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Décisions

Conseil Conc., 25 mars 1997, n° 97-D-20

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques mises en œuvre par la société Reynoird dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane.

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de M. Jean-René Bourhis, par M. Barbeau, président, Mme Boutard-Labarde ; MM. Gicquel, Pichon, Robin, Urbain, membres.

Conseil Conc. n° 97-D-20

25 mars 1997

Le Conseil de la concurrence (section II),

Vu la lettre enregistrée le 7 juillet 1994 sous le numéro F 687 par laquelle le ministre de l'économie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques commerciales mises en œuvre par la société Primistères Reynoird dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu décision n° 96-DSA-07 du 13 août 1996 du président du Conseil de la concurrence relative à la mise en œuvre de l'article 23 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; Vu les observations présentées par la société Primistères Reynoird, le Syndicat des Producteurs de Rhum Agricole de la Guadeloupe (SPRAG) et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la société Primistères Reynoird et du SPRAG entendus ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et sur les motifs (II) ci-après exposés :

I- CONSTATATIONS

A- Les parties

La société Primistères Reynoird, cotée en bourse, est une société anonyme constituée en 1990 par la fusion des sociétés Primistères, d'une part, et Reynoird, d'autre part.

Le capital de la société Reynoird, présentée (rapport de l'assemblée générale mixte ordinaire et extraordinaire du 27 juin 1991) comme le " leader de la grande distribution alimentaire aux Antilles et en Guyane ", était détenu, à hauteur de 50 %, par la société Boros, société holding, elle-même détenue par des actionnaires familiaux (famille de Reynal).

M. Lionel de Lavigne, directeur général de la société Reynoird en début d'année 1990, exerçait ses fonctions en Guadeloupe. Les magasins situés dans les Antilles et en Guyane étaient dirigés, dans chaque département, par un directeur régional.

Le groupe Hayot, dirigé par M. Bernard Hayot qui préside plusieurs sociétés du groupe, se compose de différentes entreprises de négoce et de production situées dans les départements d'outre-mer. Les entreprises de négoce sont des sociétés spécialisées dans la revente de produits de marques importés de métropole comme Kodak, Bayer ou Nivéa (Bamy SA) ou de produits importés et de produits locaux (société Sopri). Les entreprises de production interviennent dans le secteur agro-alimentaire, notamment dans la production de rhum (Héritiers H. Clément) et de la viennoiserie-pâtisserie (Société de Distribution Caraïbes-Sodicar, Pamagel).

Avant l'ouverture du magasin à enseigne Euromarché situé au centre commercial Destrellan dans le département de la Guadeloupe, en octobre 1990, le groupe Hayot n'était présent dans la grande distribution que dans le département de la Martinique (magasin à enseigne Euromarché exploité par la Sadeco). Les magasins Euromarché portent actuellement l'enseigne Continent et sont affiliés à la centrale Promodès.

La SA Sodicar, qui a réalisé un chiffre d'affaires de 103 millions de francs en 1990, exerce une activité de négoce de produits en provenance de métropole et une activité de production par l'intermédiaire de la Biscuiterie Girard. En 1989, le chiffre d'affaires réalisé par la Biscuiterie Girard s'est élevé à 43,8 millions de francs dont 42 % de ventes de pâtes alimentaires, 32 % de ventes de biscuits, 12 % de ventes de biscottes, 8 % de ventes de chocolat et 6 % de ventes de " chips ". En 1990, le chiffre d'affaires de cet établissement industriel a subi une baisse de 20 %.

La distribution des produits fabriqués par la Biscuiterie Girard était assurée, dans le département de la Martinique, par la Sodicar, dans le département de la Guadeloupe, par l'intermédiaire de la société Sopri, société de négoce présidée par M.Bernard Hayot et, dans le département de la Guyane, par l'intermédiaire de la Sarl Bamyrag, autre société de négoce gérée par MM. Bernard Hayot et Jacques de Virginy.

Pour chacun des départements concernés, la part en pourcentage des achats du groupe Primistères Reynoird dans les ventes de la Biscuiterie Girard était la suivante :

EMPLACEMENT TABLEAU

Le Syndicat des Producteurs de Rhum Agricole de la Guadeloupe (SPRAG) serait, aux dires de son actuel président, M. Roger Damoiseau, " en sommeil depuis quelques années ", l'existence juridique de l'organisation étant, selon lui, maintenue pour permettre aux distillateurs d'obtenir, dans un délai rapproché, l'appellation d'origine simple et " plus tard l'appellation d'origine contrôlée pour les rhums agricoles ", afin de " promouvoir le rhum agricole face au rhum des sucreries produit industriellement ".

B- Le secteur d'activité

L'appareil commercial des départements d'outre-mer a connu une évolution importante au cours des dernières années, notamment par suite d'implantations de " hard discounteurs ". Cette évolution a par ailleurs entraîné une modification de la position de la société Primistères Reynoird, principal intervenant dans la distribution alimentaire dans chacun des départements de Guadeloupe, de la Guyane et de la Martinique, en dépit du fait que cette entreprise y ait ouvert 14 magasins proposant un assortiment de produits vendus à prix " discompte " et portant l'enseigne " Ecomax ", d'une surface de vente de 400 à 600 m2 et exploités en libre-service, dans le courant de l'année 1994. La société Primistères Reynoird a en effet indiqué (cote 73) :

" Si l'on considère les surfaces de vente d'hypermarchés et supermarchés (....) la part de Primistères Reynoird passe de début 1994 (à peu de choses près équivalente à celle existante en 1990) à échéance prochaine de : 55,2 % à 39,5 % en Guadeloupe / 26,1 % à 22,5 % en Martinique / 87,2 % à 31,0 % en Guyane ".

Les éléments réunis lors de l'enquête administrative permettent de chiffrer comme suit la part respective des sociétés intervenant dans la grande distribution alimentaire (hypermarchés, supermarchés) dans les départements de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Martinique en 1990 :

EMPLACEMENT TABLEAU

L'hypermarché portant l'enseigne Euromarché appartenant au groupe Hayot n'a débuté son activité qu'en octobre 1990. En 1989, le seul hypermarché exploité dans le département de la Guadeloupe, dans la zone de chalandise de Pointe-à-Pitre, était exploité par la SA Reynoird (enseigne Mammouth à Gosier - surface de vente : 3 000 m2).

EMPLACEMENT TABLEAU

Chacun des quatre hypermarchés exploités (Euromarché, Cora, Continent et Socolam) appartenait à un distributeur différent.

EMPLACEMENT TABLEAU

Les quatre supermarchés dont la surface de vente avoisine ou excède 1 000 m2 étaient exploités par la SA Reynoird et étaient situés dans les agglomérations de Cayenne et de Kourou. Sur les sept supermarchés à dominante alimentaire exploités dans ce département, seuls deux étaient exploités par des commerçants autres que la société Reynoird (MM. Ho Choug Ten et Chan Kit Chin). Ces chiffres sont attestés par l'Institut d'Émission des Départements d'Outre-Mer (IEDOM) dans son étude, versée au dossier par la société Primistères Reynoird (tableau page 61). Cet institut indique que " le groupe Primistères Reynoird se trouve donc a priori dans une situation de quasi-monopole en Guyane sur le secteur des grandes surfaces à dominante alimentaire ".

C- Les faits

L'évolution des relations entre les groupes Primistères Reynoird et Hayot :

L'origine des faits remonte à l'année 1984, année au cours de laquelle naît le projet de création d'un centre commercial à Baie-Mahault. Ces faits, partiellement rappelés dans les attendus d'un arrêt en date du 19 mars 1993 de la Cour d'appel de Fort de France, peuvent être brièvement résumés comme suit :

Le 10 juillet 1984, le préfet de la région Guadeloupe informe M. Lionel de Lavigne, membre de la Commission Départementale d'Urbanisme Commercial (CDUC) et gérant de la société des Etablissements Reynoird SA, d'une demande d'autorisation de création d'un centre commercial au rond-point de Destrellan sur la commune de Baie-Mahault par la SCI Destrellan, filiale de la Sadeco appartenant au groupe Hayot. Le groupe Reynoird, informé de cette demande, prend alors contact avec le groupe Hayot. Le 10 août 1984, le préfet de région informe M. de Lavigne de la décision des promoteurs du centre commercial de retirer leur demande d'autorisation, " en vue de procéder à une étude approfondie des marchés locaux ". Le 13 septembre 1984, un accord est signé entre les groupes Reynoird et Hayot, accord aux termes duquel " les parties envisagent de réaliser ensemble le projet de centre commercial régional de la Guadeloupe situé dans la commune de Baie-Mahault au lieu-dit Destrellan ". Il est précisé que le capital de la SCI Destrellan, qui aura la propriété du terrain et de l'immobilier sera réparti à 50/50 et que le magasin principal dont l'" enseigne sera choisie d'un commun accord entre les parties " sera exploité par une filiale commune aux deux groupes.

Le 9 octobre 1984, le préfet de région informe à nouveau M. de Lavigne d'une nouvelle demande présentée par la SCI Destrellan. La demande est acceptée par décision du 20 décembre 1984. Suite au recours exercé par 7 membres de la CDUC, le ministre du commerce, de l'artisanat et du tourisme donne son accord (décision du 2 juin 1985) pour la création d'un centre commercial de 5 300 m2 comprenant une grande surface à enseigne Euromarché de 3 500 m2 de vente et des boutiques (galerie marchande).

Le 14 août 1985, le président de la société Reynoird informe par écrit M. Hayot de son désaccord sur le choix de l'enseigne.

Le 12 novembre 1987, M. Bernard Hayot, répondant à une lettre émanant de la société Reynoird, déclare que le protocole du 13 avril 1984 " manifestait simplement l'intention (....) d'engager des conversations par un éventuel projet en commun en Guadeloupe ". Les parties ont affirmé devant la Cour d'appel de Fort-de-France que plusieurs réunions se seraient tenues postérieurement à cette lettre, pour tenter, sans succès, de discuter d'un possible arrangement.

Une note interne à la société Reynoird classée " confidentiel " à l'attention de M. Lionel de Lavigne, datée du 20 février 1990, relative à la commercialisation des produits Girard de fabrication locale mentionne :

" Pâtes alimentaires Girard

- arrêt des commandes le 20-2-90 toutes références et tous magasins sauf Cluny qui ne maintient que :

EMPLACEMENT TABLEAU

- approvisionnement le 22 courant de tous les magasins en Rivocca importé directement :

EMPLACEMENT TABLEAU

- un autre container de Rivocca est commandé pour arrivée le 15 mars.

- fin mars pour l'anniversaire de Mammouth/Cluny

Les PV Rivocca = 4,25 F et PV Girard = 5,25 F seront indiqués dans le prospectus. Biscottes Girard :

- arrêt des commandes le 20-2-90, toutes références tous magasins. Remplacement par autres biscottes importées en ASP en attendant Matine.

- entre le 15 et le 19 mars, arrivée et mise en vente d'une grosse commande de Biscottes Matine (contre marque Paridoc) (....) ;

- PV Matine bénéficiera d'un écart favorable à la tranche de : (...) - 24 % par rapport au prix du marché de Girard ".

Le 16 mars 1990, le responsable de la Biscuiterie Girard adresse une lettre recommandée au directeur des achats de la société Reynoird SA. Dans cette lettre, ledit responsable fait part au destinataire qu'il a été informé du fait que la société Reynoird avait pris la décision de déréférencer les produits Girard et lui demande de bien vouloir le lui confirmer, " compte tenu de l'importance " pour son entreprise. Le même jour, une commande est passée à la Sodicar par Reynoird pour le seul magasin à enseigne Mammouth de Cluny pour les trois références mentionnées sur la note interne confidentielle du 20 février 1990. Aucune réponse ne sera apportée par la société Reynoird à son fournisseur au sujet de la décision prise de ne passer commande que pour le seul magasin de Cluny et que pour trois références. Le 26 avril 1990, le directeur de la Sodicar déclare au directeur général de la société Primistères Reynoird qu'il a, "pris bonne note qu'à partir du 14 février 1990 le groupe Reynoird avait changé sa politique d'approvisionnement, remplaçant l'ensemble de nos produits par des produits d'importation ". Le même jour, la SCI Destrellan est autorisée par la CDUC à augmenter la surface du centre commercial de 4 000 m2 de vente (activité de bricolage et de jardinage) et de 1 000 m2 de réserve ainsi qu'à implanter un magasin de meubles de 3 000 m2.

Le 28 mars 1990, une note interne à Primistères Reynoird fait état du fait que " la société Reynoird Guyane face au fournisseur Bamyrag a aujourd'hui déréférencé la gamme de Biscuit Girard, Lu Belgique, les pâtes Sagittaire, la gamme Ducros-Vahiné, et Baygon (sauf Baygon vert 500 ml) ".

Le 30 mars 1990, une lettre est adressée au responsable local de la société Reynoird SA en Guadeloupe par le responsable de la société Sopri, société de négoce locale du groupe Hayot. Dans cette lettre, ledit responsable se plaint du fait de n'avoir reçu aucune commande de la part de Reynoird depuis plus d'un mois, alors que, selon lui, les deux entreprises entretiennent " depuis de nombreuses années (...) un courant d'affaires constant et régulier ". Aucune réponse ne sera apportée à ce courrier par le responsable concerné de la société Reynoird qui décidera de le transmettre au siège qui, selon ses propos, " déterminera la suite à y donner ".

M. Eric de Lucy de Fossarieu, président de la société Rhums Clément a déclaré, le 15 octobre 1991, sans que ses propos soient contredits par la société Primistères Reynoird : " Dès le mois de mars 1990, le groupe Reynoird n'a plus passé de commandes et le directeur des ventes a été informé par chaque chef de rayons des magasins du groupe de l'ordre de déréférencement portant sur nos produits. Ce déréférencement a été un fait accompli et est concomitant à l'affaire des biscuits et des autres produits du groupe, fabriqués ou commercialisés par nos sociétés (...). Les rhums Clément ont été par exemple déréférencés du magasin Super Félix à Cayenne dès l'instant où le magasin a été racheté par le groupe Reynoird. Tous les autres produits du groupe Hayot ont subi le même sort (...) Les volumes réalisés en Guyane en 1989 représentaient plus de 30 % de notre chiffre d'affaires sur le département de la Guyane". Le directeur commercial de la société Bamy SA a également déclaré, par procès-verbal d'audition en date du 20 décembre 1991, que le groupe Reynoird ne lui avait fourni aucune réponse sur les motifs ayant conduit ce groupe à refuser une livraison et à cesser toute relation commerciale à compter du 19 février 1990.

Le 10 mai 1990, la société Reynoird assigne la société Sadeco devant le Tribunal de commerce de Point-à-Pitre afin de voir notamment dire et juger que Reynoird serait bien fondée à se prétendre associée pour 50 % au capital de la SCI Destrellan, comme de toute société commerciale existante ou à constituer, " en vue d'assurer l'exploitation du centre commercial de Baie-Mahault, en Guadeloupe ". Le 26 mars 1991, le Tribunal de commerce de Fort-de-France déboute la société Reynoird de l'ensemble de ses demandes.

La société Primistères Reynoird décidait, le 28 septembre 1991, de reprendre les relations commerciales avec la Biscuiterie Girard. Le directeur général de la société Primistères Reynoird a déclaré, par procès-verbal d'audition, que c'était à la suite d'une intervention du président du Conseil Régional de la Martinique que des négociations avaient été reprises avec la société Sodicar.

Le 19 mars 1993, la Cour d'appel de Fort-de-France confirme le jugement du Tribunal mixte de commerce de Fort-de-France. Dans ses attendus, la cour relève qu'" en l'espèce, l'attitude de Reynoird semble avoir été de limiter le développement d'un concurrent, de ne pas avoir apporté son concours à l'évolution du projet pour contribuer au montage du dossier technique présenté à la CDUC de la Guadeloupe, pour un temps de l'avoir bloqué en exigeant une enseigne lui appartenant ".

La société Primistères Reynoird a donné, dans ses observations écrites en réponse à la notification de griefs, la version suivante des faits susmentionnés :

" Deux groupes, Reynoird et Hayot, sont depuis 1984 dans une relation de confiance, et, de ce fait, Reynoird, globalisant l'intérêt de sa relation avec le groupe Hayot, n'applique pas aux produits fournis par les sociétés du groupe Hayot sa stratégie d'arbitrage permanent. Elle sait que les produits qu'on lui fournit ne sont pas toujours les meilleurs pour elle, mais elle considère que dans une relation commerciale globale, il y a du bon et du moins bon. Lorsque fin 1989, Reynoird constate que son partenaire ne respecte pas les accords, et qu'elle constate surtout qu'il n'en a jamais eu l'intention, elle décide sans plus attendre d'appliquer sa stratégie habituelle, y compris, aux produits fournis par le groupe Hayot(...) Les conséquences du manquement à la parole donnée : la remise à plat des relations avec le groupe Hayot à la lumière des critères de choix économiques. A cette époque, Reynoird qui avait régulièrement acheté auprès du groupe Hayot divers produits sans jamais effectuer d'arbitrage avec d'autres sources d'approvisionnement compte tenu des relations globales existantes, prit soudainement conscience du fait qu'elle s'était peut être fait gruger depuis des années par le groupe Hayot comme il a été confirmé par l'examen des prix des produits qu'elle achetait et à leur comparaison avec des produits concurrents. (...) Ce n'était ni la première ni la dernière fois que des sociétés ayant vendu des produits à un distributeur ont vu avec celui-ci leurs relations commerciales cesser temporairement ou définitivement du fait de l'application de la méthode économique la plus objective au plan de la concurrence consistant à privilégier le meilleur rapport qualité-prix ".

Les relations entretenues entre le groupe Primistères Reynoird et les producteurs de rhum réunis au sein du SPRAG :

Une réunion s'est tenue, le 12 février 1990, entre des producteurs de rhum agricole de la Guadeloupe. A cette réunion " provoquée " par le gérant de la SARL Montebello participaient les représentants des entreprises suivantes : SCA Bologne, Bellevue Damoiseau, Bellevue Reimonenq, Belle Vue Marie galante, Sica Bellevue, Bourdon, Mon Repos, SARL Montebello, Héritiers Rameau et Poisson, SEDB Bielle et Severin. L'ordre du jour de cette réunion était consacré, d'une part, à l'" attitude à adopter par les producteurs de Rhum, concernant la demande des établissements Reynoird d'être considérés comme marchand en gros " et, d'autre part, la " ristourne annuelle à concéder aux grandes surfaces ". Les producteurs décident, lors de cette réunion, que les établissements Reynoird ne peuvent être considérés comme " Marchand en gros " mais " pourront être livrés sous acquit à caution à leur plate forme d'éclatement ", au " prix hors taxe conseillé par le SPRAG ", déduction faite des droits d'alcool, soit un prix de 20,81 F HT " livré à la plate-forme de Jarry ". Par ailleurs, le compte-rendu rédigé le 16 février 1990 mentionne, au sujet de la " ristourne annuelle " que " les producteurs ont décidé, compte tenu de la performance de chaque établissement, de laisser une certaine liberté qui ne doit pas excéder un maximum de 4 % sur le chiffre d'affaires annuel hors droit et hors taxes, réalisé par la grande surface ".

La lettre adressée le 4 mai 1990 par la société Montebello à la société Reynoird SA reprend point par point les décisions adoptées par le SPRAG Le prix consenti pour le rhum blanc est de 20,81 F HT livré à Jarry. La ristourne inconditionnelle s'élève à 2 % et la ristourne conditionnelle à 2 %.

Dans ses observations écrites en réponse au rapport, le président du SPRAG a déclaré que certains membres de son organisation avaient été " convoqués " par la société Reynoird afin d'obtenir des livraisons directes sur acquit à caution et au même prix que celui accordé aux grossistes et de bénéficier de " remises inconditionnelles de 10 à 20 % (...) sous la menace de déréférencement ". Ce responsable a fait valoir que chaque producteur pouvait craindre d'être " déréférencé brutalement " au cas où il " se serait plaint individuellement ".

II- SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,

Sur la régularité de certains procès-verbaux,

Considérant que la société Primistères Reynoird soutient que l'objet de l'enquête n'était pas suffisamment clair et précis ; que, selon elle, sur douze procès-verbaux d'enquête, sept (annexes 12, 17, 19, 27, 28, 29, 30) ne contiennent aucune indication sur l'objet de l'audition, trois (annexes 14, 15, 16) ne portent uniquement qu'une mention pré-imprimée et deux (annexes 11 et 13) précisent formellement que les déclarations du dirigeant de Reynoird s'inscrivent dans une enquête générale sur la grande distribution dans les DOM ;

Mais considérant que contrairement à ce que prétend la société Primistères Reynoird, les procès-verbaux de M. Vernet, directeur des achats de Primistères Reynoird, en date du 20 novembre 1991 (annexe 11) et de M. Alain-Claude Marlin, président-directeur général de Primistères Reynoird, en date du 18 décembre 1991 (annexe 13), mentionnent expressément que l'enquête portait sur le fonctionnement du marché de la grande distribution dans les départements d'outre-mer et notamment sur le comportement de la société Reynoird ; que ces mentions établissent que les dirigeants de la société Primistères Reynoird étaient informés de l'existence d'une enquête portant sur la concurrence dans le secteur considéré ; que ces procès-verbaux ne sont donc pas entachés d'irrégularité ;

Considérant, par ailleurs, que les procès-verbaux de M. Marraud des Grottes, directeur régional de Primistères Reynoird pour la région Martinique, en date du 27 novembre 1991 (annexe 14), de M. Gwizdowski, directeur commercial de Primistères Reynoird pour la région Martinique, en date du 20 novembre 1991 (annexe 15) et de M. Bejar, responsable des achats de Primistères Reynoird, en date du 20 novembre 1991 (annexe 16), portent la mention que ces responsables ont été informés de l'objet de l'enquête ; qu'aucune mention n'a été portée par les signataires des procès-verbaux à la rubrique " observations " ; que le procès-verbal de M. Bejar aborde la question des " relations du groupe Primistères Reynoird avec le groupe Hayot " et le " déréférencement des produits Sodicar-Girard " ; que, de la même manière, le procès-verbal de M. Gwizdowski aborde la question des " relations entre les groupes Reynoird et Hayot " et qu'à différentes reprises apparaissent les termes de " référencement " et " déréférencer " ; que l'audition de M. Marraud des Grottes, postérieure à celles de MM. Bejar et Gwizdowski, a également porté sur le déréférencement des " pâtes alimentaires et les biscottes Girard " ; qu'ainsi, la société Primistères Reynoird ne peut utilement soutenir que les personnes interrogées n'étaient pas informées de l'objet de l'enquête ;

Considérant que les procès-verbaux de MM. Bernard Hayot, directeur général de la Sodicar, en date du 15 octobre 1991 (annexe 19), de M. de Virginy, directeur général de la société Sopri (annexe 28), de M. Lucy de Fossarieu, président de la SA Rhums Clément, du même jour (annexe 29), et de M. Noury, directeur commercial de la société Bamy SA, présidée par M. Bernard Hayot, en date du 20 décembre 1991 (annexe 30), concernent tous des responsables de sociétés appartenant au groupe Hayot ; qu'il n'est pas contesté que ce groupe se trouve être à l'origine de l'enquête effectuée par les agents de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) ; que la société Primistères Reynoird qui déclare au surplus dans ses observations écrites : " on relèvera que le groupe Hayot avait connaissance en décembre 1990 d'une enquête qui interviendra en octobre 1991 " n'est pas fondée à soutenir que les responsables du groupe Hayot n'étaient pas informés de l'objet de l'enquête et à demander le retrait des procès-verbaux ci-dessus mentionnés du dossier ;

Considérant que si le procès-verbal de M. Lionel de Lavigne (annexe 17), directeur général de la société Reynoird, en date du 20 novembre 1991, ne porte pas la mention selon laquelle la personne interrogée a été informée de l'objet de l'enquête, il ressort des termes de ses déclarations que cette personne était avisée de l'enquête en cours, réalisée dans le cadre de l'article 47 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, et de son objet au regard de la qualification éventuelle des pratiques de la grande distribution et notamment du groupe Reynoird dans le cadre de ses relations avec ses fournisseurs ; que, dans ledit procès-verbal, le directeur général de la société Reynoird indique en effet : " Il n'y a aucun lien entre le différend (...) avec le groupe Hayot à propos du centre commercial de Baie-Mahault et le déréférencement des produits Sodicar" ; qu'il s'en suit que la société Primistères Reynoird n'est pas fondée à demander le retrait du procès-verbal du dossier ;

Considérant en revanche que les procès-verbaux de MM. Duwattez, attaché commercial de la société Reynoird, en date du 20 novembre 1991 et de la Guigneraie, directeur commercial de la Sarl Rhum Bally, en date du 22 janvier 1992, ne mentionnent ni l'objet de l'enquête ni le cadre juridique dans lequel se déroulait cette enquête ; que le contenu desdits procès-verbaux ne permet pas au conseil de s'assurer que les personnes entendues étaient suffisamment informées sur la portée des déclarations qu'elles faisaient ; qu'il ressort en particulier du procès-verbal de M. Duwattez, qui n'était pas présent dans l'entreprise au moment des faits litigieux, que les déclarations de l'intéressé ont été effectuées en l'absence du responsable de l'entreprise qui se trouvait alors " en métropole " ; qu'il s'en suit que ces procès-verbaux doivent être écartés de la procédure ;

Considérant, en tout état de cause, que la plupart des pièces sur lesquelles ont été fondés les griefs, à savoir des échanges de correspondances avec la société Reynoird, ont été directement communiquées par le groupe Hayot à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à partir du mois d'août 1990, soit antérieurement au déclenchement de l'enquête ; que c'est à la suite de ces diverses communications et notamment d'un entretien avec le conseil du groupe Hayot, au cours du mois d'avril 1991, qu'a été décidée l'ouverture d'une enquête administrative dans le secteur de la grande distribution dans les départements d'outre-mer ; que, par ailleurs, la note interne à la société Reynoird datée du 20 février 1990, dont copie a été jointe en annexe 20 au rapport, dans laquelle cette entreprise annonce le déréférencement des produits Girard de " production locale " a été versée au dossier par le directeur régional de la société Primistères Reynoird, informé de l'objet de l'enquête, par le procès-verbal en date du 27 novembre 1991 susmentionné et joint en annexe 14 au rapport ; qu'il résulte de ce qui précède que la société Primistères Reynoird ne peut utilement invoquer la " nullité de toute la procédure d'enquête effectuée par la DGCCRF ainsi que de la procédure subséquente " ;

Sur la prescription,

Considérant que la société Primistères Reynoird expose que les faits poursuivis se sont déroulés entre février 1989 et avril 1990 ; que des procès-verbaux de déclaration ont été établis par les enquêteurs en octobre, novembre et décembre 1991 ; que la notification de griefs lui a été adressée, le 23 octobre 1995 ; que toutefois les procès-verbaux étant, selon elle, irréguliers dans la mesure où ils ne mentionnent pas l'objet de l'enquête, et qu'un délai supérieur à trois ans s'étant écoulé entre la date des faits et la notification de griefs, les faits seraient donc prescrits ;

Mais considérant qu'aux termes de l'article 27 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : " Le Conseil de la concurrence ne peut être saisi de faits remontant à plus de trois ans, s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction " ; que des procès-verbaux d'enquête ont été rédigés au cours des mois d'octobre, novembre et décembre 1991 ; que le Conseil de la concurrence a été saisi par le ministre de l'économie, le 5 juillet 1994, de " pratiques de la grande distribution dans les départements d'outre-mer français " et notamment de pratiques mises en œuvre par la société Primistères Reynoird ; que les procès-verbaux et la saisine du conseil étant des actes interruptifs de prescription, le moyen doit être écarté;

Sur le secret des affaires et les " manquements au principe de loyauté ",

Considérant que la société Primistères Reynoird fait valoir qu'elle a demandé que le SPRAG n'ait pas accès " aux pièces du dossier qui contenaient des secrets d'affaires " ; qu'elle déclare qu'une décision de retrait a été prise " en laissant subsister des pièces et des morceaux du rapport administratif qui continuent de relever du secret des affaires " ; qu'elle soutient en outre que les règles jurisprudentielles rappelées dans la communication de la Commission européenne publiée au Journal officiel des Communautés européennes en date du 23 janvier 1997 et relative aux règles de procédure interne pour le traitement des demandes d'accès au dossier dans les cas d'application des articles 85 et 86 du Traité instituant la Communauté européenne, des articles 65 et 66 du Traité instituant la communauté européenne du charbon et de l'acier et du règlement CEE n° 4064-89 du conseil, n'ayant pas été respectées, le Conseil de la concurrence devrait annuler la procédure ;

Considérant, en premier lieu, qu'en application de l'article 23 de l'ordonnance susvisée, le président du Conseil de la concurrence peut refuser la communication des pièces mettant en jeu le secret des affaires, sauf dans le cas où la communication ou la consultation de ces documents est nécessaire à la procédure ou à l'exercice des droits des parties ; que les pièces considérées sont retirées du dossier ; que, par décision n° 96-DSA-07 du 13 août 1996 susvisée, le président du Conseil de la concurrence a, à la suite d'une demande de la société Primistères Reynoird en date du 5 août 1996, décidé le retrait d'un certain nombre de pièces qui mettaient en jeu le secret des affaires et n'étaient pas nécessaires à la procédure ; que, conformément à cette décision, les pièces concernées ont été retirées du dossier et les informations figurant sur lesdits documents ont été occultées dans le rapport administratif ; qu'en tout état de cause, le SPRAG, qui n'avait pas demandé à consulter le dossier antérieurement à la décision n° 96-DSA-07 et auquel n'ont pas été adressées les pièces retirées du dossier en application de ladite décision, n'a pu avoir accès aux documents concernés ; que le moyen manque en fait ;

Considérant, en second lieu, que les règles précisées dans la communication de la Commission susmentionnée, au demeurant postérieure à l'envoi du rapport, qui concernent l'application des articles 85 et 86 du traité de Rome ne sont pas applicables à la procédure suivie devant le Conseil de la concurrence;

Considérant que la société Primistères Reynoird fait valoir que " le rapport a été confectionné de façon à écarter comme non pertinents et inadmissibles des faits qui, s'il étaient restitués correctement, justifieraient la prétention de Primistères Reynoird " ; qu'ainsi, selon cette entreprise, le rapporteur n'aurait pas indiqué avec suffisamment de précision que des pièces essentielles pour la compréhension du dossier figuraient " en annexe à des annexes au rapport " ; qu'en outre, le rapporteur n'aurait joint au rapport que certaines pièces ; qu'en particulier ne seraient pas joint au rapport " l'ensemble des annexes " du rapport administratif ;

Mais considérant que, conformément aux dispositions de l'article 21 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, " le rapport est (...) notifié aux parties, au commissaire du Gouvernement et aux ministres intéressés. Il est accompagné des documents sur lesquels se fonde le rapporteur et des observations faites, le cas échéant, par les intéressés " ; qu'en l'espèce, ont été jointes au rapport, outre les observations des parties, la notification de griefs, la notification de griefs complémentaire et les pièces sur lesquelles s'est fondé le rapporteur, pièces au nombre desquelles figurait notamment le rapport administratif rédigé à la suite des constatations effectuées par les agents de la DDCCRF dans les départements de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Martinique ; qu'il est sans incidence sur la régularité de la procédure que la totalité des annexes au rapport administratif, constituées par plusieurs milliers de pièces, n'aient pas été annexées au rapport, dès lors que, conformément à l'article 18 de l'ordonnance, les parties ont pu y avoir libre accès et en débattre de manière contradictoire; qu'en outre, ont été jointes en annexe au rapport les études effectuées par l'Institut d'émission des départements d'outre-mer consacrées à la grande distribution de détail, études annexées par la société Primistères Reynoird à ses observations en réponse à la notification de griefs et notamment fondées sur les enquêtes effectuées par la DDCCRF dans les départements concernés ;

Sur les marchés concernés et la position de la société Reynoird,

Considérant qu'un marché se définit comme le lieu sur lequel se rencontrent l'offre et la demande pour un produit ou un service spécifique; que, si l'offre de produits de grande consommation aux consommateurs, dans les départements de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Martinique, au début des années 90, était principalement assurée, soit par les hypermarchés et supermarchés appartenant à des groupes commerciaux et/ou industriels structurés, soit par des commerçants locaux tenant des supérettes ou des boutiques de proximité, soit par des commerces spécialisés, l'offre émanant des hypermarchés et supermarchés se distinguait nettement de celle émanant des autres formes de commerces alimentaires en raison essentiellement de l'assortiment et des services offerts aux consommateurs;

Considérant qu'il ressort des enquêtes versées au dossier que, compte tenu des usages locaux, les marchés de la distribution sur lesquels intervenait le groupe Reynoird étaient ceux de la distribution au détail des biens de consommation courante dans les hypermarchés et supermarchés dans chacun des départements de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Martinique, marchés géographiques qui se distinguent les uns des autres en raison du caractère insulaire de la Guadeloupe et de la Martinique et de l'éloignement de la Guyane par rapport aux départements antillais ou métropolitains;

Considérant qu'il ressort des chiffres de l'enquête effectuée par la DGCCRF que, dans le département de la Guadeloupe, la part de la société Reynoird sur le marché ainsi défini s'élevait à plus de 50 % en 1990, la part du second opérateur, le groupe Despointes, étant inférieure à 10 % ; que, la même année, 97 % du chiffre d'affaires de la grande distribution sur le marché guyanais a été réalisé par le groupe Reynoird ; que, sur le marché martiniquais de la grande distribution, la société Reynoird a réalisé environ 30 % du chiffre d'affaires en 1990, les sociétés Socolam, Hayot et Ho Hio Hen réalisant respectivement 15,9 %, 15,5 % et 13,1 % ; qu'ainsi que le soulignait le rapport d'audit de la société Caraïbe expansion au sujet du groupe Reynoird, " Ce dernier est le premier groupe de distribution aux Antilles françaises. Sa puissance émane en particulier d'une implantation très forte et historiquement plus importante en Guadeloupe " ; que, compte tenu de la part détenue par la société Reynoird sur les marchés guadeloupéen et guyanais de la grande distribution alimentaire, de la faiblesse relative de la position occupée par ses concurrents ainsi que de l'étroitesse et de l'isolement des marchés pour un nombre de producteurs locaux, cette entreprise détenait une position dominante sur ces deux marchés ; qu'il y a lieu de s'assurer que la société Reynoird n'a pas notamment abusé de cette position sur les marchés connexes de l'approvisionnement ;

Sur l'application des dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986,

Considérant, ainsi que le reconnaît la société Primistères Reynoird dans ses observations en réponse au rapport, que " la remise en cause des relations avec les sociétés du groupe Hayot n'a été que la conséquence de la décision de ce groupe de ne pas respecter l'accord de 1984 " ; que, selon cette entreprise, les pratiques reprochées sont intervenues " lorsque le groupe Hayot a rompu le protocole d'accord de 1984 à la veille de l'ouverture du magasin " ; que ces pratiques sont attestées par un rapport d'audit réalisé en juin 1991 à la demande du président du conseil régional de la Martinique par la société Caraïbe expansion, au sujet de la Biscuiterie Girard, qui mentionne que : " C'est la création d'Euromarché (à Destrellan) en Guadeloupe qui est à l'origine du conflit entre le groupe B. Hayot et le groupe Reynoird. (...) C'est le conflit qui s'est cristallisé en 1989 et a entraîné le déréférencement des produits de la Biscuiterie Girard début 1990 dans toutes les structures du groupe Reynoird " ; qu'un autre rapport d'audit réalisé par un cabinet international, Price Waterhouse, mentionne également le litige Hayot/Reynoird comme " ayant conduit au déréférencement des produits Girard " ; qu'il ressort des constatations mentionnées dans la partie I de la présente décision que le déréférencement des produits distribués par le groupe Hayot ne s'est toutefois pas limité aux seuls produits fabriqués par la Biscuiterie Girard mais a également frappé d'autres produits comme le rhum fabriqué par la société Rhums Clément et des produits en provenance de métropole comme les insecticides et les produits d'entretien distribués par les sociétés Bamy SA, Bamyrag, Sodicar et Sopri ;

Considérant que la société Primistères Reynoird soutient qu'il est légitime, au regard des règles du droit civil, de rompre sans préavis les relations commerciales établies, dans la mesure où le co-contractant ne respecte pas lui-même ses propres obligations ;

Mais considérant, à supposer que le protocole de 1984 ait pu avoir valeur d'engagement de la part du groupe Hayot au sujet de la création et de l'exploitation d'un centre commercial en commun, ce que démentent les attendus de l'arrêt en date du 19 mars 1993 de la Cour d'appel de Fort-de-France, qu'il n'appartenait pas à la société Reynoird, qui se trouvait en situation de position dominante sur le marché de la grande distribution dans les départements de la Guadeloupe et de la Guyane, de cesser ses relations commerciales avec l'ensemble des sociétés industrielles et commerciales du groupe Hayot; que cette mesure de rétorsion, qui s'analyse comme un boycott à l'égard d'entreprises locales de production et de négoce, mise en œuvre par une entreprise en situation de position dominante est une pratique visée par les dispositions de l'article 8.1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 en tant qu'exploitation abusive d'une position dominante sur les marchés connexes de l'approvisionnement; qu'il n'y a pas lieu d'examiner séparément la situation de la Biscuiterie Girard, dans la mesure où cette unité industrielle de la société Sodicar a également été frappée, au même titre que les autres entreprises du groupe Hayot, par la mesure de déréférencement général mise en œuvre par la société Primistères Reynoird en début d'année 1990 ;

Sur l'application des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986,

Considérant qu'il résulte des faits décrits dans la partie I de la présente décision que les producteurs de rhum réunis au sein du Syndicat des Producteurs de Rhum Agricole de la Guadeloupe (SPRAG) ont décidé, le 12 février 1990, de fixer un prix conseillé de 20,81 F hors taxes et de limiter la ristourne annuelle accordée aux grandes surfaces à 4 % maximum ; que le SPRAG justifie cette décision par le fait qu'il était, selon lui, " impossible à chaque producteur de résister individuellement à la pression du groupe Reynoird " et, qu'en conséquence, il est apparu nécessaire aux producteurs concernés de se tourner vers le syndicat " pour trouver une situation de défense " ;

Mais considérant que, si en défendant les intérêts collectifs de ses adhérents, par exemple, en favorisant la qualité de leur production, une organisation professionnelle n'outrepasse pas sa vocation naturelle, elle ne peut, sans risquer de s'exposer à la prohibition des ententes anticoncurrentielles, s'immiscer dans la politique commerciale de ses membres ; que la décision prise collectivement au sein du SPRAG de fixer un prix conseillé et de limiter la ristourne annuelle à accorder aux grandes surfaces à 4 % maximum avait pour objet et a pu avoir pour effet de restreindre le jeu de la concurrence entre les membres de l'organisation ; que la circonstance selon laquelle la pratique avait, selon le SPRAG, pour objet de " résister aux pression du groupe Reynoird " est sans incidence sur la qualification de la pratique dans la mesure où il appartenait à ladite organisation, si elle s'estimait victime de pratiques déloyales ou anticoncurrentielles de la part du groupe Reynoird, de saisir les juridictions ou les autorités compétentes; qu'il s'en suit que la pratique mise en œuvre par le SPRAG est visée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Sur les sanctions,

Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance : " Le Conseil de la concurrence (...) peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 p. cent du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos (...). Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le maximum est de dix millions de francs " ;

Sur les pratiques mises en œuvre par la société Reynoird,

Considérant que le dommage à l'économie doit s'apprécier en tenant compte du fait que les pratiques en cause ont été mises en œuvre par la société de distribution la plus importante dans les départements d'Amérique et que la mesure de boycott visait notamment à entraver la production locale ; que, pour apprécier le degré de gravité des pratiques, il y a lieu de tenir compte de la puissance de négociation dont disposait l'opérateur en cause et du fait que des mesure de boycott à l'égard d'un concurrent et fournisseur sont par nature graves ; qu'il y a également lieu de tenir compte de la notoriété des enseignes concernées ainsi que de la concurrence limitée qui caractérisait ce secteur d'activité au moment des faits ;

Considérant que la société Primistères Reynoird, qui vient aux droits de la société Reynoird, a réalisé en France un chiffre d'affaires de 1 872 261 000 F au cours de l'exercice clos le 31 décembre 1995 ; que, compte tenu des éléments d'appréciation tels qu'examinés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire d'un montant de 2,7 millions de francs ;

Sur la pratique mise en œuvre par le SPRAG,

Considérant que la fixation en commun de prix et de ristournes maxima au sein d'une organisation professionnelle revêt un caractère de gravité certain ; que le dommage à l'économie doit s'apprécier au cas d'espèce en tenant compte du fait que les pratiques en cause n'ont eu qu'une portée limitée en raison notamment du rapport de force existant entre les producteurs de rhum agricole et la grande distribution dans le département de la Guadeloupe ; qu'au vu des éléments d'appréciation susmentionnés, il y a lieu d'infliger au SPRAG une sanction pécuniaire de 7 000 F,

Décide :

Article 1er : Il est établi que la société Reynoird, aux droits de laquelle vient la société Primistères Reynoird, a enfreint les dispositions du 1 de l'article 8 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986.

Article 2 : Une sanction pécuniaire de 2,7 millions de francs est infligée à la société Primistères Reynoird.

Article 3 : Il est établi que le SPRAG a enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Article 4 : Une sanction pécuniaire de 7 000 F est infligée au SPRAG