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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 13 décembre 2001, n° ECOC0100494X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Apprin Agglos (SA), Schwander Industries (SA), Marinier Matériaux (SA), Entreprises Rudigoz-Ser (Sté), Farel (SA), Gianre et Gaillard Industries (SA), Comasud (SA), Sofama (Sté), SAS Lafon (Sté), Etablissement Kilburg (Sté), DDF Beton (Sté), Entreprise Bernoux (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Kamara

Conseillers :

Mme Bregeon, M. Maunand

Avoués :

Me Kieffer-Joly, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Bernabe-Chardin-Cheviller, SCP Hardouin, SCP Narrat-Peytavi, SCP Garnier, SCP Jobin

Avocats :

Mes De Sainte Lorette, Vergier, Du Gardin, Arduin, Balazard Ancely, Cochet, Charpentier, Gascon-Retore, Senecaille, Durrleman, Mynard.

CA Paris n° ECOC0100494X

13 décembre 2001

Par lettre enregistrée le 21 décembre 1993, le ministre chargé de l'économie a saisi le Conseil de la concurrence (ci-après le Conseil) de pratiques mises en œuvre dans les secteurs de la production et de la distribution des produits en béton préfabriqués sur un territoire recouvrant la vallée du Rhône, du département de l'Ain jusqu'à Marseille, ainsi que les départements de l'Isère, de la Savoie au nord-est et de l'Hérault au sud-ouest.

Par décision n° 00-D-39 du 24 janvier 2001, rectifiée par décision n° 01-D-11 du 3 avril 2001 à l'égard de la société Gianre et Gaillard Industries, le Conseil de la concurrence a considéré que dix-sept entreprises s'étaient entendues sur plusieurs marchés géographiques différents afin de pratiquer des hausses de tarifs concertées, enfreignant les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce, et a prononcé des sanctions pécuniaires d'un montant s'échelonnant entre 35.000 F et 3.000.000 F.

La société Schwander Industries, la société des Entreprises Rudigoz, la société Apprin Aggios, la société Marinier Matériaux et la société Farel ont formé un recours principal tendant à l'annulation et, subsidiairement, à la réformation de la décision du 24 janvier 2001, la société Comasud a formé un recours incident visant à l'annulation de cette décision et la société Gianre et Gaillard Industries a déposé un recours principal aux fins d'annulation et, subsidiairement, de réformation de la décision rectificative du 3 avril 2001.

Sur quoi, LA COUR

Vu l'exposé des moyens déposé le 23 mars 2001 par la société Apprin Aggios au soutien de son recours, tendant à l'annulation de la décision rendue le 24 janvier 2001 et, à titre subsidiaire, à la fixation du montant de la sanction pécuniaire à 120.000 F ;

Vu l'exposé des moyens déposé le 28 mars 2001 par la société des Entreprises Rudigoz au soutien de son recours, visant à voir constater que la notification des griefs et le rapport sont entachés d'un vice substantiel en ce qu'ils n'ont pas été authentifiés par leur auteur, annuler en conséquence la décision du 24 janvier 2001 et, subsidiairement, réformer cette décision en ce qu'elle lui a infligé une sanction pécuniaire de 900.000 F et réduire notablement cette sanction ;

Vu l'exposé des moyens déposé le 28 mars 2001 par la société Farel, tendant à l'annulation de la décision du 24 janvier 2001 en ce qu'elle a estimé que l'entente était caractérisée par le seul fait de l'existence de réunions, alors que la hausse des prix a consisté en une application mécanique des tarifs imposés par les fabricants, et à sa réformation en ce qu'elle a prononcé une sanction retenant le chiffre d'affaires réalisé en 1999 ;

Vu l'exposé des moyens déposé le 3 avril 2001 par la société Comasud au soutien de son recours, sollicitant l'annulation de la décision du 24 janvier 2001 au motif que la concertation à laquelle elle a participé était licite et que la concomitance de l'augmentation de certains prix s'explique par la hausse des prix des fabricants ;

Vu l'exposé des moyens déposé le 25 mai 2001 par la société Schwander Industries au soutien de son recours, aux fins d'annulation de la décision du 24 janvier 2001 et, subsidiairement, de fixation de l'amende à 1.230 F ;

Vu l'exposé des moyens déposé le 28 juin 2001 par la société Marinier Matériaux au soutien de son recours, tendant à l'annulation de la décision du 24 janvier 2001 aux motifs qu'elle n'est pas l'auteur d'une entente ayant eu pour objet et pour effet la hausse du prix des agglomérés en béton, et, subsidiairement, à la réduction de la sanction au regard notamment de ce que le dommage causé à l'économie a été très faible, l'uniformisation de la hausse des prix ayant été de courte durée ;

Vu l'exposé des moyens déposé le 11 mai 2001 par la société Gianre et Gaillard Industries, visant à l'annulation des décisions des 24 janvier et 3 avril 2001, motif pris de la durée anormalement longue de la procédure, de la prescription triennale, et de ce qu'elle-même n'a commis aucune infraction aux dispositions de "l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986", et, subsidiairement, à la réduction de la sanction pécuniaire dans de très importantes proportions ;

Vu les conclusions de la société Kilburg déposées le 11 juillet 2001, tendant à la confirmation de la décision du Conseil du 24 janvier 2001 en ce qu'elle l'a mise hors de cause, subsidiairement à la constatation qu'elle n'a participé à aucune entente en vue d'opérer une hausse artificielle du prix des agglomérés, et à la condamnation de qui de droit à lui payer la somme de 15.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Vu les conclusions de la société Entreprise Bernoux en date du 11 juillet 2001 tendant à la confirmation de la décision du 24 janvier 2001 en toutes les dispositions la concernant, subsidiairement, à la constatation que la procédure est nulle par application de l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles 14, 15 et 16 du nouveau code de procédure civile et des articles 18 et 20 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et plus subsidiairement à la constatation que les griefs notifiés à son encontre sont infondés ;

Vu les conclusions de la société Sofama signifiées le 30 avril 2001 sollicitant la confirmation de la décision du 24 janvier 2001 en ce qu'elle a estimé que les griefs retenus contre elle devaient être abandonnés ;

Vu les conclusions de la société Proviba et de la société SAS Lafon en date respectivement du 2 mai 2001 et du 22 juin 2001 visant à la constatation du caractère définitif de la décision du 24 janvier 2001 à leur égard ;

Vu les conclusions de la société DDF Béton en date du 20 juillet 2001 tendant à la confirmation de la décision du 24 janvier 2001 ;

Vu les observations du ministre chargé de l'économie en date des 31 mai et 8 août 2001 tendant à la confirmation des décisions entreprises ;

Vu les observations écrites du Conseil déposées le 28 mai 2001 visant au rejet des recours ;

Vu les mémoires en réplique aux observations du Conseil et du ministre chargé de l'économie déposés par la société Marinier Matériaux et par la société des Entreprises Rudigoz le 28 juin 2001 et par la société Schwander Industries le 24 juillet 2001 ;

Ouï le ministère public, qui a conclu au rejet des recours ;

Et les requérantes ayant été mises en mesure de répliquer aux conclusions du ministère public ;

Sur le caractère irrévocable de la décision en l'absence de recours ;

Considérant que les dispositions de la décision du 24 janvier 2001 relatives aux sociétés Kilburg, Entreprise Bernoux, Sofama, Proviba, SAS Lafon et DDF Breton ne sont pas remises en cause et sont donc devenues irrévocables, sans qu'il soit besoin de confirmer à leur égard la décision déférée ; qu'il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile en faveur de la société Kilburg ;

Sur les recours

I - Sur la procédure

Sur la prescription :

Considérant que la lettre de saisine du Conseil, émanant du ministre chargé de l'économie, a été enregistrée le 21 décembre 1993 tandis que les faits incriminés se sont déroulés courant 1991 et 1992, soit moins de trois ans avant la saisine, et que les convocations adressées le 22 novembre 1996 par le rapporteur aux fins d'audition d'entreprises poursuivies ont interrompu la prescription à l'égard de toutes les parties en cause, le Conseil étant saisi in rem ;

Qu'en conséquence, la société Gianre et Gaillard Industries soulève vainement la prescription triennale instaurée par l'article L. 462-7 du Code de commerce ;

Sur le délai raisonnable :

Considérant que, dès lors qu'il n'est pas démontré que le délai de huit années employé par le Conseil pour procéder à l'instruction de l'affaire aurait empêché les requérantes de réunir les éléments utiles à leur défense relativement à l'existence des pratiques anticoncurrentielles qui leur étaient reprochées, la sanction attachée à la violation éventuelle de l'obligation de se prononcer dans un délai raisonnable ne peut être l'annulation de la procédure, mais la réparation du préjudice susceptible d'avoir été causé par une telle durée ;

Que, par suite, le moyen de nullité tiré de la durée excessive de la procédure, opposé par la société Gianre et Gaillard Industries, ne peut être accueilli ;

Sur la déclaration téléphonique anonyme :

Considérant que la société Apprin Agglos prétend à tort que serait entaché de nullité le procès-verbal établi le 20 septembre 1991 par M. Parmentelat, inspecteur principal, qui a consigné les déclarations faites au cours d'un entretien téléphonique par un correspondant ayant désiré garder l'anonymat, relativement à des réunions tenues les 19 et 22 septembre 1991 dans deux hôtels de Montmélian entre les producteurs savoyards et les principaux distributeurs, dès lors qu'il n'est pas démontré que l'enquêteur aurait mis en œuvre des procédés déloyaux ou contraires à l'équité, que ledit procès-verbal permet d'apprécier la teneur des déclarations dont s'agit et que celles-ci sont corroborées par d'autres indices graves, précis et concordants décrits et analysés dans le rapport d'enquête administrative du 1er juillet 1993 ;

Sur les procès-verbaux de remise de pièces :

Considérant que les documents recueillis dans les locaux de la société les 11 et 25 juin 1992 ont fait l'objet de procès-verbaux d'inventaire de documents communiqués, distincts des procès-verbaux de déclarations établis aux mêmes dates, de sorte que la nullité de ces derniers, à raison du défaut d'indication de l'objet de l'enquête, est sans effet sur la validité de la remise des pièces, la requérante n'alléguant pas de moyen de nullité tenant aux procès-verbaux d'inventaire eux-mêmes, et observation étant faite en toute hypothèse que la preuve de la participation de la susnommée à l'entente incriminée est rapportée par d'autres éléments que ceux recueillis au sein de la société, et notamment par des indications probantes de ce chef relevées dans l'agenda de M. Bedel, président du conseil d'administration de la société Fabémi, et par les déclarations émanant de M. Girard, président du conseil d'administration de la société Entrepôt du Midi et trésorier du Syndicat des négociants de matériaux de construction du Vaucluse et des Bouches-du Rhône ;

Sur l'authentification :

Considérant que la société des Entreprises Rudigoz soutient en vain que la notification des griefs et le rapport définitif seraient entachés d'un vice substantiel et irréparable en raison de l'absence de signature de leur auteur, alors que, d'une part, l'article 18 du décret du 29 décembre 1986 n'exige pas la signature, par le rapporteur, de la notification des griefs et du rapport, d'autre part, l'authentification de ces actes et la vérification de la compétence de leur auteur résultent suffisamment de la mention, portée en première page de chacun d'eux, qu'ils ont été établis par Mme Françoise Leymonerie, rapporteur auprès du Conseil de la concurrence ;

II - Sur le fond

Sur le marché pertinent :

Considérant, en premier lieu, que le marché géographique de la Basse-Vallée du Rhône, celui de la Savoie et du nord du département de l'Isère ainsi que celui du département de l'Ain ont été justement retenus comme pertinents par le Conseil dès lors que les produits concernés, offerts et demandés sur ces marchés, à savoir les agglomérés en béton servant à la construction, sont identiques entre eux et non substituables par d'autres éléments de construction, et qu'ils se caractérisent par leur poids et leur faible valorisation, de sorte que leur commercialisation s'opère en presque totalité dans un rayon d'une trentaine de kilomètres et que leur substituabilité s'inscrit, en général, dans un tel périmètre ;

Considérant, en deuxième lieu, que la société Apprin Agglos ne démontre pas en quoi elle ne relèverait pas du marché s'étendant sur la Savoie et le nord du département de l'Isère, alors que, même si la vallée de la Maurienne, localisée à soixante-dix kilomètres de Chambéry, se trouve située au-delà d'un rayon de trente kilomètres des autres entreprises parties à l'entente incriminée mise en œuvre sur ce marché, cette vallée était néanmoins aisément et rapidement accessible, le Conseil ayant retenu à juste titre qu'elle était desservie par deux axes autoroutiers, de La Tour-du-Pin à Moutiers et d'Annecy à Grenoble, et étant observé que la requérante n'établit pas que ces autoroutes n'auraient pas existé à l'époque des faits incriminés, en sorte que le Conseil a estimé à bon droit que la société Apprin Agglos intervenait comme opérateur sur le marché pertinent dont s'agit ;

Qu'en outre, il peut être relevé que, si M. Reverdy, président du conseil d'administration de la société Reverdy Aggios, n'a pas cité la société Apprin Aggios parmi ses concurrents, l'effectivité de la présence de la société Apprin Agglos en qualité d'opérateur sur le marché dont s'agit est établie tant par les déclarations du correspondant anonyme s'étant exprimé au téléphone le 20 septembre 1991, qui a mentionné "Apprin en Maurienne" au nombre des entreprises ayant participé à la réunion du 19 septembre 1991 destinée à organiser "l'entente sur les agglos", que par le fait que la société Apprin Agglos a augmenté ses prix à la même date et dans la même mesure que les autres entreprises poursuivies, présentes sur le même marché pertinent ;

Considérant, en troisième lieu, que la société Schwander Industries allègue en vain qu'elle n'appartiendrait pas au marché géographique de la zone dans laquelle elle se trouve implantée pour ce qui concerne la vente des matériaux dont s'agit, alors qu'elle a pour activité le négoce notamment de parpaings à Monteux (Vaucluse), soit dans le périmètre du marché pertinent de la Basse-Vallée du Rhône ;

Sur les pratiques anticoncurrentielles :

Sur le marché géographique du département de la Savoie et du nord du département de lisère :

Considérant, en ce qui concerne le marché géographique du département de la Savoie et du nord du département de l'Isère, sur lequel intervenaient la société Apprin Agglos et la société Gianre et Gaillard Industries en leur qualité de fabricants d'agglomérés en béton et, pour la première, également en qualité de négociant desdits matériaux de construction, que des indices graves précis et concordants démontrent qu'une entente a été organisée entre les requérantes ;

Considérant qu'en effet, d'une part, la société Apprin Aggios, la société Reverdy Aggios et la société Gianre et Gaillard Industries ont augmenté leurs tarifs simultanément au 1er septembre 1991, sans que la simultanéité de cette hausse ait été justifiée par aucun facteur d'ordre économique, l'augmentation du coût du ciment et des agrégats alléguée par les requérantes ayant alors existé depuis plusieurs années et observation faite que M. Reverdy, dirigeant de la société Reverdy Agglos, a précisé avoir informé ses concurrents qu'il augmenterait ses prix à partir du mois de septembre 1991 ;

Que, d'autre part, alors que les prix des agglomérés pratiqués par les fabricants jusqu'au mois d'août 1991 étaient caractérisés par une assez grande dispersion et par des conditions commerciales distinctes, la différence de tarification s'établissant alors à environ 11 %, les écarts de prix effectivement appliqués ont été ramenés à environ 1 %, à la suite de la concertation et à compter de la date susdite, pour s'établir notamment aux alentours de 4,69 F pour l'aggloméré de 20X20X50, l'augmentation des prix ayant varié de 9 à 45 % selon les produits ;

Qu'enfin, l'interlocuteur anonyme entendu par l'enquêteur le 20 septembre 1991 a rapporté que les représentants des entreprises susnommées s'étaient rencontrés à plusieurs reprises au mois de septembre 1991 dans un hôtel à Montmélian pour mettre au point une stratégie sur la hausse du prix des agglomérés ; que, de surcroît, une autre réunion entre les fabricants s'est tenue le 22 octobre 1991 pour faire le bilan de cette hausse ; que l'existence d'une concertation relative à l'augmentation des tarifs mise en œuvre dès le 1er septembre 1991 n'est pas démentie par le fait que ces réunions aient pris place après le 1er septembre 1991, soit courant septembre et octobre 1991, ces réunions démontrant au contraire la permanence des relations entre les fabricants pour apprécier les effets de la hausse concertée et harmoniser leurs prix, en sorte que la société Gianre et Gaillard Industries invoque en vain un simple parallélisme de comportements ;

Considérant qu'il s'ensuit que l'harmonisation par les fabricants des prix des agglomérés les plus couramment utilisés, qui a conduit à une hausse artificielle des tarifs indépendamment du libre jeu du marché, a eu un effet anticoncurrentiel sensible sur le marché pertinent concerné ;

Sur le marché géographique du département de l'Ain :

Considérant qu'il est établi que, sur le marché géographique du département de l'Ain, la société des Entreprises Rudigoz, fabricant d'agglomérés en béton, qui, avant 1992, négociait les prix des agglomérés avec chacun de ses clients, a procédé au début de l'année 1992, avec les sociétés Ain Aggios et Pattard Industries, à une révision de tarif qui a conduit à une harmonisation de leurs prix des agglomérés, fixés, selon leurs dimensions, aux alentours de 2,49 F, de 3 F ou de 3,75 F ;

Que l'harmonisation des tarifs s'est accompagnée de deux réunions qui se sont tenues entre les fabricants et des représentants des négociants les 13 et 22 janvier 1992 dans un hôtel de Bourg-en-Bresse en vue d'une augmentation concertée des prix, ces rencontres étant attestées par M. Maître, dirigeant de la société MA.TE.MA, par M. Giroud, gérant de la société Etablissements Giroud, et par Mme Bernigaud, employée de la société Bereziat, et établies par le planning des réservations de l'hôtel ;

Qu'il en résulte que la requérante s'est concertée avec les autres fabricants pour procéder à la même date à une hausse générale et harmonisée, effectivement appliquée, de leurs prix des agglomérés les plus courants, faussant ainsi le libre jeu de la concurrence ;

Sur le marché géographique de la Basse-Vallée du Rhône :

Considérant que, sur le marché géographique de la Basse-Vallée du Rhône, contrairement à ce que soutiennent la société Marinier Matériaux, la société Farel, la société Comasud (qui gère plusieurs agences Point P Provence) et la société Schwander Industries, négociants d'agglomérés en béton, l'augmentation brutale et importante du prix des agglomérés en béton par les fabricants ne pouvait justifier une concertation destinée à fixer un tarif minimum de revente, même dans un souci d'organisation de la profession ;

Que la preuve des contacts ayant précédé la hausse des prix et de l'existence d'une entente prohibée entre les requérantes à la suite de la diffusion par la société Marinier Matériaux d'un tarif minimum des prix de revente à pratiquer, mentionnant notamment un prix plancher de 4,39 F pour l'aggloméré de 20X20X50, résulte notamment des déclarations de M. Vidy, président du conseil d'administration des établissements Vidy Matériaux, de Mme Farjon et de M. Farjon, respectivement employée et président du conseil d'administration de la société Farjon, et de M. Girard, président du conseil d'administration de la société Entrepôts du Midi et trésorier du syndicat des négociants de matériaux de construction du Vaucluse et des Bouches-du-Rhône, ce dernier attestant notamment la présence d'un représentant de la société Farel au cours d'une réunion au mois de mai 1991 dans un hôtel d'Avignon ; que ces rencontres entre les négociants, et en particulier M. Farel, dirigeant de la société Farel, sont encore établies par les mentions figurant sur les agendas de M. Bedel, dirigeant de la société Fabémi ;

Que, de même, M. Schwander, président du conseil d'administration de la société Schwander Industries, a précisé avoir été convié à des réunions entre négociants en 1991, dont le but était l'organisation de la profession et l'établissement d'une fourchette de prix raisonnable pour les agglomérés, soit 4,10 F à 4,30 F, tandis qu'avant le 1er juin 1991, chaque négociant déterminait son prix qui résultait du marché et que lui-même vendait l'agglo de 20" entre 3,00 F et 3,15 F ;

Que la société Marinier Matériaux, dont le président du conseil d'administration, M. Marinier, était également membre du syndicat des négociants des Bouches-du-Rhône et du Vaucluse et président du syndicat des négociants de matériaux de construction de la Drôme et de l'Ardèche, a diffusé une grille de prix planchers ; que le fait que la requérante prétende que cette diffusion aurait été opérée à son insu par l'un de ses employés est contredit par les déclarations de M. Girard et par celles de M. Marinier, le premier ayant indiqué que le tarif litigieux avait été diffusé lors de la réunion du mois de mai 1991 et le second ayant précisé avoir participé en personne à ladite rencontre ; qu'il résulte des déclarations des susnommés, à l'exception de M. Marinier, que la grille de prix planchers était destinée aux négociants en vue de la fixation de prix mininum de revente et ne pouvait être tenue, contrairement à ce que soutient la société Marinier Matériaux, pour une mercuriale sans effet sur la libre détermination des prix par les opérateurs sur le marché pertinent ;

Considérant que les négociants de la Basse-Vallée du Rhône se sont ainsi concertés soit en rencontrant des fabricants, soit en organisant des réunions entre eux, afin de déterminer une politique commune de prix de vente des agglomérés, les prix pratiqués s'étant notamment établis à compter du mois de juin 1991 ou juillet 1991 pour les agglomérés de 20X20X50 à 4,39 F pour la société Farel, 4,39 F pour la société Comasud et entre 4,10 et 4,40 F pour la société Schwander Industries, la société Marinier Matériaux ayant pour sa part établi le barème de revente afin d'inciter les négociants à répercuter uniformément les hausses de prix mises en œuvre par les fabricants, même si elle ne l'a pas appliqué elle-même ;

Considérant que, dans ces circonstances, les sociétés requérantes ne peuvent utilement arguer d'un simple parallélisme de comportements insuffisant à démontrer l'existence d'une entente anti-concurrentielle, dès lors que la décision de hausse des prix n'a pas été prise par les opérateurs en cause de façon autonome, mais d'une manière concertée avérée, qui a favorisé une hausse artificielle des prix ayant varié entre 9 % et 45 % selon les produits ;

Qu'il ne peut davantage être valablement soutenu que les négociants se seraient limités à répercuter mécaniquement la hausse des prix imposée par les fabricants, puisque se trouvent établies les ententes destinées à fixer des prix minimum de revente ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que les sociétés requérantes ont toutes participé à des pratiques qui ont eu pour effet ou pour objet de fausser de manière sensible le jeu de la concurrence et qui sont prohibées par les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce ;

Sur les sanctions :

Considérant que, pour apprécier la gravité des faits et le dommage à l'économie, il convient de retenir, comme l'a exactement fait le Conseil, que, pour chacune des entreprises requérantes, les ententes en cause ont été effectivement mises en œuvre, qu'elles ont porté sur un produit pour lequel l'élasticité de la demande aux prix est très faible et qu'elles ont conduit à une hausse générale et parfois massive des prix effectivement pratiqués pour des agglomérés en béton d'usage courant utilisés pour la construction des logements, pour lesquels il n'existe pas de substitut et qui représentent environ 5% du coût de la construction d'un logement ;

Qu'il a lieu de prendre en considération le fait que les ententes incriminées ont eu un effet limité à quelques mois;

Qu'en outre, dans l'appréciation de la gravité des pratiques anticoncurrentielles commises par chacune des sociétés seulement négociantes, il convient de retenir que, confrontées à une hausse brutale et importante des prix des fabricants, elles n'avaient que peu d'alternative à une augmentation de leurs propres tarifs ;

Considérant, encore, qu'afin de prendre en compte de manière équitable la situation des entreprises, qui ne peuvent être pénalisées par la durée de la procédure, débutée en l'espèce courant décembre 1993 et ayant conduit à une décision du Conseil au mois de janvier 2001, sans qu'aucun retard dans l'instruction de l'affaire puisse être imputé aux requérantes, il convient d'avoir égard à l'évolution du chiffre d'affaires des entreprises qui justifient avoir développé leur activité de manière significative depuis le début de la procédure, notamment par voie de fusion, absorption ou acquisition, indépendamment, d'une part, de toute incidence de l'entente prohibée, d'autre part, de l'inflation et du loyer de l'argent ;

Que, de surcroît, le chiffre d'affaires à considérer est celui de l'entreprise tout entière, et non seulement celui par elle réalisé dans la fabrication ou la vente d'agglomérés en béton ;

Considérant, enfin, que la comparaison des pourcentages de sanctions au regard des chiffres d'affaires ne permet pas de caractériser une discrimination entre les entreprises sanctionnées dès lors que les sanctions doivent être fixées de manière individuelle et non relativement à celles prononcées à l'encontre d'autres entreprises ;

A l'égard de la société Gianre et Gaillard Industries :

Considérant que la société Gianre et Gaillard Industries, à laquelle le Conseil a infligé une sanction de 400.000F, justifie que son chiffre d'affaires pour 1993 et 1994 s'établissait à environ 29.000.000 F, tandis que celui de 1999, retenu par le Conseil, a atteint plus de 40.000.000 F ;

Qu'eu égard à sa participation, en sa qualité de fabricant, à l'entente prohibée qui a eu pour effet, durant quelques mois, une hausse artificielle du prix des agglomérés en béton de 9 à 45 % sur le marché géographique du département de la Savoie et du nord du département de l'Isère, et à la durée anormale de la procédure, au cours de laquelle son chiffre d'affaires a cru de manière significative, indépendamment, d'une part, de toute incidence de l'entente prohibée, d'autre part, de l'inflation et du loyer d'une somme d'argent égale au montant de la sanction pécuniaire depuis la saisine du Conseil, il convient de fixer à 340.000 F la sanction pécuniaire prononcée contre elle ;

A l'égard de la société Apprin Agglos :

Considérant que la société Apprin Aggios, fabricant, a participé à des pratiques anticoncurrentielles ayant eu pour effet une hausse artificielle du prix des agglomérés en béton de 9 à 45 % sur le marché géographique du département de la Savoie et du nord du département de l'Isère ;

Qu'elle ne démontre pas que son activité globale aurait significativement évolué depuis 1991, étant rappelé que ne peut être légalement pris en compte le seul chiffre d'affaires réalisé dans la fabrication d'agglomérés en béton ;

Qu'au regard de la gravité des faits, de l'atteinte à l'économie causée et de la situation de l'entreprise, dont le chiffre d'affaires pour 1999, dernier exercice clos disponible, s'est élevé à 30.898.304 F, c'est à bon droit qu'une sanction pécuniaire de 300.000 F lui a été infligée ;

A l'égard de la société des Entreprises Rudigoz :

Considérant que la société des Entreprises Rudigoz soutient que sa place sur le marché local est d'environ 2,4 % seulement, que la production et le chiffre d'affaires par elle réalisés dans les produits en béton préfabriqués ont baissé de façon significative en 1992 ainsi que les années suivantes, à raison de la forte concurrence liée à l'entrée sur le marché d'un nouveau concurrent, la société Fabémi, et que son chiffre d'affaires a augmenté de près de 30 % depuis 1992 ;

Que, si la requérante ne justifie pas de la baisse de son activité dans le domaine de la vente d'agglomérés en béton ni d'une augmentation significative de son activité depuis les premières années de la procédure, elle établit que son chiffre d'affaires entre 1992 et 1999, qui a évolué de 68.500.738 F à 91.217.399 F, a cru indépendamment, d'une part, de toute incidence de l'entente prohibée, d'autre part, de l'inflation et du loyer de l'argent ;

Qu'eu égard à son rôle, en sa qualité de fabricant, dans la mise en œuvre de l'entente prohibée qui a eu pour effet, durant quelques mois, une hausse artificielle chiffrée jusqu'à 45% du prix des agglomérés en béton sur le marché géographique de l'Ain, et à la situation de l'entreprise, compte tenu notamment de l'évolution de son chiffre d'affaires, il convient de fixer à 800.000 F la sanction prononcée contre elle ;

A l'égard de la société Schwander Industries :

Considérant qu'il est établi que la société Schwander Industries, négociant, a participé à des pratiques anticoncurrentielles ayant eu pour effet, durant quelques mois, une hausse artificielle de 35 à 43 % du prix des agglomérés en béton sur le marché géographique de la Basse-Vallée du Rhône ;

Que la requérante fait valoir que, si son chiffre d'affaires a atteint en 1999 38.461.496 F, elle a acquis les entreprises Les Matériaux de Cadenet en 1992, Les Matériaux de la Durance en 1996 et APB Mazan en 1998, et que son chiffre d'affaires pour 1991 s'élevait à 27.000.000 F approximativement, de sorte que, selon elle, la sanction pécuniaire de 190.000 F décidée par le Conseil est excessive, observation faite qu'elle justifie que ses produits d'exploitation pour 1991 se sont élevés à 27.089.665 F ;

Que, tenant compte de la gravité des faits, de l'atteinte à l'économie, de la situation de l'entreprise, eu égard au fait que son chiffre d'affaires a cru de manière significative, indépendamment, d'une part, de toute incidence de l'entente prohibée, d'autre part, de l'inflation et du loyer d'une somme d'argent égale au montant de la sanction pécuniaire depuis la saisine du Conseil, il convient de fixer à 150.000 F la sanction pécuniaire prononcée contre elle ;

A l'égard de la société Farel :

Considérant que la société Farel ne peut valablement soutenir que le Conseil aurait violé le principe de la contradiction en n'instaurant pas de débat contradictoire sur le montant du chiffre d'affaires par lui retenu pour le calcul de la sanction pécuniaire, alors qu'elle a elle-même produit son bilan pour 1999 en sorte qu'elle s'est trouvée en mesure de le discuter ;

Considérant que la requérante établit qu'elle a pris en location-gérance la société Clavel en 1993 et que son chiffre d'affaires a alors doublé ; que, cependant, cette location-gérance, conclue avant la saisine du Conseil, est indépendante de la durée de la procédure ;

Qu'en outre, si son endettement est important, elle a néanmoins réalisé un chiffre d'affaires de 153.089.268 F et dégagé un bénéfice de 1.046.444 F en 1999, et, précédemment, un bénéfice de 813.035 F pour 1998 ;

Considérant qu'eu égard à la gravité des faits ayant consisté en sa participation, en sa qualité de négociant, à des pratiques anticoncurrentielles ayant eu pour effet, durant quelques mois, une hausse artificielle de 35 à 43 % du prix des agglomérés en béton sur le marché géographique de la Basse-Vallée du Rhône, à l'atteinte à l'économie et à la situation de l'entreprise, c'est à bon droit que le Conseil a prononcé contre la requérante une sanction pécuniaire de 750.000 F ;

A l'égard de la société Marinier Matériaux :

Considérant que la société Marinier Matériaux, négociant, qui s'est trouvée à l'origine de la diffusion du tarif minimum des prix de revente même si elle ne l'a pas elle-même appliqué, s'est livrée à des pratiques anticoncurrentielles, dont elle a été l'instigateur, ayant eu pour effet, durant quelques mois, une hausse artificielle de 35 à 43 % du prix des agglomérés en béton sur le marché géographique de la Basse-Vallée du Rhône ;

Que doit être pris en compte le chiffre d'affaires de la société Marinier SA, ayant pour nom commercial Marinier Matériaux, et non celui réalisé dans les seuls fonds de commerce dont elle est propriétaire, aucune disposition légale ne permettant d'exclure du chiffre d'affaires à retenir celui accompli dans les fonds de commerce dont elle n'est que locataire ;

Qu'au regard de la gravité des faits, de l'atteinte à l'économie et de la situation de l'entreprise dont le chiffre d'affaires pour 1999, dernier exercice clos disponible, s'est élevé à 463.521.346 F, c'est à bon droit qu'une sanction pécuniaire de 3.000.000 F lui a été infligée ;

A l'égard de la société Comasud :

Considérant que la société Comasud, qui a seulement formé un recours en annulation, ne critique pas le montant de la sanction pécuniaire d'un montant de 1.900.000 F qui a été prononcée contre elle ;

Par ces motifs : Réforme la décision n° 00-D-39 du 24 janvier 2001, rectifiée par la décision n° 01-D-11 du 3 avril 2001, du Conseil de la concurrence en ce qu'elle a prononcé une sanction pécuniaire de 400.000 F contre la société Gianre et Gaillard Industries, de 900.000 F contre la société des Entreprises Rudigoz et de 190.000 F contre la société Schwander Industries ; Statuant à nouveau de ces chefs, prononce à l'encontre de : la société Gianre et Gaillard Industries, une sanction pécuniaire de 340.000 F, la société des Entreprises Rudigoz, une sanction pécuniaire de 800.000 F, la société Schwander Industries, une sanction pécuniaire de 150.000 F ; rejette les recours des sociétés Apprin Aggios, Farel, Marinier Matériaux et Comasud ; rejette toute autre prétention ; laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens.