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Décisions

Conseil Conc., 22 janvier 2002, n° 02-D-01

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Saisine présentée par la société SERAP

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport oral de Mme Nguyen-Nied, par Mme Pasturel, vice-présidente, présidant la séance, M. Nasse, vice-président, , M. Robin, membre, en remplacement de M. Jenny, vice-président empêché.

Conseil Conc. n° 02-D-01

22 janvier 2002

Le Conseil de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre enregistrée le 02 novembre 1998, sous le numéro F 1095, par laquelle la société SERAP a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société Barbour France ; Vu le livre IV du Code de commerce et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour l'application de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ; Vu les observations présentées par la société Barbour France et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés SERAP et Barbour France entendus au cours de la séance du 13 novembre 2001 ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) suivants ;

I. - CONSTATATIONS

La société SERAP expose que, souhaitant devenir distributeur des produits de marque Barbour, elle a passé, en 1996, une commande initiale comportant deux modèles de vestes en deux coloris. La société Barbour France a refusé de livrer cette commande au motif qu'elle n'était pas représentative de la gamme des produits Barbour et a demandé à SERAP de compléter sa commande.

La saisissante prétend que les pratiques mises en œuvre par Barbour France ont eu un effet anticoncurrentiel car, en refusant de satisfaire la commande formulée par SERAP, Barbour France a, au détriment des consommateurs, écarté un distributeur qui pratique des prix bas. Elle soutient que les clauses des conditions générales de vente de la société Barbour France contreviennent aux dispositions des articles 81 du Traité de Rome et L. 420-1 du Code de commerce et que le refus qui lui a été opposé constitue une pratique illicite au sens des textes précités.

A. - Les sociétés concernées

1. La société SERAP

La société anonyme SERAP est principalement implantée en Ile-de-France. Elle distribue des biens d'équipement de la maison et de la personne dans des magasins dont l'accès est réservé aux titulaires d'une carte d'achat dont l'attribution est conditionnée par un accord préalable entre la SERAP et le comité d'entreprise, ou une structure équivalente, du détenteur de la carte.

2. La société Barbour France

Barbour France est une filiale de la société anglaise Barbour & Sons Ltd qui fabrique des vêtements de plein air, distribués dans le monde entier par différentes catégories de commerces. La société Barbour France a mis en place un système de distribution sélective qui comprend 625 distributeurs agréés sur le territoire national.

B. - Le marché concerné

Barbour fabrique des vêtements et accessoires (vestes imperméables, manteaux, gilets, pulls, gants, écharpes, carrés, chapeaux...). La clientèle est principalement masculine même si certains produits sont également portés par les femmes (par exemple les vestes en coton enduit). L'image véhiculée par la marque est celle de vêtements de grande qualité, très robustes, destinés aux activités de plein air comme la chasse ou la pêche. Ils sont, cependant, couramment portés en ville. De nombreux concurrents proposent des gammes de vêtements équivalentes.

C. - Les pratiques relevées

Les pratiques mises en cause sont relatives aux critères d'agrément des points de vente des distributeurs et, en particulier, à l'obligation pour ces derniers de passer des commandes représentatives de la gamme Barbour et à celle de détenir un stock minimum.

Sur les critères d'agrément des points de vente

Les clauses visées par la notification de griefs concernent les modalités d'agrément des points de vente.

L'article 7 des conditions générales de vente (dans la version du 1er octobre 1993) dispose que le distributeur : "I. Devra assurer que ses locaux sont adaptés à la vente au détail des produits de la société et mettent en valeur la grande qualité, l'image et la réputation de la marque "Barbour" et des produits de la société (...)

V. Devra assurer que ses locaux ont un espace approprié pour la présentation des produits de la société (...)

X. Ne devra rien faire qui puisse empêcher ou entraver l'accroissement des ventes des produits de la société (...)".

Un document, apparemment à usage interne, intitulé "obligations et responsabilités de l'agent commercial Barbour" prévoit, sous la rubrique "ouverture nouveaux comptes", que "1.2. L'agent devra visiter le détaillant avant toute discussion détaillée sur la commande initiale (même si l'agent connaît le détaillant) afin de déterminer la qualité et la nature du magasin, les marques proposées, l'emplacement qui pourrait être réservé aux produits Barbour ainsi que leur présentation (...).

L'agent soumettra un rapport détaillé accompagnant la fiche information nouveau compte, décrivant le magasin, son emplacement, sa position vis-à-vis d'autres dépositaires Barbour dans la région, la proposition de mise en place, les possibilités de présentation vitrine et les possibilités de développement".

Un autre document intitulé "J. Barbour & Sons Ltd., Réseau de dépositaires agréés, procédures à respecter" précise "3. Les locaux du demandeur devront être appropriés à la vente au détail des produits de la société. La société prendra en compte tout facteur important pour décider si les locaux conviennent, tel que l'emplacement, la façade, la dimension de la vitrine et sa qualité, l'espace réservé à la vente, l'éclairage, le plancher, le mobilier et toutes les installations des locaux (...)".

L'instruction a fait apparaître que le contenu des rapports établis par les chefs de secteur, lors de l'instruction des demandes d'agrément, était très variable. Pour certains magasins, ces rapports contiennent des informations précises et complètes, relatives au type de magasin, à la situation, la clientèle, l'aspect intérieur et extérieur..., tandis que les rapports relatifs à d'autres points de vente sont entièrement dépourvus de telles informations. Pour certaines demandes, une fiche de renseignements comportant plusieurs rubriques notées de 1 à 4, voire au-delà, a été établie par le commercial chargé du secteur, sans qu'il soit possible de connaître les critères qui fondent l'attribution des points.

Sur les commandes et le stock

L'article 3 des conditions générales de vente, relatif aux commandes, stipule que "si le client désire acquérir des marchandises de la société, il devra passer un ordre à la société. La société n'est pas dans l'obligation d'accepter les commandes reçues du client. Une commande ne devra être considérée comme acceptée par la société qu'au moment où la société aura livré les marchandises faisant l'objet de la commande du client".

L'article 7 VI prévoit que le distributeur "devra détenir un stock suffisant de produits de la société, stock approprié à ses locaux et au type d'affaire, et qui représente convenablement la collection de la société".

Selon le directeur administratif et financier de Barbour France, "en ce qui concerne l'article 7-6 : le stock minimum n'est pas défini précisément, il est laissé à l'appréciation des chefs de secteur en fonction de l'emplacement géographique, de la taille du point de vente et de son activité".

En effet, le document intitulé "obligations et responsabilités de l'agent commercial Barbour" et mentionné ci-dessus précise, au paragraphe 1.5, que dans le cas d'ouverture de nouveaux comptes, "l'agent devra s'assurer que la gamme de produits choisie convienne au magasin et qu'elle soit représentative de la gamme totale des produits Barbour, prenant en compte les produits principaux dans des quantités nécessaires et avec des gammes de tailles complètes, les produits complémentaires, les accessoires et les produits d'entretien".

La saisissante soutient que le refus de livraison opposé à sa commande initiale effectuée en 1996, qui concernait seulement deux modèles de vestes en coton huilé (Bedale et Border) en deux coloris (navy et vert), relève d'un traitement discriminatoire.

L'instruction a révélé que des commandes d'un montant inférieur à celle de la SERAP (212 600 F, 32 410,70 euros), ont été satisfaites mais ces commandes concernaient un nombre de références plus important.

Pour autant, la société Barbour France n'a pu définir avec précision la notion de commande représentative de la gamme, ni expliciter la notion de stock adapté aux besoins et locaux d'un commerçant.

D. - Les griefs notifiés

Sur la base des constatations rapportées ci-dessus, il a été fait grief à la société Barbour France d'avoir mis en œuvre des pratiques anticoncurrentielles d'entente en violation des dispositions de l'article L. 420-1 du code de commerce, d'une part, en fixant des critères imprécis pour apprécier l'adéquation des lieux de vente et en appliquant ces critères de façon discriminatoire et, d'autre part, en fixant des clauses d'approvisionnement minimal imprécises et discriminatoires.

II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,

Sur la procédure:

Considérant que la société SERAP a sollicité, par lettre du 7 novembre 2001, un délai supplémentaire d'un mois, pour avoir accès au dossier et déposer des observations, au motif qu'un délai de deux mois lui avait été fixé pour le dépôt d'observations en réponse à la notification de griefs du 13 juillet 2001, tandis qu'un délai de trois mois était accordé à la société défenderesse et au commissaire du gouvernement ;

Mais considérant, qu'à l'ouverture de la séance du 13 novembre 2001, le conseil de la société SERAP, sur interrogation de la présidente, a déclaré que sa cliente se désistait de cette demande et qu'il était en mesure de présenter des observations orales ;

Sur le marché pertinent:

Considérant que les vêtements Barbour, bien qu'appartenant à la gamme des vêtements sportswear qui allient la mode et le sport de plein air (pêche, chasse, cheval...), sont majoritairement portés par une clientèle masculine qui ne pratique jamais le sport auquel ces vêtements sont destinés ; que le marché pertinent qu'il convient de retenir est donc celui du vêtement masculin et non celui du marché du vêtement de sport ;

Considérant que, selon le Centre textile de conjoncture et d'observation économique, le marché français du vêtement masculin s'est élevé, en 1998, à 43 milliards de francs ; que la part de marché détenue par Barbour France peut donc être évaluée à 0,06 % ;

Sur l'application du droit communautaire:

Considérant que le règlement de la Commission européenne CE n° 2790-1999, relatif à l'application de l'article 81, paragraphe 3 du Traité de Rome à des catégories d'accords verticaux, prévoit une exemption d'application du paragraphe 1 dudit article aux accords de distribution dits "accords verticaux" conclus entre des distributeurs et un fournisseur, notamment lorsque la part de marché pertinent sur lequel il vend ses biens ou services ne dépasse pas 30 %;

Considérant que le contrat de distribution en cause ne concerne que les conditions de distribution des produits Barbour sur le territoire national et qu'aucune de ses dispositions ne régit les relations avec les distributeurs de la Communauté économique européenne; qu'il s'ensuit qu'un tel contrat n'est pas susceptible d'exercer un effet sur les échanges entre Etats membreset qu'il n'est donc pas concerné par l'application du droit communautaire; que, néanmoins, les dispositions du règlement de la Commission européenne CE n° 2790-1999, précité, peuvent constituer un guide d'analyse utile pour la mise en œuvre au cas d'espèce du droit national;

Sur les griefs notifiés:

Considérant que les contrats de distribution sélective peuvent améliorer l'efficience économique à l'intérieur d'une chaîne de distribution grâce à une meilleure coordination entre les entreprises participantes ; que la probabilité que de tels gains d'efficience l'emportent sur les éventuels effets anticoncurrentiels des restrictions contenues dans un accord de ce type, dépend du pouvoir de marché des autres entreprises concernées et, dès lors, du degré de concurrence des autres fournisseurs de biens et de services que l'acheteur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix ou de l'usage auquel ils sont destinés ; que, selon le règlement susvisé de la Commission européenne, lorsque la part du fournisseur sur le marché pertinent ne dépasse pas le pourcentage précisé par ce texte, un accord vertical, à moins qu'il ne comporte l'une des restrictions qui restent, en tout état de cause, prohibées, doit être regardé comme ayant pour effet d'améliorer la production ou la distribution et de réserver aux consommateurs une partie équitable du profit qui en résulte ;

Considérant que la société Barbour France justifie la mise en œuvre du contrat de distribution sélective en cause par le souci de protéger l'image de haute qualité de ses produits et que les déclarations de plusieurs distributeurs font état de la même préoccupation ; qu'aucun élément du dossier ne permet de penser que les clauses des conditions générales de vente applicables entre le fournisseur et ses distributeurs, incriminées par la notification de griefs, auraient eu un autre objet de nature anticoncurrentielle ; que,notamment, elles ne portent pas sur l'une des restrictions énumérées à l'article 4 du règlement susmentionné, dont la présence a pour effet de priver l'accord du bénéfice de l'exemption catégorielle prévue par ce règlement ;

Considérant, par ailleurs, que, compte tenu de la faible part détenue sur le marché des vêtements masculins par la société Barbour et de l'existence de nombreuses gammes de produits concurrentes, le caractère imprécis des clauses concernées et l'application discriminatoire qui aurait pu en être faite n'ont pu avoir d'effet sur le libre jeu de la concurrence ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il convient de faire application des dispositions de l'article L. 464-6 du Code de commerce ;

Décide :

Article unique - Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.