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Décisions

Conseil Conc., 13 octobre 1999, n° 99-MC-07

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société Scan Coupon concernant des pratiques mises en œuvre sur le marché du traitement des bons de réduction

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de M. Bresse, par Mme Hagelsteen, présidente, Mme Pasturel, vice-présidente, , M. Cortesse, vice-président.

Conseil Conc. n° 99-MC-07

13 octobre 1999

Le Conseil de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre enregistrée le 27 juillet 1999 sous les numéros F 1160 et M. 243 par laquelle la société Scan Coupon a saisi le conseil de la concurrence de pratiques, qu'elle estime anticoncurrentielles, mises en œuvre par les sociétés financières Sogec Marketing et Sogec Gestion sur le marché du traitement des bons de réduction et demande le prononcé de mesures conservatoires; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre modifié pris pour son application; Vu les observations présentées par la société Scan Coupon, la société financière Sogec Marketing, la société Sogec Gestion et par le commissaire du Gouvernement; Vu les autres pièces du dossier; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la société Scan Coupon, de la société financière Sogec Marketing, de la société Sogec Gestion entendus; Après en avoir délibéré hors la présence du rapporteur et du rapporteur général,

Sur la saisine au fond :

Considérant que la société Scan Coupon expose qu'elle a développé depuis sa création en 1996 une activité de traitement automatisé des coupons publicitaires de réduction et que cette activité consiste à traiter les coupons de réduction qui sont émis par des fabricants de produits de marques de grande consommation et qui sont mis à la disposition des consommateurs soit par incorporation à l'emballage du produit, soit par distribution sur les lieux de vente ou dans les boîtes aux lettres; que, pour ce traitement, la société Scan Coupon a mis au point un logiciel valable pour l'ensemble des opérations de la chaîne de traitement des coupons, lequel s'appuie sur la norme EAN 13 qui a été définie par l'Association internationale pour la numérotation des articles, logiciel qui permet un contrôle immédiat de la validité des bons de réduction lors du passage en caisse, un transfert par voie télématique au centre de traitement des données en fin de journée, le remboursement du magasin par virement bancaire dans un délai de 72 heures et la mise à disposition de l'annonceur de statistiques dans un délai de 24 heures; qu'elle ajoute que le développement de ses activités est contrarié par le comportement du groupe Sogec qui a mis en place un système qu'il a sécurisé tant en amont vis-à-vis des annonceurs qu'en aval vis-à-vis des distributeurs et qui lui assure une exclusivité quasi-absolue de la gestion des coupons de réduction émis sur le marché national; qu'elle demande, en conséquence, au conseil de sanctionner les infractions aux dispositions des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et 81 et 82 du Traité des Communautés européennes commises par les sociétés Sogec, à savoir la société financière Sogec Marketing et la société Sogec Gestion, sa filiale; qu'elle demande, en outre, au conseil de prendre des mesures conservatoires sur le fondement de l'article 12 de l'ordonnance précitée;

Considérant, en premier lieu, que dans un avis du 5 avril 1979 concernant le secteur du traitement des coupons publicitaires de réduction, la Commission de la concurrence a indiqué que : "Le traitement des coupons publicitaires de réduction comprend l'ensemble des opérations de tri, d'envoi aux fabricants et de contrôle qui incombent aux détaillants ou aux grossistes ainsi que celles de réception, de comptage, de remboursement et de contrôle qui incombent aux fabricants émetteurs de coupons" et a considéré qu'il existait un marché du traitement des coupons publicitaires de réduction; qu'en l'état de l'instruction, il n'apparaît pas, malgré certaines évolutions technologiques, que cette définition du marché pertinent doive être remise en cause;

Considérant, en deuxième lieu, que la société Sogec Gestion a indiqué que 1 173 fabricants et enseignes adhèrent à sa banque de coupons et qu'elle traite annuellement environ 251 millions de bons de réduction; que ces chiffres représenteraient l'essentiel des bons à traiter à l'exception des bons émis directement par certaines enseignes de distribution pour leurs propres marques; qu'ainsi, la société Sogec Gestion du fait notamment de son antériorité, détiendrait un quasi-monopole du traitement des coupons publicitaires de réduction, ce qui n'est d'ailleurs pas sérieusement contesté; que, dans ces conditions,il ne peut être exclu à ce stade de l'instruction que la société Sogec Gestion occupe une position dominante sur le marché précédemment défini;

Considérant en troisième lieu, qu'il résulte d'une jurisprudence constance (CJCE, affaire C-18-88 13 décembre 1991, Régie des télégraphes et téléphones et C-62-86 Akzo, 3 juillet 1991; Cour d'appel de Paris, Labinal/Mors; conseil de la concurrence, France Télécom et ODA, décision n° 96-D-10 du 20 février 1996, et Lilly France, décision n° 96-D-12 du 5 mars 1996) que si une entreprise, disposant d'une position dominante et confrontée à l'arrivée d'un concurrent, est en droit de défendre et de développer sa part de marché, elle n'en doit pas moins demeurer dans les limites d'un comportement compétitif normal; de ce fait, pour cette entreprise, de tenter de limiter l'accès du marché sur lequel elle est en position dominante, ou d'un autre marché en recourant à des moyens autres que ceux qui relèvent d'une concurrence par les mérites, revêt un caractère abusif;

Considérant en quatrième lieu, que le contrat type d'adhésion à la banque de coupons Sogec Gestion précise en son article 1er que l'annonceur "...confie en exclusivité, pour la durée de ce contrat, à la Banque de Coupons Sogec Gestion la gestion de l'ensemble des coupons de réduction émis..."; que seule une minorité d'annonceurs aurait passé avec la société Sogec Gestion des contrats ne comportant pas cette clause d'exclusivité; qu'en outre, malgré plusieurs demandes expresses formulées en 1998 et 1999 par des annonceurs, la société Sogec Gestion a toujours refusé de supprimer l'exclusivité contenue dans la clause précitée, empêchant ainsi les annonceurs liés par ce contrat de faire appel en parallèle à un autre prestataire de services, y compris pour des opérations ponctuelles; que le maintien d'une clause d'exclusivité aussi rigoureuse n'apparaît nécessaire au bon fonctionnement des opérations de traitement des coupons publicitaires de réduction ni d'un point de vue technique, ni d'un point de vue commercial, ainsi qu'en attestent les demandes d'avenants présentées par plusieurs fabricants; qu'en outre, si la durée du contrat type proposé par la société Sogec Gestion n'est que d'une année, il est prévu un renouvellement par tacite reconduction; que,dans les faits, les contrats conclu ont été régulièrement reconduits; que, faute d'une offre concurrente suffisamment développée, un fournisseur qui refuserait le renouvellement de son contrat aurait sans doute des difficultés à trouver une alternative pour le traitement de l'ensemble de ses coupons; qu'enfin, la circonstance que ce contrat serait conforme aux termes de l'article 1984 du Code civil ne saurait suffire à empêcher une qualification au regard de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et, éventuellement, de l'article 7 du même texte;

Considérant, en cinquième lieu, qu'à l'occasion d'opérations ponctuelles destinées à tester le logiciel développé par la société Scan Coupon dans trois magasins à l'enseigne Casino, la société Sogec Gestion, malgré les consignes des annonceurs associés à cette opération, s'est refusée à envoyer à la société Scan Coupon les coupons que celle-ci devait traiter, alors même que Scan Coupon lui offrait le service équivalent, et s'est contentée de les réexpédier aux distributeurs, ce qui a eu pour effet de désorganiser le traitement incombant à la société Scan Coupon; qu'en outre, ainsi qu'il résulte d'un courrier du mois de février 1999 émanant de la société Sogec Gestion, cette société a cherché à dissuader les distributeurs de procéder à une opération de tri préalable des coupons; que ces comportements, dont il n'est pas démontré au vu des seuls courriers produits qu'ils aient été dictés par les distributeurs, ont pu constituer un obstacle à la bonne exécution de son contrat par la société Scan Coupon;

Considérant, en sixième lieu, que la société Sogec Gestion, qui s'apprête à diffuser un nouveau logiciel de traitement des coupons publicitaires de réduction, propose, à cette occasion, aux distributeurs d'effectuer gratuitement sur leurs installations les aménagements informatiques nécessaires et d'utiliser gratuitement ce logiciel, ainsi qu'il ressort du document publicitaire intitulé" Lecture automatique des coupons de réduction par vos scanner TPV"; que cette offre comporte de ce fait un avantage financier non négligeable;

Considérant, enfin, que les circonstances, à les supposer établies, que la société Scan Coupon ait mis en œuvre des procédés commerciaux déloyaux du même type que ceux condamnés par la Cour d'appel de Versailles le 16 octobre 1998, ait embauché deux anciens cadres de la société Sogec Gestion au mépris de clauses de non-concurrence et ait cherché à racheter cette société en vue de constituer un opérateur en situation de monopole sont sans incidence sur la qualification des pratiques dénoncées dans la présence saisine;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'au stade actuel de la procédure et sous réserve de l'instruction de l'affaire au fond, il ne peut être exclu que l'ensemble des pratiques analysées ci-dessus, dès lors notamment qu'elles émanent d'un opérateur, la société Sogec Gestion, susceptible de détenir d'une position dominante sur le marché du traitement des coupons de réduction, soient constitutives d'un abus de cette position au sens de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; qu'en outre, il ne peut être exclu que les contrats d'adhésion avec clauses d'exclusivité conclus par la société Sogec Gestion avec ses clients puissent constituer des ententes prohibées au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Considérant que la société financière Sogec Marketing, société mère de la société Sogec Gestion, demande sa mise hors de cause; que, toutefois, ni les pièces figurant au dossier, ni les débats en séance n'ont permis d'établir de façon certaine que cette société ne serait pas également impliquée dans les pratiques dénoncées et qu'en particulier elle ne serait plus titulaire d'aucun contrat de traitement de coupons de réduction depuis la création de la société Sogec Gestion; qu'à ce stade de la procédure, il ne peut donc être fait droit à la demande de la société financière Sogec Marketing;

Sur la demande de mesures conservatoires;

Considérant qu'accessoirement à sa saisine au fond, la société Scan Coupon demande au conseil de concurrence, par application de l'article 12 de l'ordonnance susvisée :

"- d'enjoindre à Sogec de suspendre l'application de la clause d'exclusivité insérée dans les contrats d'adhésion, de ne plus, à l'avenir, proposer de contrats revêtus d'une telle clause et de ne plus subordonner la fourniture de ses services à un engagement d'exclusivité;

" - d'enjoindre à Sogec d'informer par courrier l'ensemble de ses adhérents et des distributeurs de la suspension de l'exclusivité en joignant en annexe une copie de la décision du conseil;

" - d'enjoindre à Sogec de cesser d'intervenir auprès des annonceurs et des distributeurs pour entraver l'activité de Scan Coupon et de renvoyer ou de mettre à disposition de Scan Coupon tous les bons gérés par cette dernière" .

Considérant qu'aux termes de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, des mesures conservatoires" ne peuvent intervenir que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur concerné, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante. Elles peuvent comporter la suspension de la pratique concernée ainsi qu'une injonction aux parties de revenir à l'état antérieur. Elles doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence";

Considérant que la société Scan Coupon fait valoir "qu'elle subit actuellement des pertes de cinq à six millions de F par an"; qu'il ressort des bilans produits que les déficits ont été, en réalité de 574 373 f pour l'exercice clos en 1996, de 1 038 842 F pour l'exercice clos en 1997 et de 4 629 661 F pour l'exercice clos en 1998; qu'en outre, la société disposait encore au 31 décembre 1998 de capitaux propres à hauteur de 6 288 632 F; que, si la société fait état d'un déficit prévisionnel de 8,2 millions de F au titre de l'année 1999, ce chiffre n'est corroboré par aucune donnée précise alors même que la société envisage de réaliser un chiffre d'affaires de 3,6 millions de F, c'est-à-dire en forte hausse par rapport à 1998; qu'il n'a pas été démontré que les pertes subies seraient entièrement imputables aux pratiques invoquées; qu'ainsi, la société Scan Coupon n'établit pas l'atteinte grave à ses intérêts;

Mais considérant qu'ainsi qu'il a été indiqué précédemment, la société Sogec Gestion dispose depuis plusieurs années d'une situation de quasi-monopole que le marché du traitement des coupons publicitaires de réduction; que cette société a conclu avec la presque totalité de fabricants intéressés par le couponnage des contrats d'exclusivité valant pour l'ensemble de leurs produits; que la société Sogec Gestion a informé les annonceurs souhaitant mettre fin à la clause d'exclusivité qu'elle s'opposait à une demande, ne leur laissant ainsi d'autre solution d'une rupture totale des relations contractuelles; que le maintien de la clause d'exclusivité dans les contrats liant les fabricants à Sogec, fait obstacle à l'ouverture du marché à de nouveaux entrants; que les effets de cette clause s'ajoutent à ceux de la clause de tacite reconduction qui constitue une forte incitation pour les clients de Sogec à poursuivre l'intégration de leurs relations contractuelles avec elle;

Considérant qu'actuellement seuls quelques fabricants et des distributeurs, pour le traitement des coupons de leurs propres marques ou encore pour faire réaliser les opérations de tri leur incombant, commencent à recourir à d'autres prestataires de services tels Scan Coupon ou NCH; que, dans l'hypothèse où Scan Coupon ne parviendrait pas à se maintenir sur le marché, cet échec pourrait être de nature à décourager, compte tenu du caractère notoire, attesté notamment par des articles de presse, de la très forte position détenues par la Sogec, tant les concurrents potentiels d'entrer sur le marché que les utilisateurs de recourir à des concurrents;

Considérant, en outre, que la société Sogec Gestion s'apprête à diffuser gratuitement auprès des distributeurs à un nouveau logiciel destiné à faciliter le passage en caisse de bons de réduction au moment même ou Scan Coupon, afin d'entrer sur le marché du traitement des coupons de réduction, tente de commercialiser son propre produit permettant, ainsi qu'il a été dit précédemment, un contrôle instantané des bons lors du passage en caisse, un remboursement accéléré du distributeur et une fourniture rapide de données statistiques aux annonceurs;

Considérant que, dans ces conditions,la persistance des pratiques de la société Sogec Gestion est de nature à porter une atteinte grave et immédiate à l'économie du secteur intéressé;

Considérant qu'au vu de ce qui précède, il y a lieu, dans l'attente de la décision du conseil sur la saisine au fond, d'enjoindre à la société Sogec Gestion, société du groupe Sogec intervenant directement sur le marché du traitement des coupons publicitaires de réduction ainsi qu'à la société financière Sogec Marketing, dans l'hypothèse où elle demeurerait titulaire de certains contrats :

- de suspendre immédiatement l'application de la clause d'exclusivité insérée à l'article I des contrats d'adhésion de leurs banques de coupons;

- de ne plus proposer de contrats comportant une telle clause;

- d'informer, par courrier et dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, tous les clients relevant de leur activité de traitement de coupons de réduction de la suspension de l'application de la clause d'exclusivité et de l'injonction qui leur a été délivrée de ne plus proposer des contrats comportant une telle clause, en joignant en annexe une copie de la décision du conseil;

Considérant qu'en revanche, il n'apparaît pas nécessaire de faire droit à la demande de Scan Coupon tendant à enjoindre à la société Sogec Gestion et à la société financière Sogec Marketing de cesser d'intervenir auprès des annonceurs et des distributeurs pour entraver l'activité de Scan Coupon et de renvoyer ou de mettre à disposition de Scan Coupon tous les bons gérés par cette dernière,

Décide :

Article unique : - Il est enjoint à la société Sogec Gestion et à la société financière Sogec Marketing, dans l'attente d'une décision au fond :

- de suspendre immédiatement l'application de la clause d'exclusivité insérée à l'article I des contrats d'adhésion à leurs banques de coupons;

- de ne plus proposer de contrats comportant une telle clause;

- d'informer, par courrier, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, tous les clients relevant de leur activité de traitement de bons de réduction de la suspension de l'application de la clause d'exclusivité et de l'injonction qui leur a été délivrée de ne plus proposer de contrats comportant une telle clause, en joignant en annexe une copie de la décision conseil.