Cass. com., 6 avril 1999, n° 96-20.606
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Daubresse
Défendeur :
Les Fils de Louis Mulliez Phildar (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Leclercq (faisant fonctions)
Rapporteur :
Mme Garnier
Avocat général :
M. Lafortune
Avocats :
SCP Masse-Dessen, Georges, Thouvenin, SCP Ryziger, Bouzidi
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué rendu sur renvoi de cassation (Amiens, 17 juin 1996), que Mme Daubresse a conclu, en avril 1967, un "contrat de client privilégié" avec la société Les Fils de Louis Mulliez (société LFLM) qui exploite, sous l'enseigne Phildar, un réseau de franchisage pour la commercialisation de fil à tricoter, bas, chaussettes, articles de lingerie féminine et pulls ; que le 29 avril 1985, Mme Daubresse et la société LFLM ont signé une convention intitulée "contrat de franchise Phildar", pour une durée de quatre ans, comportant une clause d'approvisionnement exclusif des produits Phildar ; que le franchisé, qui s'y était engagé par avenant signé le même jour, a exécuté des travaux de mise en conformité du magasin aux normes de la chaîne ; qu'au cours des années 1986 à 1988, le chiffre d'affaires réalisé a été inférieur à l'estimation prévisionnelle ; qu'après avoir vainement sollicité l'autorisation de le faire, le franchisé a vendu des produits d'autres marques ; que la société LFLM ayant mis le franchisé en demeure de cesser de vendre des produits concurrents, celui-ci a assigné en nullité de la clause d'approvisionnement exclusif et en réparation de son préjudice, la société LFLM, qui reconventionnellement a demandé le paiement de fournitures et des dommages-intérêts ; que la cour d'appel a rejeté les demandes de Mme Daubresse, a prononcé la résiliation du contrat de franchisage aux torts exclusifs de celle-ci et l'a condamnée au paiement de diverses sommes ;
Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches : - Attendu que Mme Daubresse fait grief à l'arrêt d'avoir validé la clause d'approvisionnement exclusif imposée par le franchiseur au franchisé, alors, selon le pourvoi, d'une part, que si l'obligation imposée au franchisé de commercialiser exclusivement des produits fabriqués par le franchiseur ou par des tiers désignés par lui ne fait pas obstacle à la validité de l'accord de franchise, c'est à la double condition d'être à la fois nécessaire au maintien de l'identité commune et de la réputation du réseau franchisé et justifiée par l'impossibilité pratique, en raison de la nature des produits qui font l'objet de la franchise, d'appliquer des spécifications objectives de qualité à des produits non concurrents ; qu'en affirmant en l'espèce, que la nécessité de préserver l'identité du réseau et l'homogénéité de la marque se déduisait de l'impossibilité de mettre en œuvre des spécifications objectives de qualité, laquelle serait elle-même résultée de l'étendue du réseau et de l'existence de produits similaires ou concurrents sur le marché considéré, sans caractériser distinctement les deux conditions auquelles était subordonnée la faculté pour le franchiseur d'interdire aux membres du réseau de commercialiser non seulement des produits concurrents mais également d'autres types d'articles de qualité équivalente, la cour d'appel n'a pas conféré de base légale à sa décision au regard de l'article 85 du Traité de Rome, ensemble les articles 1, 2 et 3 du règlement CEE n° 4087/88 du 20 novembre 1988 ; alors, d'autre part, que faute d'avoir constaté qu'en raison de la nature des produits faisant l'objet de la franchise - et non eu égard à l'étendue du réseau ainsi qu'à l'existence de produits similaires ou identiques sur le marché, critères inopérants - le franchiseur se serait effectivement trouvé dans l'impossibilité de fixer des spécifications objectives minimales de qualité pouvant être appliquées à des produits non concurrents susceptibles d'être commercialisés par le franchisé, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ; alors, en outre, qu'en se bornant à énoncer abstraitement que, eu égard au domaine d'activité considéré et à la nature des produits distribués, la clause était indispensable à la préservation de l'identité du réseau de franchise ainsi qu'à l'homogénéité de son image de marque, sans préciser en quoi l'interdiction pour le franchisé de commercialiser parallèlement des produits autres que ceux fournis par le franchiseur aurait été nécessaire pour préserver l'identité commune et la réputation du réseau, la cour d'appel a privé sa décision de tout motif en méconnaissance des prescriptions de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin, que la licéité de la clause d'approvisionnement exclusif est subordonnée à la condition que le franchisé demeure libre d'acheter les produits aux autres membres du réseau ; qu'en l'espèce, Mme Daubresse faisait valoir que tel n'était pas le cas en vertu de la clause du contrat de franchise suivant laquelle, étant tenu de commercialiser exclusivement les produits du franchiseur, le franchisé s'engageait en outre à ne s'approvisionner qu'auprès de celui-ci ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen déterminant, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
Mais attendu que l'arrêt retient que jusqu'en 1992, et à l'exception des bas et collants, la société LFLM, était le fabriquant exclusif des produits textiles qu'elle distribuait, que la fabrication de ces produits s'effectuait selon des procédés spécifiques obéissant à un cahier des charges précis et contraignant, d'où il est résulté un savoir-faire dont elle était seule détentrice ; que l'arrêt relève que le réseau de distribution s'inscrivait dans un secteur concurrentiel avec de nombreux fournisseurs offrant des produits similaires ou identiques, que compte tenu de la gamme des marchandises proposées ainsi que de l'évolution constante et rapide des techniques de fabrication, la formulation des spécifications objectives de qualité que les franchisés pourraient eux-mêmes appliquer s'est révélée impraticable de même que la mise en place d'un contrôle effectif auprès de chacun des points de vente ; qu'à partir de ces constatations et appréciations et ayant retenu que la clause d'approvisionnement exclusif devait être regardée, eu égard au domaine d'activité considéré et à la nature des produits comme indispensable à la préservation de l'identité du réseau de franchisage ainsi qu'à l'homogénéité de l'image de marque et en a déduit que ladite clause échappait à l'interdiction prévue à l'article 85, alinéa 1 du traité instituant la Communauté européenne, la cour d'appel a, répondant aux conclusions prétendument délaissées, légalement justifié sa décision; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que Mme Daubresse fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de sa demande en annulation des engagements souscrits envers le franchiseur, fondée sur l'exploitation abusive par son cocontractant de l'état de dépendance économique dans laquelle elle se trouvait, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en faisant valoir que la clause d'exclusivité qui lui était imposée ne répondait pas aux conditions d'exemption du règlement communautaire, Mme Daubresse invoquait nécessairement le fait qu'elle constituait une atteinte prohibée au libre jeu de la concurrence ; qu'en énonçant qu'elle n'aurait pas allégué que cette stipulation eût pu constituer une entrave à la concurrence sur le marché des produits textiles, la cour d'appel a dénaturé les conclusions du franchisé en violation de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe du contradictoire ; qu'en l'espèce où le franchiseur n'avait nullement objecté que la clause d'exclusivité ou le comportement qui lui était attribué n'aurait pu produire aucun effet anticoncurrentiel sur le marché des produits textiles, le juge ne pouvait s'abstenir d'inviter au préalable les parties à s'expliquer sur ce moyen qu'il entendait relever d'office ; qu'à défaut, la cour d'appel a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin, que dans la mesure où l'obligation imposée au franchisé de vendre les produits fabriqués par lui à l'exclusion de tout autre n'est pas indispensable au maintien de la réputation du réseau ou n'est pas justifiée par l'impossibilité de définir des spécifications objectives minimales de qualité susceptibles de s'appliquer aux autres articles vendus par le franchisé, elle constitue une restriction de concurrence prohibée ; que la cassation à intervenir sur le premier moyen entraînera par voie de conséquence l'annulation de l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré non établi le fait que la clause litigieuse eût constitué une entrave à la concurrence, cela pour écarter le jeu de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, en application de l'article 625, alinéa 2 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt, après avoir constaté que la clause d'approvisionnement exclusif était, eu égard au domaine d'activité en cause et à la nature des produits distribués, indispensable à l'identité et à la réputation du réseau, relève qu'il n'est pas démontré en quoi cette clause constituait une "exploitation abusive" de l'état de dépendance économique allégué par Mme Daubresse, et qu'il n'est pas établi que ladite clause ait pu constituer une entrave à la concurrence sur le marché des produits textiles au sens des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, expressément invoqués dans les écritures des parties ; qu'ainsi, la cour d'appel n'a méconnu ni l'objet du litige tel qu'il était déterminé par les conclusions des parties, ni le principe de la contradiction ;
Attendu, en second lieu, que les critiques contenues dans les deux premières branches du moyen, ayant été écartées, le moyen en sa troisième branche ne peut être davantage accueilli ;
Sur le troisième moyen, pris en ses quatre branches : - Attendu que Mme Daubresse fait enfin grief à l'arrêt d'avoir prononcé la résiliation du contrat de franchisage à ses torts et de l'avoir condamnée à payer des dommages-intérêts au franchiseur, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'aux termes de l'article 3-4 du contrat de franchise, le franchiseur s'était engagé à donner les meilleurs soins et efforts pour l'exécution des commandes passées par le franchisé dans les conditions prévues au contrat, sauf cas fortuit ou force majeure ; qu'en se bornant à déclarer que, en 1988, le franchiseur avait réservé la diversification de ses produits à certains des membres de son réseau et n'était pas en mesure d'offrir de nouveaux articles à Mme Daubresse, ce qui ne caractérisait aucun obstacle irrésistible - omettant ainsi de constater qu'il avait bien manqué à ses obligations contractuelles, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ; alors, d'autre part, qu'en se bornant à affirmer que le refus du franchiseur de livrer Mme Daubresse en nouveaux produits se serait trouvé justifié sans vérifier qu'il avait encore méconnu ses obligations en laissant en attente certaines de ses commandes d'articles traditionnels qu'elle avait dû finalement annuler après le début de la saison au cours de laquelle ils étaient destinés à être commercialisés, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard du texte susvisé ; alors, en outre, qu'il résultait des avenants au contrat de distribution que le franchiseur avait imposé des travaux d'aménagement - ainsi que l'achat de certains mobiliers - en contrepartie d'une réduction sur le prix des commandes ; qu'en déclarant que Mme Daubresse aurait pris seule la décision d'exécuter des travaux postérieurement à la conclusion du contrat de franchise, sans faire la moindre référence à l'existence de ces avenants, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1147 du Code civil ; et alors enfin, que, faute d'avoir constaté, comme elle y était invitée, que le franchiseur n'avait pas exécuté de bonne foi son obligation d'assistance et de conseil en adoptant une position particulièrement rigide face à un franchisé en proie à des difficultés financières indiscutables, ce qui était de nature à justifier la violation par ce dernier de l'obligation d'exclusivité qui mettait en péril ses possibilités de survie, la cour d'appel n'a pas conféré de base légale à sa décision au regard des textes susvisés ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt retient que la société LFLM n'a commencé à procéder à la diversification des produits de sa marque qu'en 1988 au profit de certains franchisés avant d'étendre progressivement l'expérience engagée et que c'est seulement en 1991 qu'elle a pu offrir l'ensemble de ses nouveaux produits à tous ses franchisés ; qu'il relève que Mme Daubresse a renvoyé en mai 1988 certaines des commandes précédemment passées et a, en mars 1989, annulé des bons de commande ; que la cour d'appel, qui en a déduit que Mme Daubresse ne pouvait imputer à la société LFLM un refus de vente a justifié sa décision ;
Attendu, en deuxième lieu, que la cour d'appel qui a relevé que c'est seulement lors de la signature du contrat que des travaux de réfection ont été imposés à Mme Daubresse et que ceux qu'elle a réalisés ultérieurement l'ont été à sa seule initiative, a pu statuer comme elle l'a fait ;
Attendu, en troisième lieu, que la cour d'appel, en retenant que Mme Daubresse qui reprochait à la société LFLM de ne pas lui avoir accordé des délais de paiement pour le règlement de ses échéances, n'établissait pas l'existence de fautes commises par celle-ci de nature à entraîner la résilation du contrat à ses torts, a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.