Livv
Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 28 juin 1989, n° ECOC8910097X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Philips Electronique (SNC)

Défendeur :

Jean Chapelle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

MM. Gelineau-Larrivet, Borra, Mme Montanier

Conseillers :

Mme Hannoun, M. Gourlet

Avoué :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Saint-Esteban, Bremond.

CA Paris n° ECOC8910097X

28 juin 1989

L'entreprise Jean Chapelle, 131, rue de Rennes à Paris (6e), revend au détail et à marge réduite les affaires hi-fi, TV et vidéo.

Elle ne distribue que des produits de marque notoire et s'approvisionne pour partie auprès de la société Philips Électronique Domestique.

Celle-ci lui ayant opposé plusieurs refus de vente depuis le 9 octobre 1986, c'est dans ces circonstances que l'entreprise Jean Chapelle qui conteste la licéité des conditions de vente de la société Philips Électronique Domestique a saisi le Conseil de la concurrence en affirmant que ces dispositions contractuelles ont pour effet d'imposer au revendeur un prix de vente minimum.

Le 6 décembre 1988, le Conseil de la concurrence a fait droit à cette demande. Il a constaté que les conditions générales de vente (CGV) et de service des appareils électroniques domestiques Philips ainsi que l'engagement hi-fi et laser de cette société comportaient une clause qui subordonnait l'octroi des ristournes au respect par les revendeurs de la réglementation économique et de la concurrence, et notamment de la législation sur la revente à perte.

Il a estimé que ces dispositions avaient inévitablement pour effet de limiter la liberté commerciale des revendeurs et de restreindre la concurrence entre eux en leur imposant un prix minimum de revente artificiel égal au prix de base du fournisseur diminué le cas échéant des seules remises accordées au titre des promotions et de l'escompte pour paiement comptant.

Compte tenu de la période à laquelle ces pratiques ont été commises (mars 1986 à décembre 1987), il a fait application, en la cause des dispositions des articles 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 et 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et il a infligé à la société Philips Électronique Domestique une sanction pécuniaire de un million de francs assortie d'une mesure de publication dans la presse.

La société Philips Électronique Domestique a formé un recours contre cette décision.

Elle affirme que la clause litigieuse à l'insertion de laquelle elle a d'ailleurs renoncé depuis le 1er janvier 1988 avait essentiellement pour objet de la prémunir contre le comportement abusif de certains distributeurs.

Elle s'étonne que les conditions de vente qui lui sont reprochées n'aient donné lieu à aucune poursuite de la part de la Direction Générale de la Concurrence et de la Consommation à laquelle elles avaient pourtant été soumises à l'époque de leur établissement.

Elle prétend que la clause qui y figure est licite tant en elle-même que dans ses conséquences.

Que l'existence des ristournes qu'elle prévoit, dont l'acquisition définitive n'intervient qu'à la fin de la période contractuelle après vérification de la réalisation des conditions dont elles sont assorties, est en effet parfaitement valable.

Que ce sont les textes applicables en la cause qui prévoient que les ristournes conditionnelles ne peuvent pas être prises en considération par le revendeur pour établir le seuil du prix de revente à perte, et que la simple lecture de l'article 31 de l'ordonnance de 1986 démontre que les ristournes et rabais conditionnels dont le montant n'est pas chiffrable lors de la conclusion du contrat ne peuvent pas être déduits par anticipation du seuil de la revente à perte.

Que la disposition contractuelle critiquée et jugée illicite par le Conseil de la concurrence, ayant essentiellement pour objet de faire respecter par les revendeurs des dispositions d'ordre public, la décision rendue à son encontre le 6 décembre 1988 ne se justifie pas, l'insertion d'une telle clause ne pouvant être considérée comme constitutive d'une sanction privée comme cela lui a été à tort reproché.

La société Philips rappelle que ces ristournes sont loin de représenter la totalité des remises qu'elle consent à ses revendeurs et elle soutient que la décision entreprise n'a tenu aucun compte des exceptions légales qui limitent le principe de l'interdiction de la vente à perte imposé par notre législation, en négligeant notamment l'existence des dispositions qui permettent à tout revendeur de s'aligner soit sur le prix le plus bas pratiqué légalement sur le marché, soit sur un nouveau prix d'approvisionnement.

Elle conteste que la clause litigieuse ait pour effet de lui permettre de fixer les prix de revente de son matériel en les alignant sur son prix le plus bas, et elle critique les résultats de l'enquête effectuée à ce sujet par la DNEC en faisant observer que cette mesure a été limitée à une seule zone territoriale et à une période de quatre jours, ce qui est nettement insuffisant.

Elle sollicite l'infirmation de la décision entreprise, et, rappelant qu'elle a renoncé depuis le 1er janvier 1988 à l'insertion de cette disposition contractuelle, elle demande à titre subsidiaire la réduction de la sanction pécuniaire qui lui a été infligée par le Conseil de la concurrence.

M. Jean Chapelle conclut au contraire au maintien de la décision du 6 décembre 1988 et réclame le paiement de 3 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Cela étant exposé:

Considérant qu'il est constant que, jusqu'au 1er janvier 1988, les conditions générales de vente de la société Philips ED étaient ainsi libellées :

" Facturation

" Le paiement des ristournes éventuelles s'effectue sous forme d'avoir ; il est subordonné au règlement de toutes les factures à échéances et au respect de la réglementation économique et de la concurrence "

Considérant que l'engagement spécifique aux platines laser (hi-fi et laser 86) indiquait également jusqu'à la même date :

" Vous bénéficierez éventuellement d'une ristourne dont le versement est subordonné :

" au respect de la réglementation économique et de la concurrence, notamment :

" - des dispositions légales relatives à la publicité et à l'affichage des prix,

" - des obligations imposées par la réglementation relative à la disponibilité des matériels,

" - de la loi interdisant la vente à perte,

"- des textes qui condamnent la politique de prix d'appel,

" - des règles d'une concurrence loyale,

" La ristourne de fin d'exercice et ses avances ne seront en conséquence définitivement acquises qu'à l'expiration de l'année contractuelle. ".

Considérant que si l'exigence du respect de la réglementation économique et de la concurrence contenue à cette clause contractuelle ne constitue pas en soi une disposition illicite, la société Philips ED ne peut cependant s'arroger le droit de constater, qualifier et réprimer discrétionnairement les manquements à la réglementation en vigueur qui pourraient être commis par un de ses revendeurs ;

Considérant que le contrôle et la sanction de tels agissements relèvent en effet des autorités judiciaires ou administratives auxquelles cette société ne peut se substituer ;

Que le caractère différé de la ristourne conditionnelle prévue par les CGV permet, d'autre part, à la société Philips de supprimer en fin d'année les remises auxquelles un revendeur pourrait prétendre pour la totalité des commandes afférentes à l'exercice considéré ;

Que, compte tenu de l'existence de la condition qui assortit le paiement de ces ristournes soumises au pouvoir d'appréciation souverain que la société Philips exerce sur son comportement, le revendeur qui en connaît le montant ne peut pourtant en tenir compte dans l'établissement du prix d'achat effectif sous peine de se voir reprocher une vente à perte au sens où l'entend l'article 32 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant en effet que, dans cette hypothèse, la société Philips qui l'a d'ailleurs déjà fait, refuserait pour ce motif de lui verser en fin d'année les remises à la déduction desquelles il aurait déjà procédé, ce qui l'empêche par conséquent de faire bénéficier ses clients des ristournes qui lui sont consenties et aboutit en fait à un alignement des prix ;

Considérant que la pratique ainsi imposée par les conditions générales de vente de la société Philips a donc pour effet de maintenir un niveau artificiellement élevé des prix de vente au détail et interdit aux "discounters " de se livrer à la concurrence par le procédé de la revente à marge réduite ;

Que l'enquête administrative diligentée par la DNEC a révélé que les prix de revente des platines laser étaient pratiquement identiques entre eux et très voisins du tarif de base de la société Philips ;

Qu'en l'absence de la preuve de son caractère incomplet ou erroné il n'y a pas lieu de mettre en doute les résultats de cette enquête qui a été effectuée sur un échantillon représentatif de revendeurs d'une des régions commercialement les plus actives de France ;

Que les ristournes litigieuses qui ont varié pour la période considérée entre 12 et 18 p. 100 selon les chiffres d'affaires réalisés sont donc loin d'être aussi négligeables que le soutient la société Philips ED qui ne démontre pas que la pratique à laquelle elle s'est ainsi livrée lui a été imposée par une disposition législative ou réglementaire ;

Considérant en effet que la lettre que la Direction Générale de la Concurrence et de la Consommation a adressée à cette partie le 13 mai 1981 contenait des réserves qui portaient tant sur le principe que sur l'application de ses conditions générales de vente ;

Que c'est à bon droit par conséquent que, tenant compte du fait que la société Philips a renoncé depuis le 1er janvier 1988 à l'insertion de la clause litigieuse, le Conseil de la concurrence a fait application en la cause des dispositions des articles 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 et 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et qu'il a fixé à un million de francs le montant de la sanction pécuniaire qu'il lui a infligée ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de M. Jean Chapelle les frais non répétibles justifiés par lui exposés du fait de la présente instance;

Qu'il convient de lui allouer 3 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Par ces motifs : LA COUR, Confirme en toutes ses dispositions la décision n° 88-D-47 rendue le 6 décembre 1988 par le Conseil de la concurrence ; Condamne la société Philips au paiement de 3 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; La condamne aux dépens de l'instance.