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Décisions

Conseil Conc., 22 avril 1997, n° 97-D-25

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques mises en œuvre par les syndicats de chirurgiens-dentistes de l'Indre-et-Loire et du Rhône

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de Mme Anne Lepetit, par M. Barbeau, président, MM. Cortesse, Jenny, vice-présidents.

Conseil Conc. n° 97-D-25

22 avril 1997

Le Conseil de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre enregistrée le 6 mars 1995 sous le numéro F 748, par laquelle l'Union Nationale Patronale des Prothésistes Dentaires (UNPPD) a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques émanant de la Confédération Nationale des Syndicats Dentaires (CNSD) et du Syndicat Départemental des chirurgiens-dentistes d'Indre­et­Loire (CNSD 37), qu'elle estime anticoncurrentielles ; Vu la lettre enregistrée le 15 janvier 1996 sous le numéro F 922, par laquelle M. Guy Dupin, prothésiste dentaire à Lyon, a saisi le Conseil de la concurrence de certaines pratiques du Syndicat Départemental des chirurgiens-dentistes du Rhône (CNSD 69), qu'il estime anticoncurrentielles ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86­1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu les observations présentées par l'Union Nationale Patronale des Prothésistes Dentaires (UNPPD), par M. Guy Dupin, par les syndicats Départementaux de chirurgiens-dentistes d'Indre­et­Loire et du Rhône (CNSD 37 et CNSD 69) et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement, M. Guy Dupin, les représentants de l'Union Patronale des Prothésistes Dentaires (UNPPD), des syndicats Départementaux de chirurgiens-dentistes d'Indre-et-Loire et du Rhône (CNSD 37 et CNSD 69) entendus ;

I- CONSTATATIONS

A- Les caractéristiques du secteur

Le secteur concerné est celui des prothèses dentaires et des soins prothétiques.

Une prothèse dentaire est un appareillage destiné à la restauration et au rétablissement fonctionnel et esthétique du système manducateur. C'est un " dispositif médical sur mesure ", au sens de l'article R. 665-24 du Code de la santé publique, c'est-à-dire " un dispositif médical fabriqué spécifiquement suivant la prescription écrite d'un praticien dûment qualifié ou de toute autre personne qui y est autorisée en vertu de ses qualifications professionnelles et destiné à n'être utilisé que pour un patient déterminé. ". On distingue deux grandes catégories de prothèses :

- les prothèses fixes, dites " conjointes " : incrustations " inlay " et " onlay ", couronnes, dents à tenon, dents à pivot et bridges. De grands progrès ont été réalisés en vingt-cinq ans sur les céramiques et sur les alliages métalliques des supports.

- les prothèses mobiles ou " adjointes " : prothèses amovibles partielles ou complètes (dentiers). Les progrès récents ont porté sur la mise au point d'une prothèse totale avec montage sur articulateurs adaptables, qui nécessite un accroissement important du temps de travail en bouche et des frais de laboratoire.

1. Les professions concernées

Les principaux opérateurs du secteur sont les prothésistes dentaires et les chirurgiens-dentistes ; les prothésistes dentaires réalisent les prothèses sur prescription et commande des chirurgiens-dentistes avec lesquels ils entretiennent des relations de fournisseurs à clients ; ces derniers sont seuls autorisés à mettre les prothèses en bouche.

a) Les prothésistes dentaires

Selon l'Union Nationale Patronale des Prothésistes Dentaires (UNPPD), en 1995, la France comptait 5 500 laboratoires de prothèses dentaires et 15 000 prothésistes et le chiffre d'affaires global de la profession était compris entre 3 et 3,5 milliards de francs au cours de ce même exercice. La Confédération Nationale des Syndicats Dentaires (CNSD), évalue ce chiffre d'affaires entre 4,5 et 5,3 milliards de francs.

Aux termes de l'article 16-I de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat, la réalisation de prothèses dentaires ne peut être exercée " que par une personne qualifiée professionnellement ou sous le contrôle effectif et permanent de celle-ci ". Ces personnes qualifiées, en dehors des chirurgiens-dentistes pour les besoins de leurs patients, sont les prothésistes dentaires. La formation des prothésistes dentaires comporte sur trois niveaux : le CAP et deux niveaux de brevet professionnel ou de maîtrise.

Les laboratoires de prothèses dentaires sont de plus en plus spécialisés et il devient rare qu'un prothésiste réalise l'ensemble des travaux prothétiques d'un seul cabinet dentaire. Chaque laboratoire a donc généralement plusieurs clients chirurgiens-dentistes. Les prothésistes français sont fortement concurrencés depuis quelques années par les laboratoires étrangers, en majorité asiatiques, qui proposent des prothèses à des prix très inférieurs à ceux pratiqués en France et peuvent offrir un service rapide : les prothèses dentaires sont retournées par courrier quelques jours après l'envoi des empreintes. L'UNPPD estime la part des importations à 20 % des prothèses mises en bouche, tandis que la CNSD l'évalue à 2 %.

b) Les chirurgiens-dentistes

D'après l'étude sur la " situation de la santé dentaire en France " du Centre Odontologique de Médicométrie et d'Evaluations (COME) publiée en avril 1995, la profession comptait 39 675 chirurgiens­dentistes en exercice en janvier 1994.

L'exercice de la profession de chirurgien-dentiste est régie par les dispositions du livre IV titre I du Code de la santé publique et par celles du décret n° 67-671 du 22 juillet 1967 portant Code de déontologie des chirurgiens-dentistes. Ces textes portent notamment sur :

- l'accès à la profession : l'exercice de la profession de chirurgien-dentiste est subordonné à la possession d'un diplôme français de docteur en chirurgie dentaire ou de chirurgien-dentiste (art L. 356 et suivants), d'un diplôme équivalent pour les ressortissants d'un État membre de la Communauté européenne et à l'inscription à un tableau de l'Ordre des chirurgiens­dentistes.

La profession de chirurgien-dentiste est protégée contre l'exercice illégal de l'art dentaire. En effet : " Exerce illégalement l'art dentaire : 1°) Toute personne qui prend part habituellement ou par direction suivie, même en présence d'un praticien, à la pratique de l'art dentaire, par consultation, acte personnel ou tous autres procédés, quels qu'ils soient, notamment prothétiques, sans être titulaire d'un diplôme, certificat ou autre titre mentionné à l'article L. 356-2 (...) ; 2°) Toute personne qui, munie d'un titre régulier, sort des attributions que la loi lui confère, notamment en prêtant son concours aux personnes mentionnées au 1°) ci­dessus "(art L. 373).

Les limites du champ d'exercice de la profession :

" La profession dentaire ne doit pas être pratiquée comme un commerce. Sont notamment interdits : 1°) L'exercice de la profession en boutique ou en tout local où s'exerce une activité commerciale ; 2°) Tous procédés directs ou indirects de réclame ou de publicité. " En outre : " Les chirurgiens-dentistes (...) ne peuvent donner des consultations dans les locaux ou les dépendances des locaux commerciaux où sont vendus les appareils qu'ils prescrivent ou qu'ils utilisent ". (art. L. 364). De même, " Il est interdit au chirurgien-dentiste d'exercer tout autre métier ou profession susceptible de lui permettre d'accroître ses bénéfices par ses prescriptions ou ses conseils d'ordre professionnel " (art 23 du décret n° 67-671).

Le chirurgien-dentiste peut exécuter ou faire faire par un employé les prothèses devant appareiller ses clients. En effet , " tout cabinet dentaire doit comporter la réunion (...) d'un local professionnel (...) et, en cas d'exécution des prothèses, d'un local distinct et d'un matériel approprié " (art. 62 du décret n° 67-671).

Les principes sur lesquels repose l'exercice de la profession :

- le libre choix du chirurgien-dentiste par le malade ;

- la liberté de prescription du chirurgien-dentiste ;

- l'entente directe entre le malade et chirurgien-dentiste en matière d'honoraires ;

- le paiement direct des honoraires par le malade au chirurgien-dentiste. Le Code de déontologie prévoit que : " le chirurgien-dentiste doit toujours déterminer le montant de ses honoraires avec tact et mesure " (art 33).

2. Les organisations professionnelles

a) L'UNPPD

L'UNPPD, unique organisation syndicale représentative de la profession de prothésiste dentaire regroupait, en 1995, 58 syndicats patronaux départementaux de prothésistes dentaires et 2 300 adhérents, soit 40 % des chefs d'entreprises prothésistes dentaires.

L'UNPPD défend des positions très critiques à l'encontre des chirurgiens-dentistes : elle estime en particulier que ces derniers, à l'abri du monopole que leur confère la loi, n'informent pas les consommateurs sur les prix d'achat des prothèses dentaires et entretiennent une " opacité tarifaire ", grâce à laquelle ils s'attribuent une " marge prothétique " excessive et injustifiée en revendant les prothèses dentaires " quatre à dix fois " leur prix d'achat, conduisant une partie de la population à renoncer aux soins prothétiques. L'UNPPD dénonce aussi la " concurrence déloyale " exercée par certains chirurgiens-dentistes, qui dirigent de façon occulte des laboratoires de prothèses dentaires ou qui ont des intérêts dans des sociétés d'importation de prothèses en violation du code de déontologie ; elle invoque aussi l'absence de garanties sanitaires que présenteraient les prothèses importées. L'UNPPD préconise la remise obligatoire au patient d'un devis détaillé de la prothèse par le chirurgien-dentiste, devis sur lequel devraient figurer la composition des alliages et le prix d'achat au prothésiste. L'UNPPD déclare suivre une " démarche qualité " pour toute la profession, qui a abouti à la réalisation d'un " guide de bonne pratique " et participer aussi à la réflexion sur la mise au point d'une norme de service " fabrication de dispositifs médicaux sur mesure ".

b) La CNSD

La confédération

Sur près de 40 000 chirurgiens-dentistes inscrits à l'Ordre national des chirurgiens-dentistes, 36 000 exercent à titre libéral et 23 000 sont syndiqués, soit un taux de syndicalisation voisin de 64 %.

La Confédération Nationale des Syndicats Dentaires (CNSD) compte près de 18 000 adhérents, soit 50 % des " libéraux " ; elle était jusqu'en 1996 la seule organisation représentative de la profession de chirurgien-dentiste, signataire des conventions passées avec les caisses d'assurance maladie. Elle réunit 99 syndicats départementaux auprès desquels se font les adhésions. Les cotisations des adhérents à leur syndicat départemental comportent une part confédérale : celle-ci a atteint au cours de l'exercice 1993/1994 un montant global de 37 millions de francs. La CNSD édite la revue " Le chirurgien-dentiste de France ".

Le congrès de la CNSD réunit tous les trois ans les représentants des départements ; il détermine la politique de la confédération et élit les membres du bureau confédéral chargé d'en assurer l'application, sous le contrôle du conseil des départements composé de représentants des syndicats départementaux. Dans l'intervalle des congrès, les décisions sont prises par l'assemblée générale confédérale constituée des délégués de tous les syndicats départementaux.

Au cours de la période 1993-1996, la CNSD est restée attachée au système conventionnel, dans la mesure où, selon l'expression employée par son président au congrès de mai 1993 : " Les conventions ont maintenu et même augmenté notre champ d'action à honoraires libres, ce qui permettait de compenser le blocage du secteur opposable et limiter les dégâts sur nos revenus ". Un avenant à la convention de 1991 a été signé avec les caisses nationales d'assurance maladie le 21 octobre 1994, puis, en 1996, une quatrième convention " provisoire ", applicable six mois.

La CNSD combat depuis plus de dix ans les campagnes de l'UNPPD dénonçant les " marges prothétiques " élevées des chirurgiens-dentistes. La CNSD a été sanctionnée par le Conseil de la concurrence par décision n° 89-D-36 du 7 novembre 1989 pour avoir diffusé en 1983 et en 1984 des circulaires constituant " une incitation manifeste au boycott collectif par les chirurgiens-dentistes des prothésistes qui adhéraient aux thèses de l'UNPPD " et pour avoir lancé une enquête nationale destinée à recueillir des données sur les honoraires pratiqués par les chirurgiens-dentistes et pour avoir proposé aux syndicats départementaux de diffuser les résultats obtenus dans leurs départements respectifs. La Cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 3 mai 1990, a confirmé cette décision. Aujourd'hui, la CNSD se déclare ouverte au principe de l'établissement d'un devis de soins prothétiques plus informatif, mais refuse cependant qu'y soit mentionné le prix d'achat de la prothèse dentaire par le chirurgien-dentiste ; elle combat activement les " appareilleurs libres " et " denturologues " depuis que la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 4 novembre 1986 que : " La prise d'empreintes et la pose d'appareils, qui sont des procédés prothétiques, relèvent de la pratique de l'art dentaire, tel qu'il est défini par l'article L. 373 du Code de la santé publique. " et qu'il s'agit : " d'actes dont l'exercice est réservé aux chirurgiens-dentistes ". Au cours des années 1993 et 1994, 19 condamnations pour exercice illégal de l'art dentaire ont été prononcées par différents tribunaux saisis par la CNSD

Les syndicats départementaux :

Les syndicats départementaux, régis par le Livre IV, titre Ier du Code du travail et par leurs statuts et règlements intérieurs, ont la personnalité morale. Aux termes de l'article 9, paragraphe 1, des statuts de la CNSD : " Les syndicats départementaux confédérés sont autonomes dans leur organisation et leur gestion propre. Leur autonomie ne peut cependant s'exercer que dans le respect des décisions du Congrès et des statuts et du règlement intérieur confédéraux. ". Toute violation des décisions du congrès, des statuts ou du règlement intérieur peut être sanctionnée par la suspension des droits confédéraux, la radiation ou l'exclusion.

3. Détermination des prix et conditions de remboursement des soins prothétiques

Selon l'étude du COME, mentionnée au IA1b) de la présente décision, sur la situation de la santé dentaire en France, le montant global des honoraires des chirurgiens-dentistes s'est élevé à 32,7 milliards de francs en 1993, les soins prothétiques et d'orthodontie représentant 10 % des actes dentaires et 65 % des honoraires perçus. La CNSD évalue de son côté la consommation dentaire totale pour 1992 à 36 milliards de francs, dont 22 milliards de soins prothétiques, soit 61 % de la consommation totale.

Les honoraires de soins prothétiques des chirurgiens-dentistes, au vu des statistiques globales disponibles concernant le secteur, représenteraient environ cinq fois le montant de leurs achats de prothèses dentaires, importations comprises.

Depuis 1978, les tarifs des honoraires et frais accessoires dus aux chirurgiens-dentistes ont été fixés par convention passée entre les caisses nationales d'assurance maladie et la CNSD et approuvés par arrêté ministériel. Les caisses d'assurance maladie remboursent les honoraires et frais accessoires correspondant aux soins délivrés par les chirurgiens-dentistes placés sous le régime de la convention. 96 % des praticiens sont conventionnés et appliquent ces tarifs. A chaque catégorie d'acte : consultation, soin de conservation, soin prothétique, chirurgie, radiologie, visite, correspond une lettre­clé (SCP ou SPR pour les soins prothétiques) dont la valeur est fixée par la convention. En outre, la Nomenclature Générale des Actes Professionnels Médicaux (NGAPM) énumère les actes conformes aux pratiques médicales en vigueur et en définit la valeur relative en leur attribuant des coefficients. Les chirurgiens-dentistes conventionnés déterminent leurs honoraires en effectuant, pour chaque acte particulier, le produit de la valeur de la lettre-clé fixée par la convention en vigueur par le coefficient de la nomenclature correspondant à cet acte.

Le système de tarification des actes dentaires fonctionne ainsi pour tous les soins dentaires, à l'exception cependant des soins prothétiques et orthodontiques, en raison de la vétusté de la nomenclature NGAPM qui n'a pas été révisée depuis plus de vingt ans, alors que les pratiques médicales induites par le progrès des techniques, notamment dans le domaine des soins prothétiques, ont sensiblement évolué. L'application du tarif conventionnel en matière de soins prothétiques a été suspendue en 1983 et reconduite par les dernières conventions signées en 1991 et en 1996 en attendant l'actualisation de la nomenclature. Les chirurgiens-dentistes fixent donc librement, depuis près de 15 ans, leurs honoraires de soins prothétiques tandis que les assurés sociaux sont remboursés sur la base du tarif conventionnel. Pour la première fois, la nouvelle convention dentaire, signée le 18 avril 1997, prévoit un plafonnement, par étapes, des tarifs de prothèses dentaires. Les chirurgiens-dentistes sont seulement astreints, en vertu des articles 6 et 6 bis de la convention nationale de remettre un devis descriptif à leur patient avant le commencement du traitement. Ce devis doit comporter la description précise et détaillée du traitement envisagé et (ou) les matières utilisées, le montant des honoraires correspondant au traitement proposé à l'assuré, le montant de la base de remboursement correspondant calculé selon les cotations de la nomenclature NGAPM. En revanche les chirurgiens-dentistes continuent de refuser de faire figurer dans le devis le prix d'achat de la prothèse.

B- Les pratiques relevées

1. Les réactions à la négociation de l'avenant à la convention dentaire à l'automne 1994

La négociation en 1994 par la confédération CNSD et les trois caisses nationales d'assurance maladie d'un avenant à la convention dentaire de 1991 a été l'occasion pour l'UNPPD de lancer une campagne nationale visant à faire connaître, notamment au grand public, les difficultés rencontrées par les prothésistes dentaires -absents de la négociation - et à présenter leurs revendications. Parallèlement, une contestation s'élevait au sein de la CNSD, à l'initiative du syndicat d'Indre-et-Loire.

a) Réactions de l'UNPPD

Cette campagne, lancée fin septembre 1994, sous le titre : " France, tes prothèses foutent le camp (...) les prothésistes dentaires de France veulent vivre ", se voulait un " cri d'alarme " d'une profession méconnue du public et absente de la négociation conventionnelle. Selon M. Claude Pichard, président de l'UNPPD : " cette campagne était motivée par les difficultés croissantes que rencontrent nos entreprises avec les chirurgiens-dentistes " ; elle consistait en affiches montrant une Marianne édentée et en démarches auprès des députés, des sénateurs, des ministres, des médias, des associations de consommateurs. Les documents diffusés exposaient les revendications de l'UNPPD, soit :

la mise en place d'une réglementation professionnelle " pour définir les conditions d'accès, les conditions d'exercice, les droits et devoirs des prothésistes dentaires et leurs responsabilités... ".

la transparence des prix, de l'origine et de la composition des prothèses, qui suppose que les chirurgiens-dentistes communiquent aux patients les prix d'achat et l'origine des prothèses. A cette occasion, l'UNPPD fustigeait les importations de prothèses " à des prix scandaleusement bas,(...), placées en bouche sans procurer d'avantage financier aux patients."

La presse s'est largement fait l'écho de cette campagne : ainsi, le journal Libération titrait le 6 octobre 1994 : " Les prothésistes montrent les dents ", La Nouvelle République du Centre­Ouest, le 7 octobre : " Guerre des prothèses dentaires ", Le Revenu français, le 20 janvier 1995 : " Les prothésistes déclarent la guerre aux dentistes ".

b) Contestation du syndicat d'Indre-et-Loire (CNSD 37)

L'avenant à la convention dentaire, signé par le président de la CNSD, instituait l'éclatement de la lettre-clé SCP - correspondant aux soins prothétiques - en trois lettres : SC (soins conservateurs), SPR (soins prothétiques réparateurs), TODF (traitement d'orthopédie dento-faciale) et prévoyait notamment une baisse du tarif opposable pour les soins prothétiques réparateurs. Le président du CNSD 37, M. B.Perrot exprimait, dans une circulaire en date du 18 octobre 1994 adressée à ses adhérents, son désaccord en ces termes :

" Désormais ce que nous obtenons semble insignifiant par rapport à une concession essentielle : l'éclatement de la lettre SCP en trois lettres SC, SPR, TODF.

C'est renier les accords conclus en annexe de la convention signée en 1991,

C'est l'abandon de la revalorisation de SPR qui restera bloqué à 14,10 F, et de ce fait, l'acceptation d'une diminution des remboursements,

C'est nier l'évidence que certains traitements prothétiques et d'orthopédie faciale sont aussi des soins conservateurs. A contrario, c'est accréditer le fait que la prothèse n'est pas un soin, mais une " vente de produit ".

Le président de la CNSD, en signant cet avenant n'a pas respecté un point de la motion votée par l'assemblée générale confédérale extraordinaire du 9 juillet 1994 aux termes de laquelle l'assemblée dit qu'elle " ne peut accepter que la revalorisation figurant en annexe I de la convention de 1991 ne concerne que les seuls soins conservateurs ".

2. Les prises de position de la CNSD

La CNSD a pris position sur la campagne de l'UNPPD dans une circulaire adressée à ses adhérents le 5 octobre 1994 et dans un éditorial du " Chirurgien-dentiste " en date du 13 octobre 1994.

a) La circulaire du 5 octobre 1994

La circulaire comprend une note d'information signée du docteur Dominique Brachet répondant à la campagne de communication de l'UNPPD et un modèle de communiqué de presse aux syndicats départementaux.

La note d'information

Cette note, intitulée " Campagne UNPPD ", indique :

" L'UNPPD vient, à grand renfort d'affiches et de déclarations tapageuses, de lancer une action de publicité vis­à­vis du grand public ; ce sont, bien entendu, les chirurgiens­dentistes qui font les frais des Pichard et autres responsables départementaux ou individus qui ne représentent d'ailleurs souvent qu'eux-mêmes. Il y a lieu pour nous d'analyser sérieusement la situation et de prendre les mesures qui s'imposent.

" 1)° L'UNPPD prétend, chiffres des douanes à l'appui, que 165 000 travaux ont été effectués l'année dernière hors des frontières françaises, en Asie du Sud-Est essentiellement.

" A ceci, nous devons objecter que :

" a) Ce ne sont jamais les chirurgiens­dentistes qui envoient sciemment leur travail indirectement à l'étranger. Ce sont au contraire les prothésistes eux-mêmes qui, la plupart du temps, sous-traitent certaines parties de la prothèse à des conditions économiques bien meilleures pour eux ;

" b) Il faut rapprocher le chiffre de 165 000 du nombre d'actes prothétiques réalisés en France : 7 000 000 recensés par la caisse nationale d'assurance maladie, soit 2 % de l'ensemble des travaux. L'argument est fallacieux.

" 2°) L'UNPPD fait état d'une baisse de chiffre d'affaires importante dans les laboratoires. Nous n'avons pas les statistiques permettant d'en juger. Pourquoi ne pas le croire ? Néanmoins, là aussi, l'argumentation est à remettre en cause.

" En effet, s'il est vraisemblable qu'il se fasse moins de prothèses en ces périodes économiques plus difficiles, le retentissement sur les laboratoires est d'une simple logique.

" 3°) Certains représentants de l'UNPPD nous attaquent une fois de plus sur nos tarifs de prothèses. Nous devons faire cesser ces débats. Il devient complètement inacceptable d'entendre dire que nous multiplions le travail de laboratoire par quatre ou dix. Nous devons, sur ce point, prendre l'initiative et affirmer haut et fort que le prothésiste de laboratoire n'est qu'un intermédiaire dans la conception, la réalisation et le suivi d'un traitement prothétique. Nous ne devons plus laisser dire que nous achetons de la prothèse pour la revendre(...).

" Avec cette campagne, l'UNPPD se trompe. Sauf à vouloir épouser les thèses des denturos [les illégaux], pas qu'ils se sont jusqu'à maintenant refusé de franchir, les prothésistes de laboratoire ne peuvent rester que les assistants techniques et technologiques du véritable prothésiste qu'est le chirurgien dentiste. La prothèse, et nos collaborateurs doivent le savoir, a un prix qui n'est nullement déterminé par le prix du laboratoire. Le chirurgien a d'autres frais plus importants qui ont des répercussions sur le montant des honoraires demandés, en fonction de la difficulté de chaque cas, avec tact et mesure par le praticien.

" La présence du devis - que font semblant d'ignorer certaines associations de consommateurs - est le garant de la bonne foi des chirurgiens dentistes. Il ne faut, en aucun cas, mélanger les problèmes. Ce n'est pas parce que la prothèse est chère que les patients y recourent moins. C'est surtout parce qu'elle est mal prise en charge par les assurances. Notre convention et son avenant, qui vont être avalisés, ont pris la mesure de ce problème en créant un traitement prothétique opposable, honoré et remboursé correctement(...).

" Nous devons répondre, en ce qui concerne la facture du technicien, comme indiqué ci-dessus. En ce qui concerne par contre la composition des matériaux participant à l'élaboration de la prothèse et éventuellement les techniques employées, nous pouvons répondre que nous ne voyons pas d'obstacle à ce que le devis soit rendu plus informatif et ce dans un souci de plus grande transparence(...) ".

Le modèle de " communiqué à la presse "

Le " communiqué à la presse " proposé aux syndicats départementaux fait une synthèse des arguments développés dans la circulaire et conclut par le paragraphe suivant : " Le chirurgien­dentiste a l'entière responsabilité du travail qu'il effectue en bouche, y compris pour la partie du technicien du laboratoire. En conséquence, il ne saurait aller contre une volonté de plus de transparence quant à la composition des matériaux de la prothèse. Mais il n'est pas raisonnable de mélanger transparence en matière prothétique et ouverture au marché de la concurrence de la profession de prothésiste dentaire ".

b) L'éditorial du Chirurgien­dentiste de France :

L'éditorial du Chirurgien­dentiste de France du 13 octobre 1994 réagit à la campagne de l'UNPPD :

" (...) Il s'agit d'une campagne orchestrée par l'UNPPD, visant à alerter l'opinion publique sur la baisse des chiffres d'affaires des laboratoires de prothèses. D'après les responsables de cette organisation, cette évolution serait liée à une fuite du travail en direction du Sud-Est asiatique.

" (...) L'UNPPD pense (...) pouvoir faire pression sur nous afin que, d'une part nous les aidions à obtenir un statut interdisant l'ouverture de laboratoires par des non-diplômés et, d'autre part, en accréditant la thèse que nous ne ferions qu'acheter et vendre de la prothèse, nous obliger à réviser nos tarifs à la baisse ; ce qui aurait pour effet, pensent-ils, de leur faire réaliser plus de travaux.

" (...) Il est indéniable que nos cabinets subissent les effets de la récession et donc que les laboratoires de prothèse en font en partie les frais. Certains laboratoires l'ont bien compris et, aujourd'hui, baissent leurs tarifs ; nous n'y voyons pas là matière à scandale et à dénonciation, mais au contraire logique économique. (...)

" La question de la nécessité d'un diplôme pour s'installer, si elle peut se poser au niveau des artisans en général, n'a aucune raison de ne s'appliquer qu'aux prothésistes.

" On ne voit pas pourquoi les prothésistes dentaires devraient échapper au marché de la concurrence. A condition, bien sûr, que le chirurgien­dentiste - donneur d'ordres qui dirige le travail - soit à même d'obtenir toutes les garanties quant aux matériaux et techniques utilisés.

" (...) Un devis plus informatif paraît une bonne solution, et nous sommes d'accord pour travailler dans cette direction.

" (...) Ce ne sont pas 2 % de l'ensemble de nos travaux prothétiques effectués dans le Sud-Est asiatique - ou en fraude dans certains arrondissements parisiens - et une campagne de presse qui vont nous mettre le couteau sous la gorge, d'autant plus que, la plupart du temps, ces travaux sont sous-traités à l'insu des chirurgiens­dentistes par le prothésiste lui-même.

" Néanmoins, nous devons nous organiser les uns avec les autres afin que ces pratiques peu conformes à l'intérêt général restent limitées.

" Mais l'ouverture du marché de la prothèse dentaire à la concurrence ne saurait, à notre avis, justifier une sorte de protectionnisme inadapté à notre société économique actuelle. La profession de prothésiste dentaire se trouve aujourd'hui face à des difficultés que nous ne nions pas, mais gardons-nous bien d'y apporter de mauvaises solutions ".

3. La circulaire du 18 octobre 1994 du CNSD 37

a) Contenu de la circulaire

Cette circulaire comporte plusieurs volets :

- la circulaire du 18 octobre 1994 citée au IB1b) de la présente décision, signée de M. B. Perrot, président du syndicat CNSD, relative à la signature de l'avenant à la convention dentaire,

- un document intitulé " Campagne UNPPD " auquel est joint une lettre-type à adresser aux prothésistes par les chirurgiens­dentistes,

- copie de deux articles de presse portant sur la campagne de l'UNPPD, intitulés : " les prothésistes montrent les dents " (Libération du 10 octobre 1994) et " guerre des prothèses dentaires " (La Nouvelle République du Centre-Ouest du 7 octobre 1994).

Le document intitulé " campagne UNPPD " comprend des extraits de la circulaire du 5 octobre 1994, présentée au IB2) de la présente décision, diffusée par la confédération nationale.

A ces extraits, le syndicat CNSD 37 ajoute deux paragraphes, exposant l'action qu'il préconise :

" Il y a lieu pour nous d'analyser sérieusement la situation et de prendre les mesures qui s'imposent. (...) Vous trouverez ci-joint, une lettre type répondant à l'attaque " des prothésistes dentaires " parue dans deux quotidiens que nous vous demandons d'adresser à votre technicien afin de lui faire part de votre indignation. Nous souhaitons que cette lettre entraîne une discussion qui vous permettra de connaître la position de votre technicien vis­à-vis de l'UNPPD S'il cautionne ces accusations, qui mettent en cause notre honnêteté, nous ne pourrons pas continuer à entretenir des relations professionnelles de partenariat avec eux. Il est évident que nous comptons sur eux pour qu'ils interviennent auprès de leurs représentants départementaux et nationaux afin que ces campagnes non justifiées cessent ".

MM. Perrot et Baudry, interrogés au cours de l'instruction, ont expliqué lors d'une audition le 14 décembre 1995 :

" Il était demandé à nos confrères d'adresser une lettre à leur technicien de laboratoire - le prothésiste - dans le but de les informer de cette campagne dans laquelle notre honnêteté et notre probité étaient mises en cause. D'ailleurs l'UNPPD (...) ne formule aucun grief à l'encontre de cette lettre.

" La circulaire précisait dans son feuillet n° 3 intitulé " Campagne UNPPD ", que l'objet de la lettre était d'entraîner une discussion avec son technicien de laboratoire. Il ne s'agissait d'ailleurs pas d'un ordre mais d'un souhait.

" En effet, les deux professions exercent en symbiose et en parfaite harmonie pour les raisons suivantes :

" 1- la proximité,

" 2- la relation technique,

" 3- la relation conviviale, qui est fondée sur l'honnêteté et la relation humaine.

" Mais ce n'est pas parce que nous serions en désaccord sur la philosophie professionnelle de nos rapports que pour autant il y aurait motif à rompre notre partenariat, parce que l'aspect technique et de compétence est prépondérant."

Ainsi, pour MM. Perrot et Baudry, la mise en question de l'honnêteté des chirurgiens­dentistes par les prothésistes dentaires entamait la confiance mutuelle sans être pour autant un obstacle au partenariat professionnel.

Selon les responsables syndicaux de la CNSD 37, cette mise en question apparaissait dans la campagne nationale des prothésistes dentaires relayée au niveau local. Ils affirment en effet :

" La campagne mise en cause dans cette circulaire est intervenue lors du dernier trimestre 1994. Elle a débuté par la mise en place d'une campagne tapageuse à grand renfort d'affiches dans Paris et de déclarations dans la presse nationale.

" Elle a été relayée au niveau local et même amplifiée par le biais du journal La Nouvelle République, qui a une audience régionale, qui s'est fait en même temps l'écho de M. Joël Dubois. Ce dernier est prothésiste et président d'une association nommée " Défense du consommateur en matière de soins et prothèses dentaires " dont le siège est à Joué-lès-Tours. M. Dubois est poursuivi pour exercice illégal de l'art dentaire et a été condamné par le tribunal de Tours. Ce jugement est actuellement en appel. Il exerce son activité dans le cadre de l'association " (audition du 14 décembre 1995 précitée).

" La lettre type, jointe au document intitulé " campagne UNPPD ", destinée à être adressée aux prothésistes dentaires s'inspire largement de la proposition de " communiqué à la presse " élaboré par la confédération nationale présenté au I B 2 a) de la présente décision. La phrase suivante a été ajoutée : " Le rapport de confiance entre le chirurgien dentiste et le technicien de laboratoire est basé sur des données techniques et non financières ".

b) Diffusion et application de la circulaire du 18 octobre 1994

Selon les responsables du syndicat CNSD 37 :

" La circulaire du 18 octobre 1994 que le CNSD 37 a rédigée, a été envoyée à tous les confrères du département (en exercice libéral), syndiqués et non syndiqués. Cette circulaire intéressait en effet l'ensemble de la profession car il y était question de la convention qui régit l'exercice professionnel de tous les confrères syndiqués ou non. "

Selon les déclarations de MM. Perrot et Baudry, cette circulaire, diffusée à tous les chirurgiens-dentistes en exercice libéral d'Indre-et-Loire, aurait rencontré peu d'échos, comme le confirme l'éditorial d'" Infos Dernières CNSD 37 " du 2e trimestre 1995, dans lequel M. Perrot écrivait :

" Dans notre circulaire du 18 octobre dernier, adressée à tous les confrères, je vous informais de la campagne critique menée par l'Union Nationale Patronale des Prothésistes Dentaires (UNPPD) contre notre profession, et je vous invitais à adresser une lettre-type à votre technicien de laboratoire afin d'exprimer notre indignation.

" Si quelques confrères ont respecté cette demande, un ou plusieurs très prévenants ont communiqué l'ensemble de la circulaire à leur technicien de laboratoire (...). "

L'initiative du syndicat CNSD 37 semble isolée. Le président de l'UNPPD, M. Pichard, a affirmé lors d'une audition le 28 décembre 1995 :

" A la suite de cette campagne (de l'UNPPD), à notre connaissance, seule la CNSD 37 est intervenue auprès des laboratoires d'Indre-et-Loire. En dehors de quelques réflexions verbales sur cette campagne de presse au sein d'autres départements de la CNSD, à notre connaissance, la tentative de l'Indre-et-Loire de faire pression sur les prothésistes dentaires n'a pas été reproduite ailleurs ". Il ajoute cependant : " (...) Si nos responsables départementaux avaient eu connaissance d'autres pressions similaires à celles du CNSD 37, ils se seraient gardé d'en faire part, par crainte de mesures de rétorsion de la part des chirurgiens-dentistes "

4. Pratiques du syndicat CNSD 69

M. Guy Dupin, prothésiste dentaire à Lyon depuis 1975, est président du Syndicat départemental patronal des prothésistes du Rhône (affilié à l'UNPPD) depuis 1983 et militant actif de la facturation directe aux consommateurs de la fabrication et des réparations de prothèses dentaires. Il n'a cependant jamais revendiqué la prise d'empreintes ni l'intervention en bouche.

M. Dupin a fondé en 1989 l'Association française de défense des consommateurs porteurs et futurs porteurs de prothèses dentaires, devenue en mars 1995 " Association Française de Défense des Consommateurs : ADFC ", spécialisée en matière dentaire ; cette association a pour objet " d'aider, assister, défendre les consommateurs par l'information, la promotion, le conseil et l'accès à un appareillage en prothèses dentaires de qualité ". La chambre professionnelle qu'il préside a adopté une " charte du prothésiste dentaire conseil agréé ", dans le but de faire connaître la profession et d'offrir aux consommateurs toutes informations sur les entreprises de fabrication de prothèses dentaires, les techniques employées, le choix et l'identification des matériaux et normes, le prix de revient des prothèses dentaires au laboratoire. M. Dupin a présenté ces actions à la radio et dans les journaux locaux. En 1994, il a également soutenu activement la campagne engagée par l'UNPPD Son laboratoire de prothèses dentaires, aujourd'hui spécialisé dans les activités de conseil et de réparations de prothèses, porte l'enseigne extérieure " prothésiste dentaire conseil " ; M. Dupin fait régulièrement paraître dans les journaux locaux le message publicitaire suivant : " S.O.S. Prothèses dentaires- 78.- Prothésiste dentaire conseil fabricant, réparations en 2 h. - 243, av Lacassagne, Lyon 3e ". M. Dupin a réalisé au cours de l'exercice 1995 un " montant global d'opérations " de 92 650 F.

Le syndicat CNSD du Rhône, la confédération CNSD et le conseil départemental de l'Ordre des chirurgiens-dentistes ont engagé à son encontre une action pour pratique illégale de l'art dentaire et publicité mensongère. M. Dupin a été condamné par le Tribunal correctionnel de Lyon le 6 juillet 1995 et par la cour d'appel de Lyon le 12 mars 1996 ; la cour a en effet jugé que : " en se livrant, par appel direct à la clientèle, à des opérations de réparation de prothèses dentaires, Guy Dupin, simple prothésiste, s'affranchissant de toute directive, de toute prescription et de tout contrôle des chirurgiens-dentistes, a pratiqué illégalement l'art dentaire " et que : " en proposant directement aux consommateurs des travaux de fabrication et de réparation des prothèses dentaires, effectués de son propre chef, alors qu'il n'était pas titulaire des diplômes nécessaires, Guy Dupin s'est livré par voie d'affiches, de tracts et de presse à une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, portant sur les qualités ou aptitudes du fabricant ou du prestataire de service, au sens de l'article 44-I de la loi 73-1193 du 27 décembre 1973, devenu l'article L. 121-1 du Code de la consommation " ; M. Dupin s'est pourvu en cassation.

M. Dupin a fait état des pratiques suivantes :

Le refus qui lui a été opposé en mai 1995 à la participation à un séminaire de formation, organisé conjointement par deux associations de formation continue de chirurgiens-dentistes et de prothésistes dentaires : l'ADFOC (Association de Formation en Odontologie Continue), et le CLIPO (Cercle Lyonnais d'Information et de Perfectionnement en Odontotechnie). La raison de ce refus lui a été donnée par lettre du 13 mai 1995 du président du CLIPO : " Le problème de ce monsieur est sa situation vis-à-vis de ses confrères et de son syndicat, qui ne comprendraient pas que l'ADFOC ouvre ses portes à une personne qu'ils considèrent comme pratiquant la denturologie. ".

La lettre de refus en date du 27 octobre 1995, signée du rédacteur en chef de l'hebdomadaire de la CNSD : le Chirurgien dentiste de France, à sa demande d'insertion d'une annonce publicitaire pour son activité de prothésiste dentaire et de conseil.

Le courrier du 4 septembre 1996, adressé à la société Publiprint - avec laquelle M. Dupin est lié par contrat pour l'insertion d'un message publicitaire dans les journaux Le Progrès, Lyon Matin, et Lyon Figaro-, par lequel le secrétaire général du CNSD du Rhône a communiqué une copie de l'arrêt de la cour d'appel de Lyon rendu le 12 mars 1996, condamnant M.Dupin pour exercice illégal de l'art dentaire et publicité mensongère ; le responsable de la CNSD ajoutait : " Nous avions alerté à plusieurs reprises M. Cellard, afin que cesse la publication d'encarts dans la rubrique " le coin des artisans " du journal Le progrès. Nous espérons que ce document mettra fin à cette publicité qui porte préjudice à notre profession. " Selon M. Dupin, la nouvelle équipe de Publiprint aurait " cédé " à la pression du syndicat.

La publication par Le Chirurgien-dentiste de France d'une information sur le même arrêt de la Cour d'appel de Paris, sans mentionner le pourvoi en cassation formé par M. Dupin, ce qui, selon l'intéressé, " ne peut qu'encourager les praticiens qui se verraient sollicités par les consommateurs pour travailler avec moi, à refuser à le faire. "

L'envoi par L'Assurance dentaire conseil, compagnie d'assurance en responsabilité civile professionnelle de la CNSD, d'une lettre type à ses assurés précisant : "à l'avenir, nous considèrerons comme nulle toute expertise à laquelle aura pris part une personne non titulaire d'un diplôme de chirurgien-dentiste ou de médecin et, en particulier, un prothésiste dentaire de laboratoire, non habilité par la loi à exercer l'Art dentaire. Ainsi M. Dupin qui se présente comme président de l'Association de défense des consommateurs in extenso " porteurs et futurs porteurs de prothèses dentaires " est un artisan, prothésiste dentaire de laboratoire, actuellement poursuivi au pénal pour exercice illégal de l'Art dentaire ".

II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,

Sur la recevabilité de la saisine de M. Dupin,

Considérant que le Syndicat des chirurgiens-dentistes du Rhône (CNSD 69.) soutient que la correspondance du 4 septembre 1996, citée au point IB4) de la présente décision, à laquelle était jointe copie de la condamnation de M. Guy Dupin par la Cour d'appel de Lyon en date du 12 mars 1996 et qu'il a adressée à la société Publiprint " ne relève d'aucune des catégories visées par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 " et, qu'en conséquence, la saisine de M. Dupin doit être déclarée irrecevable en application de l'article 19 de l'ordonnance précitée ;

Considérant toutefois que les éléments transmis par M. Dupin étaient, à la date de la saisine, suffisamment probants pour justifier leur examen au regard de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'en conséquence, le moyen doit être rejeté ;

Sur les pratiques constatées,

Considérant que le Syndicat des chirurgiens-dentistes d'Indre-et-Loire (CNSD 37) soutient que ne figure dans la circulaire du 18 octobre 1994 " aucune menace de quelque ordre que ce soit à l'adresse des prothésistes dentaires ", qu'au contraire, " cette circulaire tente, dans le cadre de relations individuelles, à aplanir les difficultés de ce qui avait pu être considéré légitimement comme une agression commise par un organisme représentant certains prothésistes " ; qu'il soutient en outre, qu'en tout état de cause, la diffusion de la circulaire n'a eu aucun impact économique ;

Considérant toutefois que le syndicat CNSD 37 a recommandé dans cette circulaire intitulée " campagne UNPPD ", adressée à tous les praticiens exerçant à titre libéral dans le département d'Indre-et-Loire, d'engager chacun une " discussion " avec son fournisseur, afin de connaître sa " position vis-à-vis de l'UNPPD " ; qu'à cette circulaire était jointe une lettre type à remettre par chaque chirurgien-dentiste à son prothésiste ; que, compte tenu des relations conflictuelles existant depuis plusieurs années entre les deux organisations professionnelles CNSD et UNPPD et dans le climat de tension résultant de la campagne de L'UNPPD, l'ouverture d'une " discussion " entre les prothésistes dentaires et leurs clients chirurgiens-dentistes pouvait faire craindre aux prothésistes contactés par ces derniers, que des mesures de rétorsion seraient prises à leur encontre s'ils ne se démarquaient pas des positions prises par leur organisation professionnelle ; que l'évocation dans la circulaire d'une cessation des relations de partenariat avec les prothésistes dentaires qui cautionneraient les " accusations " de l'UNPPD pouvait inciter les chirurgiens-dentistes à engager cette discussion de façon à exercer un chantage sur leurs fournisseurs ; que, quand bien même, selon son auteur, " l'objet premier " de la circulaire serait " lié à des prises de position syndicale dans le cadre de négociations relatives aux conventions tarifaires avec les caisses d'assurance maladie ", il n'en demeure pas moins que les termes de cette circulaire constituaient une incitation manifeste au boycott collectif des prothésistes dentaires qui ne se seraient pas désolidarisés de la position prise par l'UNPPD lors de ladite campagne ; que la circulaire a été diffusée à l'ensemble des chirurgiens-dentistes du département ; qu'il peut être d'autant moins soutenu que cette diffusion ne pouvait avoir d'effet que le président du syndicat CNSD 37 a reconnu que quelques confrères avaient remis la lettre type à leur prothésiste dentaire et que certains avaient été jusqu'à communiquer l'ensemble de la circulaire ; que ces pratiques, qui ont eu pour objet et ont pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché des prothèses dentaires, sont prohibées par les dispositions du titre III de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant qu'en ce qui concerne les pratiques dénoncées par M. Dupin, les éléments figurant au dossier ne permettent pas d'établir qu'elles sont constitutives d'une tentative de boycott à l'instigation du Syndicat des chirurgiens-dentistes du Rhône (CNSD 69) ; qu'en effet, le secrétaire général de ce syndicat, par lettre du 4 septembre 1996 adressée à la société Publiprint, a transmis l'arrêt de la Cour d'appel de Lyon du 12 mars 1996 condamnant M. Dupin et attiré l'attention sur " cette publicité qui porte préjudice à notre profession " ; que, par ailleurs, il n'est pas démontré que ce syndicat ait adressé à ses membres des consignes tendant à exclure M. Dupin du marché des prothèses ; que, par ces seuls éléments, il n'est pas établi que le Syndicat des chirurgiens-dentistes du Rhône (CNSD 69) ait enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Sur l'imputabilité des pratiques,

Considérant que l'UNPPD soutient que : " les décisions politiques de la CNSD sont prises au plus haut échelon (Conseil des départements). C'est pourquoi l'initiative du Syndicat départemental des chirurgiens-dentistes d'Indre-et-Loire doit être considérée comme un " ballon d'essai " de la CNSD. Il paraît impensable qu'un syndicat départemental ait pris une telle initiative sans avoir reçu l'accord du siège de la CNSD, la profession de chirurgien-dentiste et la CNSD regroupant des membres très soudés entre eux " ;

Considérant toutefois, que s'il ne peut être exclu que le syndicat CNSD37 ait engagé une action qui excédait les limites de sa compétence et qui n'aurait pas pour autant été sanctionnée par les instances confédérales, il demeure que l'instruction n'a pas permis d'établir que la confédération CNSD ait initié ou autorisé l'action menée par le syndicat affilié d'Indre-et-Loire et qu'à supposer même que cette allégation soit fondée, une telle circonstance serait sans effet sur l'imputabilité des pratiques au syndicat CNSD 37 ;

Sur les sanctions,

Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : " Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 p.100 du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos. Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le maximum est de 10 millions de francs. Le Conseil de la concurrence peut ordonner la publication de sa décision dans les journaux ou publications qu'il désigne, l'affichage dans les lieux qu'il indique et l'insertion de sa décision dans le rapport établi sur les opérations de l'exercice par les gérants, le conseil d'administration ou le directoire de l'entreprise. Les frais sont supportés par la personne intéressée " ; qu'aux termes de l'article 22, alinéa 2 de la même ordonnance : " La commission permanente peut prononcer les mesures prévues à l'article 13. Toutefois, la sanction pécuniaire prononcée ne peut excéder 500 000 F pour chacun des auteurs de pratiques prohibées.

Considérant que, pour apprécier la gravité des pratiques, il y a lieu de tenir compte du fait que l'incitation au boycott du syndicat CNSD37 visait l'ensemble des prothésistes dentaires exerçant en France, fournisseurs des praticiens chirurgiens-dentistes d'Indre-et-Loire ; que ce même syndicat, affilié à la confédération majoritaire des syndicats de chirurgiens-dentistes libéraux et unique signataire, à l'époque des faits, de la convention dentaire avec les caisses nationales d'assurance maladie, avait comme tel une audience particulièrement forte chez les praticiens du département ; que, même s'il n'avait pas été destinataire de la décision n° 89­D­36 du Conseil de la concurrence citée au IA2b) de la présente décision, il ne pouvait ignorer cette décision, confirmée sur le fond par un arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 3 mai 1990 et publiée dans la revue syndicale Le chirurgien-dentiste de France, par laquelle la confédération CNSD, ainsi que vingt-deux syndicats départementaux affiliés, avaient été sanctionnés pour des consignes de boycott similaires ; que le dommage à l'économie doit être apprécié en tenant compte de la circonstance que l'initiative du syndicat CNSD 37 est restée isolée et du fait qu'il n'est pas établi que le boycott auquel celui-ci invitait les chirurgiens-dentistes d'Indre-et-Loire ait donné lieu à la rupture des relations commerciales de ces derniers avec leurs prothésistes ;

Considérant que le montant des ressources du syndicat CNSD 37 d'Indre-et-Loire s'est élevé au cours de l'exercice 1996 à 636 631 F ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 100 000 F ; qu'il convient, pour prévenir toute nouvelle incitation au boycott des prothésistes dentaires, que l'ensemble des syndicats départementaux de chirurgiens-dentistes soient informés du caractère illicite de cette pratique et des sanctions qu'ils encourent ; qu'il y a lieu d'enjoindre la publication de la présente décision dans la revue syndicale Le chirurgien-dentiste de France qui est diffusée sur le plan national,

Décide :

Article 1er : Il est établi que le Syndicat des chirurgiens-dentistes d'Indre-et-Loire CNSD 37 a enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986.

Article 2 : Une sanction pécuniaire de 100 000 F est infligée au syndicat CNSD 37.

Article 3 : Dans un délai maximum de trois mois suivant sa notification, le texte intégral de la présente décision sera publié à l'initiative et aux frais du syndicat CNSD 37 dans la revue Le chirurgien-dentiste de France. Cette publication sera précédée de la mention " Décision du Conseil de la concurrence du 22 avril 1997, relative à des pratiques mises en œuvre par le Syndicat des chirurgiens-dentistes d'Indre et Loire CNSD 37 ".