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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 9 avril 2002, n° ECOC0200139X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Concurrence (SA)

Défendeur :

Sony (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lacabarats

Conseillers :

MM. Remenieras, Savatier

Avoué :

SCP Teytaud

Avocats :

Mes Utzchneider, Borrel.

CA Paris n° ECOC0200139X

9 avril 2002

Le 30 mai 2001, la société Concurrence a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques susceptibles de constituer une exploitation abusive d'un état de dépendance économique imputées à la société Sony France sur les marchés des produits audiovisuels, des ordinateurs et des vidéo-projecteurs ; qu'elle a demandé au Conseil de se saisir au fond de telles pratiques et sollicité l'application immédiate de mesures conservatoires.

Par décision du 31 août 2001, le Conseil de la concurrence a rejeté les deux demandes.

Le 4 octobre 2001, la société Concurrence a formé un recours contre cette décision.

Elle demande à la cour d'annuler ou réformer la décision attaquée, de dire que les faits reprochés à la société Sony France constituent des pratiques anticoncurrentielles prohibées, de renvoyer le dossier à l'instruction devant le Conseil de concurrence, subsidiairement de nommer un expert pour examiner les faits incriminés.

Le 10 décembre 2001, la société Sony France a déposé des conclusions tendant au rejet du recours, à la confirmation de la décision du Conseil de la concurrence et à la condamnation de la société requérante au paiement de la somme de 80.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Le 9 janvier 2002, le Conseil de la concurrence a déposé des observations écrites réfutant les moyens invoqués au soutien du recours.

A la même date, le Ministre chargé de l'économie a déposé des observations tendant au rejet du recours.

Le 11 février 2002, le société Concurrence a déposé des observations en réplique sollicitant le bénéfice de son recours et le rejet des moyens soulevés à son encontre.

A l'audience du 26 févier 2002 la cour a entendu les conseils ou représentants des parties en leurs plaidoiries, le Ministère public en ses observations tendant à la confirmation de la décision attaquée. Le représentant de la société requérante a pu répliquer à ces observations.

A l'issue des débats, l'affaire a été mise en délibéré pour être jugée le 9 avril 2002.

Sur la procédure

Considérant que la société Concurrence soutient que le Conseil de la concurrence aurait méconnu les droits de la défense et le droit à un procès équitable en la convoquant pour une audience de recevabilité sans l'avertir que le fond du litige serait aussi abordé, en l'informant tardivement du rejet de ses observations complémentaires, en procédant à une instruction incomplète ;

Considérant cependant que l'examen des écritures et des pièces de la procédure révèle que la société Concurrence, tenue d'apporter la preuve des faits propres à justifier ses prétentions et à rendre vraisemblables les atteintes à la concurrence dénoncées, a pu débattre contradictoirement de l'ensemble des questions de forme et de fond du litige soumis au Conseil ; qu'elle a disposé d'un délai raisonnable pour fournir les éléments de conviction qu'elle estimait nécessaires au succès de ses prétentions tant sur l'existence de pratiques prohibées que sur la justification des mesures conservatoires et ne saurait remettre en cause dans ces conditions le pouvoir d'appréciation dont dispose le rapporteur dans la conduite de ses investigations ou la régularité de la procédure ; que ses premiers griefs ne sont pas dès lors fondés ;

Sur le fond

Considérant qu'aux termes de l'article L. 420-2 alinéa 2 du Code de commerce dans sa rédaction résultant de la loi du 15 mai 2001, est prohibée, dès lors qu'elle est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur ;

Considérant que la société Concurrence qui exerce une activité de vente au détail de produits audiovisuels sur un point de vente à Paris ou par internet, fait grief à son principal fournisseur, la société Sony France, d'avoir mis en œuvre à compter du 1er avril 2001 de nouvelles conditions de vente empêchant le distributeur de pratiquer sa politique traditionnelle de prix bas, d'avoir également cessé de livrer directement la clientèle de la société Concurrence et de lui octroyer une remise logistique de 3 %, d'avoir enfin adopté une clause d'enseigne commune présentant un caractère anticoncurrentiel et de lui avoir refusé illégitimement l'accès au réseau à l'enseigne "Espace Sony" ;

Considérant cependant que le seul fait par un fournisseur d'avoir modifié ses conditions de distribution des produits ne suffit pas à caractériser l'atteinte à la concurrence visée par l'article L. 420-2 alinéa 2 du Code de commerce qui implique, non seulement la constatation d'une soumission du distributeur à la domination économique du fournisseur, mais aussi un exercice fautif par celui-ci de ses prérogatives;

Considérant qu'il est constant que, dans le cadre de relations commerciales nouées depuis près de vingt ans, la société Concurrence n'a cessé d'accroître la part de ses approvisionnements auprès de la société Sony France qui s'élevaient par exemple à 20,9 MF en 1997 et à 61,7 MF en 2000 ;

Considérant que si les achats de la société Concurrence en produits Sony représentent actuellement, selon la requérante, 95% de ses approvisionnements, il convient de constater que cette situation ne correspond nullement à une position particulièrement avantageuse de la société Sony dans le secteur d'activité en question et à l'inexistence de produits substituables; qu'il ressort ainsi de données fournies par la société d'enquête GFK qu'à la fin de l'année 2000 et au début de l'année 2001, la part de Sony sur l'ensemble du marché des produits audio-vidéo est de 18 % contre 15,5 % à Philips et 9 % à Thomson, qu'en "audioportable" elle était de 24 % contre 18% pour Philips et 9 % pour Aiwa, qu'en "DVD" elle était de 13 % contre 21 % à Philips et 11 % à Pioneer, qu'en caméscopes elle était de 32 % contre 24 % à Philips et 9% pour Canon, Samsung et Panasonic, qu'en matériel "HI FI" elle était, comme Philips, de 16 % contre 13 % pour Aiwa et 9 % pour JVC, que pour la télévision elle était de 18 % contre 25 % à Philips, 15 % à Thompson et 5 % à Panasonic, que pour la photo numérique elle était de 14 % contre 17 % pour Olympus et Fuji, 12 % pour Nikon et Canon ; qu'en outre, pour certains produits où Sony est l'entreprise la mieux placée, les chiffres de GFK montrent que la part de marché de Sony a tendance à baisser puisque notamment entre 1997 et 2000, la part de Sony est passée, pour les caméscopes analogiques de 32 à 25 %, pour les caméscopes numériques de 60 à 44 % et pour les baladeurs minidisques de 65 à 48 % ;

Considérant qu'il ne peut être fait grief à la société Sony d'avoir cherché ou consenti, pour la promotion de ses produits, à favoriser les achats effectués par la société Concurrence dès lors qu'aucune pièce du dossier ne révèle l'emploi, par le producteur, de procédés anormaux destinés à détourner le distributeur des autres fournisseurs en produits comparables; que l'absence de réponse de la société Philips à la demande de communication de ses conditions de vente présentée par la société Concurrence ou le refus de JVC de contracter avec celle-ci en raison de ses pratiques commerciales et d'un litige antérieur n'est pas imputable à la société Sony et n'est pas de nature à caractériser l'état de dépendance économique allégué par la requérante ; qu'il apparaît en réalité, comme le montrent les écritures de la Société Concurrence insistant notamment sur le fait que son point de vente est "le seul endroit notable où on peut acheter Sony en discount", que la part prépondérante prise par Sony dans les activités commerciales de la société Concurrence résulte, non d'une puissance économique exceptionnelle du producteur sur les marchés concernés, mais d'une politique délibérée du distributeur ayant choisi de privilégier l'une de ses sources potentielles d'approvisionnement;

Considérant que la société Sony n'a pas modifié brutalement ses conditions de vente mais a au contraire diffusé dès le mois de janvier 2001 une information sur les motifs et les modalités des nouveaux barèmes de ristournes et remises consenties aux distributeurs ; qu'au surplus, malgré la date du 1er avril 2001 fixée pour l'entrée en vigueur des nouvelles conditions, les négociations entre les parties se sont poursuivies jusqu'au mois de mai ou juin 2001 ; qu'en toute hypothèseet à supposer qu'elle en ait eu réellement l'intention, la société Concurrence a bénéficié d'un délai raisonnable pour rechercher de nouvelles sources d'approvisionnement et ne justifie d'aucune démarche en ce sens, les contacts précités pris avec les sociétés Philips et JVC étant postérieurs à l'audience tenue par le Conseil de la concurrence ;

Considérant que c'est par des motifs pertinents que le Conseil de la concurrence a rejeté l'argumentation de la société requérante quant à l'objet ou l'effet prétendument anticoncurrentiel des pratiques incriminées;

Considérant que les conditions d'obtention des remises et ristournes prévues par les nouveaux barèmes diffusés par Sony ont vocation à s'appliquer à tous les distributeurs prêts à fournir les services demandés par le producteur, qu'elles sont définies de manière objective, sans qu'il soit démontré qu'elles ont pour but ou pour résultat d'évincer certains distributeurs, de supprimer ou de limiter la politique de prix pratiquée par ceux-ci pour la revente des produits et de les contraindre à relever leurs tarifs ; que les pièces de la procédure révèlent que la société Concurrence, loin d'être affectée par le changement critiqué, figure au contraire parmi les entreprises qui disposent des taux de remise et ristourne les plus proches du maximum des avantages accordés à ses distributeurs par Sony ; qu'en dépit de ce qu'elle prétend dans ses écritures, la pérennité de son activité n'apparaît pas plus compromise puisque, même depuis la mise en vigueur des nouvelles conditions de vente du producteur, ses ventes ont progressé de 33 % sur l'ensemble du premier trimestre 2001 par rapport au premier semestre de l'année précédente et que selon ses prévisions, ses achats en produits Sony devraient représenter 90 MF en 2001 contre 61.7 MF en 2000 ;

Considérant que la société requérante ne saurait revendiquer l'octroi de la remise logistique de 3 % destinée par Sony à récompenser les distributeurs assurant eux-mêmes l'approvisionnement des revendeurs en produits Sony ; que si Sony a accepté, à l'occasion du lancement par la société Concurrence au mois de juillet 2000 d'une activité de vente par internet, de livrer provisoirement les clients revendeurs ayant passé une commande grâce au site ouvert par la société Concurrence, celle-ci n'avait aucun droit acquis au maintien de cette facilité et ne justifie pas remplir les conditions de la remise réclamée dès lors qu'elle n'effectue pas la prestation de livraison correspondante ; qu'en outre elle n'établit pas que d'autres distributeurs bénéficieraient de la remise sans en supporter la contrepartie et que la décision de Sony aurait été prise pour l'empêcher de développer l'activité de vente par internet ; que les fluctuations constatées sur ce marché pour la société Concurrence n'apparaissent d'ailleurs nullement liées à l'attitude de Sony puisque les transactions informatiques ont sensiblement diminué avant la mise en application par Sony de ses nouvelles conditions de vente et ont augmenté à nouveau aux mois de mai et juin 2001 ;

Considérant que la société Concurrence n'est pas plus fondée à contester la régularité d'une clause contractuelle qui, selon elle, réserverait dans des conditions discriminatoires injustifiées certaines remises de prix aux revendeurs placés sous une enseigne commune ; que le Conseil de la concurrence a en effet retenu par une exacte analyse de la clause litigieuse des nouvelles conditions de vente que l'existence d'une enseigne commune n'était pas une condition nécessaire à l'obtention de la remise en cause et que la société Concurrence n'était pas a priori exclue de son bénéfice ;

Considérant enfin que le réseau de distribution à l'enseigne "Espace Sony" a été mis en place par la société Sony en faveur des distributeurs contractant certains engagements particuliers à son égard, notamment pour les livraisons des matériels achetés, leur installation chez les consommateurs et le service après-vente ; qu'aucune disposition législative n'interdisant la constitution d'un tel réseau dès lors qu'elle intervient dans des conditions objectives et non discriminatoires, la société Concurrence a pu s'en voir légitimement refuser l'accès dès lors qu'il ressort des propres observations écrites de la requérante qu'elle n'assurait pas les services autorisant l'accès à ce réseau ;

Considérant que la contestation par la société Concurrence de la suppression d'avantages particuliers que lui avait consentis la société Sony avant l'entrée en vigueur de ses nouvelles conditions de vente constitue un litige de nature commerciale susceptible d'être soumis à la juridiction arbitrale choisie par les parties pour trancher tous différends relatifs à l'interprétation ou l'exécution de leurs accords ; qu'elle ne saurait en revanche caractériser une pratique pouvant être sanctionnée par le Conseil de la concurrence sur le fondement de l'article L. 420-2 du Code de commerce dont les conditions d'application ne sont pas réunies ; que le recours doit en conséquence être rejeté ;

Considérant que sont réunies au profit de la société Sony France les conditions de l'application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Par ces motifs : Rejette le recours ; Condamne la société Concurrence à payer à la société Sony France la somme de 4.500 euro au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Condamne la société Concurrence aux dépens.