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Décisions

Cass. com., 12 octobre 1993, n° 91-16.988

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Concurrence (SA)

Défendeur :

JVC Vidéo France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Léonnet

Avocat général :

Mme Piniot

Avocats :

Mes Choucroy, Ricard, SCP Célice, Blancpain.

Cass. com. n° 91-16.988

12 octobre 1993

LA COUR : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 13 juin 1991) que la société Concurrence, spécialisée dans la vente des produits dits d'électronique de divertissement, a saisi en 1987 et 1988 le Conseil de la concurrence de pratiques qu'elle estimait discriminatoires à son égard émanant de la société JVC Vidéo France (société JVC) ; que le Conseil a décidé que les pratiques dénoncées sur le marché des magnétoscopes et des caméras vidéo entre le 1er décembre 1986 et le 30 juin 1988 n'étaient pas contraires aux dispositions des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° 91-16.988 pris en ses deux branches : - Attendu que la société Concurrence fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son recours, à l'exception d'une de ses demandes concernant une clause contractuelle de la société JVC déclarée anticoncurrentielle, alors selon le pourvoi, d'une part, que la cour d'appel qui, tout en constatant que la marque JVC était " de grande notoriété ", et avait une part prépondérante ou importante du marché des caméscopes ou magnétoscopes, n'a pas recherché si, compte tenu de la situation de ce marché et des intérêts propres d'un " discounter ", le recours à d'autres produits substituables, en ce qu'il interdisait au distributeur de présenter à sa clientèle un assortiment des produits des marques notoires incontournables en matière de matériel vidéo, et en ce qu'il laissait aux concurrents la possibilité de réaliser des marges élevées sur des marques protégées, n'entraînait pas pour lui de tels inconvénients qu'en serait gravement compromise sa capacité compétitive, n'a pas justifié sa décision, au regard de l'article 8-2 de la loi du 1er décembre 1986 ; et, alors d'autre part, que l'abus de dépendance économique peut consister notamment en condition de ventes discriminatoires ou anticoncurrentielles ; qu'en énonçant, au soutien de sa décision, que n'était pas établie la baisse significative de la vente des produits similaires toutes marques confondues, et qu'un refus d'approvisionnement n'était pas en cause, sans rechercher si l'état de dépendance économique dans lequel se trouvait la société Concurrence n'avait pas privé cette entreprise de la possibilité de refuser les conditions tarifaires anticoncurrentielles et discriminatoires imposées par le fournisseur, et la liberté d'adopter le système de vente concurrentielles qu'elle entendait promouvoir, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article 8-2 et 8 dernier alinéa de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu qu'après avoir énoncé à bon droit que si l'existence d'un état de dépendance économique s'apprécie en tenant compte de la notoriété de la marque du fournisseur, il convient également de tenir compte de l'importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d'affaires du revendeur ainsi que de l'impossibilité pour ce dernier d'obtenir d'autres fournisseurs des produits équivalents, la cour d'appel, par une décision motivée et souveraine, a relevé qu'aucun refus de vente n'avait jamais été opposé à la société Concurrence et qu'il existait d'autres produits substituables à la marque JVC, ce qui était établi par l'examen du chiffre d'affaires de la société ne faisant pas apparaître une baisse significative de la vente des produits similaires; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer de recherches complémentaires, a légalement justifié sa décision; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi n° 91-16.988 : - Attendu que la société Concurrence fait encore grief à l'arrêt d'avoir décidé que l'octroi de remises conditionnelles différées n'était pas contraire aux dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986, alors selon le pourvoi, qu'est prohibée la clause qui interdit au distributeur, sous peine de se voir éventuellement reprocher ensuite une vente à perte, de tenir compte pour le calcul de ses prix d'une remise conditionnelle différée, une telle pratique ayant pour effet de maintenir un niveau artificiellement élevé des prix de vente au détail et de rendre impossible la revente avec marge bénéficiaire réduite ; que, comme l'avait montré la société Concurrence, la société JVC pratiquait des remises conditionnelles différées importantes, tant qualitatives que quantitatives, à la fin de semestre ou à fin d'année et n'autorisait les distributeurs à répercuter des remises sur le prix de revente que lorsque l'objectif était atteint ; qu'elle avait précisé que le franchissement des seuils constituait des événements aléatoires, qui dépendaient non seulement des achats du distributeur mais aussi de l'existence des stocks du fournisseur, et futurs, interdisant de répercuter immédiatement les remises sur le prix de vente de produits de la marque ; qu'en jugeant que ces remises conditionnelles ne faussaient pas le jeu de la concurrence, alors que, selon ses propres motifs, le principe et le montant des remises n'étaient acquis qu'après franchissement des seuils, ce qui soumettait la répercussion de ces remises à des événements aléatoires et futurs, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision, au regard de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu, ainsi que la cour d'appel l'a exactement énoncé, que l'octroi de ristournes ou de remises différées n'est pas restrictif de concurrence lorsque le principe et le montant de ces avantages en sont acquis de manière certaine dès le franchissement des seuils quantitatifs qui en déterminent l'attribution, et lorsque tous les distributeurs peuvent sans aléas, ni restrictions, en répercuter le montant sur leurs prix de ventes ; qu'ayant vérifié que les clauses des contrats de distribution proposées aux commerçants par la société JVC comportaient ces données objectives, la cour d'appel a pu estimer que ces accords de distribution n'étaient pas contraires aux dispositions du texte précité ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen du pourvoi n° 91-16.988 pris en ses deux branches : -Attendu que la société Concurrence fait également grief à l'arrêt d'avoir rejeté le recours de la société JVC alors que, selon le pourvoi, d'une part, il résulte des propres motifs de la cour d'appel que le Conseil de la concurrence s'était borné à examiner et à apprécier les pratiques suivantes : discrimination dans l'application des remises et primes de coopération, retard dans la communication des propositions d'accords de coopération, refus de vente, retards et discriminations dans les livraisons, ententes sur les prix et pratiques des prix imposés et fixation arbitraire des encours de crédits ; qu'il résulte également des motifs de l'arrêt que la société Concurrence avait également dénoncé les pratiques suivantes ; pratique de remises dont la structure et l'importance limitaient l'accès au marché de certaines formes de distribution, et fixation des seuils quantitatifs limitant l'accès au marché des commerçants indépendants ; qu'ainsi c'est au mépris de ses propres constatations que la cour d'appel a énoncé que le Conseil de la concurrence s'était prononcé sur l'intégralité des pratiques dont la société Concurrence avait saisi le Conseil de la concurrence ; alors, d'autre part, la procédure suivie devant le Conseil de la concurrence doit être pleinement contradictoire ; qu'en application de ce principe la cour d'appel doit renvoyer à l'examen du rapporteur et à la discussion contradictoire des parties devant le Conseil de la concurrence les griefs non retenus dans le rapport et la décision de l'autorité administrative, si bien que, en évoquant les griefs non retenus par le rapport et non traités par le Conseil de la concurrence, la cour d'appel a méconnu le principe de la contradiction et violé l'article 18 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'entrer dans le détail de l'argumentation de la société Concurrence et qui n'a pas méconnu le principe de la contradiction, après avoir constaté que le conseil avait examiné l'application du système des remises résultant des conditions générales de vente et des accords de coopération appliqués par la société JVC, a pu estimer que le conseil s'était prononcé sur l'intégralité des pratiques dénoncées par la société ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le quatrième moyen du pourvoi n° 91-16.988 pris en ses trois branches : - Attendu enfin que la société Concurrence fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son recours, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'il appartient à l'initiateur de mesures discriminatoires de prouver que celles-ci sont appliquées en conformité avec le droit de la concurrence et en particulier de prouver que les remises accordées ont des contreparties réelles pour celui qui les octroie et ne faussent pas le jeu de la concurrence à l'égard des distributeurs qui n'en bénéficient pas si bien que la cour d'appel, en fondant sa décision sur l'absence de preuve de l'effet anticoncurrentiel des remises, a renversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du code civil ; alors, d'autre part, que la société Concurrence avait établi que, par le jeu des remises qualitatives, certaines formes de vente, comme la vente à emporter, se trouvaient pénalisées d'un déficit de remise de 35 p. 100, ce qui les mettait hors marché ; qu'en se bornant à affirmer que l'octroi de telles remises n'avait pas pour objet ou pour effet de limiter l'accès du marché à certaines formes de vente, sans justifier sa décision, et sans opposer aucune réfutation aux éléments chiffrés invoqués par la société Concurrence, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, enfin, que la société Concurrence s'était prévalue des constatations mêmes du rapporteur, relevant que pour un produit de vente courant, l'entreprise Darty, par le jeu de remises quantitatives, bénéficiait d'un prix de 30 p. 100 inférieur à la société Concurrence, et, par le jeu cumulé des remises qualitatives et quantitatives, d'un prix de 48 p. 100 inférieur à celui d'un distributeur indépendant ; qu'en se bornant à affirmer qu'il n'était pas établi que les remises et primes aient été accordées selon des seuils ayant pour effet d'éliminer les distributeurs indépendants, sans justifier sa décision, et sans opposer aucune réfutation aux constatations du rapporteur et aux conclusions de la société Concurrence, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision, au regard de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu que la preuve de pratiques anticoncurrentielles entrant dans le champ d'application des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ayant pour effet d'empêcher de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, incombe à celui qui s'en prétend victime, ou aux autorités administratives dans le cadre des enquêtes qui sont diligentées en application de l'article 47 de l'ordonnance ; que la cour d'appel qui a contrôlé l'ensemble des éléments de preuve qui avaient été préalablement examinés par le conseil a pu décider que les griefs allégués par la société Concurrence concernant les effets prétendument discriminatoires des primes et remises accordées de façon objective par la société JVC à ses différents distributeurs n'étaient pas établis et a ainsi légalement justifié sa décision, que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Mais sur le moyen unique du pourvoi 91-17.090 : - Vu l'article 7-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence ;

Attendu que, pour accueillir la demande de la société Concurrence concernant l'illicéité des remises et ristournes accordées aux groupements de distributeurs ayant adopté une même enseigne, la cour d'appel a retenu que le fait de soumettre l'ensemble des primes et remises quantitatives, auxquelles donnent lieu les commandes groupées, à la condition qualitative que constituerait l'unicité d'enseigne, conduit à instaurer entre les distributeurs qui regroupent leurs commandes sans satisfaire à cette exigence et ceux qui sont réunis sous une enseigne commune, une discrimination que ne justifie pas la nature spécifique des avantages allégués de l'enseigne ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher comme elle y était invitée par la société JVC dans ses écritures si l'agrégation des chiffres d'affaire permise aux distributeurs liés entre eux sous une enseigne commune pour le calcul de remises quantitatives n'avait pas pour but de n'accorder un tel avantage qu'à des groupements de points de vente collectivement identifiés dans l'esprit des consommateurs et dont la politique commune de distribution était effective, tout en laissant ces distributeurs libres de fixer individuellement leurs prix de vente et, sans vérifier si une telle politique commerciale ne permettait pas de déterminer un ensemble de services spécifiques, matériels et immatériels, valorisant le réseau de distribution de la société JVC et, par répercussion, l'image de marque de ses produits qu'elle pouvait dès lors rémunérer par des avantages tarifaires non discriminatoires, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Par ces motifs: casse et annule mais seulement en ce qu'il a estimé que les clauses insérées dans les conditions générales de vente de la société JVC et dans les accords de coopération conclus par celle-ci du 1er janvier 1988 au 1er juillet 1988, subordonnant l'octroi de la totalité des remises et des primes aux revendeurs procédant à des commandes groupées à la condition d'une enseigne commune avait pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché considéré, l'arrêt rendu le 13 juin 1991, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.