Conseil Conc., 5 janvier 1999, n° 99-D-01
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques mises en œuvre par la société Distri club médical
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport de Mme Isabelle Sévajois, par Mme Hagelsteen, président, Mme Pasturel, vice-présidente, MM. Cortesse, Jenny, vice-présidents.
Le Conseil de la concurrence (commission permanente),
Vu la lettre enregistrée le 6 octobre 1994 sous le numéro F 703, par laquelle le ministre de l'Economie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par des groupements de distributeurs de matériel médical ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application (...) ;
I.- Constatations
A. - Le secteur de la distribution de matériel médical
Le matériel médical regroupe de nombreux produits, très divers, tels que les draps d'examen en papier, les seringues, les pansements, les fauteuils roulants pour handicapés, les tensiomètres ou les stéthoscopes. L'offre de ces produits est assurée par un nombre élevé de producteurs ou importateurs.
Ces produits sont utilisés par trois grandes catégories de clientèle : les hôpitaux et les collectivités, telles les maisons de retraite, les professions médicales libérales, principalement les médecins et les infirmiers, et les particuliers.
Le matériel médical est distribué soit par les producteurs et importateurs, soit par des revendeurs. Les ventes directes concernent principalement les clients les plus importants : les hôpitaux et les cliniques. Les autres clients s'adressent généralement à des revendeurs qui sont soit des pharmaciens, soit des distributeurs spécialisés de matériel médical.
Le nombre de distributeurs spécialisés est élevé. Selon les professionnels de ce secteur, il serait compris entre 1 200 et 1 700. Il s'agit donc d'un secteur peu concentré.
Ces distributeurs peuvent être regroupés en trois catégories :
1. Les revendeurs indépendants, qui sont les plus nombreux, un millier environ ;
2. Les revendeurs adhérents d'un groupement : ces groupements ont été créés récemment et trois d'entre eux sont importants : Paramat, Europe service santé système (E3S) et Distri club Médical (DCM). En 1993, ces trois groupements représentaient cent vingt-quatre points de vente, soit 10 % environ du nombre des magasins de détail de matériel médical ;
3. Les sociétés de vente par correspondance (NM médical, Médistore).
B. - Le réseau Distri club médical (DCM)
M. Pomart a créé en 1977, le groupement Distri club médical (DCM). A partir de 1985, le réseau s'est développé dans le cadre de la franchise. En 1993, il regroupait quarante-trois franchisés répartis sur l'ensemble du territoire national.
La société Distri club médical concède aux franchisés, en contrepartie de redevances, un droit d'usage du nom et de l'enseigne Distri club médical, déposés à titre de marque, un savoir-faire ainsi qu'une assistance technique et commerciale. Dans ce cadre, le franchiseur assure une fonction de centrale de référencement. Chaque année, après proposition d'une commission de référencement regroupant quelques franchisés responsables de région, la société Distri club médical référence un certain nombre de fournisseurs et diffuse auprès des franchisés la liste de ces fournisseurs ainsi que les conditions de vente qu'elle a négociées. Seuls les produits référencés sont présentés dans les catalogues de produit et prospectus publicitaires édités par le franchiseur et distribués par l'ensemble des franchisés.
Le contrat de franchise ne prévoyant pas l'exclusivité d'approvisionnement des franchisés auprès des fournisseurs référencés, les franchisés ont la possibilité de s'approvisionner auprès des autres fournisseurs de leur choix . Toutefois, plusieurs éléments conduisent les franchisés à privilégier les fournisseurs référencés. Tout d'abord, le contrat de franchise précise que, pour préserver l'identité de et la réputation du réseau de franchise par la standardisation des produits proposés, à prix et qualité égaux, le franchisé s'engage à donner priorité à l'achat des produits référencés. Ensuite, plusieurs circulaires internes rappellent aux franchisés que plus de 90 % des achats doivent être effectués auprès des fabricants référencés pour atteindre les objectifs de vente et obtenir ainsi les remises et ristournes négociées avec chaque fournisseur. Enfin, les produits des fournisseurs qui ne sont pas référencés sont absents des catalogues de produits distribués par les franchisés aux différentes catégories de clientèle.
Pour les seringues et les aiguilles hypodermiques, la société Distri club médical référence habituellement deux fournisseurs : ma société Terumo et la société Becton Dickinson. Selon la société Becton Dickinson, la société Terumo détient 55 % du marché non hospitalier des seringues et aiguilles et la société Becton Dickinson 40 %.
C. - Les pratiques relevées
En décembre 1993, à la suite d'un désaccord sur le niveau des prix et la participation aux frais du catalogue DCM apparu au cours des négociations pour le référencement de l'année 1994, la société Distri club médical a décidé de ne pas référencer la société Becton Dickinson. La circulaire interne Distri club médical du 22 décembre 1993 indique :
" De nombreuses rencontres ont eu lieu et après avoir dû rappeler personnellement Becton Dickinson avant la réunion et leur envoyer un fac pour qu'il nous donne enfin les termes de leur politique et les conditions de partenariat pour 1994, la réponse de celui-ci démontre parfaitement que nous avons affaire à des responsables incohérents, désorganisés ou qui s'en fichent de Distri club médical dans ce cas et devant une telle attitude après la réunion et ce que nous avons décidé, j'ai donc prix l'initiative de leur répondre, de la même manière par un fax stipulant que nous n'étions pas d'accord et que dans ce cas Becton Dickinson est déréférencé pour 1994, et qu'il ne paraîtra pas sur nos catalogues. Pour ce qui est de Terumo, le langage a été tout autre, celui-ci nous a fait une contre-proposition qui nous donnera un ballon d'oxygène au niveau de nos marges, car nous ne casserons pas pour autant nos prix si la concurrence reste stable (...) Je demanderai donc à chacun des franchisés et aux responsables de région de faire en sorte que pour 1994 nous fassions la promotion de Terumo, qui sera seul dans le futur catalogue. De répondre négativement à toute tentative de déstabilisation de la part de leur promoteur ou de leur directeur et de les renvoyer systématiquement sur le siège social, de nous tenir au courant des entretiens que vous auriez pu avoir avec ces derniers, en cas de diffamation je vous demanderai même de les mettre purement et simplement à la porte. Une attitude de bloc bien faite comme cela s'est déjà produit dans le passé et fera probablement revenir Becton Dickinson avec une autre tendance ".
Dans un courrier du 6 janvier 1994, la société Becton Dickinson a confirmé à la société Distri club Médical qu'elle maintenait les conditions de vente de 1993. Elle a précisé dans cette lettre :
" Suite aux différents entretiens que nous avons eu récemment, en ce qui concerne la politique de prix de notre société pour le marché de détail, nous vous confirmons notre volonté de maintenir les mêmes conditions qu'en 1993 pour les aiguilles, seringues (...) Pour les autres produits autres que la gamme hypodermique nous n'appliquons qu'une hausse de 2 % sur le tarif 1993. Nous sommes extrêmement déçus par votre décision de ne pas référencer nos produits dans votre catalogue. Toutefois, dans le cas où vous seriez prêts à donne à BD l'exclusivité de sa marque dans votre catalogue et à vous engager pour des quantités satisfaisantes sur l'année 1994, pour les produits de notre gamme hypodermique, nous pourrions réviser notre décision de participation aux frais d'élaboration de votre catalogue ainsi qu'à la modification de notre politique prix. Dans le cas d'un refus de votre part, la division médicale Becton Dickinson se réserve le droit de proposer ses produits directement aux revendeurs, adhérents du Distri club, au tarif indiqué et pourra leur faire bénéficier d'actions promotionnelles au cours de l'année. "
Le 11 janvier 1994, au cours d'une réunion des responsables des régions, le litige avec la société Becton Dickinson a été évoqué, M. Pomart, en sa qualité de franchiseur, et les représentants des franchisés DCM 06, DCM 26, DCM 40, DCM 41, DCM 48, DCM 50, DCM 62, DCM 85 et DCM 86 participaient à cette réunion. Le procès-verbal de réunion précise :
" Pour ce qui est du problème de l'hypodermique, entre Becton Dickinson et Terumo suite aux différents entretiens et aux correspondances que nous avons eues avec les premiers, n'ayant pas souhaité nous communiquer une politique cohérente, ayant maintenu les prix 1994 alors que le marché est plutôt à l'effondrement, devant la proposition et le chantage fait par M. English, directeur commercial, à sa voir que si nous ne donnions pas un référencement à Becton Dickinson, il contacterait individuellement les franchisés en leur proposant les mêmes prix ainsi que des promos ! Cette attitude n'est pas permise dans le cadre d'un groupe. Aussi, à l'unanimité il a été décidé de répondre négativement au référencement 94 pour cette société tant pour l'hypodermique pour gants ou autres. En conséquence, nous demandons à chacun d'entre vous de respecter la décision des responsables de région faute de quoi nous risquons de tomber dans le piège des fabricants : vouloir diviser pour mieux régner alors que nous oeuvrons pour nous intégrer à des groupes comme Clinifrance ! ".
La lettre interne DCM du 29 janvier 1994 rappelle la position prise à l'égard de ce fournisseur :
" Pour Becton Dickinson, la position que nous avons prise me semble être stratégique pour le moment et judicieuse (...) La force d'un groupe comme le nôtre vient de notre union (...) Bon nombre de franchisés nous ont fait part de la visite des commerciaux et des propos que Becton Dickinson peut tenir. Je n'ai pas grand chose à dire car nous ne pouvons empêcher les gens de parler ! A chacun d'entre vous de remettre en place ces personnes qui impliquent des propos qui n'ont jamais été tenus et ne sont de ce fait pas justifiés. Il est prudent afin de ne pas créer d'autres polémiques, de demander à ces messieurs de bien vouloir prendre la porte et de revenir lorsqu'ils tiendront des propos plus cohérents. "
Dans la lettre interne DCM du 22 février 1994, il est demandé aux franchisés responsables de régions de faire respecter la décision de " boycott " de la société Becton Dickinson :
" Achats : Revenons-en aux seringues & aiguilles : j'attire à nouveau l'attention des responsables des régions qui doivent, au sein des franchisés de leur secteur, de montrer non seulement l'exemple mais de faire appliquer les décisions prises en assemblée générale et entérinées dans le cadre des réunions de région. Pour ce qui est de Becton Dickinson, nous avons donc pris une position de boycott vis-à-vis de cette société, ce qui du reste a été fait par d'autres groupes concurrents. Il va de soi qu'à l'exception de Médical Bendée qui a un contrat cliniques, nous devons absolument vendre aux privés de Terumo. Or, il s'avère que d'après les commandes de janvier, le chiffre d'affaires des seringues 2 p (entre autres) est considérable puisque le recensement des commandes effectuées chez Médical Bordin n'engendre que 6 magasins ! Il semble évident que si nous ne commercialisons plus dans nos secteurs respectifs de seringues et aiguilles, d'une part, nous avons bien fait de ne faire qu'une page sur le catalogue de 156 pages, mais le dépliant 6 pages, 3 volets prévu en avril pour les infirmières ne se justifie plus ! En tout état de cause, si nous avions la surprise que certains franchisés commandaient directement chez Becton Dickinson alors qu'ils savaient que nous pouvions les dépanner en adressant les commandes au siège ) Embry, cela démontrerait un excellent état d'esprit d'égoïsme et d'individualisme et il va de soi qu'un tel comportement pourrait remettre en cause beaucoup de choses. Il ne sert à rien, pour un groupement, d'essayer de se battre pour des fantômes ! Dans ce cas, une fois de plus des franchisés qui jouent le jeu en seraient les premiers perdants ! En résumé, la grande perte se ferait principalement vis-à-vis des franchisés qui n'ont pas joué le jeu car ils auraient rendu non seulement leur entreprise plus vulnérable, mais auraient, de surcroît décrédibilisé le groupe. Cela n'est absolument pas tolérable. "
Selon les données communiquées par la société Becton Dickinson, les ventes réalisées avec le réseau DCM se sont élevées à 2 494 368 francs en 1993 et à 1 515 660 francs en 1994, soit une baisse de 39,2 %.
Une analyse du montant des achats de chaque franchisé auprès de ce fournisseur permet de constater que quatre franchisés sur les neuf présents à la réunion du 11 janvier 1994 ont diminué de manière sensible leurs achats à la société Becton Dickinson :
EMPLACEMENT TABLEAU
Certains franchisés qui n'étaient pas présents à la réunion du 11 janvier ont également diminué leurs achats en produits Becton Dickinson :
EMPLACEMENT TABLEAU
En revanche les achats de trois franchisés présents à la réunion du 11 janvier ont été stables ou ont augmenté en 1994 :
EMPLACEMENT TABLEAU
De même, certains franchisés qui n'étaient pas présents à la réunion du 11 janvier ont maintenu leurs achats de produits Becton Dickinson en 1994 : DCM 43, DCM 59, DCM 66 et DCM 80 ou, comme la société DCM 13, ont augmenté leurs achats en 1994. Par ailleurs, la société Becton Dickinson n'a pas communiqué le montant des achats pour les franchisés DCM 40 et DCM 41, présent à la réunion du 11 janvier.
Selon le fournisseur, l'attachement à la marque et aux produits de la société Becton Dickinson expliquerait le maintien d'un courant d'affaires avec la plupart des adhérents.
Dès le mois d'octobre 1994, les sociétés Distri club médical et Becton Dickinson ont signé un nouveau contrat de référencement pour l'année 1995.
II. - Sur la base des constatations, qui précèdent, le conseil,
Sur la prescription :
Considérant que la société Distri club médical relève que l'audition de M. Pomart, président de la société Distri club médical, a eu lieu le 22 septembre 19997, que le procès-verbal a été reçu par la société Distri club médical le 22 octobre 1997, signé par M. Pomart a apposé sa signature, soit le 27 octobre 1997 et que seul le procès-verbal n'a été régulièrement dressé, et non l'audition, est susceptible d'interrompre la prescription ; qu'en conséquence, les conditions d'application de l'article 27 de l'ordonnance sont réunies et les faits qui lui sont reprochés sont prescrits ;
Mais considérant qu'aux termes de l'article 27 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : " Le Conseil de la concurrence ne peut être saisi de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction " ; qu'en l'espèce, la saisine ministérielle est datée du 4 octobre 1994 ; que plusieurs représentants d'entreprises du secteur ont été convoqués par le rapporteur, pour une audition avant le terme du délai de trois ans, soit le 4 octobre 1997 ; qu'en effet M. Roturier, gérant de la SARL Paramai, a été convoqué par télécopie le 29 août 1997 ; M. Cormier, président-directeur général de la SA Pèse-Bébé Cormier, et M. Huet, président de la société Ambulances nuit et jour, par télécopie du 10 septembre 1997 ; M. Pomart, président de la SA Distri club médical, par télécopie du 3 septembre 1997 et M. Le Pape et M. Ribes, du groupement Europe service santé système, par télécopie du 1er septembre 1997 ; que ces convocations aux auditions se référant à la saisine ministérielle tendaient directement à la recherche, à la constatation et à la sanction de pratiques anticoncurrentielles et ont interrompu la prescription ; qu'il ne peut être, en conséquence, utilement soutenu que seules les dates auxquelles les procès-verbaux d'audition ont été dressés doivent être prises en compte ; qu'au surplus, d'une part, les auditions de ces mêmes représentants d'entreprises ont également été réalisées avant le terme du délai de trois ans ; qu'en effet, le 3 septembre 1997, le rapporteur a entendu M. Roturier, le 19 septembre 1997, M. Cormier et M. Huet, le 22 septembre 1997, M. Pomart et le 25 septembre 1997, M. Le Pape et M. Ribes ; que, d'autre part, les procès-verbaux rédigés à la suite de ces auditions ont été retournés signés par courrier au rapporteur par les personnes intéressées respectivement le 23 septembre, le 25 novembre, le 15 octobre, le 28 octobre et le 21 novembre 1997 ; qu'ainsi, M. Roturier a signé son procès-verbal d'audition avant le terme du délai de trois ans à compter de la saisine du Conseil ; que, dans ces conditions, les faits ne sont pas couverts par la prescription et peuvent être valablement examinés au regard des dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Sur la durée de la procédure et l'objet de l'enquête :
Considérant que la société Distri club médical soutient que la durée anormale de la procédure et la confusion entretenue sur l'objet de l'enquête à son endroit sont contraires à l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et ont porté atteinte aux droits de la défense ; qu'elle fait valoir que l'objet de l'enquête de la direction nationale des enquêtes de concurrence et de la saisine ministérielle portait sur l'existence d'une répartition géographique des marchés et d'une entente sur les prix dans le secteur de la distribution de matériel médical, aux professionnels ; que le rapporteur a, au cours de la procédure, élargi unilatéralement l'objet de son enquête à la distribution de matériel médical aux particuliers et a notifié un grief pour une pratique de boycott, d'une nature toute différente de l'objet de l'enquête qui avait été énoncé à la société Distri club médical pendant plus de cinq ans de procédure ; qu'ainsi elle n'aurait pas été en mesure d'identifier l'étendue et la finalité de l'enquête et d'adapter sa défense en conséquence ;
Mais considérant que le moyen soulevé par référence à l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales n'est pas de nature à entacher la procédure de nullité et est, dès lors inopérant ;
Considérant, au surplus, que la preuve alléguée de la violation des droits de la défense ne saurait résulter ispo facto de la seule durée de la procédure ; qu'il n'est pas démontré, au cas présent, en quoi les délais qui se sont écoulés entre la date des faits dont le Conseil est saisi et les étapes de la procédure devant le Conseil de la concurrence auraient porté atteinte aux droits de la défense ;
Considérant, enfin, en ce qui concerne l'objet de l'enquête, que le Conseil est saisi in rem de l'ensemble des faits et des pratiques affectant le fonctionnement d'un marché, sans être lié par les demandes de la partie saisissante ; qu'il peut examiner, sans avoir à se saisir d'office, les pratiques anticoncurrentielles révélées au cours de l'instruction dès lors que celles-ci concernant les mêmes marchés ou des marchés connexes ; qu'en l'espèce la saisine ministérielle porte sur " sur les pratiques mises en œuvre par des groupements de distributeurs de matériel médical destiné aux professionnels de santé, aboutissant à la pratique de prix imposés " ; que cette saisine est accompagnée d'un rapport administratif et d'annexes parmi lesquelles figure la circulaire DCM du 22 décembre 1993 qui évoque le litige commercial entre la société Distri club médical et la société Becton Dickinson ; que le rapporteur était donc fondé à notifier un grief de boycott ;
Sur le fond :
Considérant que, si le fait, pour des distributeurs indépendants, de se regrouper dans une centrale pour négocier des accords de référencement n'est pas en lui-même prohibé par les dispositions du titre III de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et si la négociation ou la renégociation de tels accords sont, en principe, licites, il importe cependant de vérifier que celles-ci ne s'appuient pas sur la mise en œuvre de pratiques ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet d'empêcher, de fausser ou de restreindre le jeu de la concurrence entre les distributeurs ou entre les fournisseurs ; que la modulation du rythme des commandes de produits des fournisseurs référencés par les distributeurs indépendants membres d'une centrale ou le déréférencement de certains des produits de ces fournisseurs par cette centrale peuvent ne pas être contraires aux dispositions de l'ordonnance, dès lors qu'il est établi, d'une part, que les distributeurs indépendants regroupés sont restés libres de s'approvisionner en produits du fournisseur en dehors de la centrale et, d'autre part, que les produits déréférencés ont continué d'être commercialisés ; qu'en effet, dans ce cas, la capacité du fournisseur d'accéder aux consommateurs n'a pas été limitée ;
Mais considérant que le fait pour une centrale de référencement de franchisés d'organiser entre les revendeurs franchisés qu'elle regroupe le boycott d'un fournisseur qu'elle ne référence plus est de nature à limiter artificiellement l'accès de ce fournisseur au marché et constitue une action concertée prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Considérant qu'il n'est pas contesté qu'en décembre 1993, à la suite d'un litige sur les prix de vente et sur la participation aux frais des catalogues des revendeurs au cours des négociations pour le référencement 1994, la société Distri club médical a décidé de déréférencer la société Becton Dickinson ; que, dans un courrier du 6 janvier 1994, la société Becton Dickinson a informé la société Distri club médical que, si elle n'était pas référencée, elle se réservait le droit de contacter directement chaque revendeur ; que, le 11 janvier 1994, une réunion a eu lieu entre le franchiseur et les franchisés, responsables de région, DCM 06, DCM 26, DCM 40, DCM 41, DCM 48, DCM 50, DCM 62, DCM 85 et DCM 86 et que le procès-verbal de cette réunion indique ; " A l'unanimité il a été décidé de répondre négativement au référencement 94 pour cette société tant pour l'hypodermique, pour les gants ou autres. En conséquence, nous demandons à chacun d'entre vous de respecter la décision des responsables de région " ; que la lettre interne DCM du 22 février 1994 précise : " Revenons-en aux seringues et aiguilles : j'attire à nouveau l'attention des responsables de région qui doivent, au sein des franchisés de leur secteur, montrer non seulement l'exemple mais de faire applique les décisions prises en Assemblée nationale et entérinées dans le cadre des réunions de région. Pour ce qui est de Becton Dickinson, nous avons donc pris une décision de boycott vis-à-vis de cette société " ; que cette circulaire précise qu'il n'est pas " tolérable " que des franchisés ne " jouent pas le jeu " ;
Considérant que la société Distri club médical prétend que sa décision commerciale était justifiée car elle ne pouvait pas accepter les conditions de vente proposées par la société Becton Dickinson dans la lettre du 6 janvier 1994 sans procéder à un boycott de la société Terumo ; qu'elle ajoute que, dans cette lettre, en menaçant de démarcher directement les franchisés, la société Becton Dickinson annonçait à mots couverts qu'elle pratiquerait des conditions discriminatoires ;
Mais considérant qu'il ne peut être valablement soutenu que la société Becton Dickinson exigeait des revendeurs DCM une exclusivité pour ses produits ou qu'elle allait pratiquer des conditions de vente discriminatoires ; qu'en effet, dans sa lettre du 6 janvier 1994, la société Becton Dickinson précise : " Nous vous confirmons notre volonté de maintenir les mêmes conditions qu'en 1993 pour les aiguilles, seringues 2 et 3 pièces (...). Toutefois, pour le cas où vous seriez prêts à donner à BD l'exclusivité de sa marque dans votre catalogue et à vous engager pour des quantités satisfaisantes pour l'année 1994 (...), nous pourrions réviser notre décision de participation aux frais d'élaboration de votre catalogue ainsi qu'à la modification de notre politique de prix " ; qu'ainsi, la société Becton Dickinson n'exigeait pas l'exclusivité de sa marque pour maintenir les relations commerciales ; que cette exclusivité ne concernait que le catalogue et non la vente des produits ; que, par ailleurs, aucun élément de courrier ne permet de considérer que la société Becton Dickinson allait pratiquer des conditions de vente discriminatoires ;
Considérant que la société Distri club médical soutient que la preuve d'une action concertée de boycott n'est pas apportée car les documents sur lesquels s'est appuyé le rapporteur ont été exclusivement et unilatéralement rédigés par le président de la société Distri club médical, M. Pomart, et qu'il s'agissait d'une décision unilatéralement des responsables de région des 11 et 12 janvier 1994 aucune décision collective n'a été prise par les franchisés, qu'en réalité cette commission de référencement n'a fait qu'une simple proposition au franchiseur, qui a unilatéralement pris la décision de déréférencement ; qu'elle ajoute que le procès-verbal de la réunion n'est pas signé par les participants ;
Mais considérant qu'il ne peut être valablement soutenu que la décision de boycott est unilatérale dès lors que, le 11 janvier 1994, le franchiseur et les franchisés DCM 06, DCM 26, DCM 40, DCM 41, DCM 48, DCM 50, DCM 62, DCM 85 et DCM 86 se sont réunis et que le procès-verbal de la réunion précise : " Aussi, à l'unanimité il a été décidé de répondre négativement au référencement 94 pour cette société tant pour l'hypodermique pour les gants ou autres. En conséquence, nous demandons à chacun d'entre vous de respecter la décision des responsables de région " ; que la circonstance que le procès-verbal de réunion rédigé par la société Distri club médical ne soit pas signé par l'ensemble des pratiquants est sans influence sur la qualification de la concertation résultant des décisions prises à l'unanimité au cours de cette réunion ; que, de plus, la lettre interne du 22 février rappelle que la décision a été entérinée dans le cadre des réunions de régions et indique : " Nous avons donc pris une position de boycott vis-à-vis de cette société " ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que la décision de boycotter la société Becton Dickinson est une décision concertée entre le franchiseur et plusieurs franchisés responsables de région ;
Considérant que la société Distri club médical fait encore valoir que les données sur l'évolution des ventes sont insuffisantes pour caractériser une " acceptation " des consignes de boycott par les franchisés, que tous les franchisés présents lors de la réunion des responsables de région ont réalisé par le franchisé DCM 50 résulterait de la signature d'un contrat d'exclusivité pour l'année 1994 entre ce revendeur et la société Terumo ; qu'elle ajoute que les baisses de chiffres d'affaires en produit Becton Dickinson des franchisés DCM 62, DCM 26, DCM 06 et DCM 41 peuvent s'expliquer par la baisse de la demande d'aiguilles et de seringues et que l'augmentation du chiffre d'affaires du franchisé DCM 85 s'explique par le fait que cette société a effectué " des livraisons croisées " de matériel Becton Dickinson à certains franchisés du réseau qui s'approvisionnaient directement auprès d'elle ;
Mais considérant qu'à la suite du déréférencement et du boycott de la société Becton Dickinson par certains franchisés, les ventes globales de ce fournisseur aux entreprise du réseau DCM sont passées de 2 494 368 francs en 1993 à 1 515 660 francs en 1994, soit une baisse de 39,2 % ; que quatre franchisés sur les neuf présents à la réunion du 11 janvier 1994 ont diminué de manière sensible leurs achats auprès de la société Becton Dickinson en 1994 ; qu'en effet, les achats en produits Becton Dickinson du franchisé DCM 50 (Bordin) sont passés de 607 533 francs à 38 480 francs, ceux de DCM 26 (Condamine) de 164 441 francs à 76 763 francs, ceux de DCM 62 (Médical Fournier) de 134 654 francs à 58 564 francs et ceux de DCM 06 (Médicomat) de 112 708 francs à 34 988 francs ; que, par ailleurs, certains franchisés qui n'étaient pas présents à la réunion du 11 janvier ont également diminué leurs achats en produits Becton Dickinson comme les franchisés DCM 62, DCM 37, DCM 74, DCM 51, DCM 69, DCM 60 et DCM 87 ; qu'enfin, les allégations de la société Distri club médical selon lesquelles les diminutions du montant des achats à la société Becton Dickinson s'appliqueraient par la signature d'un contrat d'exclusivité entre la société DCM 50 et la société Terumo en 1994 ainsi que par l'évolution de la demande ne sont pas suffisantes pour expliquer le comportement de certains franchisés qui ont diminué massivement leurs achats en produits Becton Dickinson ;
Considérant que la société Distri club médical affirme également qu'elle n'a jamais empêché les franchisé de se faire livrer directement par la société Dickinson ;
Considérant, en effet, qu'à l'exception du franchisé DCM 69 qui n'a acheté aucun produit à la société Becton Dickinson en 1994, tous les autres franchisés ont continué à s'approvisionner, au moins en partie, auprès de ce fournisseur ; que, par ailleurs, les achats de certains franchisés, dont trois franchisés présents à la réunion du 11 janvier, ont été stables ou ont augmenté en 1994 ; que, notamment, les achats en produits Becton Dickinson du franchisé DCM 85 (Médical Vendée) sont passés de 495 485 francs à 703 635 francs ; que, toutefois, la société Distri club médical a diffusé à quatre reprises à l'ensemble des franchisés des circulaires évoquant longuement le déférencement et le boycott de ce fournisseur ; que les termes employés dans ces documents étaient sans ambiguïté et de nature à dissuader les franchisés de maintenir des relations commerciales avec ce fournisseur ;
Considérant que la société Distri club médical fait valoir enfin que le groupement Direct club médical réalisait un chiffre d'affaires de 166 millions de francs et ne détenait en 1994 que 2,35 % du marché considéré ; qu'elle soutient que les pratiques dénoncées qui ont entraîné une baisse de chiffre d'affaires de la société Becton Dickinson avec le réseau DCM de 850 139 francs en 1994, n'ont affecté que 0,012 % du marché, n'ont pu avoir d'effet sensible sur le marché et ne peuvent donc être sanctionnées ;
Mais considérant que cette pratique du boycott, constitutive d'action concertée au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, est anticoncurrentielle par son objet ; que, compte tenu de sa gravité, il est peu important qu'elle n'ait eu qu'un impact limité sur le marché ; qu'au cas d'espèce les franchisés représentaient en 1994 près de 4 % du nombre des revendeurs spécialisées en matériel médical et, selon la société Distri club médical, détenaient 2,35 % de part de marché ;
Sur les sanctions :
Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : " Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos. Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le maximum est de dix millions de francs " ;
Considérant que,pour apprécier la gravité de faits reprochés, il y a lieu de prendre en compte le fait que, par nature, la mise en œuvre d'un boycott est une pratique concertée particulièrement grave ; que, toutefois, en l'espèce, les consignes de boycott de la société Becton Dickinson n'ont pas été respectées par tous les franchisés ; que le dommage causé à l'économie doit s'apprécier en tenant compte du fait qu'en 1993 les 43 franchisés représentaient moins de 4 % des 1 200 revendeurs spécialisés dans le matériel médical et, selon la société Distri club médical, 2,35 % de part des marché des aiguilles et seringues ; que le boycott de ce fournisseur a duré une année et qu'en 1995 la société Becton Dickinson a de nouveau été référencée par la société Distri club médical ;
Considérant que la société Distri club médical a réalisé en France au cours de l'exercice 1997, dernier exercice clos disponible, un chiffre d'affaires de 16 025 364 francs ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 50 000 francs,
Décide :
Art. 1er. - Il est établi que la société Distri club médical a enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Art. 2. - Il est infligé une sanction pécuniaire de 50 000 francs à la société Distri club médical.