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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 29 janvier 2002, n° ECOC0200037X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ministre chargé de l'Economie

Défendeur :

Saturg, Saturg 2000, Screg Sud-Est, Vinci Construction (SA), Entreprise Jean Lefebvre (SA), Sogea (SA), Cegelec, Schneider Electric Industries, Schneider Electric (SA), L'Entreprise Industrielle, Ingerop, Semaly (SA), Cogifer (SA), Cogifer TF (SA).

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cavarroc

Conseillers :

Mmes Penichon, Delmas-Goyon

Avoués :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Teytaud, SCP Duboscq-Pellerin, Me Bolling

Avocats :

Mes Saint-Esteben, Maitre-Devallon, Donnedieu de Vabres, Druine, Giral, Meyung-Marchand, Givry, Granjon, Kohn.

CA Paris n° ECOC0200037X

29 janvier 2002

Le 26 août 1996, le Ministre délégué a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques relevées à l'occasion de la construction du tramway de Grenoble. Par décision n° 01-D-16 du 24 avril 2001, le Conseil de la concurrence a dit qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre la procédure.

LA COUR statue sur le recours en annulation et réformation formé contre cette décision par le Ministre chargé de l'économie.

LES FAITS

La construction du tramway de l'agglomération de Grenoble, qui couvre 23 communes, a débuté en 1984.

La ligne A a été achevée le 5 septembre 1987. Elle a fait l'objet de marchés de travaux publics, passés sous forme d'appels d'offres restreints au cours de la période 1984-1987.

Pour la construction et l'exploitation de la ligne B, une convention de concession a été signée, le 23 septembre 1988, entre le syndicat mixte des transports en commun de l'agglomération grenobloise, (ci-après SMTC), organe décisionnel de la politique de transports de cette agglomération, et la société d'aménagement des transports urbains de la région grenobloise, (ci-après Saturg), constituée par 14 entreprises de dimension internationale et nationale relevant de trois secteurs d'activité. Cette ligne a été terminée en 1990.

Dès avril 1988, le SMTC avait engagé des pourparlers avec ces mêmes entreprises pour l'extension des lignes A et B du tramway de Grenoble, discussions qui se sont accélérées à partir du printemps 1990, les entreprises réfléchissant à un protocole d'accord sur l'organisation des travaux.

Le 12 juillet 1990, prenant en considération la compétence et la qualité des prestations de ce groupement d'entreprises, le SMTC a pris une délibération proposant d'attribuer à Saturg la concession des travaux d'extension et l'invitant à présenter une offre.

C'est dans ces conditions que le 16 juillet 1990, un protocole d'accord préliminaire a été conclu entre les entreprises membres du groupement Saturg, dont l'objet était de "définir les conditions d'étude, d'obtention, et d'exécution éventuelle en commun, chaque société pour le type de prestations fournies lors de la deuxième ligne, des travaux d'extension de réseau de tramway de l'agglomération grenobloise pour le compte du SMTC". Il prévoyait notamment :

- la répartition des interventions entre les entreprises, qui relevaient de trois secteurs différents : 56 % pour le groupement "infrastructures", 34 % pour le groupement "équipement" et 10 % pour le groupement "ingénierie" ;

- une clause d'exclusivité réciproque selon laquelle les sociétés s'engageaient "à ne poursuivre (...) directement ou indirectement, notamment par le biais d'une filiale, l'étude et l'obtention de l'affaire".

- un engagement de confidentialité sur le protocole et ses modalités d'application (études, documents...).

Les négociations se sont poursuivies jusqu'à la fin de l'année 1991 et le 6 janvier 1992, le SMTC a retenu l'offre de Saturg pour un montant de travaux de 570 MF, l'avenant n° 4 au contrat de concession du 23 septembre 1988 étant signé le 1er juin suivant.

Dès le 21 février 1992, le conseil de direction de la société Saturg a fixé le capital de la future société concessionnaire des travaux d'extension, jetant les bases de la création de Saturg 2000, société anonyme dont la composition, l'objet et le mode de fonctionnement étaient presque identiques, seule la société Merlin Gérin s'étant retirée du groupement.

Le 13 novembre 1992, l'avenant de transfert de la concession des travaux d'extension à Saturg 2000 a été signé.

L'acte d'engagement des travaux a été signé le 3 mars 1993, pour un prix global de 570 MF (valeur mai 1991). Les travaux étaient divisés en trois lots répartis différemment par rapport au protocole de 1990 et correspondant aux groupements infrastructures (56,21 %), équipements (31,96 %), et ingénierie (11,83 %).

En septembre 1993, la chambre régionale des comptes de Rhône-Alpes a sollicité du SMTC plusieurs modifications du montage financier retenu, estimant qu'il entraînait des surcoûts pour la collectivité.

Par délibération du 28 février 1994, le comité syndical a adopté l'avenant n° 1 au contrat de concession avec la société Saturg 2000, le coût de l'opération se montant à 581,7 MF, rabais compris, et le projet prenant en considération les améliorations juridiques et financières demandées par la chambre régionale des comptes.

Le 17 mars 1994, Saturg 2000 a confié à un groupement momentané de sous-groupements conjoints, chacun constitué d'entreprises solidaires, la construction et l'équipement des ouvrages et installations de l'extension du réseau de tramway de Grenoble. Cette convention définissait les conditions dans lesquelles les membres collaboraient pour l'exécution du marché :

- le groupement "infrastructures" obtenait 56,5 % des travaux, soit 328,7 MF HT ;

- le groupement "équipements", 30,2 % des travaux, soit 175,8 MF HT ;

- le groupement "ingénierie", 13,2 % des travaux, soit 77,2 MF HT.

Par des protocoles séparés, passés en 1993 et 1994, les membres de chacun des trois groupements ont fixé les bases de leur collaboration pour la réalisation des travaux d'extension des deux premières lignes de tramway, en précisant la répartition des travaux entre eux.

Les travaux d'extension de la ligne A ont débuté en mars 1994 et celle-ci a été achevée en mars 1996. L'extension de la ligne B a été abandonnée.

LA COUR,

Vu le recours formé le 28 mai 2001 par le Ministre chargé de l'économie tendant à :

- juger que l'entente de répartition du marché relatif aux travaux d'extension des lignes A et B du tramway de Grenoble existait à une date non prescrite, soit après le 7 mars 1992,

- qualifier cette entente de répartition au regard de l'article L. 420-1 du code de commerce,

- prononcer, en application de l'article L. 464-2 du code de commerce, des sanctions pécuniaires envers les sociétés Saturg, Saturg 2000, EJL, Campenon Bernard, Screg Sud-Est, Sogea, Schneider Electric Industrie, Entreprise Industriellle, Ingerop, Semaly, Cogifer, Cogifer TF et Schneider Electric pour la mise en œuvre et leur participation à cette entente de répartition ;

Vu les observations du 29 octobre 2001 des sociétés Cogifer et Cogifer TF tendant à :

-in limine litis et à titre principal, confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a décidé que le conseil n'était pas compétent pour connaître de "la décision par laquelle une collectivité publique, d'une part, décide de recourir à une concession pour la réalisation d'un équipement collectif et, d'autre part, choisit les entreprises auxquelles elle confie cette concession ... " et

qu' "à la date du 6 janvier 1992, le SMTC a choisi de retenir la Société Saturg comme concessionnaire des travaux d'extension du réseau de tramway de l'agglomération grenobloise",

- et y ajoutant et substituant partiellement les motifs, dire et juger que le Conseil de la concurrence ne pouvait se déclarer compétent pour apprécier des comportements des entreprises défenderesses qui n'étaient que la conséquence de la décision souverainement adoptée par le SMTC ;

- à titre subsidiaire, constater que les faits sur lesquels le Ministre de l'économie fonde son recours sont prescrits ;

- au fond, à titre principal, confirmer la décision du Conseil de la concurrence en ce qu'elle a décidé qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre la procédure,

- dire et juger qu'aucun des moyens du Ministre chargé de l'économie venant à l'appui de son recours n'est fondé,

- en conséquence, rejeter son recours ;

- à titre infiniment subsidiaire, et dans l'hypothèse où la cour devrait faire droit à l'argumentation soutenue par le Ministre, dire et juger que le montant des sanctions proposées à l'encontre des sociétés Cogifer et Cogifer TF est manifestement excessif ;

Vu les observations du 29 octobre 2001 de la société Cegelec, anciennement dénommée Alstom Entreprise SA, tendant à :

- rejeter le recours du Ministre chargé de l'économie contre la décision du Conseil de la concurrence,

- confirmer ladite décision,

- condamner le Ministre chargé de l'économie au paiement d'une somme de 50 000 francs au titre de l'article 700 du NCPC ;

Vu les observations de la société Entreprise Industrielle du 29 octobre 2001 tendant à :

- dire et juger irrecevables et subsidiairement mal fondés les moyens soulevés par le Ministre chargé de l'économie au soutien de son recours et l'en débouter,

- confirmer cette décision dans toutes ses dispositions,

- condamner le Ministre chargé de l'économie à payer à l'Entreprise Industrielle la somme de 50 000 F (7 622,45 Euros) au titre des frais irrépétibles qu'elle s'est trouvée contrainte d'exposer pour assurer la défense de ses droits ;

Vu les observations du 29 octobre 2001 de la société Ingerop tendant à :

- rejeter les moyens développés par le Ministre chargé de l'économie à l'appui de son recours à l'encontre [de] la décision du Conseil de la concurrence,

- confirmer ladite décision ;

Vu les observations des 26 octobre 2001 et 16 novembre 2001 des sociétés Entreprise Jean Lefebvre, Sogea et Vinci Construction, anciennement dénommée Campenon Bernard, tendant à :

- "constater les spécificités du contexte factuel et juridique du présent cas d'espèce et en tenir compte pour son appréciation, puisque les faits reprochés aux sociétés découlent des décisions de la collectivité publique, le SMTC, pour les travaux d'extension des lignes A et B, et du double choix du mode juridique de la concession et du concessionnaire, le groupement des entreprises, réunies au sein de Saturg puis de Saturg 2000, et que ces faits ont un caractère officiel et transparent, qu'il s'agisse des délibérations et décisions du concédant, le SMTC, comme des comportements des entreprises, inhérents à la mise en œuvre de ces décisions" ;

- constater que tous les faits antérieurs au 7 mars 1992 sont prescrits et ne peuvent être invoqués pour contribuer à la qualification des faits postérieurs à cette date,

- constater que la décision d'attribuer au groupement d'entreprises réunies au sein de Saturg la concession des travaux d'extension des lignes A et B du tramway de Grenoble a été prise par le SMTC le 6 janvier 1992, soit avant le 7 mars 1992,

- dire que les faits et conventions postérieurs à cette décision du SMTC du 6 janvier 1992 procèdent de cette décision, et ne peuvent être qualifiés au sens des dispositions de l'article L. 420-1 du Code de Commerce,

- dire en conséquence que les faits litigieux sont prescrits et ne peuvent donc faire l'objet de poursuites ;

- constater que les faits reprochés aux sociétés procèdent des décisions du SMTC, soumises au contrôle de légalité, sans avoir été considérées comme illicites, et ne relevant pas de la compétence du Conseil de la concurrence et de la cour d'appel saisie sur recours contre les décisions de celui-ci,

- en tout état de cause, dire que les faits invoqués dans le cadre de son recours par le Ministre de l'économie ne sont pas susceptibles d'être qualifiés d'entente anticoncurrentielle, au sens de l'article L. 420-1 du code de commerce,

- en conséquence, rejeter le recours du Ministre de l'économie formé à l'encontre de la décision du Conseil de la concurrence ;

Vu les observations du 29 octobre 2001 des sociétés Saturg, Saturg 2000 et Screg Sud-Est tendant à :

- à titre principal, dire et juger irrecevables les demandes de sanction formulées par le Ministre de l'économie,

- à titre subsidiaire, dire et juger que la qualification d'entente doit être écartée,

- en conséquence, confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions,

- condamner le Ministre de l'économie à verser à chacune des concluantes une somme de 50 000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Vu les observations du 29 octobre 2001 des sociétés Schneider Electric SA venant aux droits de SPIE Batignolles et Schneider Electric Industries SA, venant aux droits de la société Merlin-Gérin, tendant a :

- à titre principal, constater la prescription des pratiques mises en cause et l'inapplicabilité du livre IV du Code de commerce,

- à titre subsidiaire, déclarer hors de cause la société Schneider Electric Industries SA au titre des pratiques,

- en tout état de cause, débouter le Ministre chargé de l'économie de l'ensemble de ses demandes,

- condamner le Ministre chargé de l'économie au paiement, à chacune d'elles, de la somme de 15 000 francs (2 286,73 euros), en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

Vu les observations des 29 octobre et 20 novembre 2001 de la société anonyme Semaly tendant à :

- rejeter le recours du Ministre de l'économie,

- confirmer la décision de non-lieu du Conseil de la concurrence ;

Vu les observations du 20 septembre 2001 du Conseil de la concurrence par lesquelles celui-ci remarque :

- que l'engagement des pourparlers entre la collectivité publique concédante et un groupement de sociétés pressenti pour être concessionnaire de même que les réunions entre les entreprises membres du groupement afin de préparer une offre destinée à la collectivité publique concédante ne peuvent être qualifiés de pratiques anticoncurrentielles, en l'absence d'éléments de preuve établissant que ces sociétés se sont regroupées délibérément pour porter atteinte à la concurrence ;

- qu'aucun élément du dossier ne permet d'apporter cette preuve, le regroupement des sociétés résultant de l'accord du 16 juillet 1990 et les concertations ultérieures constituant une réponse à une consultation antérieure du SMTC du 12 juillet 1990 ;

- que l'autorité concédante n'a pas été mise dans l'impossibilité de solliciter des offres concurrentes alternatives et qu'il n'a pas été démontré de disparition de la concurrence, en-dehors des entreprises du groupement Saturg ;

- qu'enfin, le recours à la procédure de la concession, dont le Conseil ne peut apprécier la légalité, cette décision n'étant pas un acte de production, de distribution ou de services, a pu conduire à des prix supérieurs à ceux résultant d'un appel d'offres mais qui sont le résultat de négociations entre la collectivité concédante et le groupement concessionnaire et ont fait l'objet de plusieurs rabais.

Vu les observations orales développées par le ministère public qui s'est interrogé sur la validité de la saisine ministérielle et a estimé que les pratiques anticoncurrentielles reprochées n'étaient pas caractérisées ;

Les sociétés défenderesses ayant été mises en mesure, à l'audience, de répliquer en dernier aux observations du Ministre et du ministère public ;

Sur ce,

SUR LA SAISINE MINISTERIELLE

Considérant que se fondant sur l'article L. 462-5 du code de commerce, les sociétés Jean Lefebvre, Saturg, Saturg 2000, Screg Sud-Est, Semaly, Sogea, Vinci Construction font valoir, au soutien de leur demande d'annulation de la décision du Conseil de la concurrence, que la saisine de cette autorité est irrégulière comme émanant du seul Ministre délégué aux finances et au commerce extérieur, lequel n'avait pas reçu délégation de pouvoir du Ministre de l'économie, n'a pas mentionné dans sa lettre l'existence de cette délégation et n'a pas agi dans le cadre de ses attributions ;

Considérant que l'article L. 462-5 du code de commerce dispose que le Conseil de la concurrence "peut être saisi par le Ministre chargé de l'économie de toute pratique mentionnée aux articles L. 420-1, L. 420-2 et L. 420-5. Il peut se saisir d'office ou être saisi par les entreprises ou, pour toute affaire qui concerne les intérêts dont ils ont la charge, par les organismes visés au deuxième alinéa de l'article L 466-1" ;

Considérant qu'il ressort de la décision déférée que le conseil a été saisi par lettre du 26 août 1996 du Ministre délégué aux finances et au commerce extérieur ; que la saisine du conseil telle qu'édictée par l'article susvisé est d'interprétation restrictive, la liste des personnes habilitées à saisir cette autorité étant limitative ; que, dès lors, il doit être démontré que le signataire de la lettre agissait en vertu d'une délégation de compétence du Ministre chargé de l'économie ;

Considérant que le décret n° 95-1248 du 28 novembre 1995 portant délégation par le Ministre de l'économie de certaines attributions au Ministre délégué aux finances et au commerce extérieur énonce, en son article premier, que "M. Yves Galland , Ministre délégué aux finances et au commerce extérieur, exerce les attributions qui lui sont confiées par le Ministre de l'économie et des finances relatives à la consommation, à la concurrence, aux marchés publics et au commerce extérieur.

Il préside des commissions et conseils compétents en matière de consommation et de concurrence.

Il assure la tutelle de l'Institut national de la consommation.

Il peut se voir confier par le Ministre de l'économie et des finances toutes missions ou représentation" ;

Considérant qu'il résulte de l'article 1er du décret sus-mentionné que le Ministre délégué aux finances et au commerce extérieur a reçu du Ministre de l'économie délégation pour exercer, outre la présidence des commissions et conseils compétents et toute mission ou représentation que celui-ci lui confierait en matière de concurrence, la totalité de ses attributions dans ce secteur ;

Que les dispositions du premier alinéa de l'article 1er, lesquelles sont expresses et précises, englobent la saisine par le Ministre délégué du Conseil de la concurrence; qu'en conséquence, la lettre du Ministre délégué aux finances et au commerce extérieur du 26 août 1996, enregistrée sous le numéro F 898, a valablement saisi le conseil puisqu'émanant d'une autorité qui était habilitée à procéder à une telle formalité, sans qu'il soit nécessaire qu'elle fasse expressément référence à cette délégation; que le moyen sera en conséquence écarté ;

SUR LA COMPETENCE

Considérant que les sociétés Entreprise Industrielle, Entreprise Jean Lefebvre, Sogea, Vinci Construction, Semaly, Cogifer et Cogifer TF, ces deux dernières in limine litis et à titre principal, font valoir que le conseil ne peut connaître des pratiques qui leur sont reprochées au motif que le choix du mode de dévolution d'un marché et celui des entreprises chargées de son exécution, lorsque la collectivité publique fait appel à la concession, ne relèvent pas de sa compétence ;

Mais considérant que, s'il est exact que la décision par laquelle une collectivité publique décide de recourir à une concession pour la réalisation d'un équipement collectif et choisit les entreprises auxquelles elle confie cette concession, n'est pas un acte de production, de distribution ou de services relevant de la compétence du Conseil de la concurrence, des concertations entre entreprises en vue de répondre à une demande d'un maître d'ouvrage relative à la réalisation des travaux peuvent constituer des pratiques détachables de la décision administrative d'attribution et sont susceptibles de tomber sous le coup des dispositions du livre IV du code de commerce; qu'en se refusant à apprécier la procédure de concession tout en acceptant d'examiner les concertations antérieures et postérieures à celle-ci, le Conseil a exactement fait le départ, dans sa décision, entre ce qui relevait du contrôle de légalité et ce qui ressortissait à sa compétence;

SUR LA PRESCRIPTION

Considérant que le Ministre de l'économie fait valoir que l'accord du 16 juillet 1990, intervenu en période prescrite, mais dont la mise en œuvre s'est poursuivie jusqu'à la signature du marché, le 1er juin 1992 et lors de la passation, en 1993 et 1994, des conventions de groupements momentanés d'entreprises, a produit, postérieurement au 7 mars 1992, durant la période de trois ans précédant la saisine du Conseil, des effets anticoncurrentiels qui doivent être sanctionnés ; que pour preuve de la continuité des pratiques reprochées, il invoque le fait que, bien avant le 16 juillet 1990, les entreprises se sont organisées pour discuter de la réalisation des travaux d'extension et les obtenir sous la forme d'une concession attribuée à Saturg ainsi que le révèlent notamment les comptes rendus du comité de direction (CODIR) des 15 décembre 1989 et 9 juillet 1990 et la délibération du 12 juillet 1990, rédigée par le conseil de Campenon Bernard et du groupement, par laquelle le SMTC a en réalité "accepté l'offre de Saturg", ce dont témoigne la réponse du Président du SMTC à la Chambre régionale des comptes ;

Qu'il souligne ensuite que l'accord du 16 juillet 1990, qui concrétise cette entente, loin de prendre fin au 30 juin 1991, a inspiré le comportement de Saturg entre le 30 juin 1991 et la signature de l'avenant de juin 1992 ainsi que les conventions passées pour son exécution en 1993 et 1994, lesquelles ont reconduit la grille de répartition des travaux en vigueur depuis le 8 décembre 1987 ;

Considérant que les entreprises défenderesses, pour s'inscrire en faux contre l'existence d'une pratique continue, soutiennent tout d'abord que les réunions du CODIR sus-mentionnées, tenues durant la période prescrite, ne peuvent être ni qualifiées ni sanctionnées et que le protocole du 16 juillet 1990 a cessé de produire ses effets le 30 juin 1991, aucun accord unanime des entreprises concernées n'étant intervenu pour le reconduire ; qu'elles prétendent ensuite que les pratiques reprochées n'ont pu se poursuivre durant la période non prescrite, par suite de la décision du 6 janvier 1992 du SMTC d'attribuer la concession à Saturg, qui, même si elle n'a été formalisée que le 1er juin suivant, a mis fin, dès ce moment, à toute concurrence en faisant disparaître le marché ; que, plus particulièrement, selon les sociétés Cegelec et Schneider Electric Industries, la démonstration du Ministre selon laquelle il y aurait eu tacite reconduction des termes de l'accord doit être écartée, le protocole d'accord ne fixant que la répartition du capital des sociétés membres du groupement de façon provisoire et la répartition des travaux étant différente ; que la société Schneider Industries SA, venant aux droits de la société Merlin Gérin, ajoute qu'elle s'était retirée du marché dès février 1992 et que les faits qui la concernent sont antérieurs au 7 mars 1992, donc couverts par la prescription ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 462-7 du code de commerce, "Le Conseil de la concurrence ne peut être saisi de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction" ;

Considérant d'une part, ainsi que l'a énoncé le conseil, que le premier acte interruptif de prescription étant constitué par un procès-verbal du 7 mars 1995, les faits antérieurs au 7 mars 1992 sont, en application du texte susvisé, prescrits ;que cependant, ils peuvent être évoqués pour la compréhension des pratiques postérieures à cette date, à la condition qu'ils ne soient ni qualifiés ni poursuivis et qu'il n'en soit pas tiré de conséquences quant à la gravité des faits ;

Que, d'autre part, si un accord de volontés intervenu en période prescrite a continué d'être appliqué durant la période de trois années précédant la saisine du Conseil, les effets anticoncurrentiels qui en sont résultés en temps non prescrit peuvent être sanctionnés ;

Considérant en l'espèce, que l'accord préliminaire du 16 juillet 1990, invoqué par le Ministre comme la source des pratiques observées durant la période non prescrite, prévoyait notamment en son article 8 qu'il prendrait fin "au plus tard, le 30 juin 1991, si à cette date, le SMTC n'a pas encore pris position, sauf accord unanime des entreprises soussignées pour le reconduire" ; qu'il résulte des faits précédemment exposés que, le SMTC ne s'étant prononcé qu'en fin d'année et que l'entreprise Merlin Gérin ayant fait part de son intention de se retirer du groupement dès novembre 1991, les conditions de résolution de l'accord étaient, dès cette époque, remplies ;

Que, si aucun document ne fait explicitement état de la cessation du contrat, la poursuite d'une entente tacite postérieurement à la date de son expiration n'est pas pour autant établie, le Ministre se bornant à relever que "l'analyse du comportement de la Saturg entre le 30 juin 1991 et jusqu'à la signature de l'avenant, le 1er juin 1992, démontre que son comportement a continué à être organisé autour de ce protocole de répartition", affirmation qui n'est étayée par aucun élément du dossier, et à invoquer la reconduction de la grille de répartition des travaux dans les accords passés postérieurement au 1er janvier 1992 ;

Or, considérant sur ce dernier point, que l'accord du 16 juillet 1990, qualifié de "préliminaire", se limitait à prévoir les conditions dans lesquelles les entreprises membres de la société concessionnaire pourraient réitérer leur coopération en fixant notamment la "répartition provisoire" des interventions de chaque groupement ; que, postérieurement à l'attribution de la concession à Saturg, le 6 janvier 1992, de nouveaux accords se référant expressément à cette convention, sont intervenus en 1993 et 1994, à la suite des négociations avec le SMTC et des observations de la chambre régionale des comptes ; qu'en particulier, l'acte d'engagement du 3 mars 1993 et l'avenant n° 1 au marché de travaux du 17 mars 1994 ont prévu des modalités nouvelles de répartition des interventions, s'élevant pour les groupements "infrastructures", "équipement" et "ingénierie", respectivement à 56,5%, 30,2 % et 13,2 %, contre 56 %, 34 % et 10 % en 1990 ;

D'où il suit qu'il n'est pas établi que les accords conclus durant la période non prescrite étaient la reconduction de l'accord préliminaire du 16 juillet 1990, dont les effets apparaissaient avoir cessé pour les raisons de droit et de fait précédemment exposées ;

Qu'à supposer qu'il puisse être retenu, ainsi que le soutient le Ministre chargé de l'économie, que, nonobstant les modifications juridiques et économiques ayant affecté ces contrats, les entreprises ont, au travers de Saturg puis de Saturg 2000, maintenu dans le temps une configuration du groupement similaire ainsi qu'une volonté de s'entendre sur la répartition des travaux selon des modalités intangibles, la preuve devrait être rapportée que ces comportements avaient un objet et des effets anticoncurrentiels ;

SUR LA QUALIFICATION DES PRATIQUES

Considérant que le Ministre fait valoir, au soutien de la qualification d'entente anticoncurrentielle, que les entreprises ont organisé entre elles une répartition du marché, préalable à la décision du SMTC de passer ce dernier, et renforcée par le jeu de la clause d'exclusivité ; qu'elles ont ainsi verrouillé le marché, supprimant toute forme de concurrence, avant que le SMTC ait décidé de la forme de dévolution de celui-ci ; que ces comportements ont entraîné, postérieurement à la signature de la concession, des effets anticoncurrentiels importants sur le niveau des prix qui n'ont pas fait l'objet d'études actualisées, les sociétés dégageant, au surplus, des marges supérieures à la moyenne, ainsi que la fermeture de l'accès au marché de l'extension des lignes de tramway à des sociétés consultées lors du lancement de la première ligne A et à la concurrence potentielle ;

Considérant que les sociétés défenderesses répliquent que les décisions du SMTC du 12 juillet 1990 de proposer la société Saturg comme candidat à la concession et du 6 janvier 1992 de la lui attribuer, soumises à des contrôles répétés et approfondis de légalité, ont fait disparaître toute concurrence et, postérieurement au 6 janvier 1992, tout marché, aucune pratique anticoncurrentielle ne pouvant naître d'une concession ; qu'elles soulignent encore que leurs comportements ont été déterminés par les choix de l'autorité concédante, la répartition des interventions au sein d'un regroupement souhaité et choisi par cette dernière ne pouvant être confondue avec une entente de répartition des marchés entre des entreprises se trouvant en situation de concurrence et que, dans ce cadre, les clauses d'exclusivité et de confidentialité étaient le corollaire de l'engagement des entreprises de travailler pour le SMTC en assurant le secret des études préalables au projet ; qu'elles relèvent, en outre, que le groupement n'épuisait pas la concurrence, l'autorité concédante étant libre de procéder par voie d'appels d'offres et de retenir d'autres entreprises ; qu'enfin, elles remarquent que les prix, qui ont fait l'objet de rabais, étaient compétitifs et ont, en toute hypothèse, été négociés avec le SMTC et acceptés par lui, leurs marges n'étant pas supérieures à la moyenne ;

Considérant en droit, que le contrat de concession est un contrat de gré à gré, librement négocié par la collectivité publique avec la personne physique ou morale de son choix ; que, dès lors, l'engagement de pourparlers entre la collectivité publique concédante et un groupement de sociétés pressenti pour être concessionnaire de même que les réunions entre entreprises membres du groupement afin de préparer une offre destinée à la collectivité publique ne constituent pas en elles-mêmes des ententes anticoncurrentielles, en l'absence d'éléments de preuve établissant que ces sociétés se sont regroupées pour porter atteinte à la concurrence ;

Considérant en l'espèce, que, le 12 juillet 1990, le SMTC a émis l'intention d'attribuer la concession à Saturg et l'a invité à lui remettre une proposition d'avenant à la convention du 23 septembre 1988 ; qu'en vue de répondre à cette demande, les entreprises ont, le 16 juillet 1990, formalisé les règles de leur coopération dans un accord préliminaire, inspiré de leur expérience passée, ce qui était souhaité par l'autorité concédante, désireuse de s'attacher la collaboration d'un groupement compétent ; que le 6 janvier 1992, le SMTC a retenu l'offre présentée par Saturg pour un prix global de 570 MF HT, l'avenant au contrat étant signé le 1er juin suivant ; qu'en suite de cette convention, ont été passés, en 1993 et 1994, par les entreprises associées de la société Saturg 2000, divers accords pour fixer les bases de leur coopération et répartir entre elles les différents travaux à réaliser ;

Considérant qu'il résulte des éléments qui précèdent que, d'une part, les concertations intervenues entre les associés de la société Saturg après le 12 juillet 1990, et notamment l'accord préliminaire du 16 juillet 1990, avaient pour objet de répondre à une demande expresse du SMTC d'élaborer une proposition de concession de travaux pour l'extension des lignes de tramway, étant observé que le procès-verbal du SMTC du 4 mars 1991 et les comptes rendus du CODIR des 15 décembre 1989 et 9 juillet 1990 - dont il est rappelé qu'ils ne peuvent être ni qualifiés ni sanctionnés - ne démentent nullement cette analyse, la preuve étant apportée de ce que l'initiative émanait déjà de l'autorité concédante qui, dès le mois d'avril 1988, puis au printemps 1990, s'était préoccupée des travaux d'extension, incitant le groupement d'entreprises à réfléchir à leur mise en œuvre ;

Que, dans ce cadre, ces sociétés, qui étaient consultées en leur qualité de membres du groupement, n'avaient pas d'autre choix que de répondre, dans la forme même du groupement, à la consultation du SMTC, et qu'elles l'ont fait selon des modalités proches de celles retenues pour la construction des lignes A et B, qui avaient assuré leur succès ;

Qu'il ne saurait être soutenu que, le groupement rassemblant un nombre important d'offreurs, avait été constitué pour supprimer la concurrence, de manière à "verrouiller le marché" avant sa dévolution ; qu'en effet, l'autorité concédante avait toute latitude pour solliciter des propositions alternatives à celles offertes par le groupement, en lançant des appels d'offres mettant en compétition les 217 entreprises qui s'étaient portées candidates lors de la construction de la ligne A ;

Que c'est donc à bon droit que, par application des principes sus-mentionnés, le conseil a décidé que ces comportements ne pouvaient constituer des pratiques anticoncurrentielles ;

Considérant d'autre part, que le choix fait, le 6 janvier 1992, par l'autorité concédante, de retenir la société Saturg puis la société Saturg 2000 comme concessionnaire pour l'exécution des travaux a été délibérément exercé par la collectivité en considération de la qualité des entreprises formant le groupement, de leur expérience acquise lors de la construction des lignes A et B et de leur capacité à mener à bien les projets dans le temps imparti ; qu'en conséquence, les modalités de réalisation des travaux, le prix du marché et la fermeture de l'accès au marché sont le fruit des négociations entre l'autorité concédante et le concessionnaire ; que, dans ces conditions, les accords incriminés, qu'ils procèdent ou non de l'accord préliminaire de 1990, ne pouvaient justifier qu'un grief d'entente prohibée, en vue de se répartir des marchés ou de fixer artificiellement des prix, soit retenu à l'encontre des entreprises mises en cause ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que c'est à bon droit que le Conseil a décidé de ne pas poursuivre la procédure ; que le recours du Ministre chargé de l'économie sera rejeté ;

Considérant que l'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; que les demandes des sociétés Cegelec, Entreprise Industrielle, Saturg, Saturg 2000, Screg Sud Est, Schneider Electric SA, et Schneider Electric Industries SA seront rejetées ;

Par ces motifs : Rejette le recours formé par le Ministre de l'économie contre la décision n° 01-D-16 du 24 avril 2001 du Conseil de la concurrence ; Rejette toutes autres demandes ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau de code de procédure civile et rejette les demandes formées à ce titre par les sociétés Cegelec, Entreprise Industrielle, Saturg, Saturg 2000, Screg Sud Est, Schneider Electric SA, et Schneider Electric Industries SA ; Laisse les dépens à la charge du Trésor Public ; Rejette la demande de la société Cegelec au titre de l'article 699 du nouveau code de procédure civile, la représentation n'étant pas obligatoire.