CA Paris, 1re ch. H, 15 juin 1999, n° ECOC9910196X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Canal Plus (SA)
Défendeur :
Télévision par Satellite (SNC), Multivision (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
MM. Canivet, Marais, Mme Favre
Conseillers :
MM. Hascher, Sommy
Avoués :
Me Bolling, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay
Avocats :
Mes Saint-Esteben, Dunaud.
La société anonyme Canal Plus (Canal Plus) a reçu le 6 décembre 1983 la concession d'exploitation de la quatrième chaîne de télévision. Cette concession, transformée en autorisation le 1er juin 1995, a été reconduite pour une durée de cinq ans à compter du 6 décembre 1995. Elle a de nombreuses filiales, parmi lesquelles Canal Satellite, à 69 %, et a constitué avec cette dernière un GIE numérique, Canal Plus-Canal Satellite, dans lequel elle détient 51 % du capital.
Dans l'avis qu'il a donné au Conseil de la concurrence (le Conseil) le 16 septembre 1997, le Conseil Supérieur de l'audiovisuel (le CSA) a indiqué que Canal Plus " joue un rôle essentiel dans la production de films français ". En 1996, elle a couvert 59 % du financement apporté par les chaînes de télévision au cinéma et elle a préacheté 107 des 134 films produits en France, notamment l'intégralité de ceux d'un devis supérieur à 13 millions de francs, à trois exceptions près, le reste étant fourni par TF1, France Télévision, M6 et Arte. L'apport des chaînes de télévision hertzienne française a été, en 1996 de 1,191 milliard de francs, sur un total d'investissement cinématographique de 2,329 milliards de francs. Par ailleurs, Canal Plus, qui coproduit par l'intermédiaire de ses filiales une trentaine de films par an, est le premier investisseur privé du cinéma français. Cette situation résulte tout d'abord des obligations législatives et réglementaires imposées à Canal Plus, dont le régime juridique est issu du décret n° 95-668 du 9 mai 1995 et formalisé par une convention avec le CSA du 1er juin 1995, entrée en vigueur le 1er janvier 1996.
Les articles 10 et 11 du décret précité précisent en effet :
" art. 10 - Les services dont l'objet principal est la programmation d'œuvres cinématographiques et d'émissions consacrées au cinéma et à son histoire doivent réserver au moins 25 % de leurs ressources totales annuelles hors taxe sur la valeur ajoutée à l'acquisition de droits de diffusion d'œuvres cinématographiques. Les ressources totales annuelles mentionnées au premier alinéa sont constituées par le total du produit des abonnements, des recettes publicitaires et des recettes de parrainage. Compte tenu des charges spécifiques liées au décryptage des émissions et sous réserve que les frais de décodeurs soient inclus dans le produit des abonnements, l'assiette des ressources totales annuelles fait l'objet d'un abattement forfaitaire de 20 % ;
" Art. 11 - Les œuvres cinématographiques européennes doivent représenter au moins 60 % et les œuvres cinématographiques d'expression originale française doivent représenter au moins 45 % du montant des droits de diffusion que le service est tenu d'acquérir en application de l'article 10 ci-dessus. "
Cette convention signée le 1er juin 1995 fixe " les règles particulières applicables au service édité par la société et les prérogatives dont dispose le Conseil supérieur de l'audiovisuel pour assurer le respect, par la société, de ses obligations ".
Elle prévoit que Canal Plus peut notamment diffuser 365 œuvres cinématographiques de longue durée entre midi et minuit, auxquelles s'ajoutent 120 œuvres cinématographiques de longue durée entre minuit et midi (contre 192 films par an pour les chaînes en clair), hors rediffusions (qui ont lieu six fois pendant une période de trois semaines), dans un délai réduit à un an, avec possibilité de dérogation entre la date de sortie d'un film en exclusivité dans les salles et sa diffusion à l'antenne (délai de vingt-quatre à trente-six mois pour les chaînes en clair) ainsi que dans les plages horaires traditionnellement interdites aux autres chaînes (les mercredi, samedi et dimanche).
Contrairement aux chaînes hertziennes en clair qui coproduisent pour respecter leurs engagements, Canal Plus a l'obligation d'acheter des droits de diffusion. Elle a décidé d'acheter ceux de films français récents avant leur tournage, en ayant recours à des " préachats " ou " parts antenne ", qui représentent les sommes consacrées à l'achat des droits de diffusion exclusifs d'œuvres cinématographiques n'ayant pas encore reçu l'agrément d'investissement ".
Ces préachats conventionnels qui ont été conclus à la demande des producteurs s'avèrent indispensables pour le financement du secteur cinématographique de sorte qu'une part croissante de la production française est préachetée, alors même que son volume a eu tendance à baisser de 1990 à 1996 avant d'augmenter de 20 % en 1997.
Le CSA a indiqué dans l'avis déjà mentionné que, " en décidant d'acheter les droits des films français récents non pas une fois ceux-ci achevés, mais avant même leur tournage (...) et bien souvent sous la pression des producteurs, Canal Plus a accru son importance dans la production, d'autant plus que les sommes investies sont devenues au fil des ans de plus en plus considérables et que la manne financière apportée par Canal Plus s'avère indispensable pour la survie du secteur de la production cinématographique ". Il a ajouté que le succès de Canal Plus est à l'origine de sa part prépondérante dans le cinéma français, puisque, de façon mécanique, sa contribution à la production s'accroît d'année en année. De ce fait, la société a dû augmenter son apport moyen par film qui est passé de 3,3 millions de francs en 1990 à 6,2 millions de francs en 1995, ce qui couvre en moyenne 22 % du devis des films, sa contribution étant toutefois limitée à 20 millions de francs par film suivant les accords avec le Bureau de liaison des industries cinématographiques (BLIC), organisme informel qui représente les professionnels du cinéma (distributeurs, exploitants, industries techniques et producteurs). Le Centre national du cinéma (CNC) fait état de 108 films " d'initiative française " préachetés par Canal Plus en 1997, pour un montant global de 766,15 millions de francs et ajoute : " Il est vrai que cette politique massive de préachat donne à cette chaîne de télévision un pouvoir jamais égalé, renforcé par sa politique de coproduction dans laquelle elle s'est volontairement engagée depuis le début des années 1990. "
En effet, sans qu'aucun texte ne le lui impose, Canal Plus a complété sa politique de préachat par une politique de production en créant à cette fin la société de studio Canal Plus et en prenant des participations dans les sociétés les films Alain Sarde (deuxième producteur français) et les films Lazennec (huitième producteur français). Enfin, avec la prise de contrôle de la société UGC-DA, Canal Plus détient les droits de diffusion sur plus de 5 000 films français et étrangers.
L'émergence de supports de télédiffusion alternatifs au réseau hertzien d'émetteurs terrestres, comme les satellites de télédiffusion directe ou les réseaux câblés, ainsi que le codage et la compression numérique ont permis une diversification de l'offre télévisuelle, et notamment la multiplication du nombre de chaînes, ainsi que l'amélioration de la définition des images et de leur format. La réception numérique, rendant possible l'identification de l'abonné et un dialogue avec l'émetteur opérateur (réservation, achat, téléchargement), permet, en outre, de facturer directement aux téléspectateurs la prestation de service fournie et donc de développer un nouveau mode de diffusion, reposant sur le paiement à la consommation, le paiement à la séance ou " pay per view ".
Il existe actuellement en France trois bouquets numériques créés en 1996 : Canal Satellite, diffusé par le satellite Astra 1 E, TPS, chaîne cryptée qui retransmet les chaînes généralistes nationales, diffusée par les satellites Eutelsat Hot Bird II et Eutelsat II F1 et AB Sat, diffusé par le satellite Eutelsat II F1.
Canal Satellite numérique propose dix-neuf chaînes à thèmes avec l'abonnement de base et quinze radios en son numérique, pour un prix mensuel de 98 F donnant accès au service Kiosque de paiement à la séance tandis que l'option Cinéma permet de regarder des films récents (800 films par an). Le coût mensuel de l'abonnement avec ces options s'élève à 158 F. Le service Kiosque de paiement à la séance diffuse des rencontres sportives et propose un choix de films récents et inédits, dont le coût varie de 29 à 38 F.
Le bouquet " Télévision par satellite " (TPS) donne accès, en exclusivité avec la qualité numérique, aux six chaînes généralistes nationales ainsi qu'à trois chaînes exclusives consacrées au cinéma (Cinéstar 1, Cinestar 2 et Cinétoile), à seize chaînes thématiques et au service " Multivision ", le prix mensuel de cet abonnement s'élevant à 100 F (TPS Thématique) ; le service " Multivision " de paiement à la séance offert par TPS propose notamment un choix de films récents, le coût de chaque film étant de 29 F.
Le bouquet AB Sat propose dix-huit chaînes, dont plusieurs en option, qui sont thématiques dans leur grande majorité, ainsi que diverses chaînes étrangères. Le prix mensuel de l'abonnement de base (sept chaînes) ainsi que celle " Passion " coûtant 80 F chacune ou 150 F si elles sont groupées. Ce bouquet ne diffuse pas de service de paiement à la séance.
Le développement des services de paiement à la séance est nécessairement fondé sur la détention des droits de diffusion des films. En effet, ces services, qui se présentent comme " le cinéma et le sport à la carte " (Kiosque) ou " La télévision à la carte " (Multivision), proposent les films ayant eu les plus grands succès en salle, qui ne sont payés, " comme au cinéma ", qu'à la séance, les films diffusés par ces services devant donc être des films récents n'ayant pas encore fait l'objet de diffusion télévisuelle en clair pour inciter le spectateur à payer la prestation.
Les chaînes acquièrent les droits de diffusion des œuvres cinématographiques pour une durée négociée avec le producteur.
Néanmoins, jusqu'à présent des textes conféraient à chaque mode de communication au public d'une œuvre cinématographique une " fenêtre " de diffusion particulière liée à une exclusivité d'exploitation, la succession dans le temps de ces fenêtres constituant " la chronologie des médias ". Ce système a été mis en place, selon le CSA " afin que les recettes de chaque support soient maximisées et que les producteurs puissent exploiter successivement et au mieux les différents marchés ".
Ces règles résultent à la fois de textes législatifs et réglementaires et des accords signés entre les chaînes à péage et le BLIC.
Selon l'article 70-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986, modifiée, relative à la liberté de la communication : " Un décret en Conseil d'Etat détermine les délais dans lesquels une œuvre cinématographique de longue durée peut être exploitée successivement : 1) par les services de communication audiovisuelle pratiquant le paiement à la séance et sous forme de supports destinés à la vente ou à la location pour l'usage privé du public et notamment sous forme de vidéocassettes ou de vidéodisques ; 2) par les services de communication audiovisuelle qui font l'objet d'un abonnement spécifique et qui consacrent à l'acquisition des droits de diffusion des œuvres cinématographiques un pourcentage déterminé de leur chiffre d'affaires ; 3) par les autres services de communication audiovisuelle ".
En l'absence de règlement d'application, les deux décrets antérieurs à la publication de la loi restent en vigueur.
Ainsi que le rappelle le CSA dans son avis, la fenêtre de diffusion des films en paiement à la séance, assimilée au délai de diffusion vidéo par l'article 70-1, est définie par l'article 1er du décret du 4 janvier 1983 qui prévoit que le délai avant l'expiration duquel aucune œuvre cinématographique (...) ne peut être exploitée sous forme de vidéocassettes (...) est fixé à un an à compter de la délivrance du visa d'exploitation. Des dérogations peuvent cependant être accordées de sorte que l'exploitation sous forme de vidéocassettes intervient souvent dans un délai de neuf mois à compter de la sortie en salle. La fenêtre des films diffusés sur les chaînes hertziennes en clair est, quant à elle, fixée par l'article 4 du décret n° 87-36 du 26 janvier 1987, modifié, à deux ans après la date d'obtention du visa d'exploitation pour une œuvre cinématographique coproduite par une chaîne et à trois ans si l'œuvre n'a pas été coproduite.
S'agissant des chaînes payantes, un accord conclu entre le BLIC et Canal Plus prévoit que " dans le cadre des lois et règlements en vigueur concernant les délais de passage des œuvres cinématographiques sur les supports audiovisuels, Canal Plus doit respecter pour la diffusion des œuvres cinématographiques, un délai d'un an à compter de la date de sortie en exclusivité dans les salles de cinéma en France ". Pour les autres chaînes payantes les dispositions réglementaires qui reprenaient le délai tel que déterminé entre le BLIC et Canal Plus ont été abrogées pour non-conformité avec la directive communautaire Télévision sans frontière 89-552-CEE du 3 octobre 1989, les professionnels ayant toutefois conservé, en pratique, le délai de principe d'un an entre le début d'exploitation d'une œuvre cinématographique en salle et sa diffusion télévisuelle.
Selon le CSA, une nouvelle plage de diffusion, dite " seconde fenêtre " n'a aucune origine légale. Elle ne résulte pas non plus d'accords professionnels. En l'état des textes, elle ne peut exister que de façon contractuelle, et est habituellement située après la fin de la période d'exclusivité de Canal Plus (soit un an après le premier jour du treizième mois après la sortie en salle du film) et le début de celle des chaînes hertziennes en clair si celles-ci sont coproduites " ; ainsi la société TPS, qui désire programmer des films français récents sur ses chaînes de cinéma Cinéstar 1 et Cinéstar 2, n'a que le choix d'une programmation après celle de Canal Plus (qui préachète 80 % des œuvres cinématographiques) et, dans la mesure du possible, avant celle des chaînes en clair ; il en est de même pour la chaîne thématique Ciné-Cinéma, créée par Canal Plus.
A l'avenir, la chronologie des médias ne devrait résulter que des accords contractuels passés entre les parties intéressées, l'article 7 de la directive 89-552-CCE ayant été modifié par la directive 97-36-CE du 30 juin 1997 à transposer au plus tard le 30 décembre 1998, qui prévoit que " les Etats membres veillent à ce que les radiodiffuseurs qui relèvent de leur compétence ne diffusent pas d'œuvres cinématographiques en dehors des délais convenus avec les ayants droit ".
TPS, lancée en 1996, est une société en nom collectif qui a pour activité la diffusion et la commercialisation d'une offre payante de programmes et de services audiovisuels en mode numérique et par satellite. Destinée à l'ensemble de l'Europe, son offre se limite actuellement à la France. Elle propose par ailleurs une série de programmes et de services interactifs à ses abonnés, offre complétée par les services de paiement à la séance de la société Multivision. Elle détient, en outre, l'intégralité du capital des sociétés TPS Cinéma, qui édite trois chaînes de cinéma, et TPS Jeunesse, consacrée à l'édition d'une chaîne de dessins animés.
Elle a préacheté les droits de diffusion de six films " d'initiative française ", en 1997, pour un montant global de 57,3 millions de francs.
La société Multivision a été créée en 1994. Son capital est détenu à 78 % par la société TPS, à 12 % par la société Lyonnaise de Communication et à 10 % par la société France Télécom multimédia participations. Elle a réalisé en 1996 un chiffre d'affaires de prêt de 8 millions de francs. Elle offre un service de télévision de paiement à la séance consacré au cinéma et au sport. La rémunération versée par le téléspectateur est directement liée, soit à la durée, soit à la nature de l'émission.
Dans un premier temps, Multivision a distribué son service par câble sous la dénomination sociale de " Telcarte ". Elle a conclu avec le CSA le 6 mai 1994 une convention ayant pour objet de fixer les obligations particulières applicables au service de télévision édité par la société Télcarte, ainsi que les prérogatives et les pénalités contractuelles dont dispose le Conseil supérieur de l'audiovisuel pour assurer le respect des obligations conventionnelles ". Elle a souhaité ensuite diffuser ses programmes sur deux autres canaux pour multiplier le nombre de diffusions à offrir une grille de programmation différente tout en gardant le même contenu. C'est pourquoi une deuxième convention, entrée en vigueur le 6 janvier 1995 a été conclue avec le CSA et, enfin, une troisième convention, d'une durée de neuf mois a été signée le 1er janvier 1996. Au cours des discussions ayant conduit à la conclusion de cette dernière convention, la société Multivision a attiré l'attention du CSA sur les difficultés qu'elle éprouvait pour satisfaire son obligation de quota de diffusion d'œuvres cinématographiques françaises. Le troisième canal de la société Multivision a, depuis lors, été fermé.
Dans le cadre du lancement de TPS, les sociétés Multivision et TPS ont conclu un accord, en décembre 1996 afin de proposer aux abonnés un service de paiement de la séance plus large, en mode numérique sur huit canaux diffusé sur satellite et destiné à être progressivement repris sur les réseaux câblés, en cours de numérisation. Le projet de convention pour cette diffusion, en cours de négociations avec le CSA, s'est heurté à des difficultés liées au respect des quotas de diffusion de 40 % d'œuvres cinématographiques françaises.
Dans ces circonstances les sociétés Multivision et TPS ont saisi le Conseil, par lettre du 8 juillet 1997, de pratiques mises en œuvre par Canal Plus sur le secteur des droits de diffusion audiovisuelle qu'elles estimaient anticoncurrentielles, dénonçant, à titre principal les pratiques contractuelles de cette entreprise et, plus particulièrement les clauses de priorité et d'exclusivité insérées dans ces conventions de cession de droits de diffusion des films français récents.
Relevant que le contrat type de préachat de droits de diffusion télévisuelle proposé par Canal Plus aux producteurs de films français lie le préachat de ces droits à la condition qu'aucune exploitation de ces films ne puisse intervenir sous la forme d'une diffusion par une chaîne de paiement à la séance avant et pendant toute le période durant laquelle elle pourra mettre en œuvre l'exclusivité de la diffusion par abonnement, et estimant que de telles clauses, mises en œuvre par une société qui dispose d'une position dominante sur le marché des droits de diffusion télévisuelle d'œuvres cinématographique françaises, ont pour objet ou peuvent avoir pour effet de faire échec au développement d'une forme émergente et concurrente de diffusion payante de film à la télévision -le paiement à la séance-, le Conseil, par décision n° 98-D-70 du 24 novembre 1998, a :
" Art. 1er - Dit qu'il est établi que la société Canal Plus a enfreint les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
" Art. 2 - Enjoint à la société Canal Plus de cesser de lier le préachat de droits exclusifs de diffusion télévisuelle par abonnement des films cinématographiques français à la condition que le producteur renonce à céder à tout autre opérateur les droits de diffusion télévisuelle de ces films pour le paiement à la séance avant ou au cours de la période pour laquelle Canal Plus peut mettre en œuvre l'exclusivité de la diffusion par abonnement.
Art. 3 - Enjoint à la société Canal Plus de mettre son contrat type de préachat de droits exclusifs de diffusion télévisuelle par abonnement qu'elle propose aux producteurs de films en conformité avec les dispositions de l'article 2 ci-dessus en modifiant, notamment, les articles 2, 6 et 7 de ce contrat type.
" Art. 4 - Infligé à Canal Plus une sanction pécuniaire de 10 millions de francs.
La société Canal Plus a formé, contre cette décision un recours en annulation, et subsidiairement en réformation en prétendant que :
Au soutien de sa demande d'annulation :
1 - Le Conseil a violé les droits de la défense et le principe du contradictoire :
- en procédant, sans notifier à nouveau les griefs, à une requalification des faits reprochés comportant une modification des éléments retenus par la notification de griefs quant au caractère anticoncurrentiel de la prétendue pratique tenant au marché affecté par la pratique reprochée ;
- en méconnaissant le caractère cumulatif du grief notifié, qui retenait à son encontre la fait de bénéficier de l'exclusivité pendant sa période de diffusion et en outre de bénéficier d'une priorité sur la période qui la précède, en incluant dans cette exclusivité les autres systèmes de diffusion, notamment le paiement à la séance ;
- en prononçant sans débat préalable, une injonction sur la base d'un grief différent de celui qui lui avait été notifié.
2 - Les droits de la défense, la présomption d'innocence, les principes d'impartialité et d'égalité des armes ont été violés :
- par la participation du rapporteur et du rapporteur général au délibéré;
- par la participation au délibéré, avec voix délibérative, d'un membre du Conseil qui s'était, précédemment exprimé publiquement sur les éléments déterminant la culpabilité de la société Canal Plus.
Au soutien de sa demande subsidiaire en réformation :
1 - Le Conseil a commis des erreurs d'appréciation sur l'identification des marchés pertinents et sa position sur ceux-ci ;
S'agissant de l'identification des marchés pertinents ;
- le Conseil aurait dû segmenter le marché de la télévision à péage en trois sous-marchés selon que les services télévisuels sont acheminés par ondes hertziennes, câble ou satellite ;
- si la télévision par abonnement et le paiement à la séance participent bien du même marché, ils ne constituent aucunement deux formes de distribution en concurrence ;
- la notion de marché des droits de diffusion des films français récents est floue et contestable, les films français récents paraissant interchangeables avec les fictions télévisuelles, les films américains de cinéma et les films de rediffusion ;
S'agissant de sa position :
- elle n'a pas de position dominante sur le seul marché pertinent en l'espèce, celui de la télévision payante par satellite, où les rapports de concurrence sont intenses et équilibrés ;
- sur le sous-marché de la télévision payante diffusée sur le câble, les rapports de concurrence sont nettement à l'avantage de l'ensemble TPS : France - Télécom Câble/Lyonnaise Communication ;
- elle ne domine pas le marché des achats de droits de diffusion de films français récents, sa part dans le financement du cinéma français étant susceptible de caractériser une position dominante, compte tenu de la puissance des concurrents.
2 - Le Conseil a fait des erreurs quant à l'appréciation du caractère abusif de sa pratique contractuelle ;
- ayant clairement reconnu que le paiement à la séance appartient au marché de la télévision payante, il aurait dû admettre que les exclusivités contractuelles contenues dans le contrat type étaient pleinement opposables à tout service du paiement à la séance, dès lors qu'elles sont justifiées économiquement et limitées dans leur durée et dans leur portée ;
- les clauses ne portant à chaque fois que sur un seul film, la concurrence peut pleinement jouer puisque le financement du cinéma s'effectue pour chaque film.
3 - Les dispositions exonératoires de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 sont applicables ;
- en son paragraphe 1er, les clauses litigieuses s'inscrivant dans une politique de soutien de l'industrie cinématographique française définie par les articles 10 et 11 du décret n° 95-6668 du 9 mai 1995 ;
- en son paragraphe 2, en raison du progrès économique auquel contribue le financement qu'elle apporte au cinéma français.
4 - Les sanctions infligées sont manifestement excessives :
- le principe même d'une sanction pécuniaire est inéquitable et porte gravement atteinte au principe de proportionnalité des sanctions, compte tenu du caractère administré du secteur de sa contribution éminente à l'intérêt général et de ce qu'elle avait indiqué qu'elle n'entendait pas invoquer systématiquement son droit de première diffusion payante à l'égard des services de paiement à la séance ;
- les injonctions prononcées sont également disproportionnées :
- en ce qu'elles s'étendent à l'exclusivité qu'elle a sur sa propre fenêtre de diffusion et excèdent, dans leur portée, les demandes de dérogation de TPS/Multivision elles-mêmes ;
- en ce qu'elles produisent des effets dévastateurs sur son fonds de commerce ;
- en ce qu'elles compromettent l'équilibre du cinéma français.
Les sociétés Télévision par satellite (TPS) et Multivision répondent :
- que le rapporteur ayant parfaitement envisagé le marché de la télévision à péage, la question de la délimitation du marché pertinent a été débattue de façon contradictoire avant que le Conseil statue et que la modification du marché retenu par la décision n'a pas emporté modification de l'appréciation du comportement anticoncurrentiel, le rapporteur ayant retenu plus que le simple cumul de l'exclusivité et de la priorité ;
- que, s'agissant du prononcé des sanctions, dès lors que celles-ci découlent de la constatation des faits reprochés au sujet desquels chacune des parties a été appelée à présenter ses observations, le principe du contradictoire a été respecté ;
- que la violation de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme ne constitue pas une cause d'annulation, dès lors que peut être exercé à l'encontre de la décision du Conseil un recours de pleine juridiction devant la cour ; qu'en tout état de cause, la présence du rapporteur et du rapporteur général au délibéré laisse intacte la notification de griefs et le débat contradictoire qui s'en est suivi, permettant ainsi à la cour de statuer en fait et en droit sur les éléments qui lui sont soumis ;
- que les déclarations du vice-président du Conseil n'ont pas porté atteinte au principe d'impartialité et à la présomption d'innocence, dès lors qu'elles se bornaient à rapporter des faits communément admis et connus de tous, et qu'en outre, l'effet dévolutif de l'appel permet à la cour de reprendre l'affaire en fait et en droit ;
- que Canal Plus occupe une position dominante sur le marché de la télévision à péage, dont elle détient plus de 70 %, et que la clause par laquelle elle interdit, à partir de la signature des contrats de préachat de films, toute forme de diffusion télévisuelle, alors que ses contrats prévoient qu'elle acquiert uniquement les droits exclusifs sur la télévision par abonnement, empêche le développement du service de paiement à la séance ;
- que l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 est inapplicable dès lors que, d'une part, la pratique litigieuse n'est pas elle-même imposée par une disposition réglementaire, d'autre part, que le financement du cinéma peut être obtenu par d'autres voies que les restrictions contractuelles en cause ;
- que la sanction est proportionnée à la gravité de la pratique incriminée qui bloque délibérément le développement d'un marché.
Le Conseil de la concurrence observe notamment que :
- l'analyse du marché a fait l'objet d'un débat contradictoire dès la notification de griefs et lors de la séance et qu'aucun développement ni de la notification de griefs ni du rapport ne permet d'étayer l'affirmation selon laquelle le rapporteur aurait limité au cumul priorité/exclusivité le caractère anticoncurrentiel de la pratique reprochée ;
- c'est en application de l'article 25 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 que le rapporteur, qui n'est pas membre du Conseil et qui n'a pas voix délibérative, assiste au délibéré sans entacher de nullité la décision fondée sur les seuls éléments du rapport discuté contradictoirement ;
- en évoquant la saisine de l'espèce, son vice-président n'a révélé aucun élément confidentiel et n'a exprimé aucun préjugé sur le fond défavorable à Canal Plus ;
- la définition du marché à laquelle il a procédé est confortée par l'avis du CSA, lequel a reconnu la position dominante de la requérante sur le marché des droits de diffusion des films récents pour la télévision à péage et la dépendance économique du marché naissant des services de paiement à la séance par rapport à la politique de production et de diffusion des chaînes de télévision en place ;
- les effets des pratiques reprochées ont été relevés par le CSA qui a constaté que la dépendance des producteurs vis-à-vis de Canal Plus s'est vérifiée dans l'opposition commerciale entre cette entreprise et TPS et la difficulté qu'à ce dernier bouquet pour acquérir des droits de films français récents pour ses chaînes de cinéma Cinestar 1 et Cinestar 2.
- les conditions d'application de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ne sont pas réunies en l'espèce et, n'étant pas lié par les demandes des parties, il peut prendre toute mesure de nature à mettre fin aux pratiques que l'enquête a pu faire apparaître.
Le ministre de l'Economie conclut au rejet des moyens d'annulation soulevés par Canal Plus aux motifs que :
Sur la régularité de la procédure :
- l'influence supputée du rapporteur lors du délibéré, qui romprait l'égalité des armes entre les parties n'est pas établie ;
- rien, dans les éléments avancés par la requérante, n'est susceptible de caractériser une violation de la présomption d'innocence.
Sur le fond :
- le marché de la télévision à péage et celui des droits de diffusion des films français récents pour la diffusion de la télévision à péage sont des marchés pertinents sur lesquels la société Canal Plus occupait, pour l'année 1997, une position dominante ;
- le comportement de Canal Plus, en ce qu'il lui confère une exclusivité et la priorité de diffusion pour la télévision à péage, y compris le paiement à la séance, pose problème sur un segment de marché dans la situation de concurrence actuelle ;
- Canal plus a un rôle déterminant dans le financement du cinéma français, résultant en grande partie des contraintes et contreparties imposées ou données par les pouvoirs publics aux divers acteurs du marché de la télévision ;
- le ministre s'en rapporte enfin à l'appréciation de la cour sur la proportionnalité de la sanction pécuniaire et lui demande, en ce qui concerne le prononcé des injonctions, de tenir compte de l'équilibre complexe du financement de la production cinématographique française.
Le Ministère public a conclu oralement à la recevabilité du recours et à son rejet en ce qu'il vise à l'annulation de la décision, sauf annulation sur le moyen tiré de la présence du rapporteur au délibéré.
Les parties ont pu répliquer de manière complète à toutes les argumentations avancées, tant lors de l'instruction écrite qu'à l'audience au cours de laquelle la société Canal Plus a eu la parole en dernier.
Sur ce, LA COUR :
I - Sur les moyens d'annulation :
Considérant que l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales impose que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décide du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ;
Que, selon l'article 6-2, toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité soit légalement établie ;
Considérant que sont assimilées à une accusation en matière pénale les poursuites engagées en vue de sanctions pécuniaires ayant le caractère d'une punition prononcée par une autorité administrative, telles celles que peut infliger le Conseil ; que, dès lors, dans l'exercice de son pouvoir de sanction, cette autorité est tenue au respect des garanties ci-dessus énoncées ;
Considérant que Canal Plus soutient que la procédure suivie par le Conseil a porté atteinte à la présomption d'innocence et a méconnu le droit du justiciable à un procès équitable dans la mesure où l'un des vice-présidents qui a siégé dans la formation qui a rendu la décision attaquée, après la saisine du Conseil mais bien avant le prononcé de cette décision et même avant la notification des griefs, a tenu publiquement des propos qui ont objectivement manifesté de sa part un préjugé sur le fond, en ce compris sa culpabilité, en informant clairement son auditoire de l'existence de la saisine présentée trois mois auparavant par un opérateur de télévision en paiement à la séance contre Canal Plus nommément désignée, en se prononçant sur des questions de fond essentielles et contestées, savoir l'existence d'une position dominante de Canal Plus sur le marché pertinent des films français de cinéma, et en assimilant le cas d'espèce à celui de la société " France Loisirs ", laquelle avait été effectivement et définitivement condamnée par la cour comme l'orateur le rappelait ;
Qu'elle fait ainsi état de ce que M. Frédéric Jenny, vice-président du Conseil, a, lors d'une conférence organisée par le Fordham Corporate Law Institut, à New York en octobre 1997, fait mention de la saisine du Conseil par les sociétés TPS et Multivision, effectuée par lettre du 8 juillet 1997, dans les termes suivants : " Suite à l'autorisation de concentration qui vient d'être invoquée, un opérateur de télévision en paiement à la séance a déposé une plainte auprès du Conseil de la concurrence au motif que Canal Plus (qui détient une position dominante sur le marché français de cinéma à la fois parce qu'elle possède désormais les droits de diffusion pour 5 000 films français et parce qu'elle acquiert les droits de diffusion de la majorité des films français récents) abuse de sa position dominante, d'une part en refusant de vendre à cet opérateur les droits de diffusion pour le paiement à la séance (pour les films dont elle détient les droits depuis son acquisition d'UGC-DA) et, d'autre part, en imposant une exclusivité qui couvre tant les droits de diffusion pour la télévision payante que pour la diffusion en paiement à la séance, lorsqu'elle achète les droits de diffusion à la télévision des films français " ; et déclaré ; " le raisonnement utilisé de façon sous-jacente par le Conseil pour les livres vendus par l'intermédiaire des clubs peut donner une indication du raisonnement qu'il tiendrait dans le domaine des services télévisuels (et en particulier la diffusion des films par des services de télévision à péage et de paiement à la séance) ", et ce avant même qu'une notification de griefs ait été notifiée à l'intéressée ;
Considérant que l'impartialité doit s'apprécier selon une démarche subjective qui tente d'établir ce que le juge pensait en son for intérieur en la circonstance et aussi selon une démarche objective amenant à s'assurer qu'il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime ;
Que la présomption d'innocence garantit à tout individu qu'il ne pourra pas être traité comme coupable d'une infraction avant qu'un tribunal compétent ne l'ait établie selon la loi ;
Considérant en l'espèce que la saisine avait fait l'objet de nombreux articles et commentaires de presse dès le mois de juillet 1997 ; que les propos incriminés relatifs à la définition du marché pertinent en matière de films pour la télévision et à la position occupée par Canal Plus sur le marché se bornent à exposer les pratiques telles qu'elles avaient été dénoncées par les sociétés, auteurs de la saisine du Conseil, sans jamais traduire une prise de position personnelle de l'intervenant ;
Que la référence à l'analyse opérée par le Conseil dans le domaine de l'édition n'engageait nullement son auteur, dans la mesure où celui-ci précisait : " La Cour de cassation pourrait avoir quelques difficultés à suivre un tel raisonnement pour la définition des marchés pertinents des services audiovisuels, puisqu'elle avait précisément rejeté cette méthode d'analyse dans l'affaire France Loisirs en estimant que le Conseil de la concurrence n'avait pas suffisamment justifié l'existence d'un marché séparé pour les clubs de livres " ; il concluait en outre son intervention de manière très prudente en indiquant : " Un examen de la jurisprudence française en matière de concurrence dans les médias soulève des questions complexes et une grande prudence s'impose dans la mise en œuvre du droit de la concurrence dans ce secteur. En particulier, la prise en compte de la dimension temporelle de l'analyse de la concurrence est cruciale (tout spécialement dans certains sous-secteurs audiovisuels), non seulement en raison du fait que l'impact sur la concurrence d'une pratique peut être différent selon que l'on considère le court terme ou le long terme, mais aussi parce que la définition des marchés pertinents est fréquemment différente dans le court terme et le long terme en raison des potentialités créées par la rapide évolution de la technologie dans la fourniture des services audiovisuels et la convergence de certains marchés... " ;
Qu'aussi regrettable que soit l'évocation publique d'une affaire en cours d'instruction par un membre du Conseil, les propos litigieux, qui ne reflètent pas le sentiment que les pratiques exposées sont irrégulières et ne manifestent ni parti pris ni préjugés ne justifient pas un doute légitime sur l'impartialité de celui qui les a tenus ;
Qu'ils n'emportent pas davantage, de sa part, une prise de position sur la culpabilité de l'entreprise en cause avant la décision du Conseil sur les pratiques rapprochées ;
Qu'il s'ensuit que le moyen tiré de la violation de la présomption d'innocence et du principe d'impartialité doit être rejeté ;
Considérant que la requérante fait ensuite valoir que la décision attaquée doit être annulée en raison de la participation au délibéré du rapporteur et du rapporteur général, en violation de droit de la défense et du droit à un procès équitable ;
Considérant que le droit à un procès équitable, contenu à l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi qu'à l'article 14-1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, suppose le principe de l'égalité des armes;
Que ce principe doit permettre à chaque partie d'avoir la possibilité raisonnable d'exposer sa cause dans les conditions qui ne la désavantagent pas d'une manière appréciable par rapport à la partie adverse, ce qui suppose que la procédure permette un débat effectivement contradictoire;
Considérant que le principe du respect des droits de la défense constitue un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République réaffirmé par le préambule de la constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère le préambule de la constitution de 1958 ; qu'il implique notamment en matière pénale, l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties ;
Que l'exigence de la règle du contradictoire est rappelée par l'article 18 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 selon lequel " l'instruction et la procédure devant le Conseil de la concurrence sont pleinement contradictoires ";
Considérant que le rapporteur et le rapporteur général ont, conformément aux dispositions de l'article 25 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, assisté au délibéré du Conseil sans voix délibérative ;
Que la présence de ces personnes au délibéré, l'une, chargée de l'instruction du dossier et de la notification des griefs, l'autre, d'animer et de contrôler l'activité des rapporteurs, leur a permis d'exprimer sur l'affaire, devant le Conseil en l'absence des parties, des positions sur lesquelles celles-ci n'ont pas été en mesure de répondre; qu'une telle situation est tout à la fois contraire à l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme aux garanties de la défense et à l'article 18 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; que, prise dans les conditions irrégulières, la décision doit en conséquence être annulée;
Considérant que dans le contentieux de pleine juridiction institué par l'article 15, alinéa 1er de l'ordonnance du 1er décembre 1986, la cour d'appel, après avoir annulé la décision, a le pouvoir de se prononcer, conformément à l'article 13 de l'ordonnance susvisée, sur les pratiques dont le Conseil était saisi ;
II - Sur le fond :
1 - Sur la définition des marchés pertinents
Considérant, en premier lieu, que la société Canal Plus soutient que le marché de la télévision à péage doit être segmenté en trois sous-marchés ainsi que l'a estimé le Conseil le 31 août 1998 dans son avis relatif à la fusion-absorption de la société Havas par la Compagnie générale des eaux, selon que les services télévisuels sont acheminés par ondes hertziennes, câble ou satellite, et que ces trois sous-marchés, constituent trois marchés pertinents distincts ;
Qu'elle fait valoir, sur ce point, que l'existence de ces trois modes de diffusion aboutit à des différences significatives sur les produits offerts, les activités et les situations de concurrence ;
Considérant que le marché se définit comme le lieu sur lequel se rencontrent l'offre et la demande pour un bien ou un service spécifique ; que la notion de marché pertinent implique qu'une concurrence effective puisse exister entre les produits qui en font partie, ce qui suppose un degré suffisant d'interchangeablilité en vue du même usage entre tous les produits faisant partie du même marché ;
Considérant que la télévision à péage constitue, par opposition au marché de la télévision gratuite commerciale, un marché de produits distinct ;
Qu'en effet, alors que la télévision gratuite commerciale est financée par la vente d'espaces publicitaires aux annonceurs, la télévision à péage se caractérise par le paiement par les téléspectateurs des programmes auxquels ils souhaitent avoir accès ; que, si pour la télévision gratuite commerciale, il n'existe une relation d'échange qu'entre le diffuseur et les annonceurs, le seul rapport d'échange qui existe dans le cas de la télévision à péage est celui qui unit le diffuseur et le téléspectateur, en sa qualité d'abonné : que la Commission des Communautés européennes a précisé, dans sa décision du 9 novembre 1994 (Aff. n° IV-M.469-MSG Média Service), que : " La télévision payante constitue bien un marché de produits distincts de celui de la télévision commerciale financée par la publicité et de la télévision publique financée pour partie par la publicité et pour partie par des redevances (...) Pour la télévision financée par la publicité, les paramètres essentiels sont la part d'audience et les tarifs publicitaires ; pour la télévision payante, les facteurs clés sont la confection de programmes propres à intéresser les groupes cibles et le mode de formation de prix des abonnements " ;
Considérant en revanche que l'existence de trois modalités d'acheminement de la télévision à péage ne constitue pas un critère de segmentation pertinent du marché concerné dans la mesure où les produits offerts présentent toujours une même finalité et une similarité importante dans le contenu des programmes offerts ; que l'analyse faite par le Conseil dans le cadre de la concentration résultant de fusion-absorption de la société Havas par la compagnie générale des eaux est sans portée sur les pratiques dénoncées par les sociétésTPS et Multivision lesquelles sont susceptibles de s'exercer quel que soit le mode de support, réseau hertzien, réseaux câbles ou réseau satellitaire, de la diffusion ;
Considérant que Canal Plus soutient par ailleurs que, si la télévision par abonnement et le paiement à la séance participent bien du même marché, ils ne constituent pas deux formes de distribution en concurrence dans la mesure où il n'existe pas d'entreprises proposant des services de paiement à la séance indépendamment d'un abonnement à une chaîne ou à un bouquet ; que, selon elle, le paiement à la séance fait partie intégrante de la télévision à péage parce qu'il est l'une des composantes de son offre globale et, à ce titre, un élément clé de la concurrence entre opérateurs de bouquets ;
Mais considérant que, sur le marché de la télévision à péage, la technique de la compression numérique a rendu possible l'émergence d'une forme distincte de distribution payante des programmes, le paiement à la séance, qui permet au téléspectateur de sélectionner parmi les programmes du diffuseur ceux qu'il souhaite regarder et de ne payer que ceux-ci ; que, même si le paiement à la séance n'est, à l'heure actuelle, accessible qu'aux téléspectateurs qui ont souscrit un abonnement forfaitaire à un " bouquet numérique ". Ce mode de diffusion traduit de la part du téléspectateur une démarche spécifique, axée non sur son adhésion à un programme journalier, mais sur son souhait, à un moment donné, de regarder le film qu'il aura choisi ; que le CSA lui-même, dans l'avis qu'il a donné, parle du " marché naissant des services de paiement à la séance " ; qu'il y a lieu en conséquence de retenir que ce mode de diffusion constituait à l'époque des pratiques dénoncées un sous-marché du marché de la télévision payante ;
Considérant, en second lieu, qu'il est constant que la diffusion de films récents constitue un élément de programmation important pour assurer le succès commercial des diffuseurs de télévision à péage. Que celui-ci soit forfaitaire ou acquitté à la séance.
Qu'à cet égard la société Canal Plus fait valoir qu'il existerait une forte substituabilité entre, d'une part, les films de cinéma et les films de télévision et, d'autre part, entre les films français et les films américains ;
Mais considérant que, s'il peut arriver qu'une série télévisuelle rencontre un grand succès et soit exploitable à la place d'un film de cinéma par une télévision à péage à une heure de grande écoute, cette circonstance reste exceptionnelle, les séries télévisées n'ayant, en général, auprès du public, ni le pouvoir d'attraction ni la notoriété des films de cinéma ; qu'il est significatif que Canal Plus ait bâti son succès sur son image en tant que chaîne du sport et cinéma et non pas du sport et des œuvres audiovisuelles, ce que son vice-président délégué général a exprimé lors de son audition par le rapporteur le 10 février 1998 en déclarant que " Canal Plus est une chaîne de télévision de première diffusion à base de cinéma et de sport " ;
Que, par ailleurs, il y a lieu de relever que les dispositions de l'article 70 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée et de l'article 5 du décret n° 90-66 du 17 janvier 1990 modifié font obligation aux services de communication audiovisuelle de consacrer une proportion au moins égale à 40 % de leur offre d'œuvres cinématographiques à des productions d'expression originale française ; qu'en outre il existe un écart de coût de 70 % en moyenne entre les droits de diffusion des films français et ceux des films américains, ce qui rend les deux catégories de films faiblement substituables ; qu'il existe donc une demande spécifique pour les œuvres cinématographiques d'expression française ;
Considérant enfin que, pour assurer le succès d'un diffuseur de télévision à péage, forfaitaire ou à la séance, il est essentiel qu'il puisse programmer une proportion suffisante de films aussi récents que possible et, en tout cas, qui n'aient pas encore été exploités sur les chaînes de télévision en clair ; qu'en effet, ces films ont un fort pourvoir d'attractivité sur les téléspectateurs qu'ils perdent lorsqu'ils ont été diffusés sur les chaînes de télévision en clair ;
Qu'il existe par conséquent un marché spécifique des droits de diffusion des films d'expression française récents pour la diffusion à la télévision à péage.
2 - Sur la position de la société Canal Plus sur les marchés de référence
Considérant que la société Canal Plus fait valoir qu'elle n'est en position dominante ni sur le marché global de la télévision où sa part d'audience est inférieure à 10 %, ni sur le seul marché pertinent en l'espèce, à savoir celui de la télévision payante par satellite ; qu'elle conteste également avoir une telle position sur le marché des droits de diffusion des films français récents pour la diffusion à la télévision à péage, où, selon elle, la situation de concurrence serait équilibrée ;
Considérant que la notion de position dominante, qui s'entend comme le pouvoir de faire obstacle à une concurrence effective, suppose que l'entreprise concernée occupe sur le marché une place prépondérante que lui assurent notamment l'importance des parts de marché qu'elle détient dans celui-ci, la disproportion entre celles-ci et celles des entreprises concurrentes, comme éventuellement son statut;
Considérant que la société Canal Plus représente près de 70 % des abonnés de la télévision payante, tous modes de diffusion confondus (réseaux hertziens, satellite, réseaux câblés), alors que le deuxième opérateur sur ce marché, France Télécom, n'en représente que 8,5 % ; que la société Canal Plus est spécialisée dans ce domaine d'activité depuis 1984 et s'est alliée avec un partenaire puissant, la société Richemont, développant des activités complémentaires aux siennes ; que, contrairement à ce que soutient la requérante, la présence sur ce marché d'opérateurs disposant de ressources financières importantes ne l'empêche pas, actuellement, de se comporter de manière indépendante vis-à-vis de ses concurrents ;
Que sa position dominante sur ce marché, qui comprend le sous-marché de la télévision à péage, est ainsi caractérisée ;
Considérant, par ailleurs, que la société Canal Plus préachète environ 80 % des droits de la production cinématographique d'initiative française (107 des 134 films produits en France en 1996), pour un montant financier qui a presque doublé de 1990 à 1995 et a atteint 707 millions de francs en 1996, le montant moyen consacré à chaque film ayant également doublé ; qu'elle reconnaît posséder 59 % des parts du marché des droits de diffusion des films français récents, tandis que les 41 % de parts restantes se répartissent entre les différentes autres chaînes ; que, compte tenu de l'ancienneté de ses relations avec les producteurs, et du fait que pendant très longtemps elle a été la seule à préacheter des droits, elle fixe le prix du marché ; qu'enfin le CSA a relevé dans l'avis qu'il a rendu à la demande du Conseil, le 16 septembre 1997, d'une part, la volonté très tôt affichée (de Canal Plus) de jouer un rôle incontournable dans la production afin de pouvoir garantir son approvisionnement en films récents ", d'autre part, le fait que cette politique massive de préachat donne à cette chaîne de télévision, un pouvoir jamais égalé, renforcé par sa politique de coproduction " ; qu'elle détient ainsi une position dominante sur le marché des droits de diffusion des films français récents ;
3 - Sur l'abus de position dominante
Considérant qu'aux termes de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, est prohibée, lorsqu'elle a pour objet d'empêcher de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, l'exploitation abusive par une entreprise d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci ;
Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles 2 et 6 du contrat type de préachat de droits de diffusion télévisuelle par abonnement de films français que la société Canal Plus conclut avec les producteurs de films que la requérante s'assure une exclusivité de diffusion qui porte sur toute la durée du contrat, celui-ci prenant effet au jour de sa signature, c'est-à-dire avant la réalisation, et qui lui réserve la diffusion du film à compter du premier jour du treizième mois après la date de sa sortie en salles à tout moment sur une période de douze mois ; qu'ainsi le film concerné par le contrat ne pourra être diffusé par aucun autre support télévisuel que Canal Plus pendant une durée de deux ans ;
Que, pour les films dont on peut prévoir qu'ils auront un grand succès commercial, la société Canal Plus renforce encore ces dispositions en prévoyant, comme cela a été le cas pour le film Les visiteurs II, que le contrat lui reconnaissant une exclusivité de diffusion prendra effet au jour de sa signature et se poursuivra pendant une durée de deux ans à compter du premier jour du vingt-deuxième mois suivant sa sortie en salles en France, alors même qu'elle ne peut procéder à la première diffusion que pendant un délai d'un an à compter du premier jour du vingt-deuxième mois suivant sa sortie en salles en France ; que, dans le cas du film précité, la clause d'exclusivité écarte, en outre, explicitement la télévision pratiquant le paiement à la séance ;
Considérant que la volonté de la société Canal Plus d'appliquer la clause, liant priorité et exclusivité, à toute forme d'exploitation télévisuelle du film, et en particulier à l'exploitation par une chaîne de paiement à la séance est mise en évidence dans le rapport sur les risques de position dominante dans la télévision à péage par satellite effectué en mai 1997 par le CSA, à la demande de la commission des finances du Sénat, où il est indiqué : " Concernant le marché actuel des droits de diffusion sur les chaînes en paiement à la séance, les producteurs peuvent vendre, d'une part, les droits de diffusion à une télévision payante et, d'autre part, à une ou plusieurs chaînes en paiement à la séance (...). Jusqu'ici cependant, il semblerait que Canal Plus ait refusé de préacheter un film dont les droits de " pay per view " auraient été préalablement vendus. C'est une des raisons pour lesquelles Multivision, premier service de paiement à la séance (...), a rencontré de très grandes difficultés à diffuser les films français récents. De même, il semblerait que Kiosque, chaîne en paiement à la séance présente sur Canal Satellite depuis mars 1996, n'ait pas non plus accès aux films français récents. Canal Plus préférant garder pour elle la première diffusion télévisuelle nationale des films français récents.
Que le vice-président délégué général de Canal Plus a admis cette pratique en déclarant le 10 février 1998, lors de son audition par le rapporteur " Canal Plus procède à un financement massif du cinéma sans contrepartie autre que des droits de diffusions (...). En contrepartie, Canal Plus bénéficie de droits d'exclusivité (...). L'intérêt pour un producteur est d'obtenir des financements. Il y a une forte demande des professionnels du cinéma pour obtenir des préachats. TPS peut, dans le cadre de la liberté contractuelle totale, préacheter des droits de télévision. Le montage dépend de la volonté du producteur et du diffuseur et ce choix va s'exercer entre les parties.
Que, de son côté, le président de Canal Plus, dans un entretien accordé à la revue Le Film Français du 9 mai 1997, répondant à la question " Quelle est votre position sur la deuxième fenêtre cryptée que TPS cherche à mettre en place pour les films de cinéma ? " a indiqué : " Je n'ai pas de position sur TPS. Depuis toujours, je paie un certain prix pour des films qui vont être diffusés en clair un an plus tard. Si, immédiatement après la diffusion sur Canal Plus, la deuxième fenêtre doit être cryptée elle aussi, et donc nous concurrencer, je n'achète plus le film ! Je ne vais pas payer la fabrication et la promotion d'un film qui va être consommé juste derrière par mon concurrent ", révélant ainsi son intention d'appliquer de manière extensive les clauses ci-dessus décrites ; qu'ainsi la société Canal Plus, dès lors qu'elle a préacheté les droits de diffusion à la télévision par abonnement d'un film, refuse de céder aux chaînes de télévision pratiquant le paiement à la séance, qu'il s'agisse de son propre service Kiosque ou de la société Multivision, les droits de diffusion des films récents pour la période antérieure à la période durant laquelle elle peut mettre en œuvre cette exclusivité ou durant cette période, même si elle a déjà exploité elle-même le film avant la fin de ladite période;
Considérant que le fait pour un opérateur de télévision par abonnement de conclure des contrats d'achats de droits exclusifs de diffusion télévisuelle par abonnement n'est pas en soi contraire aux dispositions du texte précité; que le CSA indique d'ailleurs que l'acquisition de droits de diffusion d'œuvres cinématographiques françaises est, en pratique, presque toujours exclusive ", ajoutant : l'exclusivité de diffusion participe en effet de l'économie du secteur audiovisuel et se pratique ainsi en France comme dans l'ensemble des autres pays " ;
Qu'une telle pratique contractuelle ne peut être considérée comme abusive du seul fait qu'elle est souscrite au profit d'une entreprise en position dominante, dès lors qu'elle est limitée dans sa durée et dans sa portée et qu'elle ne fait pas obstacle au maintien d'un degré de concurrence existant sur le marché ou au développement régulier de cette concurrence.
Considérant, en l'espèce que les clauses contractuelles litigieuses ont permis et permettent à Canal Plus, laquelle lie, dans les faits, le préachat des droits de diffusion télévisuelle à la condition qu'aucune exploitation de ces films ne puisse intervenir sous la forme d'une diffusion par une chaîne de paiement à la séance avant et pendant toute la période durant laquelle elle pourra mettre en œuvre l'exclusivité de la diffusion par abonnement, de faire échec au développement du sous-marché de la télévision par paiement à la séance, et ce, alors que les textes réglementaires appliqués avant l'entrée en vigueur de la directive 97-36-CE du 30 juin 1997 assimilant la fenêtre de diffusion des films en paiement à la séance au délai de diffusion des vidéocassettes, lequel intervenait antérieurement à la fenêtre de diffusion des films sur les chaînes de télévision par abonnement ou en clair et que, à compter de l'entrée en vigueur de cette directive, la chronologie d'exploitation télévisuelle d'un film ne relevant désormais que d'accords contractuels, les producteurs d'un film pourraient être tentés, s'ils n'en étaient empêchés par les dispositions des contrats de préachat susmentionnés, de vendre séparément les droits d'exploitation du film par paiement à la séance et les droits d'exploitation du film pour la télévision par abonnement ;
Considérant que la requérante fait valoir que ces clauses d'exclusivité n'ont pas d'objet anticoncurrentiel dès lors qu'elles sont limitées au marché pertinent, quelles que soient les méthodes de commercialisation ; qu'elle soutient également qu'elles n'ont pas d'effet anticoncurrentiel puisque les exclusivités acquises ne concernent à chaque fois qu'une seule œuvre cinématographique française et que le financement du cinéma s'effectuant film par film, la concurrence joue pleinement entre Canal Plus et TPS/Multivision qui a commencé à investir massivement dans le cinéma français depuis le milieu de l'année 1997 ;
Mais considérant, d'une part, que, comme le révèle la stratégie de Canal Plus, le succès d'une chaîne de télévision payante auprès des téléspectateurs dépend de sa capacité à diffuser des films récents et que cette exigence est encore plus forte lorsque les téléspectateurs payent directement chaque programme qu'ils décident de regarder dans le cas du paiement à la séance ; que c'est d'ailleurs en raison de ce que l'économie d'une chaîne de paiement à la séance est plus proche de celle de l'économie de la diffusion en salles que de celle d'une chaîne de télévision par abonnement que les textes législatifs et réglementaires pris avant l'entrée en vigueur de la directive 97-36-CE susvisée autorisaient la diffusion des films en paiement à la séance avant leur diffusion sur les chaînes payantes par abonnement ; qu'enfin, la pratique même de la société Canal Plus, notamment en ce qu'elle conduit, à interdire la diffusion de films par paiement à la séance pendant la totalité de la période d'exclusivité, et ce même après qu'elle ait exploité le film, atteste de l'importance de la fraîcheur du film pour le succès commercial des chaînes de paiement à la séance; que l'objet anticoncurrentiel de la pratique reprochée est ainsi avéré;
Considérant d'autre part, alors que la clause d'exclusivité de Canal Plus qui porte sur 80 % des œuvres cinématographiques françaises produites chaque année fait que les chaînes de paiement à la séance n'ont d'autre possibilité d'obtenir des droits de diffusion de ses films qu'en tentant de négocier avec Canal Plus une dérogation aux droits qu'elle a préachetés ; qu'il résulte des éléments du dossier que les refus opposés aux chaînes par Canal Plus sont dus à une position de principe ; qu'ainsi la société Roissy Films a indiqué, le 18 janvier 1996, à la société Multivision : " Nous serions prêts à négocier avec vous pour le compte des ayants droit sur les bases que vous nous avez communiquées. Cependant (...), vous devez obtenir au préalable l'accord de Canal Plus afin de pouvoir diffuser dans les mêmes conditions et, délais que Ciné Kiosque, car les producteurs et nous-mêmes avons reçu une réponse négative de Canal Plus à ce sujet ; qu'une lettre de la société Hachette Première & Cie du 23 janvier 1996 mentionne ; " Nous regrettons de ne pouvoir donner suite à votre proposition, compte tenu des contraintes d'exploitation spécifique du film Le Hussard sur le toit en vidéo et sur Canal Plus " ; qu'une lettre de la société Polygram Audiovisuel adressée à la société TPS le 29 avril 1997 précise : " En ce qui concerne les droits pay per view, nous ne pouvons envisager de cession avant la première diffusion cryptée puisque nos contrats de préachat avec Canal Plus nous interdisent toute diffusion intervenant avant le démarrage de leurs droits " ; qu'enfin la société Canal Plus a refusé d'accorder, le 21 mai 1996, des dérogations à sa clause de priorité de diffusion au profit de la société Multivision pour les films Les Misérables du XXe siècle, Elisa et Le Gazon maudit, en précisant qu'elle a la même attitude vis-à-vis de la société Multivision qu'envers son service Kiosque de paiement à la séance que les difficultés de la société Multivision pour se fournir en films français récents ont été relevées par le CSA et ont conduit l'entreprise à fermer son troisième canal de programmation ; que l'effet anticoncurrentiel des pratiques est ainsi établi;
Qu'à cet égard l'argumentation de Canal Plus selon laquelle il suffirait aux sociétés TPS et Multivision de procéder au préachat de droits de diffusion de films français pour remplir leurs objectifs n'est pas pertinente, dès lors qu'une telle politique ne procurerait pas immédiatement aux intéressés un accès à la diffusion de ces films, non encore réalisés, et ne serait donc pas de nature à aplanir leurs difficultés d'approvisionnement en films récents d'expression française auxquelles elles sont actuellement confrontées ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Canal Plus a dépassé les limites de ce qui est permis en cherchant, par les clauses susvisées, à entraver le développement du marché de la télévision à péage par paiement à la séance, forme émergente de la diffusion des films; que cette pratique, rendue possible par la position dominante de la société Canal Plus sur les marchés de la télévision à péage et sur celui des droits de diffusion des films français récents pour la diffusion à la télévision à péage -le poids économique et l'ancienneté de ses relations avec les producteurs étant déterminants pour contraindre ceux-ci à conclure les contrats comportant la clause type qu'elle propose-caractérise un abus de sa position dominante; que le caractère abusif de ses clauses est renforcé par le fait que la sanction des stipulations litigieuses est assurée, aux termes des articles 6 et 7 du contrat type, par la faculté donnée à Canal Plus après simple mise en demeure, soit de résilier le contrat, soit d'exiger le versement de la clause pénale stipulée à l'article 7 ;
Que, dès lors, le fait par Canal Plus de conclure des contrats de préachat de droits exclusifs de diffusion avec les producteurs de films français lui réservant la priorité et l'exclusivité de la diffusion par abonnement, et incluant dans cette priorité et cette exclusivité la diffusion du film par un service de paiement à la séance, constitue un abus de la position dominante qu'elle détient sur le marché de la télévision à péage et sur celui des droits de diffusion de films français récents pour la télévision payante qui tombe sous le coup de l'article 8-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
4 - Sur l'application de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986
Considérant qu'aux termes de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ne sont pas soumises aux dispositions des articles 7 et 8, les pratiques :
1 - Qui résultent de l'application d'un texte législatif ou d'un texte réglementaire pris pour son application ;
2 - Dont les auteurs peuvent justifier qu'elles ont pour effet d'assurer un progrès économique et qu'elles réservent aux utilisateurs une part équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause ;
Considérant que la société Canal Plus invoque tout d'abord le bénéfice des dispositions du 1 de ce texte, au motif que les pratiques en cause résulteraient de l'application des articles 10 et 11 du décret n° 95-668 du 9 mai 1995 qui lui imposent de consacrer 9 % de son chiffre d'affaires d'achat de droit de diffusion d'œuvres cinématographiques d'expression française ;
Mais considérant que si la société Canal Plus a l'obligation réglementaire d'acheter ces droits de diffusion, le préachat des droits de films français récents par la conclusion de contrats comportant les droits exclusifs litigieux n'est pas imposé par la réglementation ;
Considérant que la société Canal Plus fait ensuite valoir que les pratiques en cause seraient justifiées au regard des dispositions du 2 de l'article 10 en raison de sa politique à l'égard du cinéma français, laquelle a fortement contribué au maintien d'une production française abondante diversifiée et indépendante, notamment par le préfinancement des films d'auteur, des premiers films et des films à petit budget, en affirmant que les clauses d'exclusivité incriminées sont indispensables à la réalisation du progrès économique que constitue la pérennité du cinéma français ;
Mais considérant que si la pérennité du financement du cinéma d'expression française peut être regardée comme une contribution au progrès économique au sens du 2 de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le rôle déterminant de la société requérante pour l'industrie cinématographique française ne saurait toutefois rendre indispensable son comportement tendant à faire obstacle au développement du marché de la diffusion en paiement en séance ;
Que, tout d'abord, les obligations légales de Canal Plus de financement du cinéma français, visant à soutenir la pérennité de celui-ci ont été élaborées à l'époque de la création de la chaîne, en contrepartie, non comme le prétend la requérante, des clauses d'exclusivité inhérentes à tout contrat d'achat ou de préachat de droit de diffusion télévisuelle, mais du bénéfice d'une concession qui lui permet d'être aujourd'hui encore le seul opérateur de télévision payante par ondes hertziennes ;
Qu'ensuite, la diminution, alléguée par la société Canal Plus, de la valeur des droits qu'elle acquiert pour obtenir l'exclusivité de la diffusion télévisuelle par abonnement des films de cinéma, si les clauses incriminées devaient être supprimées, n'est pas de nature à porter atteinte aux capacités de financement des films français dès lors que la concurrence entre les chaînes de paiement à la séance, parmi lesquelles figurent tant la société Multivision que la société Canal Plus pour son service Kiosque, s'exercerait pour l'acquisition des droits de diffusion par paiement à la séance, ce qui procurerait aux producteurs des films, une possibilité de financement additionnelle par rapport au mode de cession actuel des droits de diffusion télévisuelle par abonnement, et serait de nature à compenser l'éventuelle diminution de la valeur de ces derniers droits, d'autant plus limitée que Canal Plus doit consacrer 9 % de son chiffre d'affaires au financement du cinéma français ;
Qu'en outre, la pratique de Canal Plus, en ce qu'elle a pour objet et pour effet de gêner l'émergence de la diffusion par paiement à la séance de film à la télévision, pénalise le consommateur en le privant de la possibilité d'accéder à la diffusion des films français récents par un mode d'exploitation nouveau et attractif où son choix est déterminant ;
Qu'enfin, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a lui-même indiqué, dans son rapport de mai 1997 précité : " qu'il serait souhaitable que Canal Plus accepte de laisser vendre les droits de paiement à la séance des films qu'elle a préachetés. En effet, cela pénalise les films français, les majors américains ayant toujours vendu séparément et simultanément leurs films récents aux chaînes de pay per view et aux télévisions payantes, ce qui exclut nécessairement que la pratique utilisée par la société requérante puisse être regardée comme participant à sa contribution à la pérennité du cinéma d'expression française ;
Qu'il résulte de ce qui précède que la société Canal Plus n'est fondée à se prévaloir d'aucune des dispositions de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
5 - Sur la sanction
Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximal de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos ;
Considérant que Canal Plus, qui détient une position dominante sur le marché de la télévision à péage et sur le marché des droits de diffusion des films français récents, a abusé de sa position en imposant aux producteurs la conclusion de contrats de préachat de droits de diffusion lui accordant une priorité et une exclusivité de diffusion payante, en interdisant aux producteurs de vendre les droits de leurs films pour une diffusion en paiement à la séance, empêchant ainsi l'émergence du marché né des progrès technologiques de la diffusion des films récents à la télévision par paiement à la séance ; que, dès lors, il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 en enjoignant à la société Canal Plus de mettre fin à la pratique abusive ainsi caractérisée;
Considérant, par ailleurs, que la pratique d'exclusion incriminée est d'autant plus grave qu'elle touche un marché naissant dont elle empêche le développement : qu'elles émanent d'une société qui bénéficie d'une forte notoriété ; qu'elles ont effectivement empêché le développement d'un marché distinct et privé les téléspectateurs d'un service de télévision alternatif lui offrant des films d'expression française récents ;
Considérant qu'en fonction de ces éléments généraux et individuels d'appréciation de la proportionnalité de la sanction et en considération du montant de 9 233 218 813 F du chiffre d'affaires hors taxe réalisé en France au cours de l'exercice 1997, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 10 millions de francs.
Par ces motifs : Annule la décision du Conseil de la concurrence n° 98-D-70 du 24 novembre 1998 ; Statuant sur les pratiques reprochées : Dit que la société Canal Plus a enfreint les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; Enjoint à la société Canal Plus de cesser de lier le préachat de droits exclusifs de diffusion télévisuelle par abonnement des films cinématographiques d'expression française récents à la condition que le producteur renonce à céder à tout autre opérateur les droits de diffusion télévisuelle de ces films pour la diffusion par un service de paiement à la séance, avant et pendant la période au cours de laquelle Canal Plus peut mettre en œuvre l'exclusivité de la diffusion par abonnement ; Enjoint, par voie de conséquence, à la société Canal Plus de mettre son contrat type de préachat de droits exclusifs de diffusion télévisuelle par abonnement qu'elle propose aux producteurs de films en conformité avec l'injonction précédente, en modifiant notamment les articles 2, 6 et 7 de ce contrat type ; Inflige à Canal Plus une sanction pécuniaire de 10 millions de francs ; Condamne la requérante aux dépens.