Conseil Conc., 5 octobre 1993, n° 93-D-39
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques relevées à l'occasion d'appels d'offres lancés par la ville de Toulouse pour la construction, la transformation et l'amélioration de trottoirs
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport de M. Jean-René Bourhis, par M. Barbeau, président, MM. Bon, Callu, Thilion, Sloan, membres.
Le Conseil de la concurrence (section 1),
Vu la lettre enregistrée le 1er avril 1992 sous le numéro F. 495 par laquelle le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, a saisi le Conseil de la concurrence sur le fondement de l'article 11 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 de pratiques relevées à l'occasion d'appels d'offres lancés par la ville de Toulouse pour la construction, la transformation et l'aménagement de trottoirs ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement et les entreprises Castillon TP, Entreprise terrassements et travaux, Entreprise Gomez, Lherm TP, Les Paveurs réunis et Entreprise Sesen ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Castillon TP, Lherm TP, Entreprise terrassements et travaux (ETT), Les Paveurs réunis et Entreprise Sesen entendus ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et sur les motifs (II) ci-après exposés.
I. - CONSTATATTIONS
A. - Le marché
Chaque année, la ville de Toulouse procède à des consultations auprès des entreprises pour l'amélioration ou la transformation des voies urbaines. Ainsi, cette collectivité lance tous les ans un appel d'offres ouvert pour la construction, l'aménagement et la transformation de trottoirs.
Le marché, passé sous forme de marché à commandes, comprend quatre lots géographiques ayant chacun une valeur comprise entre 2 et 4,4 millions de francs. Les entreprises sont invitées à proposer des rabais ou des majorations par rapport à un bordereau de prix établi par la ville de Toulouse.
Jusqu'en 1990, la cahier des clauses administratives particulières (CCAP) stipulait qu'il ne pouvait être fait appel à des sous-traitants. Cette modalité a été supprimée à partir de 1991. Par ailleurs, le CCAP en vigueur au moment des faits examinés stipulait que l'entrepreneur était tenu d'" être domicilié à Toulouse ou d'avoir une agence située à une distance maximale de trente kilomètres de cette ville " et que les groupements devaient être limités à deux entreprises.
Les résultats des appels d'offres apparaissent dans le tableau ci-après, qui mentionne également les majorations proposées par les entreprises par rapport au bordereau de prix :
EMPLACEMENT TABLEAU
Les groupements moins disants ont tous été attributaires des lots, à l'exception du groupement ETT-Belloni en 1991, le lot n° 3 ayant été déclaré infructueux puis attribué à la société Belloni sous forme de marché négocié.
Il n'est pas contesté par les parties que seules les sociétés Belloni, Lherm TP et Entreprise Sesen étaient effectivement en mesure d'effectuer l'essentiel des travaux faisant l'objet des marchés de trottoirs concernés.
Ainsi, la société Entreprise Sesen, qui soumissionnait régulièrement avec la société Castillon TP (lot n° 2), a déclaré, dans ses observations écrites, que "la société Castillon ne faisait que des offres de principe, tant elle savait qu'elle n'aurait pas la possibilité d'exécuter les prestations imposées par la ville de Toulouse ". La société ETT qui soumissionnait avec la société Belloni (lot n° 3) a également souligné, dans ses observations écrites, le " caractère tout à fait dérisoire du chiffre d'affaires réalisé (...) dans le domaine d'activité en cause ". La société Entreprise Gomez a, quant à elle, déclaré, dans ses observations écrites, qu'elle n'était intervenue que " de manière résiduelle sur les marchés pris dans le cadre du groupement Amiel " (lot n° 1) pour 1988 et 1989 et " même l'année 1990 ". En réalité, cette entreprise a fait appel, en 1990, à la société Belloni pour réaliser le marché qu'elle avait obtenu de manière groupée avec l'entreprise Amiel, et ce, en raison, d'une part, de la cessation d'activité de l'entreprise Amiel et du fait, d'autre part, de son incapacité technique à réaliser le marché. Cela explique d'ailleurs la présence, dans la société Belloni, de factures vierges portant l'en-tête Entreprise Gomez, cette entreprise, spécialisée dans les travaux de revêtements de chaussées (noir), ne pouvant sous-traiter le marché, en raison de l'interdiction faite par la collectivité. M. Yves Amiel a précisé, lors de son audition, que "depuis 1987, compte tenu de l'évolution de mon entreprise (deux salariés), l'essentiel des travaux des marchés de trottoirs a été réalisé par mes partenaires ". M. Belloni a d'ailleurs confirmé, lors de son audition " Dans le cadre du groupement avec l'entreprise Amiel (marchés canton Nord 1988 et 1989), c'est la société Belloni qui réalise l'essentiel des travaux, environ 80 p. 100. Pour ce qui concerne les marchés passés avec ETT (canton Sud 1987, 1988 et 1990), c'est également la société Belloni qui réalise l' essentiel des travaux. Il en va de même pour les marchés obtenus avec l'entreprise Gomez ".
La société Les Paveurs réunis qui soumissionnait en groupement avec la société Lherm TP (lot n° 4) avait indiqué, dans ses observations en réponse à la notification de griefs (cote 162 au dossier), qu'elle n'était que " moyennement intéressée par les marchés de trottoirs (...) (intervention au coup par coup néces sitant une main-d'ouvre abondante et très spécialisée) " et qu'elle maintenait sa participation " pour conserver une tradition familiale" et pour " ne pas cesser ses relations juridiques avec la ville de Toulouse ". Ainsi, pour les exercices 1988, 1989 et 1990, la part de travaux effectivement réalisés par la société Les Paveurs réunis n'a représenté, respectivement, que 2,4 p. 100, 3,1 p. 100 et 5,5 p. 100 du montant total des travaux exécutés dans le cadre du marché.
B. - Les documents recueillis et les déclarations
1. Deux projets d'actes d'engagement non datés (cotes 337 et 338 au dossier d'instruction) ont été saisis, le 13 décembre 1990, dans l'entreprise Amiel. Le premier, qui porte la mention manuscrite " Belloni Sud et Nord ", fait apparaître les majorations suivantes : lot Nord : 14 p. 100 ; lot Centre : 26 p. 100 ; lot Sud : 16 p. 100 ; lot Ouest : 22 p. 100 (les lots " Centre " et " Sud " étant rayés). Le second, qui porte La mention manuscrite " Nord " fait apparaître les majorations suivantes : lot Nord : 4 p. 100; lot Centre : 14 p. 100 ; lot Sud : 12 p. 100 ; lot Ouest : 6 p. 100 (le lot " Sud " étant rayé).
M. Alain Belloni, gérant de la société Belloni, a déclaré au sujet de la pièce cotée 337 : " Les mentions manuscrites (...) ont été écrites par moi-même. Il s'agit de l'étude en commun avec M. Amiel pour le programme 1989. Les propo sitions rayées pour le canton Sud correspondent au canton étudié avec Gomez.".
Dans les faits, le groupement Amiel-Belloni, qui a obtenu le lot Nord à la suite de l'appel d'offres lancé en 1988 pour la construction et l'aménagement des trottoirs en 1989, a soumissionné pour les lots Nord et Ouest avec des majorations respectives de + 14 p. 100 et de + 22 p. 100. Le groupement Entreprise Gomez-Belloni, qui a obtenu le lot Sud, a soumissionné pour les lots Centre, Sud et Ouest, avec les majorations respectives suivantes : + 26 p. 100, + 16 p. 100 et + 20 p. 100.
2. Un tableau coté 512 au dossier administratif (cote 308 au dossier d'instruction) a été saisi dans l'entreprise Belloni.
Cette pièce, non datée et intitulée " viabilité ", fait apparaître les mentions suivantes :
Lot N° : 1 Nord 17 + 5 = 22 - 18 = 4, Gomez-Belloni + 6.
Lot N° : 2 Centre 21 + 5 = 26, Sesen-Castillon + 10 + 14 8 (8,5 p. 100).
Lot N° : 3 Sud 20 + 5 = 25, ETT-Belloni + 9 + 7.
Lot N° : 4 Ouest 17 + 5 = 22, Lherm Paveurs + 6 + 9 4.
La série de chiffres + 6, + 10, + 9 et + 6 qui figurent sur ce document, respectivement en regard de chacun des groupements, a été inscrite à l'encre noire et encerclée, les chiffres + 6, + 9 et + 6 qui correspondent au montant des soumissions effectivement déposées par les groupements respectifs ayant été cochés de deux traits bleus. Seul le chiffre + 10 de cette série ne correspond pas à la soumission effectivement déposée par le groupement Entreprise Sesen-Castillon TP (lot n° 2) qui apparaît au crayon entre parenthèses (+ 8,5 p. 100). Les chiffres 4, 8, 7, 4 figurant respectivement en regard de chacun des groupements ont été portés à l'encre bleue. La comparaison des mentions portées sur la pièce cotée 512 avec les résultats d'appels d'offres établit qu'il s'agit d'un document rédigé à l'occasion de l'appel d'offres lancé en 1990 pour la construction, la transformation, l'aménagement et l'équipement des trottoirs au cours de l'année 1991, l'ouverture des plis ayant eu lieu le 7 novembre 1990.
Lors de son audition, M. Alain Belloni a déclaré : " pour ce qui concerne la pièce 510, il s'agit d'estimations et de résultats d'appels d'offres. Il en va de même pour la pièce 512. Pour ce qui concerne les éléments au feutre noir, il s'agit d'estimations et au stylo bleu, il doit s'agir de résultats ".
Or, les chiffres portés à l'encre bleue sont très éloignés des résultats de l'appel d'offres, le lot n° 3 (Sud) ayant notamment été déclaré infructueux par la commission d'appel d'offres en raison du niveau du prix des offres jugé " trop élevé ". En revanche, la série de chiffres portés à l'encre noire et encerclés correspond au montant des offres effectivement déposées par les groupements concernés, à l'exception de l'offre du lot n° 2 (Centre) au sujet duquel le chiffre 8,5 p. 100 a été rajouté au crayon et d'une écriture différente.
Un tableau manuscrit daté du 13 septembre 1989 (cote 514), faisant apparaître une liste d'entreprises en regard desquelles ont été portées des listes de marchés avec leurs montants respectifs, a également été saisi dans l'entreprise Belloni. Il n'est pas contesté par les parties que ce document a été rédigé par M. Castillon.
3. Un document manuscrit comportant une liste de travaux (cote 332 au dossier d'instruction) a été saisi dans l'entreprise Castillon TP. En regard de la date 29 octobre figure la mention " trottoirs " et " Sesen 2 à 2,5 ; Torres, Belloni, Amiel + Gomez ". Le rapprochement de cette pièce avec les résultats d'appels d'offres établit que ces mentions concernent l'appel d'offres relatif à la construction et l'aménagement des trottoirs au titre de l'année 1991, dont l'ouverture des plis a eu lieu le 7 novembre 1990 : M. Torres est un salarié de l'entreprise Lherm TP, attributaire du lot n° 4 (Ouest), depuis 1988, en association avec Les Paveurs réunis.
L'entreprise Amiel-Amile, qui avait décidé de mettre fin a son activité, ne s'était pas manifestée lors de cet appel d'offres.
Ont également été saisis dans cette entreprise deux documents manuscrits (cotes 331 et 333 au dossier d'instruction) comportant des noms d'entreprises concurrentes et des montants de travaux. L'un de ces documents, intitulé "VdT 91 ", est daté du 19 octobre 1990, soit une date antérieure à celle de l'ouverture des plis (7 novembre 1990) du marché de construction de structures de chaussées sur les emplacements de réseaux (année 1991) et du marché de la construction de sous-dallage et revêtements de trottoirs sur les emplacements de réseaux, marchés auxquels la société Entreprise Sesen avait soumissionné. Le lot Ouest du marché de construction de structures de chaussées a bien été attribué à l'entreprise ETT, comme le mentionne le document coté 333 daté du 19 octobre 1990.
M. Castillon a précisé aux enquêteurs, au sujet des pièces saisies dans son entreprise, qu'il s'agissait de " notes manuscrites prises au jour le jour" sur lesquelles il "note les appels d'offres et les résultats lorsque je (il) les connais ".
4. Au surplus, M. René Guiraud, président de la SA Les Paveurs réunis, avait déclaré, lors des visites effectuées dans son entreprise, le 13 [sic] 1990 : " Depuis 1983, nous obtenons le canton Ouest conjoint et solidaire avec l'entreprise Lherm TP située à Cugnaux (Haute-Garonne). A la suite d'un accord tacite avec mes confrères, adjudicataires des cantons Sud, Centre et Nord, nous avons pris l'habitude de faire des propositions intéressantes pour les cantons où nous étions implantés depuis plusieurs années. Mes confrères ne me concurrencent pas dans mon secteur. De mon côté, je respecte l'accord, les autres cantons ne m'intéressent pas."
II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL
Sur la prescription :
Considérant qu'en préalable au rapport d'enquête ont été rappelées les circonstances ayant conduit la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à ouvrir une enquête et à effectuer des visites et des saisies conformément aux dispositions de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'ont ainsi été évoquées, dans le rapport d'enquête, les conditions dans lesquelles l'entreprise Mortera, qui s'était retrouvée moins disante à l'issue de l'appel d'offres du 17 décembre 1985, s'était désistée en faveur d'entreprises concurrentes, et ce à la suite d'une intervention effectuée par ces dernières entreprises auprès de la ville de Toulouse ; qu'en outre ces faits ont été rappelés dans la notification de griefs.
Considérant que les sociétés ETT et Les Paveurs réunis allèguent que la mention de ces faits dans le rapport d'enquête et dans la notification de griefs constitue, en tant qu'ils sont couverts par la prescription, un vice de procédure, dans la mesure où le rappel des faits est de nature à "fortifier ", selon ces entreprises, les présomptions d'entente à l'égard des entreprises en cause.
Mais considérant que, contrairement à ce qu'allèguent les parties, l'" épisode Mortera " évoqué dans le rapport d'enquête n'a été retenu à l'encontre des entreprises ni au stade de la notification de griefs qui précisait que les faits sont " aujourd'hui prescrits ", ni au stade du rapport, les faits n'ayant été relatés, dans la notification de griefs, qu'à seule fin de permettre la bonne compréhension des pratiques encore susceptibles d'être examinées par le conseil ; qu'en particulier, en application de l'article 21 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, aucun document se rapportant aux faits litigieux, qui ont été parfaitement délimités dans le temps, n'a été annexé au rapport en tant que "documents sur lesquels se fonde le rapporteur " ; qu'il s'ensuit que les parties ne sont pas fondées à invoquer la nullité de la procédure.
Sur les pratiques dénoncées :
Considérant que les parties font valoir qu'en l'absence d'indice matériel établissant des échanges d'informations, la preuve d'une adhésion, même tacite, des entreprises à une éventuelle entente n'est pas rapportée.
Mais considérant que l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 vise, outre les " actions concertées ", les " ententes expresses ou tacites " ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de limiter le jeu de la concurrence sur un marché ; que, si le simple constat d'un parallélisme de comportement ne peut suffire à établir l'existence d'une pratique concertée, un tel parallélisme de comportement est de nature à en constituer un indice sérieux lorsqu'il ne peut être le résultat de décisions prises de façon autonome par chacune des entreprises concernées au regard des caractéristiques du marché en cause, mais ne s'explique que par le choix délibéré de ces entreprises de s'entendre.
Considérant que les mêmes groupements d'entreprises se sont, à l'exception de légères variations dans la composition de ces groupements, retrouvés moins-disants lors des appels d'offres et ont régulièrement obtenu les marchés passés par la ville de Toulouse pour la construction, la transformation et l'aménagement des trottoirs au cours des années 1988 à 1991 ; qu'il est constant que les groupements Entreprise Sesen-Castillon et Lherm-Paveurs réunis ont été systématiquement moins-disants et bénéficiaires des lots nos 2 et 4 au cours de cette période ; que, par ailleurs, se sont retrouvées régulièrement parmi les groupements moins-disants et les attributaires des lots nos 1 et 3 les entreprises Amiel, Belloni, ETT et Entreprise Gomez ; que le choix répété des entreprises précitées de faire porter leurs efforts sur les seuls et mêmes cantons, qui ne reflète pas les conditions d'un marché concurrentiel et qui ne peut s'expliquer ni par l'implantation des entreprises ni par les caractéristiques des travaux, s'il ne peut constituer, à lui seul, une preuve d'entente anticoncurrentielle, constitue néanmoins une présomption de l'existence d'une répartition tacite des différents lots entre les entreprises au cours de la période examinée.
Considérant par ailleurs, contrairement à ce qu'allèguent les parties, que les documents manuscrits saisis dans l'entreprise Castillon TP ne sauraient être regardés, ni comme des estimations, ni comme les résultats des appels d'offres dans la mesure où, d'une part, les dates qui y figurent sont antérieures à celles des ouvertures de plis et, d'autre part, certaines indications correspondent par tiellement aux résultats effectifs des consultations ; que la société Castillon TP, qui, comme le précise la société Entreprise Sesen, ne disposait pas des moyens nécessaires à la réalisation du marché, peut difficilement soutenir dans le même temps qu'elle n'était " pas particulièrement intéressée " par les marchés concernés et qu'elle "s'interrogeait, procédait à des évaluations" ; qu'à cet égard, le tableau manuscrit daté du 13 septembre 1989 (cote 514) atteste l'existence d'un intérêt certain de la société Castillon TP pour ce type de marché ; qu'en outre les documents manuscrits, saisis dans les entreprises Amiel et Belloni et décrits dans la partie I de la présente décision, non datés mais suffisam ment probants, tant en raison de leur contenu que de la période de leur réalisation, constituent, après recoupement avec ceux saisis dans l'entreprise Castillon TP, un ensemble d'indices de nature à établir l'existence d'une entente anticoncurrentielle relative aux marchés des trottoirs de la ville de Toulouse.
Considérant enfin que les déclarations du président de la société Les Paveurs réunis, lors de son audition, le 13 décembre 1990, témoignent de l'existence d'un accord tacite entre les entreprises attributaires des différents lots, visant à restreindre le jeu normal de la concurrence sur le marché.
Considérant que l'ensemble des éléments mentionnés ci-dessus constituent des indices suffisamment graves, précis et concordants pour caractériser une entente tacite, destinée à répartir les marchés de construction, de transformation et d'aménagement des trottoirs de la ville de Toulouse entre les entreprises attributaires de ces travaux dans les cantons Centre, Ouest, Sud et Nord de cette ville, au cours des années 1988 à 1991 ; que cette pratique est visée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Sur les sanctions :
Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le Conseil de la concurrence "peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est pour une entreprise de 5 p. 100 du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos ..."
Considérant que, pour déterminer le montant des sanctions, il y a lieu de tenir compte, d'une part, de l'atteinte ainsi portée à l'ordre public économique, du fait de l'existence d'ententes organisées entre les différentes entreprises, et, d'autre part, de la durée des pratiques; que, néanmoins, il convient de prendre en considération les modalités de passation des marchés en cause par la ville de Toulouse, la zone géographique sur laquelle portaient les travaux, le nombre limité d'offreurs potentiels, notamment en raison des prescriptions du cahier des charges, ainsi que la taille de ces entreprises.
Considérant que le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par la SARL Belloni s'est élevé à 8 414 612 F au cours de l'exercice 1992, dernier exercice connu ; que le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par la société Entreprise Sesen s'est élevé à 65 966 567 F en 1992, dernier exercice connu ; que le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par la société Lherm TP s'est élevé à 20 210 244 F en 1992, dernier exercice connu ; que le chiffre d'affaires réalisé en France par la société Castillon TP s'est élevé à 14 758 884 F en 1992, dernier exercice connu ; que le chiffre d'affaires réalisé en France par la société Entreprise Gomez s'est élevé à 7 522 214 F en 1991, dernier exercice connu ; que le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par la société ETT s'est élevé à 23 200 254 F en 1992, dernier exercice connu ; que le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par la société Les Paveurs réunis s'est élevé à 38 922 784 F en 1992, dernier exercice connu.
Considérant qu'il y a lieu d'infliger une sanction pécuniaire de 20 000 F à la société Belloni, principale bénéficiaire des pratiques en cause et dont l'essentiel du chiffre d'affaires était constitué, au cours de la période examinée, par les marchés passés chaque année avec la ville de Toulouse.
Considérant qu'il doit être tenu compte, pour la fixation du montant de la sanction à l'entreprise Sesen, principale bénéficiaire du lot n° 2 depuis 1988, de l'adhésion permanente à la concertation du groupement auquel elle participait régulièrement avec la société Castillon TP; qu'il y a lieu, dans ces conditions, d'infliger une sanction pécuniaire de 65 000 F à la société Entreprise Sesen.
Considérant qu'il y a lieu d'infliger une sanction pécuniaire de 20 000 F à la société Lherm TP, principale bénéficiaire du lot n° 4 depuis 1988.
Considérant que si les éléments du dossier tendent à établir que les sociétés Castillon TP, Entreprise Gomez, ETT et Paveurs réunis n'ont retiré directement qu'un avantage très limité des pratiques en cause, le seul fait de leur adhésion au système mis en place pour fausser le jeu de la concurrence sur le marché justifie l'application d'une sanction à l'encontre de ces entreprises; que, dans ces conditions, il y a lieu d'infliger une sanction pécuniaire de 15 000 F à la société Castillon TP ; qu'il y a par ailleurs lieu d'infliger une sanction pécuniaire de 8 000 F à la société Entreprise Gomez ; qu'il y a lieu d'infliger une sanction pécuniaire de 20 000 F à chacune des sociétés Entreprise de Travaux et Terrassements et Les Paveurs réunis.
Considérant enfin qu'il n'y a pas lieu d'infliger de sanction pécuniaire à l'entreprise Amiel qui a été radiée du registre du commerce le 4 septembre 1991,
Décide :
Article unique. Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :
20 000 F à la société Belloni ;
65 000 F à la société Entreprise Sesen ;
20 000 F à la société Lherm TP ;
15 000 F à la société Castillon TP ;
8 000 F à la société Entreprise Gomez ;
20 000 F à la société Entreprise Terrassements et travaux ;
20 000 F à la société Les Paveurs réunis.