CA Paris, 1re ch. H, 19 octobre 1999, n° ECOC9910318X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Conseil National des Professions de l'Automobile
Défendeur :
Leclerc Rennes Saint-Grégoire (Sté), Centre Leclerc (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Thin
Conseillers :
Mme Deurbergue, M. Hascher
Avoués :
SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Duboscq-Pellerin
Avocats :
SCP Threard Léger Bourgeon Meresse, Me Berthaud.
LA COUR statue sur le recours en annulation et réformation formé par le Conseil National des Professions de l'Automobile (CNPA) à l'encontre de la décision du Conseil de la concurrence n° 99-D-17 du 24 février 1999 ayant déclaré irrecevable la saisine effectuée par le CNPA à propos de la vente des carburants à prix coûtant par les magasins à l'enseigne Leclerc de la région de Rennes.
Référence faite à cette décision sur l'exposé des faits et de la procédure initiale, il suffit de rappeler les faits suivants :
Les 465 stations à l'enseigne Leclerc ont, suite à une campagne publicitaire d'envergure nationale diffusée par voie radiophonique et au moyen de panneaux publicitaires, commercialisé du 22 juillet au 16 août 1997 les carburants à prix coûtant.
Le CNPA a, les 7 août et 9 septembre 1998, saisi de ces pratiques mises en œuvre par deux magasins à l'enseigne Leclerc de la région de Rennes, le Conseil de la concurrence, estimant que celles-ci relèvent des dispositions du titre III de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence.
Au soutien de son recours, le CNPA allègue qu' en dépit des éléments qu'il avait versés à l'appui de sa plainte pour caractériser les atteintes à la concurrence, le dossier n'a fait l'objet d'aucune instruction. Or, le CNPA estime que la pratique tarifaire concertée, qui résulte notamment des poursuites engagées sur la base de l'article L. 121-1 du code de la consommation par la DGCCRF à l'encontre de certains centres Leclerc et de l'identité de prix sur trois produits lors de la journée du 2 août 1997, a porté atteinte à la concurrence entre les deux centres Leclerc visés dans la plainte, et, par voie de conséquence, sur le marché local de la distribution des carburants. Le CNPA soutient que les deux centres Leclerc ne rapportent pas la preuve que leur adhésion à l'entente tarifaire décidée par la conférence interrégionale des centrales d'achat Leclerc le 24 juin 1997 ne les a pas empêché de calculer leurs prix de vente de manière indépendante en tenant compte de leurs propres conditions d'approvisionnement et d'exploitation. D'après le CNPA, l'augmentation du prix des produits pétroliers pendant la période litigieuse laisserait présumer une vente à perte de nature à entraîner un effet d'éviction.
Le CNPA demande subsidiairement à la Cour d'enjoindre aux défendeurs de fournir tous éléments d'appréciation sur la définition du prix coûtant retenu comme prix de référence dans le cadre de la campagne promotionnelle et sur la conformité du prix de vente pratiqué pendant la période incriminée avec ce prix coûtant.
La société Leclerc Rennes Saint-Grégoire et la société Centre Leclerc, représentée par la société Renouest, qui n'étaient pas parties devant le Conseil de la concurrence, rappellent qu'elles ont commercialisé les carburants aux prix coûtant annoncé, que la pratique concertée d'un prix coûtant ne conduit pas nécessairement à l'uniformisation des prix qui n'est pas d'ailleurs démontrée, que l'alignement sur le prix d'un concurrent ne suffit pas à démontrer la participation à une entente, qu'enfin le délit de publicité fausse pour n'avoir pas vendu au prix coûtant n'a pas été retenu à l'encontre des directeurs des centres Leclerc poursuivis. Les sociétés Leclerc Rennes Saint Grégoire et Centre Leclerc, représentée par la société Renouest, concluent à la confirmation de la décision du Conseil de la concurrence et demandent à la Cour de débouter le CNPA de son recours.
Le Conseil de la concurrence observe que la pratique concertée d'un prix coûtant pour le même produit, par des entreprises en concurrence, n'a pas pour effet d'imposer un prix identique à ces entreprises, dès lors que leurs conditions d'approvisionnement et d'exploitation, même si elles peuvent être analogues, sont néanmoins propres à chacune d'entre elles et ne les dispensent pas de calculer leur prix de vente de manière indépendante. Il relève qu'aucun élément propre à établir une concertation entre les deux magasins Leclerc n'a été apporté par le requérant.
Le ministre de l'économie, à l'issue d'observations rejetant les moyens avancés par le requérant, conclut à la confirmation de la décision du Conseil de la concurrence.
Le ministère public conclut au rejet du recours.
Sur ce, LA COUR
Considérant que le CNPA reproche au Conseil de la concurrence de n'avoir pas vérifié si les conditions dans lesquelles s'était déroulée la campagne promotionnelle des magasins Leclerc n'avait pas abouti à une harmonisation des prix par suite de la détermination du prix coûtant d'après une méthode identique d'évaluation du prix des carburants en stock et en fonction de la prise en charge par les magasins Leclerc du coût du budget publicitaire du carburant au prorata de leur chiffre d'affaires global ; que le CNPA soutient qu'il incombe dès lors aux deux centres Leclerc d'indiquer la définition du prix coûtant de référence retenu pendant la campagne publicitaire et de démontrer la conformité de leurs pratiques tarifaires avec ce prix de référence ;
Considérant que la société Leclerc Rennes Saint Grégoire et la société Centre Leclerc, représentée par la société Renouest, soutiennent qu'elles ont effectivement commercialisé les carburants au prix coûtant annoncé et défini d'après des conditions d'approvisionnement et d'exploitation propres à chaque adhérent ; que le CNPA ne rapporte pas la preuve de pratiques concertées sous couvert d'un prix coûtant, ni celle d'une atteinte à la concurrence sur le marché local de la distribution ;
Que le ministre de l'économie et le Conseil de la concurrence observent que la pratique tarifaire des centres Leclerc ne permet pas de présumer que les prix pratiqués étaient des prix d'entente, ni que le niveau de prix était restrictif de concurrence sur le marché, que ni la saisine, ni le recours ne contiennent aucun élément tendant à démontrer que les deux centres Leclerc aient vu leur liberté tarifaire limitée ;
Considérant que sur la base de l'article 19 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, il appartient au Conseil de la concurrence de vérifier, ainsi qu'il y a effectivement procédé, que les faits qui lui étaient dénoncés étaient appuyés d'éléments suffisamment probants, qu'il ne les a pas, en l'espèce, estimés tels par des motifs pertinents que la Cour fait siens :
- qu'une identité de prix pour trois produits ne pourrait à elle seule suffire, d'autant qu'elle n'a été relevée que sur une seule journée, à établir l'existence d'une concertation entre les deux centres Leclerc pour la fixation des prix, des éléments objectifs tels que les conditions d'approvisionnement et l'exploitation, identiques ou très proches, pouvant expliquer une uniformité de prix,
- que le CNPA n'apporte pas plus d'élément sur la situation des pompistes indépendants et notamment sur les conséquences de la campagne promotionnelle de l'activité de ceux-ci, que les faits invoqués ne permettent pas de présumer que les pratiques dénoncées auraient eu pour objet d'évincer les distributeurs indépendants du marché de la distribution des carburants dans l'agglomération de Rennes et seraient prohibées par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Considérant qu'il n'appartenait pas au Conseil de la concurrence dans ces circonstances, de suppléer à la carence du CNPA dans l'administration de la preuve ; - Considérant qu'il s' ensuit que le recours doit être rejeté ;
Par ces motifs : Rejette le recours, condamne le CNPA aux dépens.