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Décisions

Cass. com., 25 avril 2001, n° 99-11.667

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Laurent Bouillet entreprise (SA)

Défendeur :

Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, Crystal (SA), Industrielle de chauffage entreprise (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dumas

Rapporteur :

Mme Champalaune

Avocat général :

M. Feuillard

Avocats :

SCP Defrénois, Levis, SCP Coutard, Mayer, Me Ricard.

Cass. com. n° 99-11.667

25 avril 2001

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 janvier 1999), que, saisi par le ministre de l'Economie de pratiques relevées sur le marché de la rénovation des installations du chauffage du parc scientifique technologique de Luminy à Marseille, le Conseil de la concurrence a, par décision n° 98-D-26 du 7 avril 1998, estimé que des entreprises s'étaient concertées avant le dépôt de candidatures et préalablement à l'appel d'offres restreint du marché public concerné et a prononcé des sanctions pécuniaires à l'encontre de sept entreprises, parmi lesquelles la société Laurent Bouillet entreprise (société LBE) ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société LBE fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son recours en annulation et réformation de la décision du Conseil de la concurrence du 7 avril 1998, alors, selon le moyen, que, selon l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue de manière équitable, par un tribunal impartial, cette exigence devant être appréciée objectivement ; que le rapporteur général et les rapporteurs permanents auprès du Conseil de la concurrence sont nommés par arrêté du ministre de l'Economie, des Finances et du Budget, partie au litige, et choisis notamment parmi les fonctionnaires de l'Etat ; que le rapporteur dispose de pouvoirs d'enquête importants en vertu des articles 45 et suivants de l'ordonnance du 1er décembre 1986, peut procéder à des auditions, participe à l'élaboration des griefs et établit un rapport dans lequel il peut proposer des sanctions pécuniaires ; qu'il en résulte ainsi que la participation du rapporteur, qui peut être consulté, au délibéré du Conseil de la concurrence, ne garantit pas, de manière objective, le respect des exigences du procès équitable ; qu'ainsi, en refusant d'annuler la décision du Conseil de la concurrence du 7 avril 1998, de laquelle il ressort que le rapporteur a assisté au délibéré du conseil, la cour d'appel a violé l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu qu'il résulte de l'article 2-3° du décret n° 87-849 du 19 octobre 1987 que, lorsque la déclaration de recours contre les décisions du Conseil de la concurrence ne contient pas l'exposé des moyens invoqués, le demandeur doit déposer cet exposé au greffe dans les deux mois qui suivent la notification de la décision frappée de recours ; que la société Laurent Bouillet entreprise n'ayant exposé les moyens d'annulation tirés de la présence du rapporteur au délibéré ni lors de sa déclaration de recours ni dans les deux mois suivant la notification de la décision, elle n'est pas recevable à le faire pour la première fois devant la Cour de cassation et la cour d'appel n'était pas tenue de le relever d'office ; d'où il suit que le moyen est irrecevable ;

Sur le deuxième moyen : - Attendu que la société LBE fait encore le même reproche à l'arrêt, alors, selon le moyen, que lorsque le Conseil de la concurrence décide d'entendre une partie ou toute personne dont l'audition lui paraît susceptible de contribuer à son information, il doit préciser, dans sa décision, la teneur des déclarations recueillies ; qu'en décidant qu'il ne pouvait être reproché au Conseil de la concurrence de n'avoir pas répondu par une motivation spécifique aux déclarations de M. Aubin à la séance du 7 avril 1998, qui avait affirmé ne connaître personne chez la société LBE, et que les lettres "LB" figurant sur ses notes valaient pour cette dernière "reconnaissance de compétence", la cour d'appel a violé les dispositions des articles 11, 13 et 25 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ensemble celles de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales" ;

Mais attendu qu'ayant énoncé que les observations orales présentées et développées contradictoirement lors de la séance du Conseil ont contribué au processus décisionnel, délibéré collectivement par ses membres, ce dont il ressort qu'elles ont été examinées par le Conseil, qui en a souverainement apprécié la valeur probante, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen, pris en ses sept branches : - Attendu que la société LBE fait encore le même reproche à l'arrêt, alors, selon le moyen : 1°) qu'en l'absence de preuve formelle, la preuve d'une entente ne peut résulter que d'indices variés qui, après recoupement, constituent un ensemble de présomptions suffisamment graves, précises et concordantes ; qu'en retenant pour unique preuve de la participation de la société LBE à une entente les seules notes manuscrites de M. Aubin, dirigeant de la société Somesys, la cour d'appel a méconnu les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; 2°) que les juges ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont fournis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en s'abstenant de tenir compte des déclarations orales de M. Aubin lors de la séance du Conseil de la concurrence du 7 avril 1998, qui avait affirmé qu'il ne connaissait personne chez la société LBE, la cour d'appel a violé l'article 1353 du Code civil et 455 du nouveau Code de procédure civile ; 3°) que, dans ses écritures régulièrement signifiées le 3 septembre 1998, la société LBE faisait valoir que M. Aubin avait déclaré à la séance du Conseil de la concurrence du 7 avril 1998 qu'il ne connaissait personne au sein de la société LBE et qu'interrogé par un membre du Conseil à propos de la mention "OK" derrière les lettres "LB", M. Aubin avait précisé qu'il s'agissait d'une reconnaissance de compétence ; qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions, qui venaient contredire l'interprétation par le Conseil de la concurrence des notes manuscrites de M. Aubin, la cour d'appel a méconnu les dispositions de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; 4°) qu'en s'abstenant de rechercher, comme elle y était expressément invitée, si l'écart notable entre le montant effectif de l'offre déposée par la société LBE (16 610 833 francs) et le chiffre indiqué par M. Aubin (16) en face des lettres "LB" dans sa note manuscrite non datée estimée postérieure au 17 avril 1991, n'établissait pas l'absence de participation de la société LBE à une entente avec les autres sociétés soumissionnaires, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; 5°) qu'en s'abstenant de rechercher, comme elle y était invitée, si, lorsqu'il a été envisagé de procéder à un marché négocié après l'échec de l'appel d'offres restreint au mois d'avril 1991, le bureau d'études Beterem n'avait pas engagé de négociations qu'avec le seul groupement moins-disant lors de l'ouverture des plis de cet appel d'offres, à savoir SPIE-Trindel-Semesys-Bencivenga-Albouy, en sorte que la société LBE n'étant nullement impliquée dans ses négociations, il ne pouvait en être déduit son absence de volonté concurrentielle, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; 6°) que, dans ses écritures régulièrement signifiées le 3 septembre 1998, elle avait fait valoir qu'elle s'était portée candidate lorsqu'il avait été envisagé de procéder par voie de marché négocié, après l'échec de la procédure d'appel d'offres restreint, et que si elle n'avait alors manifesté que peu d'enthousiasme à minorer le montant de son offre initiale, c'était parce qu'elle avait dû faire appel à des sous-traitants pour réaliser le marché en un lot unique et qu'elle ne pouvait alors que difficilement baisser un prix qu'elle avait eu du mal à établir ; qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions, qui éclairaient et justifiaient son attitude lors de la procédure du marché négocié, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; 7°) qu'en se bornant à affirmer que le terme "appui" figurant dans une note manuscrite de M. Aubin évoquait des contreparties, pour en déduire la participation de la société LBE à une concertation, sans constater que, dans l'esprit de l'auteur de la note, la somme considérée était bien destinée à la société LBE et, si tel était toutefois le cas, sans constater ni que la société LBE avait acquiescé à cette pratique, ni que des contreparties financières avaient effectivement été versées à cette dernière, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu, en premier lieu, que, contrairement aux énonciations du moyen, la variété des indices qui doivent être retenus pour présumer l'existence d'une entente anticoncurrentielle n'impose pas la diversité de leur source ; que dès lors, la cour d'appel, qui retient que le Conseil de la concurrence s'est fondé sur différentes notes manuscrites de M. Aubin pour retenir l'existence d'une concertation avant le dépôt des candidatures et avant le dépôt des offres entre plusieurs entreprises parmi lesquelles la société LBE, n'encourt pas le grief de la première branche;

Attendu, en deuxième lieu, que l'arrêt relève que la société LBE conteste sa participation à l'entente en affirmant qu'il n'a été démontré aucun contact entre des personnes travaillant chez elle et au sein de la société Somesys et que M. Aubin a reconnu en séance qu'il ne connaissait personne chez LBE ; que l'arrêt énonce que la preuve d'une entente, en l'absence de preuve formelle résultant d'un document unique, peut être rapportée, comme en l'espèce, par un faisceau d'indices précis et concordants ; qu'ayant ainsi répondu, en les écartant, aux conclusions prétendument omises en fondant sa conviction sur des éléments dont elle a souverainement apprécié la valeur probante, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à la recherche inopérante visée à la quatrième branche du moyen, a pu statuer comme elle a fait ;

Attendu, en troisième lieu, qu'ayant énoncé que la société LBE ne peut utilement contester la valeur des déclarations de la société Beterem relatives à des communications téléphoniques que celle-ci aurait eu avec elle, selon lesquelles elle est apparue peu disposée à négocier, ces indications corroborant l'absence de volonté concurrentielle de ladite entreprises qui avait pourtant déposé une offre, ce dont il ressort que la société LBE a bien été invitée à négocier, la cour d'appel a répondu, en les écartant, aux conclusions prétendument omises ;

Attendu, en quatrième lieu, qu'ayant estimé souverainement que le terme "appui" évoque des contreparties, corollaire d'une concertation compte tenu du contexte de passation de ce marché public, la cour d'appel n'avait pas à procéder à la recherche inopérante visée à la septième branche du moyen, laquelle ne vise qu'à remettre en cause l'appréciation des juges du fond sur la valeur probante des éléments de preuve soumis à leur examen ; qu'il suit de là que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le quatrième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société LBE fait encore grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande tendant à voir dire et juger que l'agence de la société LBE de Marseille constituait une entreprise autonome et, en conséquence, condamné la société LBE à payer une sanction pécuniaire de 1 000 000 de francs, alors, selon le moyen : 1°) qu'en se bornant à affirmer que l'ensemble des documents versés aux débats n'établissaient pas l'autonomie de l'agence locale de Marseille pour écarter la demande de la société LBE, sans analyser, même de façon sommaire, les documents sur lesquels elle se fondait, la cour d'appel a méconnu les exigences des articles 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile ; 2°) que les juges ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont fournis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'au soutien de sa demande, la société LBE produisait, d'une part, des délégations de pouvoir des 3 juillet 1973, 28 mai 1975 et 7 août 1991, qui établissaient que le directeur de l'agence de Marseille disposait, à l'époque des faits reprochés, de tout pouvoir pour "remettre toute offre, signer toute soumission, tout marché engageant la société" sans limitation de montant et "acheter ou vendre toutes matières premières et tout produit concernant l'exploitation" et, d'autre part, une attestation du commissaire aux comptes du 3 avril 1998 de laquelle il ressortait que "l'agence de Marseille de LBE est gérée de manière totalement autonome sur le plan commercial" ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait, sans examiner ces éléments de preuve qui lui avaient été proposés par la société LBE, la cour d'appel a violé l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ensemble les articles 1353 du Code civil et 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt retient que l'ensemble des documents versés aux débats par la société LBE ne prouvent pas, comme ils devraient l'établir en eux-mêmes, l'autonomie alléguée de l'agence locale de Marseille; que s'étant ainsi référée aux éléments de preuve produits par la société LBE, identiques à ceux inopérants invoqués à la deuxième branche du moyen, qu'elle a nécessairement analysés pour en écarter le caractère probant, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait et a motivé sa décision; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le cinquième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société LBE fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande tendant à voir annuler et réformer la sanction pécuniaire prononcée à son encontre par le Conseil de la concurrence le 7 avril 1998 et, en conséquence, condamné la société LBE à payer une sanction pécuniaire de 1 000 000 de francs, alors, selon le moyen : 1°) que, dans ses conclusions régulièrement signifiées le 10 novembre 1998, la société LBE avait fait valoir que lors du dépôt du rapport du commissaire du Gouvernement, ce dernier ne disposait pas des éléments financiers sur la situation de la société, que ce n'était que le 31 mars 1998, soit quinze jours après la date limite de dépôt des observations des parties et une semaine avant l'audience du Conseil, que le rapporteur avait demandé à la société LBE de lui communiquer les éléments financiers la concernant, en sorte que cette dernière n'avait pu débattre contradictoirement des éléments devant servir à déterminer le montant de la sanction pécuniaire ; qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions, pourtant de nature à caractériser la méconnaissance du principe de la contradiction, ce qui devait conduire à l'annulation de la décision du Conseil de la concurrence, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; 2°) que, dans ses conclusions régulièrement signifiées le 10 novembre 1998, la société LBE avait fait valoir que le Conseil de la concurrence, tenu de proportionner la sanction à la situation de l'entreprise concernée, n'avait pas pris en compte, pour fixer le montant de la sanction pécuniaire prononcée à son encontre, les résultats déficitaires de l'entreprise qui se traduisaient par une perte d'exploitation de plus de 6,5 millions de francs et par un résultat courant négatif à hauteur de 11,5 millions de francs ; qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions, la cour d'appel a méconnu les dispositions de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, d'une part, qu'ayant elle-même produit, ainsi qu'elle l'énonce dans le moyen, les éléments financiers se rapportant à son entreprise et soumis à l'examen du Conseil de la concurrence pour déterminer l'assiette de la sanction pécuniaire, la société LBE ne peut se prévaloir utilement du défaut de respect du principe du contradictoire ; qu'il en résulte que la cour d'appel n'avait pas à répondre à ses conclusions sur ce point inopérantes ;

Et attendu, d'autre part, qu'ayant relevé que la décision du Conseil de la concurrence a bien pris en compte les dispositions de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 les éléments spécifiques à chaque société puisque la sanction infligée à la société LBE représente 0,5 % de son chiffre d'affaires, la cour d'appel a procédé au contrôle lui incombant quant au respect par le Conseil de la concurrence des critères définis par l'article 13 précité, devenu l'article L. 464-2 du Code de commerce, répondant par là-même aux conclusions prétendument omises ; qu'il suit de là que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.