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Décisions

Conseil Conc., 8 juillet 1997, n° 97-A-18

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Avis

Demande d'avis du ministre délégué aux finances et au commerce extérieur concernant l'application de l'article 10-1 de l'ordonnance au secteur du disque

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de M. Philippe Komiha, par MM. Barbeau, président, Cortesse, vice-président, M. Bon, Mme Boutard-Labarde, MM. Callu, Gicquel, Mme Hagelsteen, MM. Marleix, Pichon, Robin, Rocca, Sargos, Urbain, membres.

Conseil Conc. n° 97-A-18

8 juillet 1997

Le Conseil de la concurrence (formation plénière),

Vu la lettre enregistrée le 10 février 1997 sous le numéro A 209, par laquelle le ministre délégué aux finances et au commerce extérieur a saisi le Conseil de la concurrence, sur le fondement de l'article 5 de l'ordonnance n° 86­1243 du 1er décembre 1986, d'une demande d'avis relative à l'application de l'article 10­1 de ladite ordonnance au secteur du disque ; Vu l'ordonnance n° 86­1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86­1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Le rapporteur, le rapporteur général et le commissaire du Gouvernement entendus ; Est d'avis de répondre à la demande présentée dans le sens des observations qui suivent :

Sur le fondement de l'article 5 de l'ordonnance n° 86­1243 le ministre délégué aux finances et au commerce extérieur a saisi, le 10 février 1997, le Conseil de la concurrence d'une demande d'avis relative aux modalités d'application de l'article 10­1 de ladite ordonnance au secteur du disque. Le ministre souhaite que le conseil fasse connaître, dans ses grandes lignes, l'interprétation qu'il entend donner à ce texte lorsqu'il est appliqué au cas particulier de la revente des phonogrammes, de façon à déterminer une méthodologie de recevabilité des plaintes, orienter les enquêtes ou se prononcer sur d'éventuelles demandes de mesures conservatoires.

Les questions posées au conseil par le ministre sont de trois ordres : les coûts à prendre en considération, la délimitation du marché, les conditions dans lesquelles des pratiques portant sur un produit ou sur une catégorie de produits peuvent être qualifiées au regard de l'article 10­1.

Dans le présent avis le conseil, après un rappel des principales caractéristiques du secteur des phonogrammes et de la jurisprudence relative aux prix de prédation, propose une démarche méthodologique à partir de laquelle sont proposées les réponses à apporter aux questions posées par le ministre.

I­ LES CARACTERISTIQUES DU SECTEUR DES PHONOGRAMMES

A­ Les produits

Les phonogrammes comprennent les disques vinyles (formats 33 et 45 tours), les musicassettes (formats 30, 60, 90 et 120 minutes), les disques compacts laser (formats album et single) et les bandes magnétiques. Les supports les plus largement répandus auprès du grand public sont les disques compacts (127 581 895 unités en 1996) et les musicassettes (17 265 305 unités en 1996).

Les professionnels distinguent trois grandes catégories de produits : musique classique, variétés internationales et variétés françaises. Outre la différenciation par genre et par interprétation, la profession classe les produits en deux grandes catégories en fonction d'un critère de durée par rapport à leur date de sortie : les nouveautés d'une part, le fond de catalogue d'autre part. Selon les informations obtenues des milieux professionnels la notion de nouveauté est très fluctuante : pour certains produits, elle peut être réduite à deux semaines, pour d'autres atteindre un an ou plus. La fourchette de durée citée le plus souvent va de un à trois mois.

La période pendant laquelle le produit garde son caractère de nouveauté est fonction de sa notoriété qui peut être " intrinsèque ", c'est­à­dire liée à la réputation des interprètes et/ou à la qualité des œuvres, ou " externe " c'est­à­dire résulter des modalités de l'information du public et des différentes formes de promotion : publicité écrite, radiophonique et télévisuelle, passages sur les radios, tournées d'artistes, présentation sur les lieux de vente, présence sur les points d'écoute en magasin.

Le critère du passage en fond de catalogue est par suite aléatoire. En plus des éléments évoqués ci­dessus, le passage en fond de catalogue relève d'un choix propre à chaque distributeur et n'implique pas nécessairement une modification du prix de vente. Par suite un même produit peut se retrouver en fond de catalogue chez un revendeur et être maintenu en nouveauté chez un autre. Le client potentiel de ces deux revendeurs ignore ce choix de positionnement. Il semble que la seule perception que le consommateur puisse en avoir résulte de la façon dont le produit est matériellement présenté : les nouveautés sont présentées en tête de gondole ou sur des présentoirs qui permettent de visualiser toute la maquette du disque, tandis que les disques constituant le fond de catalogue sont rangés dans des bacs et classés par genre et par interprètes. Le mode de présentation peut donc être considéré comme une caractéristique de la nouveauté.

B­ Les composantes de l'offre

L'offre de phonogramme met en relation trois catégories d'intervenants : les éditeurs, les grossistes, les distributeurs au stade du détail.

C'est aux éditeurs de phonogrammes que revient l'initiative de la première fixation du son sur un support matériel. Le cycle de production d'un phonogramme se compose, d'une part, d'une activité non industrielle réalisée par le producteur et, d'autre part, d'un ensemble de processus purement techniques et commerciaux. La production d'un disque met ainsi en œuvre des moyens matériels et humains répartis en six fonctions de base : la création, l'enregistrement, l'édition, la fabrication, la promotion et la commercialisation. L'éditeur dispose d'une exclusivité commerciale absolue sur les œuvres qu'il produit : les catalogues des producteurs ne sont donc pas substituables entre eux.

Pour un éditeur, le choix de la vente directe ou par l'intermédiaire d'un grossiste est déterminé par deux types de facteurs :

- en premier lieu, par la taille de l'entreprise et, par suite, par l'importance de sa force commerciale. Un petit producteur, dont la force de vente est limitée pour des raisons de coût, aura plus volontiers recours aux grossistes. Inversement, un producteur important, qui peut supporter le coût d'une force de vente étoffée, pourra démarcher lui­même les détaillants.

- en second lieu, par l'importance des points de vente en taille et en chiffre d'affaires. Ainsi, les sociétés qui regroupent une multiplicité de points de vente (FNAC, Virgin, grands magasins, grandes centrales alimentaires) sont traitées directement par la majorité des producteurs. A l'inverse, les points de vente indépendants ou les magasins de surface plus réduite (supérettes, supermarchés) sont approvisionnés essentiellement par les grossistes.

Une même enseigne de la grande distribution alimentaire peut faire appel à un système d'approvisionnement mixte. Les magasins disposant d'un très important rayon de disques peuvent être approvisionnés directement par les éditeurs, tandis que d'autres points de vente le seront par un ou plusieurs grossistes. Dans certains cas la gestion du rayon est confiée au grossiste lui­même.

L'orientation accrue de la demande vers les grands spécialistes et le développement des achats en hypermarchés a eu pour conséquence de réduire le rôle des grossistes. Aujourd'hui, leur nombre n'excède pas une demi­douzaine ; l'un d'entre eux, la Cogedep, est une filiale commune des cinq éditeurs leaders du marché. D'après les données du SNEP, les ventes des éditeurs aux grossistes représentent environ 18 % de leur chiffre d'affaires.

La vente de disques au détail se fait par l'intermédiaire de deux formes de distribution principales : les spécialistes, et les magasins dont les phonogrammes constituent une activité accessoire. Les spécialistes englobent deux sortes de points de vente :

- les disquaires indépendants, magasins de proximité installés en centre ville, qui ont connu un fort développement lors de l'apparition du microsillon, mais dont la présence aujourd'hui s'est réduite, tant en nombre qu'en chiffre d'affaires ; leur nombre est passé en vingt ans de 3000 à environ 200. Ils sont crédités d'une part de marché voisine de 8 % ;

- les grandes et moyennes surfaces à dominante culturelle : les phonogrammes représentent une part significative, voire exclusive, de leur activité. Ce sont notamment les magasins aux enseignes FNAC, Virgin, Nuggets, Madison, Extrapole, Hypermedia. Les magasins de ce type, d'abord installés dans les centres­villes, se développent aussi en périphérie des agglomérations, notamment au sein des centres commerciaux. Ils sont en mesure de proposer un large choix de produits, jusqu'à 120 000 références pour certains magasins.

Au sein de la distribution généraliste il convient de distinguer les petits commerces : drugstores, stations­services, magasins d'électroménager, librairies­papeteries, qui accessoirement peuvent vendre des phonogrammes, en général de variétés et récents, et la grande distribution généraliste qui comporte diverses composantes :

- les grands magasins qui possèdent des rayons de disques de tailles variables proposant à la vente des nouveautés et des produits de fond de catalogue. Leur part du marché est estimée à environ 3 % ;

- les supermarchés d'une surface de 400 à 2 500 m2, principalement offreurs de produits alimentaires, mais aussi de produits non alimentaires, notamment en rayon " bazar ". Ils sont implantés dans les centres­villes ou dans les quartiers périphériques des grandes agglomérations et ont une fonction de magasin de proximité. Leur offre de phonogrammes, dans un rayon dont la superficie est en général restreinte, porte essentiellement, voire exclusivement sur des nouveautés de variétés ;

- les hypermarchés, d'une surface supérieure à 2 500 m2 pouvant aller jusqu'à 20 000 m2, situés, à de rares exceptions près, en périphérie ou à l'extérieur des agglomérations. Leur attractivité commerciale est très forte.

Supermarchés et hypermarchés sont crédités d'une part du marché pour les phonogrammes évaluée entre 45 et 48 %.

Dans sa demande d'avis le ministre précise : " Les distributeurs, et notamment les hypermarchés, proposent à la vente quelques disques à prix égal au prix coûtant, ou proche de celui­ci. Il s'agit en général des nouveautés médiatisées par les éditeurs qui font l'objet d'une forte demande. Cette pratique de prix coûtant est rendue possible par le fait que ces modes de distribution, s'ils ne semblent pas pratiquer des péréquations entre produits culturels et autres produits, sont en mesure d'en effectuer soit entre les différentes catégories de disques, soit entre le disque et d'autres produits culturels. " Le ministre poursuit en indiquant que : " les petits disquaires, compte tenu de leurs coûts, ne peuvent soutenir un effort de promotion aussi important et de manière aussi régulière sans porter atteinte à la santé financière de leur entreprise. Ils entretiennent en effet un fond de catalogue que les hypermarchés n'ont pas ou quasiment pas, et ce fond entraîne un surcoût lié à une plus grande intensité de service de vente et à un fond de roulement correspondant à un stock permanent plus important ".

Une enquête menée par les services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes n'a pas permis de conclure à une pratique systématique de prix coûtant. De façon générale, les grandes surfaces alimentaires pratiquent des marges inférieures à celles des spécialistes, ainsi que le plus souvent des marges différenciées par produit au sein d'un même point de vente. Par contre, les taux de marges pratiquées par les spécialistes sont moins dispersés, à l'exception de certains multi­spécialistes dont le comportement en matière de marges se rapproche de celui des hypermarchés, avec toutefois une moindre dispersion. Par ailleurs, les situations sont contrastées d'un département à l'autre, ainsi qu'au sein d'une même enseigne, d'un point de vente à l'autre.

Quant aux choix et aux services offerts aux consommateurs, en général les spécialistes sont mieux placés que la distribution généraliste. Cependant les écarts entre spécialistes et généralistes tendent à se réduire. Ces derniers visent en effet à valoriser ce rayon, tant en termes de qualité de service que de présentation. Quelques enseignes développent un concept " d'espace culturel ", avec de nombreuses références de catalogue et la présence d'un vendeur spécialisé.

Enfin, il convient de mentionner que la vente par correspondance, représentée essentiellement dans le secteur du disque par les sociétés France Loisirs et Dial, détient 5% du marché du disque.

C­ La demande

La demande est déterminée par de nombreux facteurs : goûts personnels, réputation des auteurs ou des interprètes, publicité, notamment radiophonique, etc.

Une catégorie spécifique d'acheteurs est constituée par les inconditionnels (ou fans) d'un auteur ou interprète qui constituent en quelque sorte une clientèle captive pour l'éditeur de l'artiste concerné. De même, d'autres acheteurs sont amateurs d'un genre particulier de musique, voire d'un style donné, ou encore d'un compositeur particulier.

Les études réalisées par des instituts de sondage ainsi que les opinions exprimées par les professionnels font apparaître que, pour le disque, les critères du prix et de la proximité du lieu d'achat sont déterminants dans la majorité des cas, d'autant qu'il s'agit principalement d'achats d'impulsion. Par suite, la demande s'oriente principalement, pour les nouveautés fortement mises en avant, vers les distributeurs les plus attractifs en matière de prix, c'est­à­dire les hypermarchés ou les grands spécialistes. Toutefois, soit lorsqu'il s'agit de nouveautés d'une notoriété moindre, soit lorsque l'acheteur a une idée précise du produit qu'il envisage d'acquérir, la demande s'oriente plutôt vers les points de vente qui offrent une gamme étendue de disques et une certaine permanence de l'assortiment.

II­ LA JURISPRUDENCE RELATIVE AUX PRIX DE PREDATION

L'article 10­1 de l'ordonnance dispose que sont prohibées " les offres de prix ou pratiques de prix de vente aux consommateurs abusivement bas par rapport aux coûts de production, de transformation et de commercialisation, dès lors que ces offres ou pratiques ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'éliminer d'un marché ou d'empêcher d'accéder à un marché une entreprise ou l'un de ses produits ".

A plusieurs reprises, lors des débats parlementaires concernant ces dispositions, il a été fait référence à la notion de prix prédateurs et à la jurisprudence européenne et nationale. De même, le conseil, dans son avis n° 96­A­05 du 2 mai 1996, portant sur certaines questions de concurrence soulevées par des dispositions du projet de loi sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales, a rappelé que " les dispositions envisagées qui définissent le prix abusivement bas par rapport aux coûts de production, de transformation et de commercialisation s'inscrivent dans la droite ligne de la jurisprudence communautaire et nationale sur les prix de prédation. L'objectif du projet de loi est de faire que cette prohibition s'applique dans les cas où les entreprises ne sont ni en entente ni en position dominante."

La Cour de justice a, dans l'affaire Akzo (3 juillet 1991), défini deux situations de prix de prédation :

" ­ des prix inférieurs à la moyenne des coûts variables par lesquels une entreprise dominante cherche à éliminer un concurrent. Une entreprise dominante n'a, en effet, aucun intérêt à pratiquer de tels prix, si ce n'est celui d'éliminer ses concurrents pour pouvoir, ensuite, relever ses prix en tirant profit de sa situation monopolistique, puisque chaque vente entraîne pour elle une perte, à savoir la totalité des coûts fixes, et une partie au moins des coûts variables afférents à l'unité produite ;

" - par ailleurs, des prix inférieurs à la moyenne des coûts totaux, qui comprennent les coûts fixes et les coûts variables, mais supérieurs à la moyenne des coûts variables, doivent être considérés comme abusifs lorsqu'ils sont fixés dans le cadre d'un plan ayant pour but d'éliminer un concurrent. Ces prix peuvent en effet écarter du marché des entreprises, qui sont peut­être aussi efficaces que l'entreprise dominante mais qui, en raison de leur capacité financière moindre, sont incapables de résister à la concurrence qui leur est faite".

La Cour de justice a ainsi relevé une sélectivité des prix effectuée par Akzo selon les clients qui démontrait que l'intention d'Akzo n'était pas de pratiquer une politique générale de prix avantageux, mais de mettre en œuvre une stratégie de nature à nuire à son concurrent. Par contre la cour a admis la licéité des différences de prix pratiquées de manière habituelle vis à vis de clients qui ne sont pas dans une situation comparable.

Dans l'affaire British Sugar/Napier Brown du 18 juillet 1989 la Commission des Communautés européennes, après avoir constaté que British Sugar a mené une politique de " gâchage des prix ", a déduit une volonté d'éviction du marché vis­à­vis de Napier Brown à partir de faits prouvant une telle volonté : refus de livraisons en direct, réajustements de prix pratiqués en dehors des dates habituelles de négociations des contrats, prix prédateurs ciblés sur les clients du concurrent, propositions de prix toujours inférieures à celles du concurrent, en ayant pris l'initiative des premières propositions de baisse.

Pour sa part, le Conseil de la concurrence, dans sa décision n° 94­D­30 du 24 mai 1994 concernant la situation de la concurrence sur le marché du béton prêt à l'emploi dans le Tarn, a considéré que le fait pour un producteur en position dominante de chercher à éliminer un nouvel entrant pratiquant sur le marché des prix compétitifs, en vendant son produit à un prix inférieur à son coût variable, constitue un abus anticoncurrentiel de sa position dominante. Une telle stratégie le conduit en effet à accumuler délibérément des pertes et ne peut être compatible avec son propre intérêt que s'il espère compenser ces pertes par les profits qu'il pourra réaliser ultérieurement une fois son concurrent disparu.

Le Conseil a également considéré que le fait pour un producteur dominant de réagir à l'apparition d'un nouvel entrant en pratiquant des prix inférieurs à ses coûts moyens totaux, mais supérieurs à ses coûts moyens variables, peut être regardé comme un abus anticoncurrentiel de sa position dominante, s'il est établi que cette stratégie a pour objet ou peut avoir pour effet d'interdire au nouveau concurrent de se maintenir sur le marché.

Cette jurisprudence a été confirmée par la Cour d'appel de Paris.

Ainsi alors que, lorsqu'une entreprise en position dominante fixe son prix de vente en dessous de ses coûts variables, la présomption de sa volonté d'éviction de son ou de ses concurrents est établie ; lorsque son prix de vente est inférieur à ses coûts totaux, la volonté d'élimination de son ou de ses concurrents doit être démontrée à partir de l'analyse des pratiques et du comportement de leur auteur.

Dans les deux hypothèses (prix de vente inférieurs aux coûts variables ou aux coûts moyens totaux), les pratiques sont mises en œuvre dans une configuration de marché structurellement déséquilibrée. L'agresseur est en mesure d'adopter un comportement prédateur soit parce qu'il en a la capacité financière, soit parce qu'il exerce d'autres activités sur le même marché ou sur d'autres marchés et qu'à l'inverse de son ou de ses concurrents il dispose soit de possibilités de compensation immédiate (par exemple entre clients ou entre activités), soit de possibilités de compensation ultérieure une fois le concurrent éliminé.

En généralisant la prohibition des prix abusivement bas, l'article 10­1 vise implicitement les situations de déséquilibre structurel des marchés dans lesquelles, même en l'absence de position dominante ou d'entente, une entreprise peut être en mesure, en mettant en œuvre des pratiques de prédation, d'éliminer un ou des concurrents sur ce marché.

En conséquence, la méthode proposée par le conseil pour examiner les saisines concernant le marché du disque qui pourraient lui être adressées sur le fondement de l'article 10­1 s'appuie logiquement sur la jurisprudence rappelée ci­dessus.

III­ LA DEMARCHE METHODOLOGIQUE

L'article 10­1 de l'ordonnance prohibe les prix abusivement bas dès lors qu'ils ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'éliminer d'un marché, ou d'empêcher d'accéder à un marché, une entreprise ou l'un de ses produits. Le texte affirme explicitement la nécessité d'un lien entre la pratique et un effet d'éviction du marché.

A­ La détermination du marché :

Sur la question de la détermination du marché pertinent, le conseil propose de retenir la définition qu'il a donnée dans son avis n° 96­A­05 du 2 mai 1996 portant sur certaines questions de concurrence soulevées par des dispositions du projet de loi sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales :

" Le marché, au sens où l'entend le droit de la concurrence, est défini comme le lieu sur lequel se rencontrent l'offre et la demande pour un produit ou un service spécifique. Sur un marché, les unités offertes sont parfaitement substituables pour les consommateurs qui peuvent ainsi arbitrer entre les offreurs lorsqu'il y en a plusieurs, ce qui implique que chacun de ces derniers est soumis à la concurrence par les prix des autres offreurs. Une substituabilité parfaite entre produits ou services s'observant rarement, le conseil, comme d'ailleurs les autres autorités de concurrence, regarde comme substituables, et comme se trouvant sur un même marché, les produits ou services dont on peut raisonnablement penser que les demandeurs les regardent comme des moyens alternatifs entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande. Ainsi comprise la définition du marché sert à définir les contours de la concurrence potentielle."

Selon les produits ou les services, la délimitation d'un marché de consommation peut être effectuée en utilisant plusieurs méthodes. Cependant, fondamentalement, la substituabilité des produits se détermine en fonction de deux grilles d'analyse :

- l'usage des biens ou services en cause et la satisfaction des besoins des demandeurs ;

- la zone géographique dans laquelle ces besoins peuvent être satisfaits et où ces biens ou ces services sont accessibles.

Par ailleurs, dans son avis n° 97­A­04 du 11 janvier 1997 relatif à diverses questions portant sur la concentration de la distribution, le conseil a apporté des précisions sur la méthodologie à appliquer pour délimiter le marché pertinent au niveau de la vente au détail. Il a indiqué que, s'agissant du commerce de détail, il convient de tenir compte autant du service commercial rendu que de la nature des produits, et que la définition du marché doit se fonder sur trois paramètres que les consommateurs prennent consciemment ou inconsciemment en compte pour effectuer leurs achats, notamment l'accessibilité du magasin (proximité, durée du trajet, parking), la substituabilité des produits, le service rendu (prix, assortiment).

Les spécificités du service rendu peuvent inclure : la dimension des magasins, les gammes, les références, le libre service, la nature des produits, l'assortiment, les prix, présence d'un vendeur, services d'accueil, de conseil ou d'information. La prise en compte de ces spécificités peut conduire à distinguer un marché des supermarchés, un marché des hypermarchés, un marché des distributeurs spécialisés, un marché des commerces de proximité.

Quant à la nature des produits, on considère que sont substituables entre eux ceux dont on peut vraisemblablement penser que les demandeurs les regardent comme des moyens entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande, en tenant compte à la fois des caractéristiques des produits (fonction, forme, composition, conditionnement, image, qualité, durabilité, commodité d'utilisation...), des habitudes de consommation, de la mobilité géographique des acheteurs. Lorsque le service commercial offert influence peu l'acte d'achat, des produits substituables, vendus par des formes de commerce différentes, peuvent appartenir à un même marché. L'intensité de la concurrence entre les différentes formes de commerce dépend de leur capacité à différencier leur offre ; la spécificité de service commercial offert par chaque forme de commerce est d'autant plus forte que l'organisation du marché a atteint un degré suffisant de maturité.

L'avis conclut que la délimitation des marchés de la vente au détail ne s'effectue qu'au cas par cas.

S'agissant des phonogrammes, il existe deux types principaux de supports qui, par leur composition, leurs techniques de fabrication, leurs coûts respectifs, leur gamme de prix de vente distincts et le type d'appareils nécessaires à leur écoute, peuvent être considérés comme n'étant pas substituables entre eux : les disques compacts d'une part, les cassettes d'autre part.

Par leur contenu, au sein de chacun de ces supports, les produits sont différents (genre, style, interprète, etc). Cependant il est possible de considérer qu'il existe un marché du disque qui comporte des produits différenciés mais potentiellement substituables à tout moment. Dès lors qu'il est reconnu par les professionnels qu'il s'agit principalement d'achats d'impulsion, pour lesquels les critères de choix principaux sont les niveaux de prix et la proximité des lieux d'achat. En outre dans la mesure où les services, tels que le conseil d'un vendeur ou l'étendue des catalogues, sont peu discriminants, les disques vendus par des formes de commerce différentes pourront être considérés comme se situant sur un même marché. De même le critère de proximité conduit à considérer que le marché est limité géographiquement en fonction des facilités de déplacement.

Ainsi, dans certains cas, dans la zone de chalandise constituée par une ville moyenne et sa périphérie immédiate, des disquaires traditionnels installés en centre ville, des magasins de chaînes spécialisées situés plus souvent en centre ville mais aussi dans des centres commerciaux de périphérie, et des hypermarchés pourraient être considérés comme se situant sur un même marché. A l'inverse, dans de très grandes villes, ou dans des petites villes assez éloignées de la zone d'influence d'hypermarchés installés à la périphérie de la ville plus importante la plus proche, l'éloignement et les difficultés de déplacement entre les magasins de centre ville et les grandes surfaces alimentaires sont tels qu'il est possible de considérer qu'ils ne sont pas situés sur le même marché.

La distinction des nouveautés et des fonds de catalogue ne peut pas non plus constituer un critère de segmentation pour les raisons qui ont été exposées au point I­A. Du côté des éditeurs elle correspond aux efforts de lancement et de promotion du produit et à un positionnement de prix visant à amortir les frais engagés dans les plus brefs délais. Du côté de la distribution finale elle correspond davantage à un mode de gestion du rayon, les produits classés en nouveauté faisant l'objet d'une mise en avant et d'une présentation spécifique sur les présentoirs, tandis que les fonds de catalogue font l'objet d'un autre mode de rangement.

Pour les demandeurs cette distinction est sans objet. Si pour des disques qui viennent de sortir le caractère de nouveauté est manifeste et constitue une motivation d'achat, dans la majorité des cas la classification des disques par le distributeur ne correspond pas nécessairement à la perception des acheteurs. Ils arbitrent en permanence entre les nouveautés et les produits classés " fond de catalogue " par le revendeur, dès lors qu'ils sont tous deux disponibles dans le point de vente.

B­ La constatation de conditions d'éviction

Après avoir défini le marché, il convient d'établir si la pratique est susceptible d'avoir un effet d'éviction notamment parce qu'elle se situe dans un contexte de déséquilibre. Le lien entre la pratique et l'effet d'éviction conduit donc à définir les conditions dans lesquelles des prix attractifs seraient de nature à éliminer un concurrent, la simple constatation de prix trop bas par rapport aux prix habituellement pratiqués ne pouvant suffire à justifier l'application de l'article 10­1. A cet égard, devraient être exclues d'un examen au titre de l'article 10­1 des pratiques de prix réputés trop bas, s'il est démontré :

- qu'il s'agit d'opérations ponctuelles, quant à leur durée et quant au nombre de disques concernés ;

- que les disques vendus à bas prix ne font pas l'objet d'une publicité ou d'une mise en avant particulière ;

- que les promotions concernées n'exercent pas un effet d'entraînement sur les ventes d'autres disques ;

- que l'éventualité de l'éviction du distributeur, qui se prétend victime d'une politique d'alignement systématique d'un concurrent, ou d'une politique de prix systématiquement inférieurs aux siens, est peu probable compte tenu notamment de sa part de marché ou d'autres facteurs tels que son appartenance à un groupe, la multiplicité de ses activités, ou encore sa surface financière ou commerciale.

En effet, dans ces circonstances, des pratiques de prix attractifs seraient la manifestation de l'exercice normal de la concurrence et ne seraient pas de nature à éliminer un concurrent.

En revanche d'autres circonstances peuvent justifier l'examen de prix dénoncés comme abusivement bas au regard de l'article 10­1. Ces circonstances tiennent au rapport de force entre les distributeurs concernés, à la constatation que la pratique est suffisamment permanente et étendue, à l'effet d'attraction exercé par les disques concernés.

Sur les rapports de force entre distributeurs :

Seule une pratique de prix très bas mise en œuvre par un distributeur, dont le maintien sur le marché est en tout état de cause assuré notamment en raison de sa part de marché, de ses capacités financières, de ses structures commerciales, et à condition que la pratique soit de nature à évincer du marché préalablement défini des distributeurs qui ne disposeraient pas eux­mêmes des moyens de résister à cette pratique commerciale, pourrait revêtir un caractère abusif. Ces différences de moyens peuvent ainsi porter sur :

- les capacités financières respectives des entreprises : l'une est intégrée dans une chaîne ou un groupe susceptible d'absorber les pertes résultant de la pratique de prix prédateurs qu'il met en œuvre, tandis que l'autre (ou les autres), notamment si elle est indépendante, ne dispose que d'une surface financière restreinte qui ne lui permet pas de couvrir les pertes consécutives à l'agressivité commerciale de la première ;

- leur force commerciale respective : l'une dispose d'une multiplicité de points de vente répartis sur l'ensemble du territoire, ce qui peut lui permettre de compenser les pertes supportées dans un magasin par l'activité des autres magasins ; par contre son concurrent, disposant d'un seul ou d'un petit nombre de magasins, ne peut opérer de telles compensations ;

- leur structure d'activité respective : la première, outre les disques, commercialise d'autres catégories de produits, de telle sorte que les disques ne représentent qu'une faible part de son activité et que les pertes supportées sur les disques peuvent être compensées par les gains sur les autres produits ; par contre pour la seconde les disques constituent la totalité ou une part prépondérante de son activité, de telle sorte que les pertes qu'elle manifeste sur ces produits sont susceptibles de menacer l'équilibre de son entreprise.

Sur la constatation d'une pratique permanente et étendue :

Seule est susceptible de revêtir un caractère abusif une pratique de prix bas qui présente un caractère suffisamment permanent et étendu, de telle sorte que l'on puisse en déduire qu'elle fait partie d'une stratégie de détournement de la clientèle d'un concurrent et d'éviction de celui­ci.

La permanence de la pratique peut être appréciée de plusieurs façons.

Par rapport aux produits :

- s'il est constaté que le distributeur pratique de manière répétitive dans le temps des prix prédateurs de telle sorte qu'il capte régulièrement la clientèle potentielle de ses concurrents, et que cette répétition entraîne des pertes cumulatives de ces derniers ;

- le fait d'appliquer systématiquement des prix très bas à des produits porteurs qui représentent une part significative de la demande, notamment des produits à forte visibilité, soit en raison de leur notoriété, soit en raison de leur mise en avant par les éditeurs ou le distributeur ;

- le fait de pratiquer durablement, de façon continue, des prix anormalement bas sur un ou plusieurs disques, si ces disques sont des produits porteurs ;

- s'il est constaté que les prix abusivement bas pratiqués sur certains produits permettent d'attirer et de retenir la clientèle et qu'une proportion significative de celle­ci, outre ces produits, acquiert d'autres disques, notamment parce que les économies qu'elle réalise sur les premiers l'incitent à en acheter d'autres ;

- le fait de pratiquer des prix très bas aux périodes des plus fortes ventes telles que les fêtes de fin d'année ou au moment de la sortie des produits de forte notoriété.

Par rapport aux concurrents :

- lorsqu'une chaîne pratique des prix très bas dans une zone de chalandise dans laquelle un concurrent vient de s'implanter, alors que dans le même temps elle pratique des prix supérieurs dans ses autres points de vente, pour les mêmes produits commercialisés dans les mêmes conditions ;

- lorsqu'un distributeur pratique des prix systématiquement inférieurs à ceux d'un concurrent local, de telle sorte que ce concurrent ne puisse couvrir ses coûts de commercialisation.

L'étendue de la pratique pourra être appréciée en fonction des éléments suivants :

- des différences de prix qui devront être suffisamment importantes pour rendre vraisemblable l'éviction du concurrent ;

- du poids que le ou les disques sur lesquels s'exerce la pratique représente dans l'activité respective du distributeur qui la met en œuvre, et de celui qui en est victime ;

- de l'effet cumulatif qui peut résulter de la politique commerciale mise en œuvre sur une même période, dans une même zone de chalandise, par plusieurs distributeurs.

Sur l'effet d'attraction exercé par les disques concernés :

Les produits concernés par les pratiques de prix prédateurs peuvent avoir une importance telle sur le marché que, même limitées à ces produits, les pratiques peuvent constituer une menace pour l'activité d'un disquaire. Cette importance peut résulter :

- de la notoriété du ou des produits concernés, soit intrinsèque (qualité artistique, réputation de l'interprète), soit externe (promotion et publicité par le producteur ou les distributeurs) ;

- du poids du ou des disques en question sur le marché.

C­ La détermination des coûts

Enfin il convient de déterminer les coûts susceptibles d'être pris en compte pour apprécier le caractère abusivement bas des prix. En tout état de cause seront pris en considération les coûts variables, qui permettent de présumer un effet d'éviction. La référence aux coûts moyens totaux ne peut être effectuée que si la pratique de prix bas est accompagnée d'indices suffisamment sérieux, probants et concordants d'une volonté délibérée de capter la clientèle au détriment du concurrent. Cette volonté peut résulter des conditions dans lesquelles la pratique a été mise en œuvre, notamment lorsqu'elle relève d'un comportement qui s'écarte de la politique commerciale habituelle du distributeur et/ou parce qu'elle est clairement dirigée contre un concurrent.

La distinction entre coûts variables et coûts totaux relève de définitions habituellement utilisées en comptabilité auxquelles il convient de se référer.

Le coût variable est un coût dont le montant varie en proportion directe de l'activité. Pour l'évaluer, il est donc nécessaire d'identifier les corrélations entre la consommation de ressources et le niveau d'activité, de telle sorte que l'on puisse établir qu'une variation d'activité cause une variation de la consommation de ressources. Un coût fixe est un coût dont le montant reste constant quel que soit le niveau d'activité. En général les coûts fixes représentent des consommations de ressources qui contribuent à créer la structure dans laquelle s'exercent les activités de l'entreprise.

En second lieu, qu'il s'agisse des coûts fixes ou des coûts variables, et des coûts moyens totaux si les deux premières catégories sont prises en compte, il est nécessaire de mettre en œuvre une nouvelle analyse qui permette d'établir une distinction entre coûts directs et coûts indirects, de manière à déterminer si une consommation de ressources résulte ou non de l'existence d'une activité ou d'un produit.

Un coût est réputé direct par rapport à un produit lorsqu'il est causé, au premier degré, sans ambiguïté, par l'existence même de ce produit. Un coût est réputé indirect dans le cas contraire. Plus concrètement un coût indirect représente une consommation de ressources nécessaire pour créer l'environnement dans lequel l'activité de production ou de commercialisation s'exerce. Ces coûts sont communs à tous les produits ou à certains d'entre eux et il n'est pas possible de répartir a priori ces coûts entre les différents produits.

Il est cependant nécessaire d'imputer ou " d'allouer " ces coûts indirects aux produits ou aux activités pris en compte. Cette allocation passe par la détermination de " centres de responsabilités " assumant des tâches homogènes (exemple : le service entretien ou la consommation d'énergie) et, après avoir défini le type de prestation physique mis en œuvre par chaque centre (exemple : les quantités manipulées, l'heure de main­d'œuvre), il est alors possible de définir des clefs de répartition fondées sur des réalités physiques. L'unité de mesure choisie pour représenter la prestation ou " centre de responsabilité " est appelée unité d'œuvre.

IV­ REPONSES AUX QUESTIONS DU MINISTRE

Question n° 1 : Dans sa demande, le ministre souligne que les marges sont différentes selon les circuits de distribution et que certains distributeurs vendent un certain nombre de disques sans marge ou à très faible marge, de manière sélective, sans répercuter la totalité de leurs frais de distribution, que ceux­ci soient fixes ou variables. Par suite, il pose la question : " Dans quelle mesure ces coûts de distribution doivent­ils être pris en compte pour que le prix de vente ne soit pas qualifié de prix abusivement bas ? Doit­on, en particulier, affecter une part des coûts généraux du magasin au rayon disque (coûts rapportés au m2 par exemple) ? "

La Cour de justice des Communautés européennes, dans l'arrêt Akzo, s'est prononcée sur les critères de référence permettant la détermination des prix de prédation, et à propos de la nature de certains coûts elle a précisé :

" Il y a lieu de souligner qu'un élément de coût ne relève pas par nature des coûts fixes ou des coûts variables. Il convient donc d'examiner si les frais de main­d'œuvre ont, en l'espèce, varié en fonction des quantités produites. Il ressort des chiffres cités par Akzo qu'il n'existe pas de relation directe entre les quantités produites et le coût de la main­d'œuvre. Ainsi, en 1992 et 1993, alors que la production de peroxyde de Denzoyle d'Akzo augmentait, les coûts relatifs à la main­d'œuvre, inflation déduite, se réduisaient. A l'inverse, alors qu'en 1983 et 1984 la production de bromate de potassium de cette entreprise régressait, les coûts relatifs à la main­d'œuvre, inflation déduite, augmentaient. Les frais de main­d'œuvre doivent donc, en l'espèce, être considérés comme des coûts fixes ".

Dans sa décision n° 94­MC­10 du 14 septembre 1994 concernant le secteur du béton prêt à l'emploi dans le département du Var, le conseil se fonde sur la notion de coût moyen variable de production " tel qu'il résulte de la comptabilité analytique établie mensuellement par chacune des entreprises". Il précise que " ce coût s'entend du coût du ciment, des granulats et des adjuvants et des autres matières premières entrant dans la composition du produit commercialisé, ainsi que le coût de l'énergie, augmenté, hormis le cas de livraison sous centrale, du coût de livraison sur chantier ".

En conséquence, pour apprécier si le prix d'un disque est abusivement bas, il convient en premier lieu de prendre en compte les coûts variables, sans que l'on puisse distinguer a priori les coûts fixes des coûts variables. Il convient d'examiner, d'après la comptabilité particulière du distributeur, les coûts qui ont une relation directe avec les quantités vendues et qui évoluent en fonction de ces quantités.

Le premier de ces coûts est le prix d'achat du produit. Dans un souci de cohérence avec les dispositions de la loi du 1er juillet 1996, il est proposé de retenir le prix d'achat effectif tel qu'il est défini dans l'article 32 de l'ordonnance. D'autres coûts concernent les fournitures et accessoires spécifiques apposés sur les disques, par exemple les étiquettes ou les antivols. Chaque produit recevant ces fournitures, elles sont donc fonction des quantités vendues. De même, les coûts logistiques sont susceptibles d'être pris en compte.

Par ailleurs un prix de vente pourrait être qualifié d'abusivement bas en prenant en compte les coûts moyens totaux susceptibles d'être affectés au produit, si ce prix de vente était fixé dans le cadre d'un plan visant à éliminer un concurrent, c'est­à­dire qui remplissait certaines conditions mentionnées au point II­B. Par exemple, s'il est établi que la pratique d'une très faible marge sur certains disques est dirigée à l'encontre d'un concurrent déterminé et concerne des produits porteurs stratégiques pour ce concurrent, ou encore s'il est démontré que des prix systématiquement inférieurs à ceux de ce concurrent sont proposés à la clientèle.

Qu'il s'agisse de coûts variables ou de coûts fixes, dès lors qu'ils sont indirects, il convient de déterminer des clefs de répartition de ces coûts. La demande du ministre suggère par exemple de les répartir en fonction de la surface du rayon. Conformément à la jurisprudence précitée, il conviendra de se référer à la comptabilité particulière établie par le distributeur et de retenir des clefs de répartition de ses coûts qu'il aura déterminées si elles apparaissent pertinentes.

Selon les informations obtenues auprès de différentes catégories de professionnels, il n'est pas possible de définir une clef de répartition unique applicable à toutes les entreprises. En effet les modes de fonctionnement et les structures commerciales, et par voie de conséquence les modalités de calcul de coûts, entre les grandes surfaces alimentaires, les grands spécialistes et les disquaires indépendants, sont trop disparates pour qu'il soit possible d'établir une méthodologie commune. En outre les clefs de répartition peuvent être distinctes selon les catégories de coûts, d'après les unités d'œuvre qui peuvent être retenues, et dans la mesure où ces unités sont identifiables et chiffrables.

Question n° 2 : Après avoir rappelé "qu'il paraît normal que les marges et la partie des coûts répercutée sur le prix varient au sein d'une même chaîne, en fonction des conditions locales de concurrence ", le ministre demande " y-a-t-il des niveaux de marge ou des conditions locales dans lesquelles ces écarts deviendraient abusifs et tomberaient sous le coup de l'article 10­1 comme ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet d'éliminer un concurrent ou l'un de ses produits ?"

Les conditions de commercialisation peuvent varier, à l'intérieur d'une chaîne, d'un magasin à l'autre et se traduire par des coûts différents. C'est le cas en particulier lorsque, à l'intérieur d'une même chaîne, certains magasins disposent d'un rayon réduit, alors que d'autres ont installé un "espace culturel" avec un personnel spécialisé assurant un conseil. De même le nombre de points d'écoute peut varier selon les magasins ; les charges locales et les coûts d'immobilisation peuvent également être différents.

Des variations de marges peuvent aussi être constatées selon les produits. Par exemple les nouveautés dont la publicité est effectuée par les éditeurs, qui ne requièrent pas de conseil à la vente et dont la rotation est élevée, peuvent être vendues différemment et peuvent avoir des marges plus faibles que celles des produits en fond de catalogue à rotation lente et pour lesquels le client est en droit d'attendre un conseil. A cet égard, à l'intérieur d'une même catégorie de disques, une pratique de marges différenciées et notamment plus faibles sur les disques qui font l'objet d'une forte demande ou jouissent d'une grande notoriété n'est pas en elle­même abusive. L'existence d'un ou de plusieurs concurrents dans une zone de chalandise est un élément déterminant de la politique commerciale, notamment en matière de prix, et peut amener le responsable d'un magasin à adapter ses propres marges de manière à tenir compte de la situation locale.

Par contre une pratique de marges différenciées pourrait être considérée comme abusive en application des critères qui ont été définis au point III­B concernant les conditions d'éviction. En tout état de cause, il n'est pas possible de fixer a priori des niveaux de marge ou des conditions locales qui permettent de caractériser une pratique de prix de prédation.

Question n° 3 : "La rédaction de l'article 10­1 implique­t­elle, pour la revente de disques, que les pratiques d'éviction qui y sont visées puissent être caractérisées sur un produit ou une catégorie de produits sans que ceux­ci constituent un marché au sens des dispositions traditionnelles du droit de la concurrence ? Une telle catégorie de produits pourrait­elle être constituée de l'ensemble des références entrant dans les nouveautés ou le fond de catalogue ?"

La question posée renvoie à la délimitation du marché pour laquelle une méthodologie a été présentée au point III­A. L'analyse des modes de fonctionnement de la distribution et des comportements d'achat tend à démontrer que, dans le secteur du disque, la seule segmentation envisageable est d'ordre géographique, et qu'elle ne peut reposer sur des critères tenant à la nature des produits. D'ailleurs, dans les faits, lorsqu'un disquaire allègue une pratique de prix de prédation exercée à son encontre, il exprime la crainte de devoir cesser son activité et donc d'être évincé du marché, ce qui signifie que la pratique d'éviction est bien présentée comme ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet d'éliminer un opérateur du marché et non un disque ou une catégorie de disques.

Ce préalable étant posé, il ne peut être exclu que des pratiques de prix très bas limitées à quelques disques ou une catégorie de disques puissent être considérées comme tombant sous le coup de l'article 10­1, si elles sont mises en œuvre dans les conditions définies au point III­B, et sont de nature à évincer un distributeur d'un marché du disque géographiquement délimité, par exemple du fait du poids que le ou les produits concernés ont sur le marché ou dans l'activité des distributeurs, du fait de la notoriété de certains de ces produits, ou encore s'il est démontré que la pratique modifie les comportements d'achat de la clientèle et a des conséquences en favorisant, par exemple, l'achat de disques supplémentaires.

Plus généralement la pratique peut avoir un effet d'éviction du marché s'il est établi qu'elle intervient dans un contexte de déséquilibre entre les compétiteurs, résultant de la structure du marché, de la nature des produits concernés, enfin de l'étendue et de l'importance des moyens mis en œuvre.

Question n° 4 : " Peut­on qualifier d'abusivement bas un prix très faible pratiqué sur un disque et un seul, dès lors qu'il a pour objet ou est susceptible d'empêcher un concurrent de vendre le même produit ? "

Le raisonnement général suivi en réponse à la question n° 3 doit être effectué au cas où un seul disque ferait l'objet d'une pratique de prix bas ; mais, dans cette hypothèse, il conviendrait de rechercher en tout état de cause si la part des ventes de ce disque dans le marché des disques de sa catégorie et dans le marché global des disques ­ notamment en raison de sa nouveauté, de sa notoriété et de la publicité dont il est l'objet ­ est telle qu'elle puisse avoir une incidence sur l'activité du ou des disquaires visés par la pratique.

En revanche, la vente, même à un prix inférieur aux coûts variables, d'un seul disque, s'il était établi que la pratique n'a pas pour conséquence d'évincer le ou les concurrents du marché des disques, ne pourrait être considérée comme une pratique de prédation.

Question n° 5 : Après avoir précisé que " la réalité des pratiques observées montre que c'est plutôt la répétition des promotions à des prix très bas sur les références les plus demandées qui est à l'origine du déséquilibre concurrentiel en défaveur des disquaires spécialisés " et que : " ces derniers n'ont en effet pas la possibilité de réaliser des péréquations, puisqu'ils ne vendent que des disques, ou parce qu'ils doivent assurer la présentation d'un fond de catalogue ", le ministre pose la question : " Comment, dans ces conditions, le conseil estime­t­il qu'il faut interpréter les mots l'un de ses produits de l'article 10­1 ? "

Sur un marché où coexistent différentes catégories de distributeurs, la pratique d'une politique commerciale de prix très attractifs ainsi que le choix du type d'assortiment et de son étendue (comme vendre exclusivement ou principalement des nouveautés) relève du jeu normal de la concurrence et le déséquilibre qui peut en résulter n'est pas abusif en lui­même. Les éléments recueillis, qui ont été exposés au point I­A, montrent que la frontière entre nouveautés et fonds de catalogue est imprécise et variable : une segmentation du marché fondée sur cette distinction serait inopérante.

L'article 10­1 vise des biens ou des services qui ont fait l'objet d'une opération de production ou de transformation par les commerçants qui les offrent au consommateur final et a pour objet de prévenir ou de réprimer des pratiques qui auraient pour objet ou pour effet de mettre économiquement ces commerçants dans l'incapacité de continuer à mettre un ou des produits de cette nature sur le marché. La situation des disquaires est par nature différente puisqu'ils revendent un produit en l'état.

Si le disquaire est juridiquement propriétaire des disques qu'il met en vente après les avoir achetés à ses fournisseurs, il ne peut être assimilé à un commerçant ou un artisan qui vend des biens ou des services qu'il a lui­même produits ou transformés. En outre, le disquaire n'a pas l'exclusivité de la revente de tel ou tel disque. Chaque disque est vendu par une multiplicité de revendeurs. Le fait que l'un d'entre eux soit empêché de vendre un disque du fait de la politique de prix bas d'autres distributeurs, ne fait pas disparaître du marché le disque en question, puisque précisément, il reste disponible chez ses concurrents.

Ainsi, en ce qui concerne la revente des disques, une pratique de prix bas ne pourrait être qualifiée d'abusive que s'il était établi qu'elle a pour objet ou peut avoir pour effet l'élimination d'un opérateur sur le marché considéré et non la seule élimination d'un produit ou d'une catégorie de produits, sauf dans l'hypothèse où l'impossibilité ­ économique ­ dans laquelle se trouverait un disquaire, du fait de cette pratique, de vendre un disque ou quelques disques, ou une catégorie de disques, aurait pour conséquence de l'éliminer du marché.