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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 9 février 1999, n° ECOC9910036X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

More Group France (SA)

Défendeur :

Decaux (SA), JC Decaux (Sté), Decaux Publicité Extérieure (Sté), Régie Publicitaire du Mobilier Urbain (Sté), SEMUP (Sté), SOMUPI (Sté), SOPACT (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Conseillers :

Mme Riffault, M. Le Dauphin

Avoués :

SCP Valdelièvre-Garnier, SCP Duboscq-Pellerin

Avocats :

Mes Gunther, Blazy.

CA Paris n° ECOC9910036X

9 février 1999

La société More Group France (ci-après la société More SA), filiale de la société de droit anglais More Group Plc, est spécialisée dans le domaine de la publicité extérieure, sur panneaux et mobilier urbain.

En juillet 1997, la société More SA a remporté l'appel d'offres relatif au marché de fourniture de mobilier urbain, notamment de mobilier urbain publicitaire, de la ville de Rennes et du district de l'agglomération rennaise, précédemment exploité par le Groupe Decaux.

Soutenant que le Groupe Decaux, auquel appartiennent les sociétés JC Decaux, Decaux SA, DPE, RPMU, SEMUP, SOMUPI et SOPACT, en position dominante sur le marché national de la fourniture de mobilier urbain publicitaire, avait mis en œuvre tant sur ce marché que sur ceux, connexes, de la location d'emplacements privés et de la publicité extérieure, en vue de l'évincer du secteur du mobilier urbain publicitaire en France, des pratiques constitutives d'abus de position dominante, la société More SA a saisi le Conseil de la concurrence desdites pratiques et demandé, sur le fondement de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, qu'il soit fait injonction aux sociétés du Groupe Decaux, d'une part, de renoncer à formuler une offre de prestation consistant à coupler, au plan national, l'espace publicitaire proposé sur le mobilier urbain avec celui reposant sur des emplacements privés, d'autre part, de ne pas pratiquer sur l'offre d'espaces publicitaires implantés sur des emplacements privés des prix ne couvrant pas le coût réel de celle-ci.

Par décision n° 98-MC-12 du 17 novembre 1998, le Conseil de la concurrence, après avoir estimé qu'au stade actuel de la procédure, et sous réserve de l'instruction au fond, il ne pouvait être exclu que les pratiques dénoncées par la société More SA entraient dans le champ d'application des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et des articles 85 et 86 du traité de Rome, a rejeté la demande de mesures conservatoires.

Par assignations du 13 janvier 1999, la société More SA a formé un recours contre cette décision.

Elle demande à la cour, à titre principal, de réformer la décision susvisée et de faire injonction au Groupe Decaux :

-de distinguer dans ses tarifs et conditions de vente en 8 m2 le prix d'une face publicitaire sur mobilier urbain et celui d'une face publicitaire sur un panneau implanté sur des propriétés privées ;

-de cesser d'imposer aux annonceurs la vente liée de ses espaces publicitaires sur des emplacements privés en 8 m2 avec ses espaces publicitaires sur mobilier urbain ;

-dans toutes les villes où le Groupe Decaux viendrait à perdre, en tout ou en partie, la concession du mobilier urbain publicitaire, et notamment pour Rennes, d'offrir aux annonceurs un tarif distinct pour la vente d'espaces publicitaires sur emplacements privés ;

-de cesser de pratiquer des prix prédateurs sur l'offre d'espaces publicitaires figurant sur des panneaux en 8 m2 situés des emplacements privés.

A titre subsidiaire, la société requérante demande à la cour d'annuler la décision déférée.

Elle demande, en outre, l'allocation de la somme de 250 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

A l'appui de ces prétentions, la société More SA expose que, pour parvenir à son objectif, qui est d'entraver l'exploitation économique de la concession du mobilier urbain publicitaire de la ville de Rennes, qu'il a perdue, le Groupe Decaux propose aux annonceurs une offre nationale ou régionale, mais pas ville par ville, de sorte qu'un annonceur effectuant une campagne ne peut pas choisir de ne pas afficher sur les emplacements privés du Groupe Decaux et que si ledit annonceur souhaite communiquer sur du mobilier urbain publicitaire à Rennes (ou demain dans toute autre ville dans le même cas), il doit s'adresser à More SA mais sans pour autant pouvoir éviter de payer pour les emplacements privés en format 8 m2 du Groupe Decaux, lequel pratique donc une vente liée entre ses espaces publicitaires sur du mobilier urbain et ceux sur des emplacements privés.

Elle ajoute que le Groupe Decaux développe son réseau d'emplacements privés en format 8 m2, à Rennes et dans d'autres villes, anticipant ainsi sur les appels d'offres que d'autres collectivités vont lancer, en accordant aux bailleurs des loyers d'un montant très supérieur à la moyenne pratiquée par la profession ; que cette pratique lui permet de se constituer, au prix fort, un réseau alternatif d'emplacements publicitaires privés vendus à l'annonceur de façon indivisible avec son parc de mobilier urbain, et ce grâce aux revenus que lui procure sa position largement dominante sur ce dernier marché.

Elle relève encore que le Groupe Decaux s'abstient de répercuter sur les annonceurs le prix de revient nécessairement plus élevé de ses emplacements privés, commercialisant à des prix identiques la vente d'une face publicitaire sur du mobilier urbain et celle sur des panneaux privés ; que le caractère identique de ces tarifs est clairement " prédateur " dès lors que le mobilier urbain publicitaire est, dans la quasi-totalité des villes, installé gratuitement par le Groupe Decaux et que le matériel est amorti tandis que, s'agissant des emplacements privés, les panneaux sont loués à des prix excessivement élevés, doivent être amortis sur une durée plus courte, impliquent des coûts spécifiques (consommation d'électricité, taxe sur l'affichage) et que, de surcroît, le changement de format effectué au profit de certains annonceurs afin de pouvoir afficher sur le format 8 m2, au lieu du format 2 m2 utilisé partout ailleurs en mobilier urbain, représente un coût financier non négligeable absorbé par le Groupe Decaux.

La société More SA soutient que c'est à tort que le Conseil de la concurrence a considéré que ces pratiques, observées sur le marché de la location d'emplacements privés et sur celui de la publicité extérieure et constitutives, selon elle, d'abus de position dominante imputables au Groupe Decaux, ne portaient pas une atteinte grave et immédiate à ses intérêts et à ceux du secteur intéressé.

L'atteinte grave et immédiate à ses intérêts résulte, selon la requérante, des lourds dommages subis par ADSHEL, division de More SA, active dans le secteur du mobilier urbain publicitaire, en raison, d'une part, des investissements réalisés dans la ville de Rennes, d'autre part, du manque à gagner lié à la perte de clients imputable aux pratiques prédatrices du Groupe Decaux et, in fine, des répercussions durables de ce manque à gagner sur la capacité concurrentielle de More SA et sur le niveau des offres que celle-ci pourrait déposer auprès des collectivités locales qui ont ou vont lancer un appel d'offres pour le renouvellement de leur parc de mobilier urbain.

Quant à l'atteinte grave et immédiate au secteur, elle résulte, selon la société More SA, de ce que les pratiques du Groupe Decaux sont de toute évidence de nature, d'une part, à dissuader les opérateurs du secteur de participer aux appels d'offres, comme le confirment les exemples récents des appels d'offres de la ville de Tours et du district de Montpellier qui n'ont attiré qu'un nombre très limité d'opérateurs, et, d'autre part, à dissuader les collectivités locales de donner son plein et entier effet à la décision du Conseil de la concurrence du 7 juillet 1998 relative à des pratiques relevées dans le secteur du mobilier urbain dès lors qu'il serait avéré que le Groupe Decaux, opérateur historique, serait capable, par un dysfonctionnement du marché, de détourner de la clientèle potentielle de ses concurrents, de contrôler directement ou indirectement ledit marché et qu'il serait alors fort risqué pour une collectivité locale de s'adresser à un nouvel opérateur.

La société More SA fait aussi oberver qu'en dernier lieu, et compte tenu de l'absence de concurrence, les consommateurs sont privés du bénéfice d'un mobilier urbain nouveau et innovant, mieux adapté à chaque ville, alors que l'offre du Groupe Decaux est restée fondamentalement la même depuis de longues années.

La requérante fait enfin valoir que, contrairement à ce qu'a estimé le Conseil de la concurrence, les mesures conservatoires demandées sont de nature à remédier aux difficultés qu'elle rencontre à la suite des agissements du Groupe Decaux.

Elle relève, à cet égard, que dès lors que c'est par un artifice perturbateur du marché que Decaux maintient des conditions de prix identiques pour les espaces publicitaires sur mobilier urbain et ceux sur emplacements privés, tenus à tort pour substituables par le conseil, la distinction de ces réseaux dans les tarifs du Groupe Decaux lui permettrait de proposer à un annonceur son offre sur du mobilier urbain, offre que ce dernier pourrait alors comparer avec celle sur emplacements privés du Groupe Decaux, tandis qu'aujourd'hui l'annonceur ne peut éviter d'acheter les emplacements privés du Groupe Decaux même, comme c'est le cas à Rennes, lorsque celui-ci n'est plus titulaire de la concession de mobilier urbain publicitaire.

S'agissant de la demande tendant à ce qu'il soit fait injonction au Groupe Decaux de ne pas pratiquer sur l'offre d'espaces publicitaires privés des prix ne couvrant pas le coût réel de celle-ci, la société More SA souligne que cette pratique est à l'origine de ses difficultés, comme en témoigne le comportement de certains annonceurs qui ont effectué des campagnes nationales d'affichage sur abris et planimètres du réseau Decaux, en étant contraints de s'abstenir de retenir la ville de Rennes dans leur plan de communication, et ce sans raison objective et contrairement à leurs intérêts, cette ville étant la dixième de France par sa population, laquelle présente des caractéristiques sociologiques très intéressantes.

Les sociétés du Groupe Decaux demandent, de leur côté, à la cour de rejeter les demandes de réformation et d'annulation présentées par la société More SA et de condamner celle-ci à payer, à la société JC Decaux la somme de 150 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux sociétés Decaux SA, DPE, RPMU, SOPACT, SEMUP et SOMUPI la somme de 20 000 F sur le même fondement.

Elles font essentiellement valoir :

-que les allégations de la société More SA quant à de prétendues offres de prix excessifs aux bailleurs privés ne s'appuient sur aucun élément sérieux et probant ;

-qu'aucun élément ne permet d'établir que le Groupe Decaux vende les espaces publicitaires des panneaux de 8 m2 à Rennes à un prix inférieur au coût variable de ces mêmes panneaux, lesquels génèrent un chiffre d'affaires bien supérieur à celui obtenu à partir du mobilier urbain puisque les trois faces publicitaires qu'ils comportent peuvent toutes être commercialisées ;

-qu'au surplus il ne peut lui être reproché d'avoir pratiqué à Rennes une politique de prix sélective puisque sa politique tarifaire revêt un caractère national ;

-qu'aucune exclusion des réseaux d'affichage de la société More SA à Rennes, de la part des annonceurs, ne peut être imputée à une pratique du Groupe Decaux ; que la société requérante se plaint en réalité d'une concurrence sur le marché de la publicité extérieure entre les mobiliers urbains, d'une part, et les supports implantés sur des propriétés privées, d'autre part, et méconnaît le fait, relevé par le Conseil de la concurrence, que, pour un annonceur, l'affichage sur le mobilier urbain ou sur un emplacement privé est parfaitement substituable, le régime de la propriété étant totalement indifférent à l'objectif publicitaire poursuivi, étant au surplus observé que les emplacements que le Groupe Decaux a loué, à Rennes, à des bailleurs privés se situent en ville et non dans sa périphérie ;

-qu'il est nullement justifié d'une atteinte grave et immédiate à la société More SA en relation avec les pratiques alléguées ; que les difficultés invoquées par référence à des résultats prévisionnels calqués, en méconnaissance de la réalité du marché, sur ceux réalisés à Rennes par le Groupe Decaux, n'affectent pas la situation de l'entreprise, appréciée globalement ;

-que l'existence d'une atteinte grave et immédiate au secteur intéressé n'est pas davantage établie, les développements de la société More SA, qui procède par voie d'affirmations, tendant simplement à établir l'éventualité d'une atteinte potentielle audit secteur ;

-qu'en tout état de cause, les mesures sollicitées ne répondent nullement aux exigences d'adéquation et de proportionnalité requises pour le prononcé de mesures conservatoires.

Le Conseil de la concurrence fait observer qu'il n'a pas disposé d'éléments suffisants pour apprécier un éventuel danger grave et immédiat associé à la pratique de prédation alléguée devant lui et que, par ailleurs, l'identité de tarifs des espaces publicitaires sur mobilier urbain et supports privés ne saurait constituer à elle seule la démonstration d'un prix prédateur.

Le commissaire du Gouvernement a développé des conclusions tendant à l'accueil de la demande de mesures conservatoires formée par la société More SA ;

Sur ce, LA COUR :

Sur la demande de réformation de la décision du conseil :

Considérant qu'il est constant que le groupe d'entreprises formé par la société Decaux SA et ses filiales occupe une position dominante sur le marché national de la fourniture aux collectivités locales de mobilier urbain publicitaire ; qu'il est, en effet, présent en France, par ses équipements urbains, dans la quasi-totalité des villes de plus de 100 000 habitants et dans plus de 80 % des villes de 30 000 habitants ; que si les pratiques dénoncées par la requérante à l'appui de son recours se situent sur le marché de la publicité extérieure, lequel englobe celui de la publicité sur mobilier urbain, et sur le marché de la location d'emplacements publicitaires implantés sur des propriétés privées, marchés sur lesquels le Groupe Decaux n'est pas en position dominante, il existe, ainsi que l'a relevé le conseil, des liens de connexité étroits entre ces différents marchés ;

Considérant que la société More SA soutient que le Groupe Decaux met en œuvre, au moyen d'une exploitation abusive de sa position dominante sur le marché de la fourniture aux collectivités locales d'équipements publicitaires, une stratégie visant à l'évincer dudit marché ; qu'elle fait état d'une pratique d'offres aux bailleurs privés d'emplacements en format 8 m2 de prix partiellement élevés, en vue de détourner les annonceurs de son réseau de mobilier urbain publicitaire de même format, d'une pratique de vente d'espaces publicitaires en 8 m2 à des prix prédateurs en l'absence de répercussion sur les annonceurs du véritable coût de revient des panneaux sur emplacements privés, nécessairement plus élevé que celui des faces publicitaires sur mobilier urbain, et d'une pratique de vente liée lors de la commercialisation par le Groupe Decaux de son mobilier urbain publicitaire et de ses emplacements publicitaires privés ;

Considérant qu'il ne peut être exclu, en l'état des éléments soumis à l'appréciation de la cour, que les pratiques alléguées par la société More SA entrent dans le champ d'application des dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et, éventuellement, de l'article 86 du traité de Rome ;

Considérant, cependant, qu'il résulte de l'article 12 de l'ordonnance précitée que le prononcé de mesures conservatoires ne peut intervenir que si les pratiques dénoncées portent une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante ;

Que doit, dès lors, être constatée la réalité d'un dommage grave et actuel, directement en relation avec les pratiques incriminées ;

Considérant qu'il n'est pas prétendu que le comportement imputé au Groupe Decaux est de nature à porter atteinte à l'économie générale ; que l'atteinte aux intérêts des consommateurs n'est pas démontrée, ni d'ailleurs sérieusement alléguée ;

Que la société requérante affirme, en revanche, que les difficultés qu'elle rencontre sur le marché rennais en raison des pratiques qu'elle reproche au Groupe Decaux affectent gravement ses intérêts en même temps que ceux de son secteur d'activité ;

Considérant, en premier lieu, que la requérante invoque les " lourds dommages " subis par ADSHEL, " division de More SA active dans le secteur du mobilier urbain publicitaire " ; qu'elle précise que l'activité de ADSHEL à Rennes, qui aurait dû générer un chiffre d'affaires de 11,6 millions de francs en 1998, a dégagé en réalité un chiffre d'affaires de 8,9 millions de francs, ce qui la conduit à faire état d'une " perte " de 2,7 millions de francs en 1998, première année d'exécution du contrat conclu avec la ville de Rennes ;

Mais considérant que cette affirmation est dépourvue de pertinence dès lors que la " perte " alléguée ne résulte que de la comparaison des résultats obtenus avec un chiffre d'affaires prévisionnel établi, de surcroît, sur la base du taux d'occupation moyen des faces publicitaires du domaine public de la ville de Rennes réalisé par le Groupe Decaux, à la fin d'une longue période de concession; qu'il y a lieu, de plus, pour apprécier la situation de la société requérante, de prendre en considération les résultats enregistrés par cette société et non par l'une seulement de ses divisions commerciales; qu'il résulte, à cet égard, des pièces produites que More SA a réalisé au titre de l'exercice 1997 un chiffre d'affaires net de plus de 108 millions de francs; qu'en outre, cette société indique être passée récemment sous le contrôle de la société Clear Channel Communication désormais " leader mondial de la publicité extérieure " avec un " chiffre d'affaires de 5 milliards de francs dans le secteur de l'affichage "; qu'au demeurant, More SA relève elle-même, dans sa plainte du 24 septembre 1998, la " puissance de son actionnariat ", faisant ainsi ressortir que celui-ci sera en mesure de lui apporter un appui financier, si besoin était;

Considérant, en deuxième lieu, qu'eu égard à ces données, ainsi qu'aux autres éléments du dossier, il n'est pas établi que la capacité concurrentielle de la société requérante sur les marchés de référence soit sérieusement affectée; qu'en particulier, il n'est pas démontré que More SA est dans l'impossibilité de répondre utilement aux appels d'offres qui seraient prochainement organisés par des collectivités locales pour le renouvellement de leur mobilier urbain ou que sa position auprès des annonceurs est durablement compromise;

Considérant, en outre, que des facteurs autres que les pratiques anticoncurrentielles du Groupe Decaux, à les supposer établies, ont pu contribuer aux difficultés invoquées par la société requérante; qu'il y a lieu de relever, à cet égard, que l'offre de cette dernière, retenue par la ville de Rennes, comportait certaines spécificités propres à la rendre particulièrement attractive mais génératrices d'investissements non négligeables, telle la réalisation d'un " plan vélo " sur le territoire de la ville de Rennes, que l'implantation des nouveaux équipements, en remplacement des mobiliers de la société JC Decaux, a demandé un certain délai, comme en atteste la lettre d'un adjoint au maire de Rennes en date du 19 mars 1998 indiquant que ce remplacement était en cours de réalisation, et que la commercialisation des espaces publicitaires sur panneaux donne lieu, de la part de la société More SA comme de ses concurrents, à des pratiques de rabais révélatrices des difficultés rencontrées par ces opérateurs ainsi que d'une certaine opacité de prix réellement pratiqués ;

Considérant, encore, que la preuve n'est pas rapportée que la concurrence, laquelle ne peut se réduire à un aspect quantitatif, ait été réellement entravée à l'occasion des appels d'offres récemment organisés par des collectivités locales pour la passation de marchés de mise à disposition de mobilier urbain publicitaire, tels ceux lancés par les villes de Tours et de Montpellier, ou qu'elle le sera lors des prochains appels d'offres; qu'en l'état, le dérèglement allégué de l'activité du secteur intéressé du fait des pratiques imputées au Groupe Decaux, au préjudice de ses concurrents et des collectivités locales, ne revêt qu'un caractère éventuel ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il n'est pas établi que les pratiques dénoncées portent une atteinte grave et immédiate à l'économie du secteur du mobilier urbain non plus qu'aux intérêts de l'entreprise plaignante;

Considérant, au surplus, que les mesures conservatoires sollicitées ne pourraient avoir d'effet utile que dans la mesure où le Groupe Decaux se livre effectivement à une pratique de prix prédateurs en proposant aux annonceurs, sur le plan national, un tarif identique pour les faces publicitaires en 8 m2 sur mobilier urbain et pour celles de même format implantées sur des propriétés privées, nonobstant le fait que le coût de revient de ce second type d'espaces est supérieur au tarif qui leur est appliqué ;

Or considérant qu'en l'absence d'éléments d'information suffisamment précis et vérifiables sur les coûts variables moyens d'exploitation de ces deux types d'emplacements comme sur le niveau des prix pratiqués par l'ensemble des opérateurs sur le marché de la vente d'espaces publicitaires sur les supports de 8 m2 installés sur des propriétés privées, il n'est pas démontré que les mesures dont s'agit répondent à l'exigence de proportionnalité et d'adéquation à l'objectif poursuivi résultant des dispositions de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Qu'il s'ensuit que la demande de réformation de la décision déférée doit être rejetée ;

Sur la demande d'annulation de la décision du conseil :

Considérant que la société More SA ne formule aucun moyen au soutien de sa demande subsidiaire d'annulation de ladite décision ; qu'en conséquence, cette demande ne peut qu'être rejetée ;

Et considérant qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Par ces motifs : Rejette le recours formé par la société More Group France contre la décision n° 98-MC-12 du 17 novembre 1998 ; Rejette les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société More Group France aux dépens.