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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 19 mai 1998, n° ECOC9810162X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

France Télécom (SA), Transpac (SA), BT France (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Premier président :

M. Canivet

Présidents :

Mmes Favre, Marais

Avocat général :

M. Salvat

Conseillers :

MM. Perie, Carre-Pierrat

Avoués :

SCP Valdelièvre-Garnier, Me Huygue, SCP Fisselier, Chiloux, Boulay

Avocats :

Mes Voillemot, Morgan de Rivery, Lazarus

CA Paris n° ECOC9810162X

19 mai 1998

LA COUR statue sur les recours principaux et incident formés, d'une part, par la société France Télécom et par sa filiale la société Transpac, et d'autre part, par la société British Telecom France (BT France) contre la décision du Conseil de la concurrence (le conseil) n° 97-D-53 du 1er juillet 1997 qui :

- a estimé que sur le marché national constitué par les services de transmission de données assurés par le réseau Transpac accessible par le canal D de Numéris et par les réseaux VSAT, la société Transpac disposait, au moment des faits, d'une position dominante,

- a relevé qu'à l'occasion de l'offre commune présentée le 15 avril 1993 par France Télécom et Transpac au groupe d'assurances Axa, France Télécom, opérateur public qui disposait d'un monopole de droit en ce qui concerne l'exploitation du réseau public Numéris, avait favorisé sa filiale par rapport à la concurrence en décidant d'offrir conjointement la gratuité des frais d'accès à Numéris ainsi qu'un abonnement gratuit de deux mois, ce qui avait pour objet et avait pu éloigner la concurrence VSAT présentée par la société BT France, filiale de British Telecom, et favoriser la technologie Transpac via le canal D de Numéris, et qu'ainsi ces deux entreprises avaient enfreint, d'une part, les dispositions des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et, d'autre part, celle des articles 85 et 86 du traité de Rome, la pratique, susceptible de porter atteinte au commerce intracommunautaire, ayant pour objet et pouvant, par sa nature même, avoir pour effet de cloisonner les marchés en limitant l'accès d'un opérateur concurrent sur le marché national,

- a considéré, encore, qu'en accordant à Axa un rabais rétroactif au titre de l'ancien contrat subordonné à l'acceptation de la proposition tarifaire effectuée dans le cadre de l'offre accès par canal D de Numéris, Transpac avait abusé de sa position dominante et enfreint les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ainsi que celles de l'article 86 du traité de Rome,

- a estimé, en revanche, que la société Transpac n'avait pas contrevenu aux dispositions des articles 8 de l'ordonnance précitée et 86 du traité de Rome en ne communiquant pas, dans le cadre de l'appel d'offres lancé par le groupe Axa, les barèmes "grands comptes" et n'avait pas pratiqué des prix prédateurs pour le service de supervision des adaptateurs X-25,

- a infligé à la société France Télécom une sanction pécuniaire de 20 000 000 F et à la société Transpac une sanction pécuniaire de 10 000 000 F.

Au soutien de leurs recours, les sociétés France Télécom et Transpac font valoir :

- aux fins d'annulation:

- que le conseil a violé les droits de la défense en adoptant une décision qui méconnaît la portée du grief notifié par le rapporteur, puisqu'il a retenu une nouvelle définition du marché sans que les entreprises sanctionnées aient pu exposer leurs arguments sur ce point,

- que la définition tant sectorielle que géographique du marché pertinent retenue par le conseil est contraire aux principes du droit de la concurrence et ne tient pas compte des faits de l'espèce ; que les contradictions qui sur ce point résultent de la motivation de la décision sont de nature à empêcher tout contrôle juridictionnel et justifient à elles seules l'annulation ; que cette conception erronée du marché a amené le conseil a méconnaître les arguments des requérantes quant à leur absence de position dominante,

- que, si le marché pertinent est purement national, la qualification au regard des articles 85 et 86 du traité de Rome n'a pas lieu d'être et qu'en considérant que France Télécom aurait violé les articles 7 et 8 de l'ordonnance et les articles 85 et 86 du traité, le conseil a entaché sa décision d'une contradiction de motifs, méritant l'annulation ; qu'en outre, en l'absence de prise en compte d'éléments spécifiques à chacune des infractions, le conseil ne pouvait statuer à la fois au regard de l'article 85 et de l'article 86 du traité de Rome,

- que le conseil ni ne prouve l'existence d'une entente ni d'ailleurs ne qualifie le grief sur le fondement de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que s'agissant de l'infraction à l'article 8 du même texte, le conseil ne démontre pas en quoi la réduction tarifaire accordée par France Télécom à Axa serait constitutive d'un abus ; qu'il n'établit pas plus l'objet ou l'effet anticoncurrentiel des pratiques retenues,

- sur le second grief tiré de la concession commerciale offerte à Axa pour le trafic sur Transpac, que le conseil a apprécié de façon erronée le quantum exact de cette concession commerciale réputée porter rétroactivement sur le contrat en cours, et qu'il ne justifie ni de son objet ni d'un effet anticoncurrentiel,

- qu'en ne donnant pas de justification adéquate des sanctions, le conseil a violé l'obligation de motivation qui lui incombe,

- aux fins de réformation :

- que le conseil n'a pas respecté les principes de proportionnalité, d'individualisation, de sécurité juridique et de bonne administration en ce qui concerne les sanctions qu'il a prononcées, lesquelles devront être réduites par la cour.

A titre subsidiaire elles demandent à la cour, en application de l'article 177 du traité de Rome, de poser à la Cour de justice des Communautés européennes (la CJCE) des questions préjudicielles sur l'interprétation du droit communautaire quant à la définition du marché pertinent et sur le principe de proportionnalité des sanctions.

A l'appui de son recours incident, la société BT France reproche au conseil :

- de n'avoir pas sanctionné certaines pratiques particulièrement graves qu'elle avait dénoncées dans sa saisine et que le rapporteur avait mis en évidence, notamment des pratiques de prix discriminatoires, en violation des obligations réglementaires s'imposant à France Télécom et à Transpac, et de prix prédateurs, ces deux abus enfreignant l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et l'article 86 du traité de Rome,

- tout en reconnaissant que les pratiques dénoncées avaient un objet anticoncurrentiel, d'avoir excessivement restreint la portée de sa décision en l'assortissant de commentaires semblant introduire un doute quant à la réalité de leur effet anticoncurrentiel,

- d'avoir infligé à France Télécom et à Transpac une sanction pécuniaire insuffisante au regard non seulement des chiffres d'affaires des entreprises concernées, mais surtout de l'extrême gravité des pratiques sanctionnées, de l'importance du dommage causé à l'économie et de la situation des auteurs des pratiques.

Le ministre chargé de l'économie observe que le Conseil de la concurrence, saisi in rem, n'est pas lié par les propositions de définition du marché contenues dans la notification des griefs et dans le rapport définitif et qu'au demeurant la délimitation du marché concerné a fait l'objet d'un large débat contradictoire. Il relève d'une part que l'autoproduction n'est pas un service offert sur le marché et que les réseaux en cause, constitués à 98 % de liaisons de moins de 1 000 mètres, ne peuvent constituer une alternative possible et d'autre part que la demande et l'offre potentielle s'exprimaient spécifiquement au niveau national, de sorte que l'analyse faite par le conseil pour procéder à la délimitation du marché est pertinente, ajoutant, en tout état de cause que, ne s'agissant pas d'un problème d'interprétation d'une disposition du traité ou d'un acte communautaire, il n'y a pas lieu à question préjudicielle sur le fondement de l'article 177 du traité. Il indique que l'ensemble France Télécom - Transpac, en position dominante sur le marché constitué par les services de transmission de données assurées par le réseau Transpac accessible par le canal D de Numéris et par les réseaux VSAT, a entendu enlever le marché au moyen d'une offre de gratuité exceptionnelle à laquelle BT France ne pouvait répondre, ce qui a faussé la concurrence, et que de même Transpac a offert une ristourne de fidélité pour emporter le marché, ce qui constitue, pour une entreprise en position dominante, un abus. Il conclut donc au rejet des recours principaux.

S'agissant du recours incident, il considère que l'opacité maintenue par Transpac sur les tarifs "grands comptes" est une mesure destinée à rendre possibles des pratiques prédatrices, en contradiction formelle avec les dispositions de la directive communautaire du 5 juin 1992 relative aux principes de la fourniture d'un réseau ouvert et qu'elle constitue dès lors un abus de position dominante contraire aux dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et à celles de l'article 86 du traité. Il demande en conséquence de réformer de ce chef la décision du conseil.

Le Conseil de la concurrence fait observer qu'il a retenu comme marché pertinent l'une des définitions possibles du marché énoncées par la notification de griefs complémentaires et respecté ainsi le principe du contradictoire, qu'à l'issue d'une analyse complète correspondant à la pratique courante de la Commission il a retenu que le système Transpac via le canal D de Numéris était substituable au système VSAT, à la différence de l'ensemble des autres systèmes, y compris les services dits terrestres offerts dans le cadre de groupes fermés d'utilisateurs, excluant l'autoproduction, et qu'il a limité le marché au territoire national dès lors que la demande spécifique de la société Axa existait sur ce seul territoire. Il rappelle que toute pratique mise en œuvre par un opérateur en position dominante qui a pour objet et/ou pour effet d'empêcher, dans des conditions déloyales, l'accès à un marché, à un concurrent, relève de l'application des dispositions prohibant les pratiques anticoncurrentielles, et que ni en droit communautaire ni en droit interne l'application des dispositions concernant les ententes n'est exclusive de l'application de celles concernant l'abus de position dominante. Il note enfin, sur la concession commerciale faite par Transpac, qu'en faisant porter le rabais accordé en partie sur le contrat en cours, cette entreprise ne permettait pas à son concurrent de concourir dans des conditions loyales de concurrence.

Les sociétés France Télécom et Transpac ont répliqué, en développant les moyens précédemment exposés, à l'argumentation de la société BT France, aux observations du conseil et à celles du ministre, Transpac suggérant à la cour d'écarter le recours de BT France pour absence d'objet, la décision ne faisant grief au requérant, et par voie de conséquence d'écarter les observations du ministre fondées sur le recours incident.

La société BT France a fait de même et a sollicité en outre la condamnation de France Télécom et de Transpac à lui payer la somme de 200 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le ministère public a développé des conclusions orales tendant au rejet des recours.

Sur quoi, LA COUR :

1. Sur la procédure :

a) Sur le respect des droits de la défense :

Considérant que les sociétés France Télécom et Transpac font grief au conseil d'avoir retenu que le marché pertinent était, dans la présente affaire, celui constitué par les services de transmission de données assurés par le réseau Transpac accessible par le canal D de Numéris et par les réseaux VSAT, en violation des droits de la défense, et notamment du principe du contradictoire tel que prévu par les article 18 et 21 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et par les principes généraux fixés par le droit communautaire ; que, plus précisément, elles reprochent au conseil d'avoir adopté, sans qu'elles aient pu exposer leurs arguments sur ce point, une définition du marché qui méconnaît la portée du grief retenu par le rapporteur ;

Mais considérant que, contrairement à ce qui est prétendu, la question le la délimitation du marché pertinent a été débattue de façon contradictoire avant que le conseil statue, d'une part, au stade des mémoires en réponse à la notification de griefs, France Télécom contestant alors la définition retenue par le rapporteur, lequel estimait que l'appel d'offres lancé par Axa ayant retenu les deux seules possibilités VSAT ou technologie terrestre constituait un marché au sens de l'ordonnance, puis en réponse à la notification de griefs complémentaires dans laquelle étaient proposées plusieurs alternatives, dont celle retenue par le conseil, et encore en réponse au rapport, et, d'autre part, dans leurs observations en réponse à l'avis n° 97-72 adopté par l'Autorité de régulation des télécommunications, la demande du conseil, et à son annexe relatif au marché des transmissions de données en 1993 et la position de Transpac sur ce marché ;

Que, par ailleurs, la restriction du champ du marché concerné opérée par le conseil n'a en rien modifié la position de l'opérateur dominant sur le marché au moment des faits et ne pose donc, comme l'indiquait déjà le rapporteur dans sa notification complémentaire, pas de problème pour ce qui concerne l'appréciation des faits au regard des articles 86 du traité de Rome et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Qu'il s'ensuit que les droits de la défense ont été respectés et que le moyen soulevé, qui n'est pas fondé, doit être écarté ;

b) Sur la recevabilité du recours incident :

Considérant que la société Transpac soutient que le recours incident formé par la société BT France devrait être "écarté" dès lors qu'il est sans objet, la décision du conseil ne portant pas grief au requérant ; qu'elle demande en conséquence à la cour de renvoyer cette entreprise à pourvoir devant telle instance qu'elle estimera appropriée pour un éventuel préjudice qu'elle prétendrait avoir subi ;

Mais considérant qu'aux termes de l'article 15 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 les décisions du Conseil de la concurrence sont notifiées aux parties en cause et au ministre chargé de l'économie qui peuvent dans le délai d'un mois introduire un recours en annulation ou en réformation devant la Cour d'appel de Paris ;

Que la société BT France, auteur de la saisine, était une partie devant le conseil et figure à ce titre sur la liste des personnes ayant reçu notification de la décision ;

Qu'elle pouvait donc former un recours en annulation ou en réformation ou, conformément aux dispositions de l'article 6 du décret n° 87-849 du 19 octobre 1987, un recours incident ;

2. Sur le marché pertinent :

a) Sur le marché sectoriel :

Considérant que les sociétés France Télécom et Transpac soutiennent que le conseil a procédé à une analyse incomplète, imprécise et erronée du marché pertinent ; qu'elles lui reprochent de ne pas avoir envisagé les réseaux qu'une entreprise pourrait se constituer à partir d'une infrastructure mise en place par un tiers pour ses propres besoins et dont les surcapacités seraient offertes à toute entreprise demanderesse et ceux offerts par des exploitants tiers dans le cadre de groupes fermés d'utilisateurs de manière virtuelle, d'avoir également écarté les réseaux "privés" et "indépendants" du marché pertinent, en affirmant a priori que "les services internes ne se trouvent pas sur le marché des services de transfert de données aux entreprises" alors qu'il existe une élasticité croisée de la demande entre "l'internalisation" et "l'externalisation" des réseaux puisque d'importants utilisateurs décident d'avoir recours à des réseaux propres, en abandonnant les réseaux offerts par des tiers cependant que d'autres font le mouvement inverse ; qu'elles affirment que l'approche faite par le conseil n'est conforme ni à la pratique de la Commission des Communautés européennes ni à la jurisprudence des autorités nationales de concurrence ; qu'elles prétendent que les pratiques dénoncées sont à examiner sur le marché économique des transmissions de données "sur mesures" aux grandes entreprises comprenant outre les réseaux VSAT et le réseau Transpac accessible par le canal D de Numéris, les réseaux internes dédiés, privés ou indépendants, ainsi que les réseaux virtuels et prie la cour, à défaut de retenir cette définition, d'interroger la CJCE, à titre préjudiciel, sur le point notamment de savoir si le marché pertinent, au sens de la jurisprudence de la Cour de justice, doit s'interpréter comme comprenant, pour l'appréciation d'une éventuelle position dominante, uniquement les services substituables offerts à des entreprises clientes, ou également les services substituables mis en œuvre par des entreprises pour leur propre compte et les services substituables mis en œuvre par des entreprises pour leur propre compte mais qu'elles pourraient également offrir à des tiers ;

Que Transpac ajoute que la définition du marché pertinent présentée par le conseil serait empreinte de confusion et de contradiction, ce qui équivaudrait à un défaut de motivation ;

Considérant que le marché est le lieu théorique où se confrontent l'offre et la demande de produits ou de services qui sont considérés par les acheteurs ou les utilisateurs comme substituables entre eux mais non substituables aux autres biens ou services offerts;

Que, plus précisément, aux termes du règlement 17 adopté sur la base des articles 85 et 86 du traité de Rome, "un marché de produits et/ou de services comprend tous les produits et/ou services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l'usage auquel ils sont destinés"; qu'encore selon la CJCE : "la notion de marché concerné implique qu'une concurrence effective puisse exister entre les produits qui en font partie, ce qui suppose un degré suffisant d'interchangeabilité en vue du même usage entre tous les produits faisant partie du même marché" ;

Que, selon la directive communautaire n° 97-C 372-03, le marché en cause s'apprécie à l'époque des faits examinés, la concurrence potentielle n'y étant pas prise en compte dans la mesure où les conditions dans lesquelles elle peut effectivement constituer une contrainte concurrentielle dépendent de l'analyse de certains facteurs et circonstances se rapportant aux conditions d'entrée ;

Que, du côté de la demande, l'examen de la substituabilité suppose d'abord l'analyse des caractéristiques des produits ou services et l'usage auxquels ils sont destinés, ainsi que l'étude de l'effet de substitution sur le marché dans un passé récent qui peut exister notamment dans l'hypothèse d'une légère modification de prix de l'ordre de 5 à 10 % ; qu'il faut encore prendre en compte le point de vue des clients ou des concurrents ainsi que l'existence de barrières telles que des barrières d'ordre réglementaire ou de coût ;

Que, du côté de l'offre, la substitution suppose que les fournisseurs puissent réorienter leur production vers les produits ou services en cause sans coût ou risque insupportable pour se substituer à l'offreur précédent, étant observé que si la substitution nécessite de lourds investissements ou des révisions stratégiques, il n'en est pas tenu compte dans la définition du marché ;

Qu'il convient donc de délimiter le marché concerné au regard de l'ensemble de ces éléments ;

Considérant qu'en 1992 la compagnie d'assurances Axa utilisait depuis plusieurs années les services de transmission de données par commutation de paquets de la société Transpac, dans le système classique de liaison par lignes spécialisées louées à France Télécom, pour connecter ses 3 600 agences ou sites en permanence à ses sites centraux ; qu'elle disposait ainsi d'un réseau dit "en étoile" caractérisé par de très nombreux sites pratiquant une communication bi-directionnelle avec leur centre opérationnel suivant des débits faibles et intermittents ; qu'elle a voulu alors changer de système pour réduire ses coûts de 30 % sur cinq ans, améliorer la qualité de son service, notamment par une plus grande réactivité, et traiter en priorité le réseau d'agents Axa en France et accessoirement relier les agences étrangères ;

Que sa demande présentait donc des caractéristiques bien spécifiques, une catégorie bien définie de clients, celle des grands utilisateurs désirant un réseau de transmission de données en étoiles, pour desservir de façon bi-directionnelle en permanence de très nombreux sites de manière particulièrement réactive, et qu'il convient de rechercher quels offreurs de services de transmission de données pouvaient répondre à une telle demande ;

Considérant tout d'abord que, contrairement à ce que prétendent les requérantes, l'autoproduction n'est pas, selon la jurisprudence communautaire, un service offert sur le marché de sorte qu'il ne présente pas une alternative pour le client ; que tel est en effet le sens de la décision de la Commission des Communautés du 8 avril 1992 (Accor/Wagon-lits) et de celle de la CJCE du 21 février 1973 (Continental CAN) qui a réformé la décision de la Commission non pas parce qu'il aurait fallu prendre en compte l'autoproduction, mais seulement parce qu'avait été relevée la mise sur le marché d'excédents de production dont il devait être tenu compte ;

Qu'il s'ensuit que c'est à juste titre que le conseil a exclu du marché concerné les réseaux privés créés à partir de lignes spécialisées louées à France Télécom et les réseaux indépendants créés par les entreprises à partir de leurs propres lignes, en indiquant que ces réseaux internes ne se trouvaient pas sur le marché des services de transfert de données aux entreprises ;

Considérant ensuite, s'agissant de la substituabilité des services de transmission de données offertes par des opérateurs dans le cadre d'un "groupe fermé d'utilisateurs", qu'il est fait grief au conseil d'avoir exclu du marché concerné les réseaux virtuels constitués par un prestataire de services-supports (à partir de lignes louées à France Télécom ou à partir de surcapacités liées à l'exploitation d'un réseau non externalisé) offerts à des entreprises d'une manière "virtuelle" ;

Considérant cependant qu'il n'est pas démontré par les intéressées qu'à l'époque des faits il existait sur le marché des offres de la part des opérateurs dans le cadre d'un groupe fermé d'utilisateurs ; qu'en effet dans une intervention de décembre 1993, dont la transcription était jointe en annexe aux observations de France Télécom en réponse à la notification de griefs, M. François Lions, de la direction générale des postes et télécommunications, s'exprimait dans les termes suivants :

"Nous pouvons observer que le mythe de la revente de capacité a été écorné : c'était celui de grands utilisateurs revendant à des tiers les capacités de transmission excédentaires dont ils auraient disposé sur leur réseau. Or, nous n'avons pas observé de la part de grands utilisateurs ayant constitué un réseau de données pour leur propre compte, d'intention de développer une offre auprès de tiers. En fait, le marché des transmissions de données nous semble être une affaire d'opérateurs" ;

Qu'il en résulte que le conseil ne peut être valablement critiqué pour avoir écarté ces réseaux dits virtuels ;

Considérant encore, s'agissant de la substituabilité pouvant exister entre le service par liaisons louées à France Télécom (réseau classique Transpac jusque-là utilisé par Axa) et le nouveau service avec accès par le canal D de Numéris, qu'il convient de relever que si leur finalité est identique, la qualité et le nombre des services qu'ils offrent sont différents ; qu'en outre ils présentent pour l'utilisateur une importante différence de coût (supérieure à 20 %), qui à elle seule permettrait, en application de la directive communautaire précitée, d'exclure qu'ils puissent constituer des alternatives à la demande formulée par le groupe Axa; que le conseil a donc justement dit qu'ils n'étaient pas substituables en raison des différences de performances et de coûts, et que cette analyse est confortée par le fait même qu'une catégorie d'utilisateurs dont les besoins pour leur réseaux en étoile s'apparentaient à ceux d'Axa ont abandonné l'ancien système d'échanges de données par liaisons spécialisées pour recourir au service Transpac via le canal D de Numéris;

Considérant que,contrairement à ce qui est soutenu, le conseil a motivé sa décision en ce qui concerne le fait que les réseaux VSAT constituent une alternative aux réseaux terrestres publics, en s'appuyant sur le comportement des utilisateurs, sur la fonctionnalité des services et leur niveau de prix ;

Que l'analyse du marché à laquelle a procédé le conseil est d'ailleurs conforme à celle faite par l'Autorité de régulation des télécommunications, qui indique que sur le marché des transmissions de données entre de nombreux terminaux répartis sur l'ensemble du territoire français et un site central français, les offres réellement adaptées aux besoins d'Axa ne pouvaient provenir que d'une part des fournisseurs de services VSAT, et, d'autre part, des fournisseurs des services supports et, de fait, de Transpac compte tenu de l'extension de son réseau et de son accès privilégié au canal D de Numéris ;

Considérant enfin qu'il n'existe ni confusion ni contradiction en ce qui concerne la définition du marché pertinent dans la décision du conseil, le fait qu'il ait indiqué à la page 26 que la position dominante occupée par Transpac se situe sur le marché pertinent de la transmission de données aux entreprises faisant nécessairement renvoi à la délimitation du marché pertinent à laquelle il avait procédé à la page 23 ;

Considérant, sans qu'il soit nécessaire de poser sur ce point des questions préjudicielles à la CJCE, qu'il résulte de ce qui précède, que le conseil a exactement délimité le marché sectoriel concerné ; que les moyens d'annulation invoqués sur ce point, qui ne sont pas fondés, doivent en conséquence être rejetés ;

b) Sur le marché géographique :

Considérant que les requérantes font grief au conseil d'avoir limité l'étendue géographique du marché pertinent au seul territoire français, alors que, depuis la libération intervenue en 1990, le marché de la transmission de données tend vers la mondialisation en raison de la globalisation des activités des entreprises et d'une recherche de centralisation auprès d'un seul opérateur des moyens de télécommunications tant au niveau national qu'au niveau international ; que France Télécom ajoute, d'une part, que le conseil aurait dû s'attacher, pour déterminer le marché géographique, non pas au fait que l'appel d'offres d'Axa concernant le marché français, mais à celui que de nombreux Européens, voire internationaux, étaient à même de satisfaire cette demande et, d'autre part, que, Axa développant ses services dans le monde entier, c'était une définition internationale du marché qui aurait dû être retenue, ce que le conseil aurait, d'après elle, explicitement reconnu en retenant des griefs au regard des articles 85 et 86 du traité de Rome ;

Mais considérant que, lors des faits, tant la demande que l'offre s'exprimaient spécifiquement au niveau national ;

Qu'en effet les responsables du bureau concurrence et consommateurs de la direction générale des postes et télécommunications ont noté que les demandeurs de services de transmission de données avaient tendance à différencier leurs besoins nationaux et leurs besoins internationaux (cote 1052 du rapport) et que tel était le cas d'Axa ;

Que, s'agissant de l'offre, la réglementation française, à savoir le Code des postes et télécommunications, modifié par le décret du 30 octobre 1990, imposait que les exploitants de services de télécommunications soient titulaires d'une autorisation spécifique laquelle était exclusivement donnée aux entreprises disposant d'infrastructures sur le territoire français et pour le seul champ d'application sur lequel peut s'exercer la compétence des autorités françaises, c'est-à-dire le territoire national; qu'une telle barrière réglementaire est d'ailleurs un des critères retenus par la communication de la Commission européenne sur la définition du marché précitée pour la délimitation du marché géographique, de sorte que la nécessité d'une telle habilitation pour pouvoir exploiter un réseau de données circonscrit le marché pertinent au territoire national ;

Considérant par ailleurs que cette définition géographique ne se trouve pas contredite par le fait que les pratiques aient été sanctionnées sur le fondement des articles 85 et 86 du traité de Rome, une pratique mise en œuvre sur un marché national étant susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres ;

Que les moyens invoqués à l'appui du recours en annulation doivent en conséquence être écartés ;

c) Sur la position des sociétés France Télécom et Transpac :

Considérant que la société Transpac prétend qu'en réduisant abusivement le marché pertinent au marché français des services de transmission de données assurés par le réseau Transpac via le canal D de Numéris et par les réseaux VSAT, le conseil a méconnu la position réelle de Transpac sur le marché des transmissions de données "sur mesure" aux grandes entreprises qui devait être pris en compte ;

Que, de son côté, la société France Télécom soutient que la décision doit être sanctionnée pour défaut de motivation dans la mesure où elle se borne à invoquer son monopole légal, sans prendre en compte l'ensemble des possibilités existantes, et notamment la forte pression concurrentielle des entreprises désireuses de bénéficier d'un système de transmission de données interne ;

Qu'elles affirment toutes deux ne pas être en position dominante ;

Considérant que les critiques faites par les requérantes sur la délimitation du marché pertinent ont été écartées ; qu'il en résulte que le marché concerné est celui des transmissions de données sur le plan national assuré par le réseau Transpac accessible par le canal D de Numéris et par les réseaux VSAT ;

Considérant que le conseil a relevé que, sur ce marché et au moment des faits, la société Transpac se trouvait en situation de monopole pour la fourniture de services-supports accessibles par le canal D de Numéris pour lequel France Télécom disposait du monopole légal ; qu'elle bénéficiait par ailleurs, antérieurement au lancement de la technologie "accès par canal D" d'un nombre élevé de contrats selon la technologie "accès par liaisons louées", ce qui lui conférait un avantage non négligeable dans la concurrence par rapport aux services VSAT qui étaient encore embryonnaires, ainsi que du soutien commercial de France Télécom à travers son service "grands comptes" qui pouvait jouer le rôle "d'agent commercial" de la société Transpac; que le rapporteur notait dans son rapport que, selon les informations communiquées à la Commission européenne à l'occasion du dossier Atlas, la part de marché du groupe France Télécom sur le marché général de la transmission de données était d'environ 77 % en 1993 ;

Que le conseil a donc justement déduit de l'ensemble de ces éléments que la société Transpac disposait, au moment des faits, d'une position dominante sur le marché considéré ; qu'il a également rappelé que France Télécom possédait des droits exclusifs sur l'installation et l'exploitation du réseau numérique à intégration de services, commercialisé sous le nom de Numéris, et notamment sur le canal D de ce réseau dont l'utilisation est nécessaire pour le service de transports de données par le réseau Transpac via le canal D de Numéris ;

Qu'il a ainsi caractérisé, sans qu'un défaut de motivation puisse lui être reproché, la position dominante de la société Transpac sur le marché concerné et la position monopolistique de la société France Télécom sur le marché d'infrastructure constitué par le réseau Numéris ;

3. Sur les pratiques reprochées :

a) Sur la gratuité des frais d'accès à Numéris et de l'abonnement accordé à Axa :

Considérant que les sociétés France Télécom et Transpac affirment que le grief, retenu par le conseil, tiré de l'octroi de la gratuité des frais d'accès à Numéris et de la gratuité des deux premiers mois d'abonnement n'est pas fondé ;

Qu'elles font valoir que le conseil n'a jamais qualifié le grief au regard des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'elles prétendent que le fait qu'elles aient présenté ensemble à Axa une offre, qui s'analyse comme une mise en commun de moyens, n'est pas de nature à prouver une quelconque concertation entre elles dans la mesure où la constitution de l'offre était justifiée par des raisons exclusivement techniques dès lors que l'accès direct à Transpac par le canal D de Numéris ne peut se faire qu'en utilisant un accès de base de Numéris lequel est commercialisé exclusivement par France Télécom aux conditions qu'elle détermine de façon autonome ; qu'elles ajoutent que cette absence d'entente résulterait encore de ce que la décision de France Télécom d'accorder la gratuité des frais d'accès à Numéris et de deux premiers mois d'abonnement est la conséquence d'une politique tarifaire générale et antérieure visant à développer l'ensemble du parc Numéris et de ce que deux contrats distincts ont été conclus avec Axa ;

Qu'elles soutiennent par ailleurs que le conseil a violé le droit communautaire en leur imputant une infraction cumulative des articles 85 et 86 du traité sans faire la preuve d'un comportement restrictif de concurrence indépendant de la simple exécution de leur prétendue entente ;

Que France Télécom fait encore valoir qu'il n'est pas démontré en quoi la réduction tarifaire accordée serait constitutive d'un abus ou de nature à rompre l'égalité des chances au détriment de BT France en mettant en avant, notamment, le fait que le ministre des postes et télécommunications et le ministre chargé de l'économie ont homologué les tarifs par elle pratiqués ; qu'il ne serait pas plus établi que l'avantage tarifaire accordé, selon elle minime, ait eu un objet ou un effet anticoncurrentiel ;

Mais considérant, en premier lieu, contrairement à ce qui est soutenu, que le conseil a caractérisé l'existence d'une entente anticoncurrentielle entre France Télécom et Transpac, établissements distincts et autonomes ; qu'il a en effet relevé que MM. des Cognets et Buge, respectivement directeur commercial et marketing de la société Transpac et directeur juridique adjoint de France Télécom avaient déclaré "l'ingénieur "grands comptes" de France Télécom a été associé à Transpac pour établir l'offre à Axa, et ce, en application d'une convention Transpac/France Télécom qui prévoit l'assistance France Télécom auprès de ses filiales", et que l'ingénieur "grands comptes" avait confirmé qu'il était intervenu dans le cadre du marché Axa en précisant que sa parfaite connaissance de l'évolution des affaires lui permettant de "jouer le cas échéant le rôle d'agent commercial de la société Transpac" ;

Quel'existence d'une concertation sur la fixation des tarifs ressort encore nettement de la synthèse de la proposition faite à Axa où il est indiqué que "en réponse aux besoins exprimés par le groupe Axa, Transpac s'appuyant sur son offre de réseau d'entreprises et France Télécom grands comptes ont mené en collaboration avec le service moyens et études Télécom de la direction informatique Axa une approche structurée" ; qu'elle se déduit aussi des termes du compte rendu de réunion entre Transpac et France Télécom du 10 mars 1995, figurant en annexe à la notification de griefs, rédigé ainsi qu'il suit :

"Perspectives 1995 : travailler ensemble sur l'analyse de positionnement VSAT vs. terrestre... Etre plus réactifs pour des offres intégrées, tout en séparant bien les prestations FT et Transpac... Nous serons enfin probablement amenés à travailler en 1995 sur le renouvellement de contrats réseaux d'entreprise, avec la concurrence de solutions VSAT (ex: Axa, GMF)" ;

Que les conditions particulières du contrat avec Axa stipulent "par dérogation au contrat Numéris, Axa bénéficie pour chaque accès direct à Transpac par un accès canal D de Numéris prévu à l'annexe 4 des conditions suivantes : - exonération des frais d'accès au réseau, - exonération de deux mois d'abonnement au service Numéris, qui s'exerce à la date de mise en service de l'accès de base" présentant ainsi la réduction comme un avantage de sorte que l'argument tiré de l'application d'une politique tarifaire générale et antérieure est inopérant ;

Qu'il en est de même de celui lié à l'existence de deux contrats distincts, lesquels postérieurs aux négociations commerciales ne sont pas de nature à influer sur les conditions dans lesquelles celles-ci ont été menées ;

Qu'il en résulte que les sociétés France Télécom et Transpac ont mis en œuvre une pratique concertée destinée, ainsi que cela ressort notamment du compte rendu de réunion du 10 mars 1995 indiquant que "le basculage de nombreux clients sur des solutions canal D, avec des contrats réseau d'entreprise de 3 ans, permettent de fidéliser le client et d'éloigner la concurrence VSAT", à écarter la seule concurrence existant sur le marché économique pertinent, à savoir, celle de la société BT France ;

Considérant, en deuxième lieu, que les articles 85 et 86 du traité sont concomitamment applicables dès lors que sont réunies les conditions de mise en œuvre propres à chacun de ces textes, en particulier, lorsqu'une pratique d'abus passe par la conclusion d'un accord ;

Considérant, en troisième lieu, que le conseil a justifié sa décision en ce qu'elle retient que les avantages accordés par la société France Télécom, en position dominante sur le marché de référence, faussaient l'égalité des chances entre les divers opérateurs économiques ;

Que la réduction accordée, égale à 12,7 % du coût de la mise en service, présentée comme exceptionnelle sur un service Numéris exploité en monopole par France Télécom et sans équivalent sur le marché, était manifestement destinée à fidéliser un client qui avait fait du tarif un élément essentiel de son choix ; qu'elle a nécessairement faussé le marché dès lors que BT France ne pouvait proposer un avantage similaire puisqu'il n'était pas encore implanté sur le marché où l'entité France Télécom-Transpac n'avait qu'à adapter un réseau terrestre déjà existant ;

Que le fait que le ministre des postes et télécommunications et le ministre chargé de l'économie aient ultérieurement homologué les tarifs pratiqués par France Télécom n'est pas de nature à justifier le procédé discrétionnairement mis en œuvre par France Télécom pour favoriser sa filiale Transpac et éloigner la concurrence VSAT ;

Considérant, en quatrième lieu, que le conseil a exactement relevé que la concertation pratiquée par les entreprises en cause pour mettre en œuvre des avantages qui s'analysaient en un abus de position dominante avait un objet anticoncurrentiel, et pouvait avoir eu un tel effet, dans la mesure où elle tendait à éloigner la concurrence de VSAT et à favoriser la technologie Transpac via le canal D de Numéris ; que le fait qu'il est ajouté "qu'il n'était pas exclu que des considérations autres que celles liées aux avantages financiers consentis par France Télécom aient pu influencer certains utilisateurs potentiels et notamment la société Axa" n'est pas de nature à exclure cet objet et cette potentialité d'effet anticoncurrentiel ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que France Télécom et Transpac se sont concertées dans le but d'arrêter une stratégie commerciale destinée à éloigner la concurrence de la société BT France, contrevenant ainsi aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que leurs agissements étaient également contraires aux dispositions de l'article 8 du même texte, compte tenu de la position monopolistique occupée par France Télécom sur le marché d'infrastructure du réseau public Numéris, nécessaire à l'offre présentée sur le marché concerné, et de la position dominante de la société Transpac sur ce marché ;

Que ces pratiques enfreignaient également les dispositions des articles 85 et 86 du traité puisqu'elles avaient eu pour objet, et pouvaient avoir, par leur nature, pour effet, de fausser le jeu de la concurrence sur une partie substantielle du marché commun, en limitant l'accès au marché économique national et qu'elles étaient mises en œuvre par des entreprises abusant de leur position dominante sur une partie substantielle du marché commun ;

b) Sur le rabais offert par Transpac à la société Axa :

Considérant que la société Transpac soutient que le conseil a apprécié de façon erronée le quantum de la concession commerciale réputée porter rétroactivement sur le contrat en cours, dans la mesure où depuis juin 1992 la concession était déjà acquise de sorte que l'avantage octroyé s'élève à 423 000 F et non à 1 449 000 F ; qu'elle conteste par ailleurs que la concession afférente aux mois d'octobre et de novembre 1993 ait été rétroactive dès lors que les prestations pour lesquelles elle était accordée n'étaient pas encore réalisées à la date d'octroi de la concession, qu'elle ajoute que la réduction de prix consentie rétroactivement sur le contrat en cours n'a pas d'objet ou d'effet anticoncurrentiel puisqu'elle ne peut être qualifiée de "remise de fidélité", aucun des critères de qualification du rabais de fidélité n'étant en l'espèce établi, et le conseil n'ayant pas démontré, en tout état de cause, que ce rabais a eu pour objet ou pour effet de fausser le jeu de la concurrence ; qu'elle fait enfin valoir que l'avantage représenté par le rabais en cause est "de minimis" et ne justifie pas la décision de condamnation et que, s'agissant d'une infraction passée, il n'y avait aucun intérêt communautaire ou national à les constater dès lors que cette constatation ne sert au mieux que les intérêts civils de la société BT France ;

Considérant que la position dominante de Transpac sur le marché concerné lui donne le pouvoir de faire obstacle à l'exercice d'une concurrence effective en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, alors que les règles de la concurrence lui font interdiction de rechercher à éliminer un autre opérateur et de renforcer ainsi sa position en recourant à des moyens autres que ceux qui relèvent d'une concurrence par les mérites, sans qu'à cet égard toute forme de compétition par les prix soit nécessairement tenue pour légitime ;

Considérant qu'en l'espèce, par lettre du 9 septembre 1993, Transpac a indiqué à Axa: "sous réserve d'un engagement de votre part avant le 30 septembre 1993, nous vous proposons une mesure tarifaire exceptionnelle, soit un prix du trafic sur Transpac (volume + durée CV) de 0,05 F HT, toutes réductions confondues, pour la période du 1er janvier 1993 au 30 septembre 1993" ;

Que MM. de Cognets et Buge ont déclaré, lors d'une audition effectuée le 13 novembre 1995, que "cette offre a intégré rétroactivement une réduction du tarif sur le volume appliqué de janvier à septembre 1993 dans le cadre du précédent contrat, soit 0,050 F au lieu de 0,0569 F. L'avantage ainsi consenti à Axa a été estimé à 1 449 000 F", ce qui rend inopérant l'argumentation actuelle tendant à la discussion du montant de l'avantage ainsi accordé ;

Que cette remise, qui ne peut être qualifiée de minime puisqu'elle a été évaluée par la société Transpac elle-même dans ses écritures devant le conseil, à 7 %, et qui était spécifiquement destinée à convaincre un client dont l'objectif prioritaire était de réduire ses coûts actuels, consentie sur des produits autres que ceux visés par l'offre, s'apparente à un rabais de fidélité visant à lier le client par des avantages inégaux pour l'empêcher de se fournir chez des concurrents ;

Qu'émanant d'un opérateur en position dominante sur le marché concerné et qui peut donc, au moins momentanément pour renforcer sa position et écarter un concurrent, s'affranchir sans risque de la réalité de ses propres coûts, un tel avantage est constitutif d'un abus au sens de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Que tendant à limiter, par la voie d'avantages financiers octroyés d'une façon non équitable, l'accès d'un concurrent au marché national, cette pratique mise en œuvre par une entreprise en position dominante sur une partie substantielle du marché commun constitue également un abus au sens de l'article 86 du traité ;

Considérant enfin que le moyen tiré de ce qu'il n'y aurait pas lieu de sanctionner une infraction passée n'est pas pertinent, le conseil ayant comme mission non seulement de faire cesser des pratiques anticoncurrentielles en cours, mais encore de sanctionner celles qui ont été commises ;

Qu'il s'ensuit là encore que les griefs invoqués, qui ne sont pas fondés, doivent être écartés ;

c) Sur l'opacité tarifaire :

Sur les prix discriminatoires :

Considérant que la société BT France soutient que l'offre tarifaire de France Télécom et de Transpac a été élaborée "sur mesure", de façon discriminatoire et dans le plus total mépris des obligations de transparence s'imposant à ces sociétés, dans le but spécifique d'éliminer une concurrence très ciblée, et que la mise en œuvre de cette offre constitue un abus dans le contexte caractérisé par le monopole légal accordé à France Télécom et la position dominante extrêmement forte de Transpac ainsi que par l'existence d'un cadre réglementaire précis constitué par les directives communautaires relatives à l'établissement du marché intérieur des services des télécommunications par la mise en œuvre de la fourniture d'un réseau ouvert de télécommunications et à la concurrence dans les marchés des télécommunications, et, au niveau national, par la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications ; qu'elle fait encore état du cahier des charges de France Télécom qui l'oblige à assurer des conditions d'accès au réseau public objectives, transparentes et non discriminatoires, et de la recommandation communautaire du 5 juin 1992 relative à l'offre harmonisée d'un ensemble minimal de services de transmission de données par commutation de paquets indiquant que les tarifs doivent être transparents, publiés adéquatement et non discriminatoires ;

Mais considérant, d'une part, que le conseil n'est pas compétent pour sanctionner d'éventuelles infractions à la réglementation spécifique des télécommunications, et notamment au cahier des charges de France Télécom ;

Que, d'autre part, l'absence de barème écrit applicable aux grands comptes n'est pas, par elle-même, révélatrice de la volonté de l'opérateur de traiter différemment des situations analogues ; qu'au demeurant le rapporteur indique, sans être contredit, que la comparaison des prix consentis montre une certaine homogénéité et notamment une réduction systématique de 15 % sur les "frais de migration" ;

Qu'enfin si la recommandation relative à l'offre harmonisée d'un ensemble minimal de services de transmission de données par commutation de paquets adoptée le 5 juin 1992 par le Conseil des Communautés européennes impose que les tarifs doivent "être transparents et publiés adéquatement. ... être suffisamment non amalgamés, conformément aux règles de concurrence du traité et... être non discriminatoires et garantir l'égalité de traitement", ces directives, sauf à supprimer toute concurrence effective par les prix, ne peuvent, dans le cadre d'offres sur mesure, obliger les opérateurs à communiquer à leurs concurrents les prix remis aux demandeurs ; que c'est d'ailleurs, comme le souligne France Télécom, ce que la Commission de la concurrence indique dans sa directive relative à la réalisation de la pleine concurrence sur le marché des télécommunications dans les termes suivants :

"L'obligation de publier les charges et les modalités uniformes d'interconnexions ne libère pas les organismes de télécommunication dominants de leurs obligations, en vertu de l'article 86 du traité, de négocier des accords spéciaux ou sur mesure prévoyant une utilisation ou une combinaison particulière d'éléments décomposés du réseau téléphonique public commenté et/ou l'octroi de remises spéciales à certains prestataires de services spécifiques ou certains gros utilisateurs lorsqu'elles sont justifiées et non discriminatoires" ;

Que c'est donc à juste titre que le conseil a indiqué qu'il n'était pas établi que France Télécom ait contrevenu aux dispositions des articles 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et 86 du traité en appliquant un tarif non publié ou en ayant recours à une tarification discriminatoire ;

Sur les prix prédateurs :

Considérant que la société BT France fait encore valoir que le conseil a écarté à tort le grief de prix prédateurs constitué par le rabais offert par Transpac sur la supervision des adaptateurs X-25 au seul motif que la gratuité n'aurait pas été retenue dans le contrat finalement signé ; qu'elle demande à la cour de sanctionner cet abus ;

Mais considérant que les éléments du dossier n'établissent pas l'existence d'une pratique de prix d'éviction sur la prestation constituée par la supervision des adaptateurs X-25, puisque le contrat signé ne maintient pas l'offre selon laquelle le service de supervision serait inclus dans le prix de location-maintenance des adaptateurs ;

Qu'il s'ensuit que le recours incident formé par la société BT France n'est fondé en aucune de ses branches et doit être écarté ;

4. Sur les sanctions :

Considérant qu'aux termes de l'article 13, alinéa 3, de l'ordonnance du 1er décembre 1986 les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné ; qu'elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ;

Considérant que les requérantes à titre principal soutiennent que le conseil n'a pas motivé individuellement le prononcé de la sanction et qu'il n'a pas plus caractérisé le dommage causé à l'économie ; qu'elles contestent que les pratiques en cause puissent être qualifiées de graves ; que France Télécom souligne en outre le caractère particulièrement limité de ses propres activités et la faiblesse de son chiffre d'affaires dans le domaine des services de transmission de données ; que la société Transpac fait quant à elle grief au conseil d'avoir prononcé la sanction proposée par le commissaire du Gouvernement sur la base de quatre griefs notifiés alors que deux griefs avaient été abandonnés ;

Qu'elles demandent en conséquence à la cour d'annuler les sanctions prononcées à leur encontre ou, subsidiairement, de réformer la décision en réduisant le montant des amendes infligées ; que la société Transpac suggère qu'une question préjudicielle soit posée à la CJCE relative à l'interprétation du principe général de droit communautaire de la proportionnalité des sanctions ;

Que, de son côté, la société BT France reproche au conseil d'avoir infligé à France Télécom et à Transpac une sanction pécuniaire trop modeste au regard, non seulement des chiffres d'affaires des entreprises, mais surtout de l'extrême gravité des pratiques en cause ; qu'il conclut à une aggravation significative des sanctions prononcées ;

Considérant que, pour apprécier la proportionnalité de la sanction prononcée, le conseil a retenu que France Télécom, opérateur public, avait abusé de son monopole légal sur le réseau Numéris en 1993 en favorisant sa filiale Transpac, exploitant le réseau public Transpac, en accordant la gratuité des frais d'accès à Numéris ainsi qu'un abonnement gratuit de deux mois et en permettant ainsi à la société Transpac d'intégrer dans les offres présentées à plusieurs clients lesdits avantages ; qu'en outre la société Transpac avait abusé de sa position dominante en pratiquant un rabais rétroactif sur le trafic Transpac ; que pour apprécier le dommage à l'économie, il a relevé que ces pratiques avaient pour objet de protéger une technologie au détriment d'une autre et avaient pu avoir pour effet de limiter l'accès au marché concerné à la technologie VSAT considérée alors comme susceptible de pouvoir concurrencer les services offerts par la société Transpac via le canal D de Numéris ;

Qu'il a ainsi, par une décision motivée, apprécié, d'une part, le dommage causé à l'économie résultant du frein effectif imposé à la technologie VSAT et, d'autre part, mesuré la gravité des pratiques incriminées en fonction du monopole légal de France Télécom ainsi que de la position dominante de sa filiale Transpac et compte tenu du fait que les agissements en cause avaient pour objet et pour effet de renforcer la position de Transpac sur le marché économique pertinent ; qu'il a également individualisé la sanction en mentionnant à la charge de la filiale un abus qui n'était pas reproché à France Télécom ;

Que le fait d'avoir prononcé la sanction proposée par le commissaire du Gouvernement sur la base de quatre griefs notifiés alors que deux griefs avaient été abandonnés ne peut constituer une atteinte au principe de proportionnalité dès lors qu'il n'est pas établi que les pratiques abandonnées auraient eu des effets anticoncurrentiels autonomes par rapport à ceux engendrés par celles sanctionnées ;

Qu'enfin, ainsi que l'a fait observer le ministre chargé de l'économie à l'audience, la société France Télécom ayant déclaré avoir réalisé en France, au cours de l'exercice 1996, un chiffre d'affaires hors taxes de 128 076 549 151 F et la société Transpac, pour la même période, un chiffre d'affaires hors taxes de 4 835 182 573 F, le conseil, qui a relevé que le chiffre d'affaires réalisé par France Télécom provenait de diverses activités, à savoir les produits du téléphone (environ 74 %), les liaisons louées et réseaux (environ 11 %), les mobiles (près de 4 %) et les produits de l'image (près de 3 %), les services d'information (environ 2 %) et enfin les autres produits et services (6,2 %), a tenu compte, pour l'appréciation de la sanction au regard de la situation individuelle des entreprises concernées, de la part respective de leur activité intéressée par les pratiques constatées, et prononcé des sanctions justifiées ;

Qu'en conséquence, sans qu'il soit nécessaire de poser à la CJCE une question préjudicielle, les recours en annulation ou en réformation doivent être rejetés en ce qu'ils concernent les sanctions prononcées ;

5. Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Considérant que l'équité commande en l'espèce de faire partiellement droit à la demande formée par la société BT France en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs : Rejette les recours principaux et incident formés contre la décision du Conseil de la concurrence n° 97-D-53 du 1er juillet 1997 ; Condamne les sociétés France Télécom et Transpac à payer à la société BT France la somme de 100 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne les sociétés France Télécom et Transpac aux dépens.