Conseil Conc., 20 février 2002, n° 02-D-09
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Saisine du Syndicat Français de l'Express International (SFEI) et autres
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport de M. Arhel, de Mme Tourjansky, par Mme Hagelsteen, Présidente, Mme Pasturel, vice-présidente, M. Jenny, vice-président.
Le Conseil de la concurrence (commission permanente),
Vu la lettre enregistrée le 26 décembre 1990, sous le numéro F 369, par laquelle le Syndicat Français de l'Express International (SFEI), devenu l'Union Française de l'Express et onze entreprises exerçant leur activité sur le marché des envois express internationaux ont saisi le Conseil de la concurrence, sur le fondement des articles 7 et 8 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 (devenus les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce), de pratiques mises en ouvre par le ministère français des Postes (La Poste), la société SOFIPOST, la SFMI et la société TAT ; Vu le livre IV du Code de commerce et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, fixant les conditions d'application de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ; Vu les observations présentées par les parties saisissantes et par le commissaire du Gouvernement ; La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et le représentant des parties saisissantes, entendus lors de la séance du 12 décembre 2001 ;
Considérant que les parties saisissantes ont dénoncé, en premier lieu, une entente intervenue entre La Poste (agissant par l'intermédiaire de la société SOFIPOST) et la société TAT ; qu'elles font valoir que cette entente, qui a donné lieu à la création par ces deux entreprises d'une filiale commune (la SFMI), se serait également traduite par des accords conclus au cours d'une réunion du conseil d'administration de la SFMI le 21 juillet 1987 aux termes desquels, d'une part, une exclusivité pour le transport du courrier accéléré et des documents était conférée à la SFMI, d'autre part, une segmentation entre les produits Chronopost et les produits Tat-Express dans le domaine du transport de marchandises était décidée et enfin, une concertation dans l'approche commerciale des clientèles était convenue ; que cette entente tomberait sous le coup des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 420-1 du Code de commerce ;
Considérant que les parties saisissantes font état, en second lieu, de violations par La Poste de l'article 8 de l'ordonnance précitée, devenu l'article L. 420-2 du Code de commerce ; qu'elles affirment sur ce point que La Poste, agissant par l'intermédiaire de sa filiale la SFMI, exploite abusivement le monopole qu'elle détient sur le marché du courrier ordinaire pour entraver le jeu de la concurrence sur le marché connexe des envois express internationaux ; qu'en bénéficiant de services qui lui sont rendus par La Poste en tant que sous-traitant et facturés à un prix insuffisant, la SFMI pratiquerait sur ce marché connexe des tarifs prédateurs ;
Considérant que l'article L. 462-7 du Code de commerce dispose que "le Conseil ne peut être saisi de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction" ; qu'aucun acte d'instruction n'a été accompli à l'égard de cette saisine, entre le 3 juin 1992, date à laquelle un rapport d'enquête effectué par la DGCCRF a été reçu au Conseil de la concurrence et le 10 juillet 1995, date à laquelle un rapport de non-lieu a été adressé aux parties ;
Considérant que les parties saisissantes font valoir, en premier lieu, que le libellé du texte de l'article L. 462-7 du Code de commerce ne concerne que la période antérieure à la saisine du Conseil de la concurrence ; que, dès lors, les actes interruptifs de prescription visés à cet article ne concernent pas la période postérieure à la saisine et que la jurisprudence peut seule déterminer le régime de prescription applicable à cette période ; qu'elles invitent en conséquence, le Conseil à considérer que le jeu de la prescription est suspendu lorsque la partie saisissante a été mise dans l'impossibilité de faire accomplir un acte interruptif, ainsi que l'a décidé la cour d'appel dans un arrêt du 9 mars 1999, et malgré la cassation de cet arrêt, prononcée par un arrêt de la Cour de cassation, en date du 17 juillet 2001 ;
Mais, considérant, d'une part, que dans un arrêt du 1er décembre 1995, la cour d'appel de Paris a précisé que l'article 27 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu L. 462-7 du Code de commerce, "(...) établit un délai de prescription et définit la nature des actes ayant pour effet de l'interrompre" et que "toute prescription dont l'acquisition a pour conséquence de rendre irrecevable une action ou d'interdire la sanction d'un fait, recommence à courir après qu'elle a été interrompue, sous réserve d'une éventuelle cause (...) de suspension de son cours (...)" ;qu'en précisant que le jeu de la prescription avait pour effet de rendre irrecevable l'action ou d'"interdire la sanction d'un fait", la cour d'appel a par là même considéré que le régime de la prescription, prévu par les dispositions du texte précité, s'appliquait tant à la période antérieure qu'à la période postérieure à la saisine du Conseil de la concurrence ;que la Cour de cassation, dans un arrêt du 8 juillet 1997, rendu sur le pourvoi formé par le ministre de l'économie à l'encontre de cet arrêt, a confirmé l'analyse de la cour d'appel ; que dès lors, la prescription peut être acquise si aucun acte tendant à la recherche, la constatation ou la sanction des faits dénoncés dans la saisine n'a été accompli postérieurement à cette dernière ;
Considérant, d'autre part, que l'arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 9 mars 1999 a été cassé pour violation de l'article L. 462-7 du Code de commerce ;
Considérant que les parties saisissantes ont, en deuxième lieu, soutenu en séance que s'il constatait l'acquisition de la prescription des pratiques dénoncées, le Conseil les priverait de l'effet utile des dispositions du traité de Rome qui interdisent les comportements anticoncurrentiels ;
Considérant que si la Cour de Justice des Communautés Européennes a énoncé, dans un arrêt du 9 mars 1978, que "serait (...) incompatible avec les exigences inhérentes à la nature même du droit communautaire toute disposition d'un ordre juridique national ou toute pratique législative, administrative ou judiciaire, qui aurait pour effet de diminuer l'efficacité du droit communautaire par le fait de refuser au juge compétent pour appliquer ce droit, le pouvoir de faire, au moment même de cette application, tout ce qui est nécessaire pour écarter les dispositions législatives nationales formant éventuellement obstacle à la pleine efficacité des normes communautaires", il convient néanmoins de relever que les plaignantes ont, parallèlement à leur action devant le Conseil de la concurrence, saisi la Commission européenne des mêmes pratiques, sur le fondement des articles 86, 90 et 92 du traité de Rome (devenus respectivement les articles 82, 86 et 87), et que ces affaires sont en cours d'instruction à la Commission ; que dès lors, et en tout état de cause, la constatation de la prescription des faits de l'espèce qui sont contestés devant le Conseil en tant seulement qu'ils contreviennent aux dispositions du droit national ne priverait nullement le droit communautaire d'effet utile ;
Considérant que les parties saisissantes opposent, en troisième lieu, que les pratiques dénoncées ont un caractère continu et ne sauraient être atteintes par la prescription, puisqu'elles conservent leur objet et leurs effets anticoncurrentiels ; qu'elles citent à cet égard le transfert gratuit à la SFMI de l'image de marque de la Poste et la mise à disposition du réseau de La Poste sans le versement correspondant d'une rémunération économiquement justifiée ;
Considérant que la procédure suivie en matière de concurrence, qui vise à protéger l'ordre public économique et revêt à l'égard des entreprises en cause un caractère punitif peut être, en ce qui concerne les actes de poursuite des infractions, rapprochée de la procédure pénale ; qu'une jurisprudence constante considère que si pour les infractions à caractère instantané le point de départ de la prescription est le lendemain de l'acte constitutif de l'infraction, en revanche, la prescription des infractions à caractère continu ne commence à courir que le lendemain du jour auquel le comportement infractionnel a cessé ; que la jurisprudence distingue, encore, les infractions continues permanentes, qui sont des infractions consommées en un seul acte, mais dont les effets et le résultat se prolongent dans le temps et dont le régime de prescription est celui des infractions instantanées et, les infractions continues successives, caractérisées par la réitération de la volonté infractionnelle dans le temps et dont le régime de prescription est celui des infractions continues ; que la cour d'appel de Paris dans un arrêt du 29 janvier 2002 a précisé que "(...) si un accord de volontés intervenu en période prescrite a continué d'être appliqué durant la période de trois années précédant la saisine du Conseil, les effets anticoncurrentiels qui en sont résultés en temps non prescrit peuvent être sanctionnés" ;
Considérant qu'en l'espèce, l'infraction susceptible d'être constituée par la création de la SFMI serait une infraction qui s'est trouvée consommée au jour de la création de cette société, mais dont les effets se sont prolongés dans le temps ; que dès lors, le régime de prescription applicable est celui des infractions instantanées ; que cette société ayant été constituée le 10 septembre 1985, le délai de prescription a commencé à courir le lendemain de ce jour ; qu'aucun acte n'ayant été accompli entre cette date et le 26 décembre 1990, date d'enregistrement de la lettre de saisine du Conseil, le fait dénoncé est prescrit ;
Considérant, en revanche, que cet acte a toutefois pu produire des effets dans un temps non prescrit, mais que le Conseil ne dispose, en l'état de la procédure, d'aucun élément à cet égard ;
Considérant, pour ce qui concerne les autres pratiques visées dans la saisine, qu'en l'état actuel de l'instruction, le Conseil n'est pas en mesure de déterminer si elles s'identifient à la création de la SFMI ou s'il s'agit de pratiques distinctes ; que, dans l'hypothèse où elles seraient distinctes, il ne dispose pas non plus des éléments lui permettant de déterminer si et de quelle manière les pratiques se sont prolongées dans le temps ; qu'il n'est, dès lors, pas en mesure de se prononcer sur le point de savoir si ces pratiques sont atteintes ou non par la prescription et qu'il convient en conséquence, de renvoyer l'affaire à l'instruction ;
Décide :
Article 1er - La saisine est irrecevable en ce qu'elle concerne l'acte de création de la SFMI ;
Article 2 - Pour le surplus, la saisine F 369 est renvoyée à l'instruction.