lequel cette dernière s'engageait à commercialiser les produits Lotus et plus particulièrement deux logiciels dénommés CC Mail et Notes ; que le contrat était conclu pour une période se terminant le 31 décembre 1993, date à laquelle il devait être renouvelé de plein droit par périodes successives d'un an, avec une possibilité de résilier pour chacune des périodes sans motif moyennant un préavis écrit notifié 60 jours avant l'expiration de la période en cours ; que le contrat a été renouvelé fin 1993 et fin 1994 ; que le 31 août 1995, la société Lotus a informé la société Sintel de son intention de ne pas renouveler le contrat au-delà du 31 décembre 1995 ; que, par acte du 20 septembre 1995, la société Sintel a assigné la société Lotus aux fins de la voir condamner à réparer son préjudice commercial en soutenant qu'en résiliant le contrat, la société Lotus avait abusé de son état de dépendance économique ;
Attendu que la société Sintel fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande, alors, selon le moyen : 1°) que l'existence d'un état de dépendance économique s'apprécie en tenant compte de la notoriété de la marque du fournisseur, de l'importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d'affaires du revendeur, ainsi que de l'impossibilité pour ce dernier d'obtenir d'autres fournisseurs des produits équivalents ; qu'en l'espèce, la société Sintel avait soutenu dans ses conclusions d'appel que la part des produits Lotus dans son chiffre d'affaires était de 29 % en 1994 et de 35 % en 1995 ; qu'elle offrait en preuve et se référait expressément à une attestation établie par son commissaire aux comptes le 2 novembre 1998, certifiant que les informations présentées dans les tableaux qui y étaient joints, relatives au volume d'affaires de son activité de revendeur de produits Lotus notamment pour les années 1994 et 1995 étaient sincères et véritables ; qu'en affirmant au contraire, pour les écarter, que les graphiques produits par la société Sintel étaient non certifiés et non datés en sorte qu'ils ne pouvaient suffire à caractériser un chiffre d'affaires supérieur à celui de 25 % relevé par la presse, la cour d'appel a dénaturé ces documents, en violation de l'article 1134 du Code civil ; 2°) que dans ses écritures d'appel, la société Sintel se référait expressément aux propres documents commerciaux de la société Lotus prenant en compte le chiffre d'affaires de ses revendeurs pour le calcul des boni, qu'elle offrait également en preuve de ses prétentions ; que dès lors, en ne s'expliquant pas sur ces derniers documents, pourtant de nature à démontrer la réalité de la part du chiffre d'affaires réalisé par la société Sintel avec les logiciels Lotus, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 8-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; 3°) que l'article 8-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 définit quatre critères limitatifs entraînant la qualification d'état de dépendance économique; que le chiffre d'affaires réalisé par le revendeur avec d'autres produits, après la résiliation du contrat de distribution par le fournisseur, ne figure pas au nombre de ces critères ; que dès lors, en se fondant sur le chiffre d'affaires réalisé par la société Sintel pendant la période postérieure à la rupture du contrat de distribution litigieux, pour exclure l'état de dépendance économique invoqué, la cour d'appel, qui avait précédemment constaté l'absence à l'époque de produits équivalents sur le marché, a ajouté à l'article 8-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 une condition qu'il ne prévoit pas et a ainsi violé ledit texte ; 4°) que dans ses conclusions d'appel, la société Sintel faisait expressément valoir que compte tenu de la spécificité de son activité de distributeur de produits de communication dans le domaine de l'informatique et du développement de ce secteur, le préjudice subi du fait de la rupture unilatérale du contrat par la société Lotus devait s'analyser en termes de manque à gagner et non en terme de pertes, de sorte que la croissance de son chiffre d'affaires postérieurement à la rupture du contrat litigieux n'était pas significative; que dès lors en refusant, sans s'en expliquer, de prendre en considération la spécificité du domaine d'activité de la société Sintel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 8-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; 5°) que la société Sintel soutenait que l'abus de dépendance économique commis par la société Lotus résultait du comportement adopté par celle-ci à son égard à compter du mois de janvier 1995 ; qu'ainsi la décision unilatérale, sans préavis et à effet rétroactif pris par son fournisseur au mois de janvier 1995, de réduire la remise qui lui était accordée depuis le mois de décembre 1993 au taux de 40 %, les retards systématiques de livraison imposés par la société Lotus à compter du mois de janvier 1995, la résiliation du contrat de distribution intervenu sans motifs début août 1995 après que la société Sintel eut protesté des nouvelles conditions qui lui étaient imposées, sa radiation de la liste des grossistes de la société Lotus dès le 16 août 1995 caractérisaient cet abus ; que dans ces conditions, en se déterminant par la simple affirmation péremptoire que "la décision de rupture, prise par la société Lotus, conformément aux prévisions du contrat et dans des circonstances qui ne relèvent d'aucun abus ne peut donner lieu à réparation", la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que l'existence d'un état de dépendance économique d'un distributeur par rapport à un fournisseur s'apprécie en tenant compte de la notoriété de la marque du fournisseur, de l'importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d'affaires du revendeur ainsi que de l'impossibilité pour ce dernier d'obtenir d'autres fournisseurs des produits équivalents; que l'arrêt constate que l'examen des pièces comptables et fiscales ne fait nullement apparaître une chute brutale d'activité et du chiffre d'affaires de la société Sintel après la rupture du contrat de distribution mais qu'au contraire le chiffre d'affaires de la société Sintel a connu une croissance de 34 % en 1996 et que l'activité de distribution a augmenté de 17 % au cours de l'exercice clos le 30 juin 1997 par rapport à l'exercice clos le 31 décembre 1995; qu'en l'état de ces seules constatations, la cour d'appel, qui ne s'est pas fondée sur un critère inopérant mais a seulement fait ressortir que la société Sintel ne pouvait se prévaloir de l'absence de solution équivalente, et qui relève que la réorientation de ses activités avait pu être effectuée sans difficulté, a pu en déduire que l'état de dépendance dont se prévalait la société Sintel n'était pas établiet a légalement justifié sa décision, abstraction faite de la dénaturation justement critiquée par la première branche du moyen mais sans incidence sur la solution du litige; qu'il suit de là que non fondé en sa troisième branche et inopérant en toutes ses autres branches, le moyen ne peut être accueilli ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.