Livv
Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 13 novembre 2001, n° 2001-06810

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Colas Sud-Ouest (SA), Screg Sud-Ouest (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

Mmes Renard-Payen, Riffault-Slik

Conseiller :

M. Savatier

Avoué :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocat :

Me Bretzner.

CA Paris n° 2001-06810

13 novembre 2001

Saisi par le ministre délégué aux Finances et au Commerce extérieur de pratiques relevées sur le marché des enrobés bitumineux de la communauté urbaine de Bordeaux (CUB), le Conseil de la concurrence (le Conseil), a par décision n° 01-D-02 du 6 mars 2001, infligé respectivement aux sociétés Colas Sud-Ouest et Screg Sud-Ouest les sanctions pécuniaires de 6 000 000 F et de 5 000 000 F pour avoir enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce uniquement sur le marché des enrobés bitumeux de la CUB passé en 1992.

Les sociétés Colas Sud-Ouest et Screg Sud-Ouest ont chacune formé un recours en annulation et subsidiairement en réformation contre cette décision.

Sur ce LA COUR

Vu les écritures par lesquelles la société Colas Sud-Ouest demande à la cour de :

à titre principal,

- prononcer l'annulation de la décision déférée, en ce que le Conseil s'est prononce sur la base d'une saisine irrégulière et en ce que l'existence d'une concertation anticoncurrentielle entre les sociétés Colas Sud-Ouest et Screg Sud-Ouest sur le marché des enrobés bitumineux de la CUB en 1992 n'est pas établie,

- ordonner le remboursement à la société Colas Sud-Ouest des sommes éventuellement versées au titre de la sanction pécuniaire, assorties des intérêts au taux légal à compter du paiement et ordonner la capitalisation des intérêts,

à titre subsidiaire,

- prononcer la réformation de la décision dont appel en ce que la sanction de 6 000 000 F infligée à la société Colas Sud-Ouest est disproportionnée au regard des critères de l'article L. 464-2 du Code de commerce,

réduire de façon très substantielle, le montant de cette sanction et ordonner, le remboursement du trop perçu des sommes versées à ce titre, avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts dans le mêmes conditions que celles ci-dessus visées,

- condamner le ministre chargé de l'Economie au paiement d'une somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu les écritures par lesquelles la société Screg Sud-Ouest demande à la cour de :

à titre principal,

- dire et juger nul l'acte de saisine du Conseil et d'annuler la décision dont appel et dire et juger que les poursuites exercées dans ce dossier se heurtent à la prescription édictée par l'article L. 462-4 du Code de commerce.

à titre subsidiaire,

- dire et juger qu'en l'absence de preuve de toute discrimination et de toute concertation entre les sociétés Screg Sud-Ouest et Colas Sud-Ouest, la qualification d'entente ne peut être en l'espèce retenue.

encore plus subsidiairement,

- dire et juger que la pratique imputée à la société Screg Sud-Ouest doit bénéficier d'une exemption par application de l'article L. 420-4 du Code de commerce,

à titre infiniment subsidiaire,

- minorer très fortement la sanction qui lui a été infligée et ordonner la restitution, avec intérêts de "droit" a compter du paiement, des sommes indûment acquittées au titre de la décision critiquée :

Vu les observations écrites du Conseil et du ministre chargé de l'Economie tendant au rejet des recours formés contre la décision entreprise :

A l'audience, le ministère public a conclu oralement à l'annulation de la décision,

Considérant que les sociétés Colas Sud-Ouest et Screg Sud-Ouest soutiennent l'une et l'autre que la saisine du Conseil par lettre du 23 novembre 1995, du ministre délégué aux Finances et au Commerce extérieur, qui n'avait pas pouvoir de saisir le Conseil, est irrégulière et que la décision doit en conséquence être annulée ;

Considérant que l'article L. 462-5 du Code de commerce dispose que le Conseil de la concurrence peut être saisi par le ministre chargé de l'Economie de toutes pratiques mentionnées aux articles L. 420-1, L. 420-2 et L. 420-5. Il peut se saisir d'office ou être saisi par les entreprises ou, pour toute affaire qui concerne les intérêts dont ils ont la charge, par les organismes visés au deuxième alinéa de l'article L. 462-1 ;

Considérant qu'il ressort de la décision déférée que le Conseil a été saisi par lettre en date du 23 novembre 1995 du ministre délégué aux Finances et au Commerce extérieur ;

Considérant que la saisine du Conseil telle qu'édictée par l'article susvisé est d'interprétation restrictive ;qu'il appartient dès lors que soit démontré que le signataire de la lettre de saisine agissait en vertu d'une délégation de pouvoir émanant du ministre chargé de l'économie ;

Or, considérant que, contrairement à ce que soutient le ministre, il n'est nullement démontré qu'à la date de la saisine, le ministre délégué aux Finances et au Commerce extérieur bénéficiaient d'une délégation de pouvoir du ministre chargé de l'Economie pour saisir le Conseil de la concurrence, qu'en effet, le décret n° 95-1248 du 28 novembre 1995 relatif aux attributions du ministre délégué est postérieur ;

Considérant qu'il en résulte que la lettre du ministre délégué aux Finances et au Commerce extérieur du 23 novembre 1995, enregistrée sous le numéro F. 824, ne pouvait valablement saisir le Conseil puisqu'émanant d'une autorité qui n'était pas habilitée pour pouvoir procéder à une telle formalité ;

Considérant qu'il s'ensuit que tous les actes postérieurs découlant de cette saisine irrégulière, sont nuls et que la décision dont appel rendue dans ces conditions doit être annulée ;

Considérant qu'il convient dès lors d'ordonner au Trésor Public de rembourser le montant des sanctions susceptibles de lui avoir été réglées en exécution de cette décision, que les sommes ainsi restituées seront assorties des intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt ;

Considérant qu'il n'est pas contraire à l'équité de laisser à la charge de la société Cola Sud-Ouest les frais irrépétibles qu'elle a exposés à l'occasion de cette procédure ;

Considérant, en outre, qu'en la matière le ministère d'avoué n'étant pas obligatoire, il ne peut être sollicité le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs, Annule la décision n° 01-D-02 du 6 mars 2001 du Conseil de la concurrence ; Dit que le Trésor Public devra restituer à la société Colas Sud-Ouest et à la société Screg Sud-Ouest les sommés de 6 000 000 F et de 5 000 000 F respectivement versées par ces sociétés en exécution de la décision annulée, dit que ces sommes seront assorties des intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt ; Déboute les parties du surplus de leurs prétentions ; Condamne le Trésor Public aux entiers dépens.