CA Paris, 1re ch. H, 2 avril 1999, n° ECOC9910103X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Champagne-Ardenne (GIP)
Défendeur :
Reims Bio (SARL), Agence française du sang
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Thin
Conseillers :
Mme Bregeon, M. Somny
Avoués :
SCP Teytaud, SCP Hardouin Herscovici
Avocats :
Mes Prouvost, Francis.
Créée le 7 mai 1998 pour exercer, aux termes de son inscription au registre du commerce et des sociétés, une activité de commerce de produits sanguins d'origine humaine, de réactifs, de tous produits d'immuno-hématologie et, plus généralement, le commerce de tout médicament et le conseil en pharmacie, la société à responsabilité limitée Reims Bio a signé, le même 7 mai 1998 puis le 2 octobre suivant, avec l'établissement de transfusion sanguine dénommé groupement d'intérêt public Champagne-Ardenne, deux conventions de fourniture de prélèvements sanguins à usage non thérapeutique destinés exclusivement à la préparation des réactifs pour la recherche ou le diagnostic. Le premier contrat vise l'exercice du 7 mai au 31 décembre 1998 tandis que le second précise concerner les prestations de ce même exercice 1998 et être conclu pour une période de trois ans à compter de la notification de l'agrément par l'Agence française du sang.
Faisant valoir que le GIP Champagne-Ardenne a cessé d'honorer ses commandes à partir du 9 novembre 1998 et livré directement au moins l'un de ses clients, la société Reims Bio a saisi le 4 décembre 1998 le Conseil de la concurrence (le conseil) sur le fondement des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 en lui demandant de prendre des mesures conservatoires.
Par décision n° 99-MC-03, le conseil a, sur cette demande de mesures conservatoires :
- enjoint au GIP Champagne-Ardenne de reprendre les livraisons à la SARL Reims Bio de matière première et de produits sanguins destinés à la fabrication de réactifs, sous réserve de l'approbation par l'Agence française du sang de la délibération par laquelle le conseil d'administration du GIP Champagne-Ardenne aura décidé la signature d'une convention avec ladite société applicable pour l'année 1999 ;
- dit que le GIP Champagne-Ardenne rendra compte au Conseil de la concurrence dans le délai d'un mois suivant la notification de la décision des conditions dans lesquelles l'injonction aura été exécutée.
Aux termes d'assignations délivrées le 5 mars 1999, le GIP Champagne-Ardenne a formé un recours tendant à la réformation de cette décision au motif qu'elle est inexécutable.
Le requérant expose que l'arrêt des livraisons résulte du refus de l'autorité de tutelle d'approuver a posteriori la convention du 2 octobre 1998 et que les livraisons ne pourront reprendre sans l'agrément préalable de l'Agence française du sang. Il ajoute que ce refus prive cette convention de toute existence juridique et qu'il serait illicite de l'exécuter puisqu'elle a été estimée contraire à une disposition d'ordre public par l'Agence française du sang.
Le GIP Champagne-Ardennne fait en outre grief à la décision déférée d'obliger les parties à conclure une convention pour une durée d'un an, en dépit de leur désaccord sur les quantités et le prix et de la nécessité d'obtenir l'approbation de l'autorité de tutelle.
Il en déduit que le conseil a été saisi d'une situation n'entrant pas dans le champ de sa compétence et prie la cour de rejeter la demande de mesures conservatoires.
Par conclusions signifiées le 10 mars 1999, l'Agence française du sang intervient volontairement en demandant à la cour de " faire droit à l'ensemble des conclusions présentées par le GIP Champagne-Ardenne ".
Elle précise que la mise en œuvre des pouvoirs que lui confèrent les articles 13-K et 14 du statut type des établissements de transfusion sanguine constitués sous forme de groupement d'intérêt public, annexé au décret n° 94-365 du 10 mai 1994, a permis à son président de refuser d'approuver les deux conventions signées par les parties de sorte que le directeur du GIP Champagne-Ardenne se trouvait en situation de compétence liée par ces décisions réglementaires, signifiées les 16 juillet et 23 octobre 1998.
Rappelant les principes éthiques posés par les articles L. 665-11, L. 666-1 et L. 667-5 du Code de la santé publique et soulignant que la société Reims Bio se borne à acheter des produits sanguins pour les revendre, car elle ne dispose d'aucune installation lui permettant de les transformer, l'intervenante indique son intention de s'opposer à ces activités purement commerciales.
La SARL Reims Bio, auteur de la saisine du conseil, soulève l'irrecevabilité du recours au motif qu'il n'est pas qualifié et conclut, au fond, à son mal-fondé.
La société défenderesse observe que le requérant détient un monopole régional de collecte des produits sanguins et qu'il est autorisé à produire et commercialiser des réactifs de laboratoire. Elle soutient qu'elle est victime d'un refus de vente dans un contexte concurrentiel tendant à l'éliminer alors qu'elle s'approvisionnait à 90 % auprès du GIP Champagne-Ardenne et qu'elle ne dispose d'aucune solution alternative. Elle prétend en outre que :
- la cession de produits sanguins destinés à des usages non thérapeutiques et notamment à l'élaboration de réactifs, relève des activités visées par l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
- les parties sont déjà liées par la convention du 2 octobre 1998 qui fixe les prix et les quantités cédées de sorte qu'il appartient au GIP Champagne-Ardenne d'accomplir les démarches administratives de nature à en assurer la conformité formelle avec les exigences de l'Agence française du sang.
La société Reims Bio fait valoir qu'elle ne peut durablement se passer des produits pour lesquels elle est agréée par ses clients et qu'elle est menacée dans son existence par l'arrêt des livraisons. Elle prie la cour de :
" - constater que, sous réserve de l'instruction au fond du dossier, les pratiques dénoncées sont de nature à entrer dans le champ d'application du titre II de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
" - dire que le conseil est resté dans les limites de sa compétence en s'abstenant de tout empiétement dans les attributions de la juridiction administrative comme de toute intervention dans le domaine exclusif de l'Agence française du sang ;
" - dire que les parties restent tenues par les dispositions du contrat qu'elles ont signées le 2 octobre 1998 ;
" - confirmer la décision du conseil ;
" - condamner le GIP Champagne-Ardenne à lui payer la somme de 20 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. "
Le GIP Champagne-Ardenne, après avoir réitéré et développé ses moyens dans ses écritures signifiées le 10 mars 1999 en réponse à celles de la société défenderesse, sollicite la condamnation de cette dernière à lui verser la somme de " 20 000 F de dommages-intérêts sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile " ainsi que sa condamnation aux dépens avec l'admission de son avoué au bénéfice des dispositions de l'article 699 du même Code.
Le Conseil de la concurrence a indiqué, par lettre du 10 mars 1999, qu'il n'entendait pas user de la faculté de déposer des observations écrites.
Le ministre de l'économie et des finances s'en est rapporté oralement à l'audience à la sagesse de la cour.
Le ministère public a présenté à l'audience des observations orales tendant à la réformation de la décision.
Le requérant et la société défenderesse ont pu répliquer, à l'audience, à l'ensemble des observations écrites et orales ;
Sur ce, LA COUR :
Considérant que, contrairement à ce qu'affirme la société Reims Bio, le GIP Champagne-Ardenne a indiqué l'objet de son recours, puisqu'aux termes mêmes de son assignation, il sollicite la réformation de la décision déférée ; que ce recours est, dès lors, recevable ;
Considérant que l'Agence française du sang, qui n'était pas partie en cause devant le conseil, intervient volontairement pour rappeler les principes régissant les cessions de produits sanguins ; que son intervention doit être reçue dans la mesure où elle appuie, à titre accessoire, les prétentions du requérant, aux fins d'assurer la conservation de ses propres droits ainsi que le prévoit l'article 330 du nouveau Code de procédure civile ;
Considérant que la société Reims Bio n'exerce aucun recours contre la décision du conseil ; qu'elle n'est, dès lors, pas recevable à demander à la cour de dire, sur le fondement de l'article 1134 du Code civil, que les parties restent tenues par les dispositions du contrat qu'elles ont signées le 2 octobre 1998 ;
Considérant qu'aux termes de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 les mesures conservatoires peuvent comporter la suspension de la pratique concernée ainsi qu'une injonction aux parties de revenir à l'état antérieur mais doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence ;
Considérant, en l'espèce, que le GIP Champagne-Ardenne, établissement de transfusion sanguine, se trouve placé sous le contrôle de l'Agence française du sang, elle-même placée sous la tutelle du ministre chargé de la santé ;
Que les parties conviennent que les conventions de cession de produits sanguins à des fins non thérapeutiques sont soumises à l'approbation de l'Agence française du sang ; que le président de cette dernière a refusé d'approuver les deux conventions successivement signées par les parties et que la société Reims Bio a saisi le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'un recours pour excès de pouvoir ;
Considérant que les livraisons de produits sanguins ne pourront reprendre sans l'autorisation du président de l'Agence française du sang et qu'un nouveau contrat ne pourra prendre effet sans cette autorisation;
Que les mesures décidées par le conseil, en ce qu'elles sont subordonnées à la décision d'une autorité tierce, n'entrent pas dans le champ des prévisions de l'article 12 précité ; qu'il s'ensuit que la décision déférée doit être réformée ;
Considérant que la nécessité de l'obtention de l'accord préalable de l'autorité de tutelle ne permet pas de prendre les mesure conservatoires demandées par la société Reims Bio, de sorte qu'elle doit être déboutée de cette prétention ;
Considérant que l'équité ne commande pas l'attribution de sommes au titre des frais non compris dans les dépens ;
Considérant que le ministère d'avoué n'est pas obligatoire dans le cadre de la présente procédure ; qu'il en résulte que l'avoué du requérant ne peut exercer contre la partie condamnée aux dépens le droit de recouvrement direct prévu par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile,
Par ces motifs : Dit le recours recevable ; Reçoit l'Agence française du sang en son intervention ; Réforme la décision entreprise et, statuant à nouveau : Rejette la demande de mesures conservatoires présentée par la société Reims Bio ; Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires ; Condamne la société Reims Bio aux dépens.