Conseil Conc., 15 décembre 1999, n° 99-MC-09
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Demande de mesures conservatoires présentée par la société Energie de Bigorre concernant les pratiques mises en œuvre par EDF
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport oral de Mme Rocheteau-Weber, par Mme Hagelsteen, présidente, MM. Cortesse, Jenny, vice-présidents.
Le conseil de la concurrence (commission permanente),
Vu la lettre enregistrée le 27 octobre 1998 sous les numéros F 1092 et M 227, par laquelle la société à responsabilité limitée Energie de Bigorre a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par l'établissement public Electricité de France (ci-après EDF), qu'elle estime anticoncurrentielles, et a sollicité le prononcé de mesures conservatoires; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application; Vu la décision n° 99-D-02 du 12 janvier 1999; Vu l'arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 14 septembre 1999; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement et les sociétés Energie de Bigorre et EDF; Vu les autres pièces du dossier; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement, les sociétés Energie de Bigorre et EDF entendus; Après en avoir délibéré hors la présence du rapporteur et du rapporteur général adjoint;
Considérant que, par un arrêt du 14 septembre 1999 auquel il est expressément référé pour l'énoncé des faits et de la procédure antérieure, la Cour d'appel de Paris a annulé la décision n° 99-D-02 du 12 janvier 1999, déclaré recevable la saisine de la société Energie de Bigorre et renvoyé l'affaire pour instruction devant le conseil afin que celui-ci apprécie si les conditions nécessaires à la prise de mesures conservatoires sont réunies;
Considérant qu'au soutien de sa décision, la cour retient, d'une part, que la société Energie de Bigorre est en droit de prétendre au bénéfice d'un contrat d'achat adapté pour permettre la rémunération effective des capitaux engagés pour l'exploitation de la centrale thermique à gaz de Tournay et, d'autre part, qu'il n'est pas établi que la signature du contrat type dit" contrat dispatchable pour les diesels de pointe"satisferait à cette condition, notamment au regard du fait que les coûts d'une centrale fonctionnant au gaz sont supérieurs à ceux d'une centrale fonctionnant au fuel; qu'elle en déduit que, dans ces circonstances, il ne peut être exclu que les pratiques reprochées à EDF soient constitutives d'un abus de la position dominante que l'établissement public occupe sur le marché de l'électricité et que, dès lors, il ne saurait être retenu que les faits invoqués n'entrent pas dans le champ de la compétence du conseil ou ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants;
Considérant qu'il résulte des documents comptables produits par Energie de Bigorre que le résultat courant avant impôt de l'entreprise, largement positif à l'issue de la première année d'exploitation, est devenu déficitaire au cours de l'exercice 1996-97; que ce déficit, qui était égal à 219 000 F la première année, est passé à 612 000 F en 1997-98, pour atteindre 2 235 000 F lors du dernier exercice clos 1998-99; que, s'il n'est pas contesté que ce résultat soit en partie imputable à un arrêt momentané de la centrale pour cause de travaux, Energie de Bigorre soutient que, si cette circonstance n'avait pas eu lieu, les pratiques tarifaires d'EDF auraient conduit à un déficit de l'ordre de 850 000 F; qu'en outre, il résulte des courriers versés aux débats qu'en raison de l'arrêt prolongé de l'activité de la centrale thermique découlant du présent litige, la société GSO, filiale de Gaz de France et fournisseur exclusif d'Energie de Bigorre, a décidé de démanteler le poste de livraison du gaz à la centrale; que, de surcroît, EDF a récemment appliqué à la société Energie de Bigorrre les pénalités contractuelles prévues dès lors que cette société a été dans l'incapacité de répondre aux appels d'énergie qui lui étaient adressés; que, toutefois, en séance, EDF a reconnu que cette imputation de pénalités provenait d'une erreur administrative qui allait être rectifiée;
Considérant que les pratiques dénoncées portent une atteinte grave et immédiate aux intérêts de la société Energie de Bigorre; qu'elles trouvent leur origine dans la baisse progressive des tarifs d'achat engagée dès 1997 à l'égard des producteurs autonomes d'énergie de pointe, dans la mesure où cette baisse n'a pas été accompagnée de la part d'EDF à l'égard d'Energie de Bigorre, des adaptations contractuelles permettant de maintenir la rentabilité des installations de la centrale de Tournay à laquelle elle pouvait légitimement prétendre;
Considérant, à cet égard, qu'en séance, EDF a indiqué avoir appris récemment que le contrat liant GSO et Energie de Bigorre prévoyait le versement d'une prime fixe, laquelle n'est pas exigée par d'autres fournisseurs de gaz et constitue l'un des obstacles à la rentabilité de l'installation; qu'EDF a reconnu ne pas avoir tenu compte de ce facteur dans les propositions déjà faites à Energie de Bigorre, qui, dès lors, ne pouvaient permettre d'atteindre l'objectif recherché; qu'elle s'est toutefois déclarée prête à faire de nouvelles propositions intégrant cet élément;
Considérant qu'en vertu de l'article 12 de l'ordonnance susvisée, les mesures conservatoires peuvent comporter une injonction aux parties de revenir à l'état antérieur ; que la société Energie de Bigorre et le commissaire du Gouvernement s'en sont remis au conseil pour le prononcé de la mesure adéquate ;
Considérant que, dans son arrêt, la cour d'appel a énoncé que" la société Energie de Bigorre est en droit de prétendre au bénéfice d'un contrat conclu selon les conditions prévues dans le contrat d'entreprise"; que ce contrat prévoit que :" Les relations d'EDF avec les producteurs indépendants s'établissent sur la base de contrats d'achat dans la durée, basée sur les coûts de développement évités au système d'électricité. Des contrats-types seront approuvés par les pouvoirs publics dans les meilleurs délais. Les producteurs indépendants ayant réalisé, avant le début du présent contrat, un investissement dont la rentabilité se trouverait compromise du fait de l'évolution des tarifs d'achat qui diminuent, comme les tarifs de vente, se verront proposer dès que possible un contrat d'achat du type défini précédemment, adapté pour permettre une rémunération satisfaisante des capitaux engagés";
Considérant quedans les circonstances de l'espèce, et afin de permettre à Energie de Bigorre de revenir à l'état antérieur aux pratiques d'EDF qu'elle dénonce, il y a lieu d'enjoindre à EDF de proposer à la société Energie de Bigorre le versement, jusqu'à l'intervention de la décision au fond, d'une compensation permettant à cette dernière de retrouver, à fonctionnement inchangé et compte tenu de l'évolution des tarifs, une rémunération équivalente à celle initialement prévue au contrat,
Décide :
Article unique : - Dans l'attente d'une décision au fond, il est enjoint à Electricité de France de proposer à la société Energie de Bigorre, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente décision, la modification de l'actuel contrat d'achat liant les parties, en vue d'y inclure un dispositif de compensation de la baisse des tarifs d'achat d'électricité qui permette à Energie de Bigorre, compte tenu de l'évolution de ces tarifs et à fonctionnement inchangé, de retrouver des conditions de rémunération équivalentes à celles initialement prévues au contrat.