CA Paris, 1re ch. H, 14 mars 2002, n° ECOC0200093X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Canal Europe Audiovisuel (SA)
Défendeur :
Canalsatellite (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Kamara
Conseillers :
MM. Remenieras, Maunand
Avoué :
SCP Fisselier- Chiloux-Boulay
Avocats :
Mes Mougeotte, Wilhelm.
La société de droit luxembourgeois Canal Europe Audiovisuel (ci-après CEA) édite trois chaînes francophones non cryptées dont les programmes font chacun l'objet d'une concession accordée par le gouvernement luxembourgeois pour dix ans et sont émis sur le satellite Astra.
En décembre 1998, la société Canalsatellite, qui est le seul opérateur assurant la reprise du réseau satellitaire d'Astra sur le marché français, a octroyé un positionnement fixe sur le canal 98, puis 104, hors de son bouquet, à un premier programme diffusé par la société CEA, intitulé "grand tourisme" et consacré à l'automobile.
A partir de septembre 1999, la société CEA à mis à l'antenne un deuxième programme, intitulé "no zap", consacré au cinéma, qui partageait le même canal que le premier. Ces deux programmes ont été diffusés jusqu'au 15 juillet 2000, date à laquelle la société CEA à interrompu les diffusions afin, notamment, de régler un différend qui l'opposait à la société gestionnaire du satellite Astra et de préparer le lancement d'un troisième programme dénommé "grand canal" et dédié aux personnes âgées.
Le 18 décembre 2000, la société Canalsatellite a refusé d'accorder un référencement au sein de son bouquet aux trois chaînes diffusées en clair sur le satellite Astra par la société CEA.
Cette dernière, après avoir cessé sa diffusion en mars 2001, trois mois après sa mise à l'antenne, a relancé ses programmes sur le satellite Astra le 28 octobre 2001.
Estimant avoir été victime d'un abus de position dominante de la part de la société Canalsatellite, la société CEA à saisi, le 25 octobre 2001, le Conseil de la Concurrence (ci-après le conseil).
La saisine était assortie d'une demande de mesures conservatoires sur le fondement de l'article L. 464-1 du code de commerce. La société CEA demandait, en effet, au Conseil de faire injonction sous astreinte à la société Canalsatellite de lui attribuer un numéro fixe dans son offre commerciale.
Par décision n° 02-mc-01 du 24 janvier 2002, le Conseil a rejeté la demande de mesures conservatoires.
Autorisée par ordonnance du 15 février 2002, la société CEA à fait assigner, par exploit du 18 février 2002, la société Canalsatellite, le Ministre de l'Economie , des Finances et de l'Industrie et le Directeur Général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, pris en sa qualité de Commissaire du Gouvernement auprès du Conseil, devant la Cour d'Appel de Paris afin que fût ordonnée, à titre conservatoire, l'attribution par la société Canalsatellite d'un numéro fixe aux chaînes de la société CEA permettant l'accès à tous les décodeurs de son parc.
Dans son mémoire en réponse, déposé au greffe de la cour le 28 février 2002, la société Canalsatellite soulève, à titre principal, sur le fondement de l'article 10 du décret du 19 octobre 1987, la nullité de l'assignation en ce qu'elle ne précise pas l'objet du recours et, en conséquence, l'irrecevabilité de ce dernier, et conclut, à titre subsidiaire, au rejet du recours motif pris de l'irrecevabilité et du mal fondé de la demande de mesures conservatoires et, en tout état de cause, à la condamnation de la société CEA au paiement de la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Le représentant du Ministre chargé de l'Economie et le représentant du Ministère Public ont présenté des observations à l'audience tendant au rejet du recours.
Les sociétés Canalsatellite et CEA ont eu la parole en dernier.
Sur ce, LA COUR : - Considérant qu'en application de l'article L. 464-1 du Code de Commerce, les mesures provisoires ne peuvent intervenir que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante; qu'elles doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence;
Considérant que la société CEA soutient, pour la première fois devant la Cour, que le refus par la société Canalsatellite de référencer ses chaînes en clair porterait une atteinte grave et immédiate, d'une part, à l'économie du secteur intéressé dans la mesure où il a pour conséquence d'empêcher en France la réception d'une télévision diffusant en clair ses programmes sur l'Europe et, partant, de violer la réglementation communautaire et de porter atteinte à la liberté des échanges intra-communautaires, à la liberté de l'audiovisuel et au pluralisme des idées, et, d'autre part, aux intérêts du consommateur et du téléspectateur dès lors que la nouvelle version de la chaîne "no zap" incluait la diffusion en clair de longs métrages à raison de trois à quatre films par jour ;
Que l'article 4 de la directive 95-47 du Parlement Européen et du Conseil du 24 octobre 1995, relative à l'utilisation de normes pour la transmission de signaux de télévision et dont les dispositions ont été transposées par l'arrêté du 21 novembre 2001, n'impose pas aux distributeurs de services d'attribuer un numéro fixe sur leurs décodeurs aux chaînes émettant en clair sur le territoire de l'Union Européenne, mais seulement de mettre à la disposition du public des équipements permettant d'une part, le désembrouillage des signaux de télévision selon l'algorithme européen commun d'embrouillage, administré par un organisme de normalisation reconnu, et d'autre part, la reproduction des signaux qui ont été transmis en clair ;
Qu'en l'espèce, les trois chaînes diffusées en clair par la société CEA peuvent être reçues sans référencement sur les décodeurs de la société Canalsatellite; qu'il ressort, notamment, d'un article diffusé le 25 janvier 2002 dans le magazine Télésatellite.com, que la chaîne "no zap ", qui propose le vendredi soir à partir de 22 heures une émission interactive intitulée "peep show", est bien reçue en France par les téléspectateurs disposant d'un décodeur Canalsatellite ou d'un décodeur en réception directe ; que, dans cet article, est, par ailleurs, rappelée la procédure à suivre pour recevoir la chaîne "no zap" sur ces décodeurs ; qu'un article paru dans ce même magazine le 31 janvier 2002 fait état du succès de la première émission en direct "peep show" et de la décision de la chaîne d'en faire un rendez-vous régulier tous les vendredis soir ; que la circonstance selon laquelle un certain nombre de décodeurs Canalsatellite ne permettrait pas la réception des chaînes en clair diffusées par la société CEA est inopérante dans la mesure où il n'est pas contesté que la société Canalsatellite change, à la demande des consommateurs, ces décodeurs d'un modèle ancien, ainsi que le mentionne l'article du magazine Télésatellite.com du 25 janvier 2002; que n'est pas davantage opérant le fait que l'accès aux chaînes en clair diffusées par la société CEA nécessite une programmation manuelle dès lors que, si la manœuvre est relativement longue et complexe, il ressort de l'article du magazine Télésatellite.com du 25 janvier 2002 qu'une fois la mémorisation faite, le numéro ne change plus ; qu'enfin, la société CEA ne peut reprocher utilement à la société Canalsatellite, motif pris d'une atteinte aux intérêts des téléspectateurs, de ne pas avoir intégré dans son bouquet, destiné à un public familial, la chaîne "no zap" qui diffuse en clair et sans la moindre protection des programmes érotiques à des heures de grande écoute ; que, dès lors que les décodeurs de la société Canalsatellite permettent, ainsi que les décodeurs libres, la réception en France des chaînes en clair diffusées sur le satellite Astra par la société CEA, cette dernière ne démontre pas la réalité d'une atteinte grave et immédiate à l'économie du secteur intéressé et à l'intérêt des consommateurs.
Considérant que la société CEA soutient, par ailleurs, que le refus par la société Canalsatellite de référencer ses chaînes en clair porterait une atteinte grave et immédiate à ses propres intérêts au motif qu'il a pour conséquence non seulement l'effondrement des résultats financiers, mais également la ruine de deux ans de travail effectif pour gagner la confiance du public, de la profession et du secteur
Que comme l'a relevé le Conseil, le manque à gagner, dont se prévaut la société CEA est insuffisant à lui seul pour caractériser l'atteinte grave et immédiate à ses intérêts; qu'il ne ressort pas des pièces produites que le refus de référencer les chaînes en clair diffusées par la société CEA serait à l'origine des difficultés invoquées par cette dernière alors que d'une part, la requérante avait pris l'initiative en juillet 2000 de suspendre pendant plusieurs mois la diffusion de ses programmes en raison d'un conflit avec la société gestionnaire du satellite Astra et que, d'autre part, il n'est pas sérieusement contestable que la société CEA avait d'autres possibilités pour pénétrer le marché français, ainsi que l'a relevé le Conseil supérieur de l'audiovisuel dans ses observations sur la demande de mesures conservatoires, et qu'enfin, il ressort des articles du magazine télésatellite.com que la chaîne "no zap" remporte un vif succès auprès des téléspectateurs intéressés par les émissions interactives qu'elle diffuse.
Considérant que, la société CEA ne démontrant pas l'existence d'une atteinte grave et immédiate tant à l'économie du secteur concerné qu'aux intérêts des consommateurs et à ses propres intérêts, il convient, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens soulevés par la société Canalsatellite, de rejeter le recours de la société CEA.
Considérant que l'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Que la société CEA conservera à sa charge les dépens de l'Instance ;
Par ces motifs : Rejette le recours de la société CEA, Rejette la demande d'indemnité de procédure formée par la société Canalsatellite.