Conseil Conc., 12 février 2002, n° 02-D-08
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques de la société Sony France et de certains de ses revendeurs
Le Conseil de la Concurrence (commission permanente),
Vu la lettre enregistrée le 9 août 2001 sous le numéro F 1333, par laquelle la société Concurrence a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques de la société Sony France et de certains de ses revendeurs ; Vu le livre IV du code de commerce et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, fixant les conditions d'application de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement entendus lors de la séance du 15 janvier 2002, la société Concurrence ayant été dûment convoquée ; Sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur la demande de la saisissante tendant au versement au dossier des pièces produites par elle-même et par la société Sony France à l'occasion de la procédure ayant donné lieu à la décision n° 01-D-49 du 31 août 2001 du Conseil ;
Considérant que par cette dernière décision, le Conseil s'est prononcé sur une précédente saisine de la SA Concurrence qui dénonçait la mise en œuvre par la société Sony France de diverses pratiques anticoncurrentielles sur les marchés des produits audiovisuels, des ordinateurs et des vidéo-projecteurs, notamment la mise en place à compter du 1er avril 2001 de nouvelles conditions de vente qui auraient eu pour caractéristique d'accroître le montant global des ristournes différées et des services facturables par les distributeurs afin de fixer un niveau minimal aux prix de revente de ses produits et aux marges des distributeurs ; que cette même saisine reprochait également à la société Sony France la cessation de ses livraisons directes aux entreprises de "son réseau" , et son refus de lui octroyer à ce titre une remise logistique ; qu'elle dénonçait enfin les conditions d'octroi d'une clause d'enseigne commune ouvrant droit à une ristourne sur le chiffre d'affaires réalisé ; qu'était, en outre, sollicité le prononcé de mesures conservatoires au motif que, compte tenu de la part très importante de la société Sony France dans ses approvisionnements, la modification par celle-ci de ses conditions de vente constituait une atteinte grave et immédiate aux intérêts de la société Concurrence susceptible de se traduire par une baisse sensible de ses ventes et de porter également atteinte au marché et à l'intérêt des consommateurs qui n'auraient plus disposé de la possibilité de bénéficier de prix compétitifs ;
Mais considérant que le Conseil a relevé, dans sa décision précitée, que les conditions dont bénéficiait la société Concurrence en application des nouvelles conditions de vente de la société Sony France étaient inchangées, voire améliorées, les nouveaux barèmes lui permettant d'avoir accès à des niveaux de rémunérations comparables ou égaux à ceux qu'elle obtenait auparavant ; qu'il a noté qu'il n'était pas établi qu'elle subirait une réduction de ses marges qui serait de nature à lui interdire de poursuivre, dans l'immédiat, une politique de prix inférieurs à ceux pratiqués par la plupart des autres offreurs ; et qu'il a également rejeté pour insuffisance d'éléments probants les autres griefs relatifs à des pratiques anticoncurrentielles formulés par la saisissante, ainsi que les mesures conservatoires sollicitées ;
Considérant que la société Concurrence, à l'appui de la présente saisine, se borne à produire, comme seuls documents nouveaux, les copies d'une facture à en-tête de la société Sony France avec le bordereau de communication de cette facture, laquelle concerne un acheteur identifié par la saisissante comme étant "le comité d'entreprise des armées" et comporte le décompte d'un taux de remise de 22 % que la société Concurrence estime dérogatoire au barème fixé par les conditions de vente de ce fournisseur ; qu'elle indique, en effet, que "si l'on applique le barème aux comités d'entreprise, on n'arrive pas à 10 % compte tenu qu'ils ne rendent pas les nombreux services exigés par Sony et qu'ils n'atteignent pas les objectifs de CA, et que la remise logistique ne peut leur être appliquée".
Considérant, toutefois, que la seule production de la facture mentionnée ci-dessus ne permet pas, faute de connaître les contreparties susceptibles d'avoir justifié une éventuelle dérogation aux barèmes tarifaires de la société Sony France de conclure à une discrimination dans les termes de l'article L. 442-6.I 1° du code de commerce, laquelle, en toute hypothèse, ne relèverait pas du champ de compétence du Conseil ;
Considérant, en outre, que dans l'hypothèse où des conditions commerciales discriminatoires non justifiées par des contreparties réelles auraient été accordées par la société Sony France au destinataire de cette facture, une telle vente, destinée à la clientèle des personnels des forces armées, pour une commercialisation hors du territoire national, ne saurait constituer entre ces deux cocontractants une convention ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché français de la vente au détail des produits audiovisuels concernés ;
Considérant, de surcroît, que le document produit est, à lui seul, sans effet sur l'analyse, au regard des dispositions du titre II du livre IV du code de commerce, des accords conclus entre la société Sony France et les membres de son réseau de distribution, tels qu'ils résultent des nouvelles conditions de vente mises en place par ce fournisseur à compter du 1er avril 2001 ; qu'en effet, la cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 15 février 2000 (Société Ploermaise de Friction Industrielle) a estimé que des conditions de vente discriminatoires pratiquées vis à vis d'un distributeur, dès lors qu'elles ne sont pas connues des autres membres d'un réseau, ne permettent de caractériser aucune entente entre ceux-ci et le fournisseur, mais seulement un comportement unilatéral de ce dernier ;
Considérant, ainsi, que la saisine n'apporte aucun élément permettant de présumer l'existence, entre la société Sony et "certains de ses revendeurs", d'actions concertées, ententes expresses ou tacites ou coalitions ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet de restreindre la concurrence sur un marché ;
Considérant qu'il y a lieu, en conséquence, de faire application des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 462-8 du code de commerce aux termes duquel le Conseil peut "rejeter la saisine par décision motivée lorsqu'il estime que les faits invoqués ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants" ;
Décide :
Article unique - La saisine enregistrée sous le numéro F 1333 est rejetée.