CA Caen, 1re ch., 3 avril 1997, n° 9700338
CAEN
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Prodim Ouest (SNC)
Défendeur :
Bourdon (Époux), Francap Distribution (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bonne
Conseillers :
MM. Le Henaff, Sadot
Avoués :
SCP Duhaze-Mosquet-Mialon, SCP Grandsard-Delcourt
Avocats :
Mes Brouard, Trehet
La Cour est saisie de l'appel formé par la société en nom collectif Prodim Ouest (ci après SNC Prodim) à l'encontre de l'ordonnance rendue le 6 janvier 1997 par le Président du Tribunal de Commerce de Saint Lo.
Par contrat du 3 janvier 1994 les époux Bourdon ont conclu avec la SNC Prodim un contrat de franchise pour une durée de sept ans dans le cadre de l'exploitation d'un fonds de commerce à La Mauffe 50880 Pont Hebert. Ce contrat prévoyait l'utilisation de l'enseigne Shopi.
Courant 1996, les époux Bourdon ont abandonné l'enseigne Shopi et ont utilisé l'enseigne Coccinelle Marché qui appartient à la Société Francap Distribution (ci-après société Francap).
Par acte du 7 novembre 1996 la SNC Prodim a fait assigner les époux Bourdon et la société Francap pour ordonner le retrait dans la huitaine, sous astreinte 5 000 F par jour, de l'enseigne Coccinelle Marché ainsi que de toutes les marchandises dont les marques sont liées à celle-ci.
Par l'ordonnance entreprise le juge des référés a rejeté cette demande au motif que ni l'article 872 ni l'article 873 du Nouveau code de procédure civile ne lui donnait compétence pour statuer sur la demande de la SNC Prodim.
Appelante la SNC Prodim a présenté une requête aux fins d'assignation à jour fixe à laquelle il a été fait droit.
Elle demande à la Cour :
- de réformer l'ordonnance entreprise,
- de faire droit à sa demande,
- de condamner les époux Bourdon et la société Francap au paiement d'une indemnité de 8 000 F par application des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
- de dire que l'arrêt à intervenir sera opposable à la société Francap en sa qualité de titulaire de l'enseigne Coccinelle Marché.
Elle soutient essentiellement que les époux Bourdon ont accepté l'article 6 de la convention par laquelle ils s'obligeaient à ne pas utiliser pendant une période d'un an à compter de la résiliation du contrat une enseigne de renommée nationale ou régionale déposée ou non et à ne pas offrir en vente des marchandises dont les marques sont liées à ces enseignes dans un rayon de cinq kilomètres du magasin Shopi faisant l'objet de l'accord ; qu'elle est fondée à se prévaloir de cette clause de non-concurrence puisque le franchisé a utilisé dans une période de moins d'un an une enseigne de renommée nationale ou régionale sur les lieux mêmes ; que par application des dispositions de l'article 873 du Nouveau code de procédure civile le Président du Tribunal de Commerce peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires de remise en état qui s'imposent soit pour prévenir un danger imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Les époux Bourdon demandent principalement que la déclaration d'appel et l'assignation à jour fixe sont nulles puisqu'elles émanent d'un établissement n'ayant pas la capacité d'ester en justice ; subsidiairement au fond, de confirmer la décision entreprise et de condamner la SNC Prodim au paiement d'une somme de 10 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Ils soutiennent que la déclaration d'appel et l'assignation à jour fixe ont été faites au nom de Prodim Ouest qui n'est pas la dénomination sociale de la société Prodim partie à l'instance et que Prodim Ouest n'est qu'un établissement du groupe Promodes qui ne justifie pas disposer de la personnalité morale ; subsidiairement ils soutiennent que la clause enfreint une règle du droit communautaire, qu'elle n'est pas conforme au droit national en ce qu'elle ne correspond pas à la protection d'un intérêt légitime et ne présente pas un caractère strictement nécessaire ; que dès lors la SNC Prodim ne peut revendiquer l'application d'une clause nulle et que le trouble manifestement illicite est inexistant. En dernier lieu les époux Bourdon soutiennent que l'enseigne Coccinelle n'avait pas de renommée nationale ou régionale au moment où ils l'ont choisie.
La Société Francap a conclu qu'elle donnait adjonction aux conclusions déposées par les époux Bourdon tendant au prononcé de la nullité de l'appel et de l'assignation, subsidiairement elle demande à la Cour de constater qu'il ne lui est rien demandé et qu'elle ne peut être condamnée à enlever une enseigne apposée par les époux Bourdon sur leur propre magasin, de constater que dans ces conditions il n'est pas possible de la condamner au versement d'une indemnité au titre des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ou aux dépens. Elle présente une demande pour être indemnisée par l'appelante de ses frais irrépétibles.
I - SUR LA NULLITE DE L'ACTE D'APPEL :
Attendu que la déclaration d'appel a été établie au nom et pour le compte de Prodim Ouest (société en nom collectif) ayant son siège ZA Route de Paris 14120 Mondeville agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège ;
Attendu que les époux Bourdon prétendent que Prodim Ouest est en fait un établissement du groupe Promodes à Nantes et que l'appel a été interjeté au nom d'un établissement de la société Prodim et non au nom de la SNC Prodim présente en première instance ; que conformément aux dispositions de l'article 117 du Nouveau code de procédure civile une déclaration d'appel au nom d'une société qui n'existe pas constitue une irrégularité de fond ;
Attendu cependant que la déclaration d'appel comporte l'indication exacte de la forme sociale de la société qui a fait délivrer l'acte introductif d'instance ainsi que son adresse exacte ;
Que la simple adjonction du terme " Ouest " au terme " Prodim " constitue une simple erreur matérielle qui ne peut rendre l'appel irrecevable ;
II - SUR LA NULLITE DES ASSIGNATIONS A JOUR FIXE :
Attendu que la SNC Prodim a fait assigner les intimés par application des dispositions de l'article 920 du Nouveau code de procédure civile ;
Que les époux Bourdon et la société Francap soutiennent que ces assignations sont nulles puisqu'elles ont été délivrées à la requête de Prodim Ouest qui ne dispose pas de la capacité d'ester en justice ;
Mais attendu que l'adjonction du terme Ouest à Prodim constitue une simple erreur matérielle ; que la SNC Prodim a par ses conclusions du 6 mars 1997 apporté toutes les précisions utiles et qu'il est constant que l'assignation a en fait été délivrée à la requête de la personne morale appelante et qui était partie en première instance ;
III - SUR LA DEMANDE DE LA SNC PRODIM :
Attendu que le juge des référés est compétent pour connaître d'une demande tendant à ordonner, en raison d'un trouble manifestement illicite résultant de la violation d'une clause de non-concurrence, les mesures propres à le faire cesser ;
Attendu que les époux Bourdon prétendent que la demande de la SNC Prodim doit être rejetée dès lors que la clause sur laquelle le franchiseur se fonde est manifestement nulle et illicite au regard tant du droit communautaire que du droit positif national ;
Attendu en premier lieu que le règlement 4087/88 prévoit qu'une obligation de non-concurrence ne peut être imposée au franchisé après l'expiration du contrat que pour une durée raisonnable n'excédant pas un an et si cette obligation est nécessaire pour protéger certains droits du franchiseur ou pour maintenir l'identité commune et la réputation du réseau ;
Attendu que la clause litigieuse, en prévenant l'implantation d'une enseigne concurrente et la vente de produits liés à celle-ci pendant une durée d'une année, tend à maintenir l'identité du réseau et sa réputation pendant un délai qui n'excède pas celui prescrit par le règlement européen;
Attendu en second lieu que les intimés soutiennent que la clause ne tend pas à protéger un intérêt légitime strictement nécessaire ;
Attendu cependant que la clause litigieuse a pour objet d'interdire seulement l'usage d'une marque de renommée nationale ou régionale et la vente des produits liés; qu'elle n'interdit nullement la poursuite d'une activité commerciale identique sous une autre enseigne;
Que cette clause procure seulement au franchiseur un délai d'un an pendant lequel l'implantation par l'ancien franchisé d'une enseigne renommée concurrente ne sera pas possible de sorte qu'il pourra le cas échéant reconstituer son réseau localement; que cette disposition tend à protéger un intérêt légitime pendant un temps limité;
Attendu en dernier lieu que les intimés soutiennent que la clause est prohibée par application des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence ;
Mais attendu cependant que l'article 6 de la convention passée entre la SNC Prodim et les époux Bourdon n'a pas pour effet de limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises dans le secteur déterminé puisque les époux Bourdon se sont seulement obligés à ne pas utiliser une enseigne renommée directement ou par personne interposée et vendre des produits liés pendant un délai d'un an après la rupture du contrat de franchise;
Attendu en conséquence que la clause critiquée n'apparaît pas manifestement illicite ou nulle tant au regard du droit communautaire que du droit national;
Attendu que les époux Bourdon ont conclu subsidiairement que l'enseigne Coccinelle n'était ni de renommée régionale ni nationale au moment où elle a été choisie ;
Attendu qu'il résulte des pièces versées aux débats qu'en septembre 1996 il existait dans les trois départements bas normands 12 magasins portant l'enseigne " Coccinelle Service " (correspondant à une surface allant de 100 à 300 m²), et qu'en Octobre 1996 il existait dans ces trois départements dix magasins portant l'enseigne " Coccinelle Marché " (correspond à une surface allant de 300 à 700 m²) ;
Qu'il s'ensuit qu'à la période où les époux Bourdon ont fait choix de cette nouvelle enseigne celle-ci présentait manifestement un état de développement lui conférant une renommée régionale ;
Attendu en conséquence qu'il y a lieu d'infirmer l'ordonnance entreprise et de faire droit à la demande de la SNC Prodim à l'encontre des époux Bourdon ;
Attendu que la société Francap est partie à l'instance que l'arrêt lui est donc opposable ;
IV - SUR LES FRAIS :
Attendu qu'il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la société Francap les frais exposés non compris dans les dépens ;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la SNC Prodim les frais exposés non compris dans les dépens ;
Par ces motifs : Infirme l'ordonnance entreprise sauf en ce qu'elle a mis hors de cause la société Francap ; Ordonne aux époux Bourdon de retirer l'enseigne Coccinelle marché ainsi que les marchandises liées à celle-ci de leur magasin situé à La Meauffe 50880 Pont Hebert, dans un délai de huit jours à compter de la signification du présent arrêt, sous astreinte de 5 000 F par jour de retard à compter de l'expiration du délai précité et pendant un délai de deux mois ; Déboute la société Francap Distribution de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Condamne les époux Bourdon à payer à la SNC Prodim une somme de 5 000 F par application des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Condamne les époux Bourdon aux dépens et dit qu'il sera fait application des dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile au profit de la SCP Duhaze Mosquet & Mialon, et de la SCP Grandsard & Delcourt, avoués.