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Décisions

Conseil Conc., 13 octobre 1998, n° 98-D-62

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques relevées dans le secteur de la distribution des appareils médicaux

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de M. Jean-René Bourhis, par Mme Hagelsteen, présidente, Mme Pasturel, vice-présidente, MM. Cortesse, Jenny, vice-présidents.

Conseil Conc. n° 98-D-62

13 octobre 1998

Le Conseil de la concurrence (commission permanente),

Vu la décision en date du 19 octobre 1993 par laquelle le Conseil de la concurrence s'est saisi d'office de la situation de la concurrence dans le secteur de la distribution des appareils médicaux ; Vu le traité du 25 mars 1957 modifié instituant la Communauté européenne, et notamment ses articles 85 et 86, et le règlement (CEE) n° 17-62 du 6 février 1962 du conseil modifié, pris pour son application ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu les observations présentées par les sociétés GEMS France et Philips Systèmes Médicaux ainsi que par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés GEMS France et Philips Systèmes Médicaux entendus ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et sur les motifs (II) ci-après exposés :

I. - CONSTATATIONS

1. Les différents secteurs de l'imagerie médicale

Selon une étude réalisée dans le secteur de l'imagerie médicale, publiée en novembre 1991 par la Fédération nationale des médecins radiologistes, la France venait, en 1988-1989, au troisième rang pour les dépenses totales de santé par habitant derrière les Etats-Unis et la Suisse alors qu'elle n'arrivait qu'au sixième rang pour l'imagerie par résonance magnétique (IRM) et au neuvième rang pour la médecine nucléaire. Selon la même étude, l'activité concernée s'organise autour de six grands secteurs qui sont :

La radiologie conventionnelle (15 % des ventes mondiales) ;

La radiologie numérique (25 %) ;

L'échographie (environ 22 %) ;

La tomodensitométrie (environ 9 %) ;

L'imagerie par résonance magnétique (IRM : 19 à 20 %) ;

La médecine nucléaire (environ 5 %).

La radiologie conventionnelle et numérisée

Selon l'étude susmentionnée, la radiologie demeure d'un rapport coût-efficacité inégalé dans plusieurs domaines comme la radiologie pulmonaire, la radiologie osseuse et la radiologie urinaire. Le marché national de la radiologie conventionnelle est dominé essentiellement par la société General Electric-CGR (devenue General Electric Medical Systems France - GEMS France) avec 60 % de part de marché, devant les sociétés Philips (25 %) et Siemens (3 %). Celui de la radiologie numérisée serait également dominé par les mêmes intervenants : GEMS : 51 %, Philips : 12 % et Siemens : 12 %. Le prix moyen d'un équipement d'angiographie numérisée se situerait dans une fourchette de 5 à 15 millions de francs, la société Varian, représentée en France par Sopha Eurotubes Services, ayant réalisé en 1993 46 % des ventes de ces appareils, devant la société GEMS France avec 34 %.

L'échographie

La société ATL France détient environ 20 % de part de ce secteur devant Sonotron (18 %), Biomedic et Acuson (environ 17 % chacune) et Toshiba (15 %).

En 1993, le montant de la demande sur le plan national était estimé à environ 37 millions de francs. L'échographie, qui fait appel aux ultrasons, est la méthode de "routine" pour ce qui concerne l'exploration du foie, des voies biliaires, du pancréas, des reins, de l'utérus et des ovaires ainsi que pour la surveillance de la grossesse. La miniaturisation des cristaux et des sondes a permis le développement de sondes adaptées aux explorations délicates.

La tomodensitométrie par scanner à rayons X

Le scanner, dont l'utilisation s'est progressivement banalisée, s'est peu à peu substitué aux autres systèmes de radiologie. Le prix d'un scanner "moyenne gamme" est estimé à environ 4,5 millions de francs par l'Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP - HP). Le montant de la demande sur le plan national s'est élevé à environ 132 millions de francs en 1993. La même année, la société GEMS France occupait la première place dans ce secteur en réalisant 47 % des ventes, devant les sociétés Siemens (22 %) et Philips (10 %).

L'imagerie par résonance magnétique (IRM)

Il s'agit de l'invention la plus récente qui s'adresse en premier lieu à la pathologie neurologique (cerveau, moelle) et rhumatologique (rachis, articulations). Selon les données produites par la société GEMS France, un appareil de moyen champ magnétique qui coûtait 16 millions de francs en 1984 ne coûtait plus que 8 millions de francs en 1994. En 1993, les ventes dans ce secteur, estimées à environ 54 millions de francs, se répartissaient entre la société GEMS France avec 36 %, Siemens (35 %) et Philips (20 %). Selon La Lettre du médecin radiologue (n° 263 du 23 mars 1995), le nombre de demandes d'autorisation d'installation présentées en 1994 a progressé de 55 % par rapport à 1993 pour s'établir à cent vingt-six. Trente autorisations ont été accordées au cours de l'année 1994 (contre douze en 1993), dont quinze pour le secteur public et quinze pour le secteur privé.

La médecine nucléaire

La mesure externe de la radioactivité des organes après administration d'un traceur radioactif nécessite un capteur et un système informatique. Selon les éléments versés au dossier, les ventes de ce type de matériels s'élevaient à 41 millions de francs en 1993, dont 39 % pour la société Sopha, devant les sociétés Elcint (28 %) et GEMS France (6 %).

L'installation et la maintenance

Les matériels d'imagerie médicale sont des produits de haute technologie qui ne sont généralement par revendus en l'état, ce qui explique que certains fabricants ne possèdent pas de tarifs publics, les prix des matériels et de leur installation étant fixés au cas par cas sur devis. En revanche, s'agissant des matériels consommables comme les tubes, les fabricants disposent de tarifs publics "indicatifs".

Selon une étude réalisée par l'AP - HP, la maintenance représente en moyenne 21 % du coût d'acquisition des scanners. L'utilité pour un utilisateur de signer un contrat de maintenance dépend du degré technologique du matériel, particulièrement élevé pour les équipements dits "lourds". Pour ce type de matériels, les établissements publics ou privés s'informent généralement du coût de la maintenance au moment de l'acquisition du matériel. La possibilité pour le fournisseur de pouvoir assurer la maintenance dans des conditions optimales de rapport qualité/prix est un des critères de choix du fournisseur de matériel par les services acheteurs, et ce, particulièrement, dans les départements d'outre-mer, eu égard à l'éloignement de la métropole.

Le coût de la maintenance des tubes de scanners est estimé à environ 50 % du coût des appareils, celui-ci étant supérieur à 60 % pour les scanners les plus anciens. Le coût des tubes incite certains établissements à négocier des contrats de maintenance excluant le remplacement des tubes, cette prestation étant négociée séparément.

1.1. L'offre de matériel médical sur le plan national

L'offre est dominée par quatre sociétés multinationales qui sont General Electric, Philips, Siemens et Toshiba.

La société GE Medical Systems France (GEMS France)

La société GEMS France, société anonyme, est une filiale de General Electric Europe CGR Europe SA, elle-même filiale de la société General Electric Company, dont le siège est à Fairfield aux Etats-Unis. Le chiffre d'affaires total réalisé en 1993 par la société GEMS France s'est élevé à 4,824 milliards de francs dont 3,391 milliards de francs à l'exportation. Le bénéfice net s'est élevé à 135 millions de francs au cours de ce même exercice alors que l'exercice précédent s'était soldé par une perte nette de 337 millions de francs.

Selon les responsables de la société GEMS France, cette société dispose d'une autonomie commerciale et tarifaire par rapport à la société mère. L'activité sur le plan international est organisée en cinq pôles (Amériques, Europe, Moyen-Orient, Afrique, Asie), chacun de ces pôles étant spécialisé dans la fabrication d'une famille de produits. En France métropolitaine, la distribution des matériels d'imagerie médicale commercialisés par la société GEMS France est totalement intégrée, à l'exception des appareils à ultrasons (échographie), lesquels sont commercialisés soit par le réseau de la société GEMS France, soit par l'intermédiaire d'agents commerciaux rémunérés à la commission.

Les appareils fabriqués par la société GEMS France sont distribués à l'étranger soit par l'intermédiaire de filiales, soit par l'intermédiaire de distributeurs ("distributors"), soit par l'intermédiaire d'agents commerciaux ("sales representatives") ou encore par des "représentants service" ("tr's"). Les différents Etats sont classés par zones géographiques : Afrique, Moyen-Orient, Europe, Europe de l'Est et "divers". Le département de La Réunion figure dans la zone "Afrique", parmi plusieurs Etats situés en Afrique ou dans l'océan Indien. Les départements de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Martinique sont classés dans la rubrique "divers" avec les territoires d'outre-mer. Pour la distribution de ses produits dans les départements d'outre-mer, la société GEMS France a recours à deux distributeurs exclusifs avec lesquels elle est liée par des contrats écrits : la société Medicaraïbe, d'une part, et la société Spie Réunion, filiale à 99,98 % de Spie Trindel, d'autre part.

La société Medicaraïbe est constituée sous la forme d'une société anonyme. Son siège social se trouve à Fort-de-France et elle exerce son activité dans les départements de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane. Dans ce dernier département, l'activité est exercée par l'intermédiaire d'une filiale, la société Médicaraïbe SARL. L'activité de vente de matériel médical de cette société, qui n'aurait aucun lien financier avec la société GEMS France, a généré un chiffre d'affaires de 40 millions de francs en 1993. Le contrat de distribution exclusive avec General Electric, qui porte sur les trois départements susnommés, a été signé en 1987.

La société Spie Réunion est constituée sous la forme d'une société anonyme. Son siège social se trouve dans la ville du Port ; elle exerce diverses activités dans les domaines de l'électricité industrielle, des ascenseurs, de la téléphonie, de l'éclairage public et du matériel médical, cette dernière activité représentant un volume d'affaires de l'ordre de 8,5 millions de francs pour un chiffre d'affaires global d'environ 90 millions de francs.

La société Siemens SA

Il s'agit d'une société anonyme, filiale à 100 % de Siemens holding SA, elle-même filiale à 100 % de Siemens AG, société mère du groupe. L'activité de distribution des produits médicaux est exercée au sein de la division médicale de la société Siemens SA.

Siemens AG a désigné la société Siemens SA comme distributeur exclusif en France de ses produits d'imagerie médicale et de radiologie. Le chiffre d'affaires réalisé par cette société lors de l'exercice 1993 (1er octobre au 30 septembre) s'est élevé à 2,354 milliards de francs, soit environ 29 % du chiffre d'affaires réalisé par le groupe Siemens en France. Dans les départements d'outre-mer, la société Siemens SA a recours à deux distributeurs exclusifs qui sont : Périé Médical, pour les départements de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane, d'une part, et la société SOS Medical et radiologie, pour La Réunion, d'autre part.

Philips Systèmes Médicaux (PSM) France

Il s'agit d'une filiale à 100 % de la Compagnie française Philips, elle-même filiale à 100 % de Philips Electronics NV. L'organisation de la division médicale de Philips dans le monde repose sur la structure suivante :

Les "Programs Management Groups" (PMGs), responsables de la partie production ;

Les "Sales and Services Districts" (SSDs), responsables des ventes et du SAV.

Il existe quatre PMGs situés à Best (Pays-Bas), Hambourg, Crawley (Royaume-Uni) et Santa-Ana (Etats-Unis). La société PSM, qui appartient à la seconde catégorie, possède l'exclusivité de la distribution des produits de marque Philips en France. Le chiffre d'affaires total de la société PSM s'est élevé à 586 millions de francs en 1993 dont 4,81 millions de francs en Martinique et 311 000 francs en Guadeloupe. Au cours du même exercice, le chiffre d'affaires du service après-vente réalisé par la société Philips Systèmes Médicaux France s'est élevé à 123 millions de francs pour un chiffre d'affaires de matériel de 450 millions de francs, soit un peu moins du tiers.

La distribution et le service après-vente sont intégrés à l'entreprise en métropole, En revanche, dans les départements d'outre-mer, la distribution des matériels médicaux de marque Philips est assurée par trois distributeurs exclusifs : la société Techni Medical Service en Martinique, la société SOCOVI en Guadeloupe et la société De La Hogue et Guézé à La Réunion.

La société Techni Medical Services (TMS) est une SARL dont le siège social se trouve au Lamentin, qui a pour activité la vente de matériels médicaux et plus spécialement les appareils d'imagerie médicale. Le chiffre d'affaires de la société TMS est passé de 17 millions de francs en 1991 à 27 millions en 1993, en raison notamment de la mise sur le marché de produits nouveaux par la société Philips (matériels de numérisation d'image) ;

La Société commerciale de vente et d'installation (SOCOVI) est une SARL, qui a son siège à Pointe-à-Pitre et qui a réalisé un chiffre d'affaires de 20 millions de francs en 1993, dont 6,6 millions pour le secteur médical. Son domaine d'activité touche à des secteurs aussi variés que l'électroménager, l'éclairage, la vidéo et le matériel médical. L'activité réalisée avec la société Philips est très faible et n'a pu être chiffrée lors de l'enquête.

La société De La Hogue et Guézé est une société anonyme au capital de 7,2 millions de francs, dont le siège social se trouve à Saint-Denis-de-la-Réunion et qui a pour activité l'importation et la vente dans le département de La Réunion de produits industriels variés, dont les matériels d'imagerie médicale. Son chiffre d'affaires total s'est élevé à 77,183 millions de francs en 1993, dont 16,4 millions de francs pour le domaine médical. Le chiffre d'affaires réalisé en 1993 par PSM avec la société TMS s'est élevé à 3,442 millions de francs, ce qui, selon la société PSM, représentait 0,5 % de son chiffre d'affaires sur le plan national. Ce chiffre s'est élevé à 8,637 millions de francs en 1994.

Les ventes de produits commercialisés par la société PSM ont représenté environ 30 % des ventes de matériel médical par la société De La Hogue et Guézé.

Toshiba Medical France SA.

Il s'agit, à l'instar d'autres sociétés installées dans différents Etats d'Europe, d'une filiale de la société Toshiba Medical Systems Europe BV, dont le siège social se trouve aux Pays-Bas, elle-même étant une filiale de la société nipponne Toshiba Corporation. Le chiffre d'affaires réalisé en 1993 par la société Toshiba Medical France SA, qui dispose en France de l'exclusivité de la vente des matériels médicaux de marque Toshiba, s'est élevé à 107 millions de francs, dont 85 % proviendraient de la vente d'échographes (appareils à ultrasons). La production est réalisée soit au Japon, soit dans certains pays européens. La distribution en France est réalisée par des agences intégrées à la société Toshiba Medical France, sauf en Guadeloupe, où un commissionnaire assure le suivi des appareils et la sous-traitance de la maintenance.

1.2. La demande d'imagerie médicale

La demande d'imagerie médicale émane d'environ 600 hôpitaux et 700 cliniques ou polycliniques ainsi que de 1 600 cabinets de radiologistes. L'Assistance publique des hôpitaux de Paris gérait à elle seule 50 hôpitaux en 1992.

L'installation dans les établissements publics et privés hospitaliers d'équipements matériels lourds, tels que définis par l'article L. 712-19 du Code de la santé publique, fait l'objet d'une procédure d'autorisation prévue, à l'époque des faits, par la loi du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière ainsi que par le décret du 31 décembre 1991, pris pour son application. Les scanographes et les appareils d'imagerie ou de spectrométrie par résonance magnétique nucléaire à utilisation clinique font partie des équipements matériels lourds dont sont dotés les établissements hospitaliers en fonction de la carte sanitaire, qui détermine la nature et l'importance des besoins. Les demandes présentées par les établissements hospitaliers en équipements matériels lourds peuvent, outre la saturation éventuelle de la carte sanitaire, être refusées pour des motifs liés à l'incompatibilité avec les objectifs fixés (schémas d'organisation sanitaire) ou à des conditions techniques non satisfaites.

2. Les pratiques

2.1. Les contrats liant la société General Electric CGR SA à deux distributeurs installés dans des départements d'outre-mer

Le contrat applicable à la société Spie Réunion

Un contrat de distribution exclusive a été signé le 12 mars 1991 entre la société General Electric CGR SA et la société Spie Réunion. Ce contrat laisse toutefois (section II) la possibilité au fabricant de procéder à des ventes directes dans le territoire faisant l'objet de l'exclusivité. Dans ce cas, le distributeur intervient comme simple représentant du fabricant, sa prestation commerciale étant rémunérée par une commission fixée contractuellement selon le type de matériels (annexe 3 au contrat).

S'agissant du territoire attribué à la société Spie Réunion, il est prévu (article I-B du contrat) que "la zone géographique (ci-après dénommée le territoire) dans laquelle le distributeur exercera les responsabilités spécifiées dans le présent contrat se compose du département de La Réunion, de l'Ile Maurice, de la République Démocratique de Madagascar, la République Islamique des Comores, la République des Seychelles et le Territoire de Mayotte" et que "le distributeur n'est pas autorisé à revendre les produits distribués à des clients situés en dehors dudit territoire, sauf accord préalable et écrit de la société, conformément aux dispositions de l'article IV, paragraphe E, ci-dessous", ledit article prévoyant que la société sera soumise aux lois et réglementation en vigueur au sein de la République française.

La société GEMS a indiqué au sujet du contrat susmentionné (courrier en date du 5 février 1998) : "Le contrat a été renouvelé à deux reprises et a pris fin le 28 février 1996. Depuis cette date, nos relations avec la société Spie Réunion ont continué bien que le contrat n'ait pas été formellement prorogé. GE Medical Systems et Spie Réunion sont en cours de négociation sur le texte d'une nouvelle version d'un contrat de distribution."

Le contrat applicable à la société Medicaraïbe SA

Un contrat de distribution exclusive a été signé le 20 février 1991 entre la société General Electric CGR SA et la société Medicaraïbe SA. A l'instar du contrat signé avec la société Spie Réunion, ce contrat prévoit la possibilité pour le fabricant de procéder à des ventes directes dans le territoire faisant l'objet de l'exclusivité. Dans ce cas, le distributeur intervient comme simple représentant du fabricant, sa prestation commerciale étant rémunérée par une commission fixée contractuellement selon le type de matériels.

Le territoire attribué à la société Medicaraïbe SA se compose (article I-B) des départements de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane française. Il est stipulé que "le distributeur n'est pas autorisé à revendre les produits distribués à des clients situés en dehors dudit territoire, saut accord préalable et écrit de la société, conformément aux dispositions de l'article IV, paragraphe E, ci-dessous".

2.2. Les contrats liant Philips Systèmes Médicaux France (PSM) à des distributeurs exclusifs dans les départements d'outre-mer

L'administrateur directeur général et le directeur administratif et financier de la société PSM (anciennement Massiot-Philips) ont déclaré, par procès-verbal d'audition, le 11 juillet 1994 :

"Dans les départements d'outre-mer (DOM), nous travaillons avec des agents exclusifs, sauf en Guyane, où nous ne sommes pas représentés.

Un contrat écrit nous lie avec notre agent exclusif en Martinique, la société Techni Medical Service.

Les principes juridiques de ce contrat s'appliquent également à notre agent en Guadeloupe et à celui de La Réunion. Nous n'avons signé aucun document contractuel avec ces deux distributeurs.

Ces agents exclusifs achètent le matériel pour le revendre. Ils assurent la charge financière de la vente et de la maintenance.

Il nous arrive de vendre directement dans ces départements et, dans ce cas, nous rémunérons l'agent par des commissions commerciale et technique.

(...)

Les distributeurs ont une exclusivité territoriale. Par exemple, Techni Medical Service (TMS), notre distributeur exclusif en Martinique, n'a pas le droit de revendre nos produits en Guadeloupe mais seulement en Martinique.

Il est cependant arrivé que nos distributeurs soient concurrents entre eux pour d'autres produits que les nôtres. Nous avons eu le cas pour la distribution de produits "3 M" que seul TMS, l'agent de la Martinique, commercialisait. TMS souhaitait soumissionner à l'appel d'offres en Guadeloupe, ce qui était gênant pour notre distributeur local. Finalement, nous avons veillé à ce que leurs offres soient complémentaires plutôt que concurrentes. Il n'est pas souhaitable, en effet, qu'ils se marchent sur les pieds même pour des activités connexes."

Les responsables de la société TMS ont versé au dossier la copie d'un contrat "d'agent exclusif" signé avec la société Massiot-Philips et relatif à la commercialisation dans le département de la Martinique (le "territoire") de matériel de marque "Massiot-Philips". Le contrat fait interdiction à la société TMS de "vendre, installer, entretenir ou réparer les matériels du contrat en dehors du territoire, sauf accord préalable de Massiot-Philips" (art. 3 [4°]). Il est également interdit à la société TMS de "faire le commerce de matériels susceptibles de concurrencer directement ou indirectement les matériels du contrat, sauf accord écrit préalable de Massiot-Philips" (art. 3 [2°]).

Le gérant de la SARL TMS a déclaré, le 28 juillet 1994 : "Concernant cette exclusivité, elle est totale sur les produits Philips sur le territoire de la Martinique. Je n'interviens pas en Guadeloupe où Philips a un autre agent. J'ai tenté de pénétrer le marché de la Guyane en créant en 1990, en association avec PERIE MEDICAL, la société SOMMOME, mais cela a été un échec. La société est en sommeil dans l'attente d'être liquidée." Par ailleurs, le président-directeur général de la société De La Hogue et Guézé à Saint-Denis-de-la-Réunion a déclaré par procès-verbal d'audition, le 8 août 1994 : "D'après mes connaissances, le contrat liant les établissements De La Hogue et Guézé avec Philips est un contrat de représentation datant du 16 avril 1982. Toutefois, ma société d'après mes souvenirs représente Philips depuis les années 1950.

Nous sommes soumissionnaires exclusifs de PHILIPS pour La Réunion seule d'après le contrat et verbalement PHILIPS nous a accordé toute la zone océan Indien sauf l'Ile Maurice. Aujourd'hui aucun achat extérieur à La Réunion n'a été réalisé.

Tous les achats de matériels PHILIPS sont réalisés auprès de PSM à Paris (13e).

A ce jour, aucun acheteur de la zone n'a fait d'achat direct, donc aucun problème de maintenance ne s'est posé. En cas de vente directe par PSM, gros matériel, une commission nous est versée par PHILIPS négociée au cas par cas.

Au cours des deux dernières années, aucune vente directe de PSM n'a été effectuée à La Réunion, donc aucune commission."

Le "contrat de représentation commerciale" versé au dossier par la responsable de la société De La Hogue et Guézé a été signé le 16 avril 1982 par les représentants des sociétés Honeywell et Philips Electronique Médicale SA, d'une part, et par la société De La Hogue et Guézé, d'autre part. Ce contrat, conclu pour une période d'un an et renouvelable par tacite reconduction, confiait à la société De La Hogue et Guézé la représentation du catalogue Honeywell et Philips. L'accord qui porte sur le département de La Réunion et sur l'Ile Maurice prévoit une remise de 25 % sur la liste des prix France HT pour déterminer le prix net FOB Paris consenti à la société De La Hogue et Guézé.

La société PSM qui indique que de nouveaux contrats ont été conclus en 1996, déclare dans son mémoire en réponse au rapport : "Aujourd'hui le territoire concédé à De La Hogue et Guézé est limité à La Réunion, PSM n'étant pas présente à l'Ile Maurice."

Cette entreprise déclare également : "PSM tient à préciser qu'elle a, dès réception de la notification des griefs, mis fin aux clauses reprochées. En effet, par avenant du 5 mai 1998, PSM et les cocontractants concernés ont supprimé les clauses des contrats de distribution actuellement en vigueur conclus respectivement entre PSM et respectivement Techni Medical Service et De La Hogue et Guézé."

II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,

Sur les marchés de fourniture et de maintenance des appareils d'imagerie médicale :

Considérant que les appareils d'imagerie médicale concernés par la présente saisine sont des matériels dits "lourds", qui nécessitent des investissements importants de la part des établissements publics et privés concernés ; que les différents types d'appareils d'imagerie médicale tels que les appareils d'échographie, les scanographes, les appareils de radiographie conventionnelle et les appareils d'imagerie par résonance magnétique sont des appareils qui se distinguent par leur coût et par leur mode d'utilisation ; que certains de ces appareils font partie des équipements médicaux dont l'installation dans les établissements hospitaliers fait l'objet d'une procédure d'autorisation ; qu'il résulte des spécificités des types d'appareils, de leur coût, ainsi que du fonctionnement du secteur qu'il existe autant de marchés que de types d'appareils d'imagerie médicale ; qu'en outre, la maintenance de ces appareils est assurée par des entreprises spécialisées et constitue un marché distinct de celui de la fourniture des appareils :

Sur les limites géographiques des marchés de fourniture et de maintenance des appareils d'imagerie médicale :

Considérant que les pratiques examinées dans la saisine concernant des accords conclus entre, d'une part, des fournisseurs d'appareils d'imagerie médicale installés en France métropolitaine, appartenant à des entreprises multinationales, et, d'autre part, des revendeurs installés dans des départements d'outre-mer ; que les établissements publics hospitaliers locaux soumis au livre III du Code des marchés publics doivent procéder, pour l'acquisition de ces équipements, à des consultations au niveau national ou communautaire qui, selon le montant des marchés, font l'objet d'annonces au Bulletin des annonces de marchés publics (BOAMP) ou au Journal officiel des Communautés européennes (JOCE) ; qu'ainsi, il ne peut être exclu qu'un fournisseur établi en France métropolitaine ou dans un autre Etat membre décide de répondre à une consultation lancée par un établissement public hospitalier situé dans un département d'outre-mer ; qu'il ressort, par ailleurs, des déclarations du gérant de la société De La Hogue et Guézé, concessionnaire exclusif de la société Philips Systèmes Médicaux dans l'île de La Réunion, reproduites dans la partie I de la présente décision, que les acheteurs publics ou privés d'appareils médicaux disposent de la possibilité de procéder à des achats directs auprès de la société Philips Systèmes Médicaux France en métropole ; que le contrat signé entre la société GEMS France, d'une part, et la société Médiacaraïbe, d'autre part, qui concerne les départements de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane, prévoit, "lorsque les circonstances l'exigent" que la société GEMS France procède à des ventes directes "à sa seule discrétion" ; que, dans un tel cas, le concessionnaire perçoit une rémunération commerciale et une commission "pour services techniques" destinée à le rémunérer pour l'installation du matériel ; que les responsables de la société Philips Systèmes Médicaux France ont déclaré par procès-verbal d'audition, au sujet des départements d'outre-mer : "Il nous arrive de vendre directement dans ces départements et, dans ce cas, nous rémunérons l'agent par des commissions commerciale et technique" ; que les mêmes responsables ont affirmé être intervenus auprès de distributeurs exclusifs installés en Guadeloupe et en Martinique afin qu'ils ne présentent pas d'offre concurrente ; qu'ainsi, le croisement de la demande et de l'offre s'exerçant au niveau national, il y a lieu de retenir l'existence d'un marché de dimension nationale ; que le fait que le Conseil de la concurrence ait eu l'occasion, à plusieurs reprises, d'affirmer "la qualité de marché géographique distinct de chacun des départements d'outre-mer" dans des secteurs d'activités différents ne contredit pas le fait qu'au cas d'espèce la dimension du marché géographique excède les limites administratives de chacun des départements concernés ;

Sur les contrats de distribution exclusive :

Considérant, en premier lieu, qu'une clause d'exclusivité de vente, d'exclusivité d'achat ou de non-concurrence entre deux entreprises n'est prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 que dans la mesure où, d'une part, elle a pour objet ou peut avoir pour effet de restreindre le jeu de la concurrence sur un marché et où, d'autre part, elle ne peut bénéficier des dispositions de l'article 10 de cette ordonnance ;

Considérant, en second lieu, qu'un fournisseur recourant à un réseau de distributeurs exclusifs auxquels il concède des territoires d'exclusivité ne saurait licitement interdire à ces distributeurs de répondre à des sollicitations de clients situés dans des zones géographiques autres que celles faisant l'objet de l'exclusivité dès lors qu'ils ne procèdent pas à une politique de vente active en dehors du territoire qui leur a été concédé ;

Sur la clause relative aux ventes à l'extérieur du territoire concédé introduite dans les contrats de distribution de GEMS France ou Philips Systèmes Médicaux et leurs distributeurs installés dans les départements d'outre-mer :

Considérant que le contrat signé, en 1991, entre la société GEMS France, d'une part, et chacune des sociétés Spie Réunion et Médicaraïbe, d'autre part, stipule que "le distributeur n'est pas autorisé à revendre les produits distribués à des clients situés en dehors dudit territoire, sauf accord préalable et écrit de la société" ; que le contrat conclu, le 1er avril 1980, entre la société PSM, d'une part, et la société Techni Medical Service, d'autre part, stipulait que le revendeur ne pouvait "vendre, installer, entretenir ou réparer les matériels du contrat en dehors du territoire, sauf accord préalable de Massiot-Philips" ; qu'il n'est en outre pas contesté qu'aux termes du contrat signé le 16 avril 1982 entre la société PSM, d'une part, et la société De La Hogue et Guézé, d'autre part, ce distributeur s'engageait à "limiter son activité" au seul département de La Réunion et à l'Ile Maurice ;

Considérant, en premier lieu, qu'une clause faisant interdiction à un revendeur de vendre, installer, entretenir ou réparer les matériels du contrat en dehors du territoire, sauf accord préalable du fabricant, limite la liberté commerciale de ce revendeur, en soumettant à l'autorisation du fabricant la vente d'appareils en dehors du territoire que celui-ci a concédé ; qu'une telle clause, qui vise à empêcher le revendeur de répondre à des demandes de clients situés en dehors de la zone concédée, constitue, par sa nature même, une restriction de concurrence; qu'en outre, ainsi que l'a jugé la CJCE, dans son arrêt Miller contre commission du 1er février 1978, une telle clause, par l'effet "optique et psychologique" qu'elle crée, peut contribuer à favoriser une répartition de marché ; qu'en l'espèce, en raison de la proximité géographique des départements des Antilles et de la Guyane, le revendeur installé en Martinique peut être à même de répondre à des demandes émanant de la Guadeloupe et de la Guyane ; qu'ainsi une telle clause ayant pour objet et pouvant avoir pour effet de limiter le jeu de la concurrence sur les marchés d'appareils d'imagerie médicale est prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant, en second lieu, que, s'il est peu vraisemblable qu'il existe un courant d'échange entre les Antilles et La Réunion s'agissant des appareils concernés, le représentant de la société GEMS France a déclaré en séance que des ventes promotionnelles étaient parfois organisées au profit des revendeurs de matériel médical installés dans les départements d'outre-mer : que, par l'effet de cette clause, ces revendeurs sont empêchés de répondre à une demande d'un client situé en dehors de la zone concédée et de la faire bénéficier de prix attractifs ; qu'ainsi une telle clause ayant pour objet et pouvant avoir pour effet d'empêcher le jeu de la concurrence par les prix entre le fabricant et ses revendeurs sur les territoires situés hors des zones concédées est prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les clauses examinées figurant à l'article I-B des contrats conclus ou appliqués tacitement par la société General Electric CGR respectivement avec la société Médicaraïbe et la société Spie-Réunion, ainsi que celles figurant à l'article 3 des contrats conclus par la société PSM avec les sociétés De La Hogue et Guézé et Techni Medical Service sont prohibées par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Sur l'application du 2 de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :

Considérant que la société GEMS France soutient que l'interdiction de vendre des appareils en dehors du territoire sans autorisation du constructeur est rendue nécessaire par la nature du matériel, dans la composition duquel peuvent entrer des "composants ou des matériaux dangereux" comme des substances radioactives ; que cette entreprise fait en outre valoir que les appareils concernés nécessitent "de nombreuses contraintes en matière d'installation et d'utilisation" ; que, de ce fait, la clause critiquée devrait bénéficier des dispositions du 2 de l'article 10 de l'ordonnance ;

Mais considérant, ainsi que l'ont reconnu les parties en séance, que les clauses examinées ne sont pas indispensables à la mise en œuvre dans des conditions de sécurité satisfaisante des contrats d'exclusivité ; que la société PSM l'a d'ailleurs spontanément supprimée ; qu'il en résulte que les clauses examinées ne peuvent bénéficier des dispositions du 2 de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Sur l'application des dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du Traité de Rome :

Considérant que les sociétés GEMS France et PSM font valoir qu'il est invraisemblable que des acheteurs installés dans d'autres pays de l'Union européenne s'adressent à des distributeurs installés dans des départements d'outre-mer ; que la société GEMS France soutient en outre que l'article 85, paragraphe 1, du traité ne peut trouver à s'appliquer dès lors qu'il n'est pas établi que la pratique examinée affecte les échanges intracommunautaires ;

Considérant qu'il ressort d'une jurisprudence constante des autorités communautaires, rappelée par le TPI des Communautés européennes dans sa décision Parker Pen c/commission du 14 juillet 1994, qu'une protection territoriale absolue échappe à la prohibition de l'article 85 du traité, lorsque l'accord en cause "n'affecte le marché que d'une façon insignifiante"; que, selon le même arrêt, pour être susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres, une décision, un accord ou une pratique doivent permettre d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'ils puissent exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle sur les courants d'échanges entre Etats membres, et cela de manière à faire craindre qu'ils puissent entraver la réalisation d'un marché unique entre Etats membres; qu'en l'espèce, eu égard au système de distribution mis en place par la société GEMS France, intégré en métropole et faisant appel à des distributeurs dans les départements d'outre-mer, et compte tenu de la faible probabilité d'un développement des échanges depuis les départements d'outre-mer vers un Etat de la Communauté européenne, les clauses en question ne comportent pas de risque sensible pour les courants d'échange entre les Etats membres; qu'il en résulte que les clauses examinées échappent à la prohibition de l'article 85, paragraphe 1, du Traité de Rome;

Sur les suites à donner :

Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : "Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières (...)" ;

Considérant qu'il n'est pas établi que les clauses examinées dans la présente décision figurant dans les contrats conclus entre chacune des sociétés GEMS France et PSM, d'une part, et des distributeurs installés dans les départements d'outre-mer, d'autre part, aient été appliquées ; qu'il y a lieu de prendre acte de leur suppression par la société PSM et d'enjoindre à la société GEMS France de les supprimer du contrat la liant avec la société Médicaraïbe et de cesser de les appliquer dans le cadre de ses relations avec la société Spie-Réunion,

Décide :

Art. 1er. - Il est établi que les sociétés GEMS France et PSM ont enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986.

Art. 2. - Il est enjoint à la société GEMS France de supprimer dans le contrat de distribution exclusive la liant avec la société Médicaraïbe la clause interdisant à ce revendeur de "revendre les produits distribués à des clients situés en dehors dudit territoire, sauf accord préalable et écrit de la société" ainsi que de cesser d'appliquer une telle clause dans ses relations avec la société Spie-Réunion.

Art. 3. - Il est pris acte de la suppression, par la société PSM, de la clause figurant dans ses contrats de distribution conclus avec les sociétés Techni Médical Service et De La Hogue et Guézé faisant interdiction à ses revendeurs installés dans les départements d'outre-mer de vendre des appareils d'imagerie médicale à l'extérieur de leur territoire, sauf accord préalable de PSM.