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Décisions

Cass. com., 13 mars 2001, n° 99-12.073

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Jean Lefebvre Méditerrannée (SA)

Défendeur :

Ministre de l'Economie des Finances et du Budget, Procureur général près la Cour d'appel de Paris, Gerland routes (SA), Société de pavage et des asphaltes de Paris

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Premier président :

M. Canivet

Président de chambre :

M. Dumas

Rapporteur :

Mme Mouillard

Avocat général :

M. Lafortune

Avocats :

SCP Célice, Blancpain, Soltner, SCP Vier, Barthélemy, SCP Bachellier, Potier de La Varde, Me Ricard.

Cass. com. n° 99-12.073

13 mars 2001

LA COUR : - Joint les pourvois n° 99-12.073 et n° 99-12.081 qui attaquent le même arrêt ; Statuant tant sur le pourvoi incident relevé par la société Gerland routes que sur le pourvoi principal de la société SPAPA et sur le pourvoi de la société Entreprise Jean Lefebvre Méditerranée ; Donne acte à la société Entreprise Jean Lefebvre Méditerranée du désistement de son pourvoi à l'encontre de la société Gerland routes ;

Attendu que, saisi par le ministre délégué aux finances et au commerce extérieur, le conseil de la concurrence a, par décision n° 98-D-23 du 24 mars 1998, retenu que les sociétés SPAPA, Gerland routes et Entreprise Jean Lefebvre Méditerranée s'étaient livrées à des concertations à propos de marchés de travaux routiers passés par le département des Alpes-Maritimes, par la ville de Nice et par la commune de Saint-Paul et a prononcé des sanctions pécuniaires à leur encontre ; que par l'arrêt attaqué (Paris, 19 janvier 1999), la cour d'appel a rejeté les recours de ces sociétés ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° 99-12.073, pris en ses deux branches, et sur le premier moyen du pourvoi incident n° 99-13.081, les moyens étant réunis : - Attendu que la société Entreprise Jean Lefebvre Méditerranée et la société Gerland routes font grief à l'arrêt d'avoir refusé d'annuler la décision du conseil alors, selon les moyens : 1°) que selon l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial ; qu'il résulte des énonciations de la décision frappée de recours que le rapporteur du conseil de la concurrence, qui "définit les orientations de l'enquête" en vertu de l'article 50 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et qui a établi la notification de griefs, a participé au délibéré, si bien qu'en rejetant le recours formé à l'encontre de la décision rendue dans de telles conditions, la cour d'appel a violé le texte précité ; qu'il en est d'autant plus ainsi qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la cour d'appel était expressément invitée à s'expliquer sur la violation du principe du contradictoire caractérisée par le fait que le rapporteur n'avait pas préalablement porté à la connaissance des parties l'ensemble des éléments pouvant être retenus pour déterminer le montant de la sanction susceptible d'être infligée ; 2°) que, selon l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue publiquement par un tribunal indépendant et impartial, de sorte que viole ce texte, ensemble l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 qui prévoit que les conventions internationales ont une autorité supérieure à celles des lois internes, la cour d'appel qui rejette le recours formé à l'encontre de la décision du conseil de la concurrence rendue en l'absence de débats publics, seules les parties et le commissaire du gouvernement pouvant y assister ; 3°) que la présence au délibéré de conseil de la concurrence de M. Alzamora, rapporteur ayant procédé aux investigations utiles pour l'instruction des faits dont ce conseil était saisi, est contraire au principe de l'égalité des armes garanti par l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que dès lors, en s'abstenant de relever, au besoin d'elle-même, cette violation d'un principe d'intérêt public, la cour d'appel a violé ledit article et, ensemble, l'article 120 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'il résulte de l'article 2-3° du décret n° 87-849 du 19 octobre 1987 que lorsque la déclaration de recours contre la décision du conseil de la concurrence ne contient pas l'exposé des moyens invoqués, le demandeur doit déposer cet exposé au greffe dans les deux mois qui suivent la notification de la décision frappée de recours ; que les sociétés Entreprise Jean Lefebvre Méditerranée et Gerland routes n'ayant pas exposé les moyens d'annulation tirés de la présence du rapporteur au délibéré et de l'absence de publicité des débats, ni lors de leur déclaration de recours, ni dans les deux mois suivant la notification de la décision, elles ne sont pas recevables à le faire pour la première fois devant la Cour de cassation et la cour d'appel n'était pas tenue de les relever d'office ; que les moyens ne sont pas fondés ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° 99-12.081 : - Attendu que la société SPAPA reproche à l'arrêt d'avoir rejeté son recours alors, selon le moyen, que pour justifier la décision par laquelle elle rejetait le recours dirigé contre la décision du conseil de la concurrence qui infligeait une sanction pécuniaire, la cour d'appel ne pouvait se borner à relever que le rapport "contient nécessairement l'ensemble des éléments relatifs à la gravité des faits et au dommage causé à l'économie, lesquels sont ainsi soumis au principe du contradictoire", sans rechercher si le rapport contenait effectivement les éléments nécessaires à l'information de l'entreprise poursuivie, ce que contestait la société SPAPA, qui faisait utilement valoir que ce rapport ne mentionnait aucun élément relatif à la gravité des pratiques reprochées, au dommage à l'économie et à la situation de l'entreprise, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des exigences des articles 18 et 21 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, de l'article 18 du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 et des articles 14 et 16 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'en retenant que le rapport, qui indique les griefs retenus par le rapporteur à l'issue de l'instruction du dossier, contient nécessairement l'ensemble des éléments relatifs à la gravité des faits et au dommage causé à l'économie, et que la société SPAPA ne conteste pas avoir pu faire toutes observations utiles quant au chiffre d'affaires qu'elle a communiqué, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen, qui ne précise pas lesquels, parmi les éléments retenus à cet égard, n'auraient pas été soumis au débat contradictoire, n'est pas fondé ;

Sur le second moyen du pourvoi n° 99-12.073 : - Attendu que la société Entreprise Jean Lefebvre Méditerranée reproche encore à l'arrêt d'avoir rejeté son recours et maintenu la sanction de 1 500 000 francs prononcée à son encontre alors, selon le moyen : 1°) que les sanctions pécuniaires prévues par l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 prononcées par le conseil de la concurrence, bien que de nature administrative, visent, comme en matière pénale, à punir les auteurs des faits contraires aux normes générales édictées par les articles 7 et 8 de ladite ordonnance et à dissuader les opérateurs sur un marché de se livrer à de telles pratiques anticoncurrentielles, de sorte que viole l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales la cour qui refuse d'appliquer le principe de personnalité des peines au motif "que les sanctions administratives prononcées par le conseil de la concurrence ne revêtent pas de caractère pénal" ; 2°) qu'il résulte de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, reprenant les principes fondamentaux du droit, que la sanction prévue par ce texte doit être individualisée pour chaque entreprise, de sorte que viole les dispositions susvisées la cour d'appel qui, pour justifier la sanction infligée à la société Entreprise Jean Lefebvre Méditerranée, prend en compte sa qualité de "filiale d'un groupe parmi les plus importants du secteur sur le plan national", ainsi que "la connaissance qu'elle devait avoir des sanctions encourues en raison de son lien de dépendance avec des sociétés déjà condamnées" ; 3°) que se contredit en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile la cour d'appel qui approuve le conseil de la concurrence de ne pas avoir tiré de l'appartenance à un groupe comprenant des entreprises déjà sanctionnées l'existence d'une réitération de la pratique incriminée et qui finalement justifie l'amende de 1 500 000 francs prononcée à l'encontre de la société en relevant "qu'elle devait être d'autant plus consciente de l'illicéité des pratiques mises en œuvre qu'antérieurement des sociétés faisant partie du même groupe qu'elle avaient été sanctionnées pour des faits similaires" ;

Mais attendu que, nonobstant le motif erroné mais surabondant relatif à l'inapplicabilité en la matière du principe de la personnalité des peines, la cour d'appel a pu, sans se contredire et sans méconnaître les dispositions conventionnelles ou légales visées aux deux premières branches du moyen, retenir que le conseil de la concurrence, qui est tenu de prendre en considération la situation de l'entreprise pour apprécier, de manière individuelle, la sanction à lui infliger, est fondé à relever à cet égard la connaissance qu'elle avait, compte tenu des liens qui l'unissent à sa société-mère et aux autres filiales de celle-ci, des condamnations précédemment intervenues pour des agissements similaires à l'encontre de ces dernières; que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses trois branches ;

Sur le second moyen du pourvoi n° 99-12.081 : - Attendu que la société SPAPA fait aussi grief à l'arrêt d'avoir statué comme il a fait alors, selon le moyen : 1°) que, si l'évaluation de la sanction prononcée doit notamment se fonder sur le dommage causé à l'économie nationale, le juge ne peut négliger la situation particulière de chacune des entreprises impliquées, afin notamment de proportionner la sanction à cette situation particulière ; qu'ainsi, la société SPAPA, entreprise moyenne, ne pouvait se voir infliger une sanction supérieure à celle infligée à d'autres parties à l'entente, filiales de grands groupes ; qu'en prononçant une sanction disproportionnée, la cour d'appel a méconnu le principe de proportionnalité de la sanction prévu par l'article 13, alinéa 3, de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ; 2°) que la société SPAPA avait très précisément fait valoir que les sanctions précédemment prononcées contre elle par le conseil de la concurrence avaient trait à des pratiques et à un marché totalement différents ; qu'en relevant à nouveau que cette entreprise avait été précédemment sanctionnée sans répondre à ce chef précis et argumenté des conclusions de la société SPAPA, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; 3°) qu'appréciant la gravité des pratiques reprochées, la cour d'appel a retenu, de façon déterminante et comme une circonstance aggravante, qu'elles émanent d'entreprises filiales de groupes parmi les plus importants du secteur au niveau national ; qu'en se déterminant de la sorte à l'égard de la société SPAPA, dont il est constant qu'elle n'est pas la filiale d'un grand groupe, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des exigences de l'article 13, alinéa 3, l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel s'étant prononcée par une décision motivée répondant aux prescriptions de l'article 13, alinéa 4, de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 464-2 du Code de commerce, en ce qui concerne les sanctions pécuniaires prononcées à l'encontre de chacune des sociétés, le grief pris d'une méconnaissance du principe de proportionnalité au seul motif que la sanction infligée à la société SPAPA serait supérieure à celles prononcées contre les autres sociétés, filiales d'un grand groupe, est inopérant;

Attendu, d'autre part, qu'en retenant que la société SPAPA ne pouvait ignorer les dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 pour avoir déjà été sanctionnée pour d'autres pratiques restrictives de concurrence, la cour d'appel a répondu, pour les écarter, aux conclusions prétendument omises ;

Attendu enfin, que, si la cour d'appel a souligné, au titre de la gravité des pratiques, l'effet d'exemplarité pouvant résulter, pour les autres entreprises du secteur, de l'appartenance à de grands groupes de certaines des sociétés impliquées dans les concertations, elle n'a aucunement affirmé que tel était le cas de la société SPAPA ; D'où il suit que le moyen, qui manque en fait en sa dernière branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Et sur le second moyen du pourvoi incident n° 99-13.081 : - Attendu que la société Gerland routes fait enfin grief à l'arrêt d'avoir rejeté son recours alors, selon le moyen, que dans ses conclusions d'appel, elle soutenait que le conseil de la concurrence avait indûment tenu compte, pour apprécier la gravité de la sanction, de ce qu'elle ne pouvait ignorer la condamnation prononcée le 25 octobre 1989 contre, notamment, la société Gerland dès lors que, faisait-elle valoir, la société ainsi sanctionnée ne faisait pas partie du groupe auquel elle appartenait ; qu'en approuvant l'appréciation de la sanction formée par le conseil de la concurrence sans s'expliquer sur ces conclusions tendant à établir qu'elle était pour partie fondée sur des considérations matériellement inexactes, ou à tout le moins inopérantes, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que la cour d'appel a substitué sa propre appréciation de la proportionnalité des sanctions à celle du conseil de la concurrence et n'a pas retenu au titre des éléments concernant individuellement la société Gerland routes le motif critiqué du conseil de la concurrence ; qu'elle n'encourt donc pas le grief allégué ;

Par ces motifs : Rejette les pourvois tant principaux qu'incident.