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Décisions

Conseil Conc., 7 décembre 1993, n° 93-D-56

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Secteur des consoles et des logiciels de jeux vidéo électroniques

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport de M. François Vaissette par M. Barbeau, président, MM. Blaise, Gicquel, Pichon, Urbain, membres.

Conseil Conc. n° 93-D-56

7 décembre 1993

Le Conseil de la concurrence (section II),

Vu la lettre enregistrée le 30 septembre 1991 sous le numéro F. 460, par laquelle le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le secteur des consoles et des logiciels de jeux vidéo électroniques ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié pris pour son application ; Vu la décision n° 92-DSA-25 du 18 décembre 1992 du président du Conseil de la concurrence, prise en application de l'article 23 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 susvisée ; Vu la décision n° 93-DSA-04 du 6 décembre 1993 du président du Conseil de la concurrence, prise en application de l'article 23 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 susvisée ; Vu les observations présentées par la société Bandaï France, la société Carrefour France et le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Bandaï France et Carrefour France entendus ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et sur les motifs (II) ci-après exposés :

I. - CONSTATATIONS

Au cours de l'année 1990, le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, lançait une enquête portant sur le secteur des jeux vidéo électroniques ayant pour objet l'analyse de la politique commerciale des principaux importateurs.

Le 30 septembre 1991, le Conseil de la concurrence était saisi, par le même ministre, des pratiques mises en œuvre par la société Bandaï, distinctes de celles des autres importateurs.

A. Les marchés

1. Le produit

Le jeu vidéo électronique comprend des consoles de jeux adaptables aux téléviseurs, équipes de prise péritel et des logiciels de jeux correspondants. Consoles et logiciels sont propres à chaque fabricant. Les logiciels sont adaptés pour chaque type de console et les différents jeux sont généralement disponibles dans chaque catégorie de consoles. Ce produit comprend également les consoles de jeux portables avec écran incorporé à cristaux liquides dotés de logiciels substituables au sein de la même marque, de type " game boy " (Nintendo) ou " lynx " (Atari).

Destiné aux ménages, il se distingue des jeux électroniques à usage collectif, généralement installés dans les salles de jeux et les débits de boisson. Il est aussi différent des logiciels de jeux adaptables sur micro-ordinateur qui nécessitent la possession de ce type de matériel.

2. Les marchés

Il convient de distinguer deux marchés :

- celui des consoles, qui présente une offre et une demande spécifiques et sur lequel les différentes marques offrent des produits parfaitement substituables ;

- celui des logiciels, dont les produits sont commercialisés indépendamment des consoles et qui font l'objet d'une demande et d'une distribution distinctes de celles des consoles.

Le chiffre d'affaires du secteur des jeux vidéo électroniques se partage de façon à peu près égale entre consoles et logiciels. En quantité, les consoles représentent un tiers des ventes et les logiciels les deux tiers restants.

Selon les chiffres communiqués par les importateurs, le chiffre d'affaires représenté par les consoles et logiciels de jeux vidéo électroniques était estimé à 350 millions de francs pour l'année 1989, à 1 milliard de francs pour l'année 1990 et à 2,450 milliards de francs pour l'année 1991.

Deux importateurs, Bandaï France SA (Bandaï) pour les produits de marque Nintendo et Virgin SA pour les produits de marque Sega, assurent 90 p. 100 des ventes en France des consoles et des logiciels de jeux vidéo.

La distribution des produits est réalisée à hauteur de 50 p. 100 par les magasins de grande surface (hyper et supermarchés), l'autre moitié étant répartie de façon à peu près égale entre les autres formes de distribution, à savoir multi spécialistes (Darty, Fnac, Nasa, etc.), grands magasins (Nouvelles Galeries, BHV, Galeries Lafayette, etc.), revendeurs indépendants de jouets (Cédij), détaillants en TV hi-fi vidéo et vente par correspondance (La Redoute, Les Trois Suisses, etc.).

3. La situation de la société Bandaï

En 1989, Bandaï assurait sur le marché français, avec les produits Nintendo, 66 p. 100 des ventes de consoles (annexe XI, scellé 3, cote 65 du dossier). En 1990, cette part s'est élevée à 77,8 p. 100 (annexe XI, scellé 3, cote 82 du dossier). Entre février 1991 et janvier 1992, elle représentait 66 p. 100 en valeur et 64,9 p. 100 en volume (source panel Nielsen, scellé 3, cotes 930 à 935 du dossier).

En ce qui concerne les logiciels, Bandaï a réalisé 70,6 p. 100 (annexe Xl, scellé 3, cote 72 du dossier) et 74 p. 100 des ventes (annexe XI, scellé 3, cote 85 du dossier) respectivement en 1989 et 1990. Entre février 1991 et janvier 1992, la part détenue par Bandaï a été de 65,7 p. 100 en volume et de 68,7 p. 100 en valeur (source panel Nielsen, scellé 3, cotes 930 à 935, du dossier).

Ces évaluations ont été confirmées par les propres indications des principaux distributeurs de jeux vidéo électroniques devant le rapporteur chargé de l'instruction de cette affaire. La part de chiffre d'affaires jeux vidéo électroniques réalisée avec des produits Bandaï est dans tous les cas très importante, quelle que soit la forme de distribution ; par exemple, pour la société Cédij (revendeur indépendant) : 60 p. 100 en 1991 (annexe XXIII, cote 915 du dossier) ; pour la société BHV (grand magasin) : 66 p. 100 (annexe XXIII, cote 903 du dossier) ; pour la société Distri-Sarmon (détaillant) : 65 à 70 p. 100 (annexe XXIII, cote 900 du dossier) ; pour la société La Redoute (vente par correspondance) : 60 p. 100 (annexe XXIII, cote 871 du dossier) ; pour la société Fnac (multispécialiste) : aux alentours de 60 p. 100 (annexe XXIII, cote 878 du dossier) ; pour la société Darty (multispécialiste) : entre 90 p. 100 et 95 p. 100 (annexe XXIII, cote 866 du dossier) ; pour la société Carrefour (magasin de grande surface) : entre 50 et 70 p. 100 (annexe XXIII, cote 855 du dossier).

L'activité de Bandaï consiste principalement en l'importation et la distribution de matériels de jeux japonais de marque Nintendo par l'intermédiaire d'une société américaine Nintendo Entertainment System International Inc (NES).

La commercialisation par Bandaï des matériels de marque Nintendo résulte d'un accord de distribution (annexe I, cotes 42 à 65, du dossier) conclu le 17 mars 1987 entre NES et la société Audio Sound Distribution (ASD). Cet accord a été rétrocédé, par ASD, à Bandaï, par acte de cession du 17 janvier 1988.

Par cet accord, Bandaï était, entre le 17 janvier 1988 et le 31 décembre 1992, le distributeur exclusif (droit d'acheter, importer, distribuer et vendre) des produits de marque Nintendo en France, à l'exclusion de la Corse et de l'outre-mer et s'engageait à ne pas commercialiser de produits concurrents sans l'accord de NES.

En vertu d'un accord du 27 février 1993 conclu avec Nintendo Co Ltd, société de droit japonais, et NES, les droits de distribution des produits Nintendo n'ont pas été renouvelés et les actifs relatifs à l'activité de distribution des produits Nintendo, précédemment exercée par Bandaï, ont été cédés par Bandaï à une société Nintendo France. Depuis le 31 décembre 1992, Bandaï n'est donc plus le distributeur des produits Nintendo en France.

Les produits Nintendo disposent d'une notoriété forte tant auprès des professionnels que de la clientèle. Par exemple, Mme L., chef de produit à la Sapac Prisunic, a pu déclarer devant le rapporteur du Conseil de la concurrence "avec sa force publicitaire et sa notoriété, les distributeurs sont pieds et poings liés vis-à-vis d'un fournisseur qui, en réalité, prévend ses articles "(annexe XXIII, cote 871, du dossier). M. L., responsable des achats télé-vidéo à Carrefour France, a souligné, pour sa part, la dépendance des distributeurs à l'égard de la clientèle et de Bandaï dans les termes suivants : "On pouvait difficilement se passer de Nintendo, qui représentait 65 p. 100 du chiffre d'affaires et en raison de la demande forte des clients " (annexe XXIII, cote 855, du dossier). Par ailleurs, la société Micromania, spécialisée dans la distribution de jeux vidéo électroniques et de micro-informatique, a commercialisé au cours de l'été 1990 plus de 70 " Game boy" par jour. L'expression utilisée par un de ses employés pour caractériser le comportement de la clientèle a été la suivante " C'est de la folie pour ce produit" (scellé 1, cote 81, du dossier).

Bandaï a joué un rôle pilote en matière de prix et de conditions de vente entre 1989 et 1991. Ainsi, le directeur général de la société Cédij, M. T., a indiqué que " face à des fabricants comme Nintendo, nous sommes amenés à accepter les conditions qu'il nous offre sans marge de négociation "(annexe XXIII, cote 916 du dossier). Mme. L., au titre de la Sapac-Prisunic, a ajouté : " Le problème avec ce type de produit, c'est que nous vendons les consoles au prix d'achat auquel nous ajoutons la TVA En réalité, notre seul profit ce sont les remises de fin d'année accordées par Bandaï. Par ailleurs, la demande est telle que si je n'ai pas ces produits, je perds des clients "(annexe XXIII, cote 872 du dossier). M. A., directeur des produits bruns image et son de la société Darty et fils a résumé la situation en ces termes : "On a plus subi les conditions du marché mais aussi celles de Bandaï puisqu'il faisait le marché par son importance en termes de chiffre d'affaires" (annexe XXIII, cote 866, du dossier).

B. Les pratiques observées

1. Des conditions de vente différenciées

L'instruction a permis de mettre en évidence que Bandaï pratiquait des conditions de vente différenciées, tant en matière de remises sur facture que de remises différées, sans contreparties réelles.

En ce qui concerne les remises sur factures, les remises accordées aux distributeurs au cours de l'année 1989 par Bandaï étaient généralement de 12 p. 100 sur les consoles et 5 p. 100 sur les logiciels. Mais, cette année-là, certaines enseignes comme La Redoute, Les Trois Suisses et Sapac-Prisunic n'ont pas bénéficié de remises sur facture. En 1990, seuls La Redoute et Les Trois Suisses (avec 15 à 19 p. 100 pour les consoles et 3 à 8 p. 100 pour les logiciels) ont obtenu des remises.

S'agissant des remises différées, il est ressorti de l'enquête que Bandaï accordait des remises aux distributeurs dans des proportions très variables. Par exemple, en 1989, pour la Fnac et le BHV, 12 p. 100 sur les consoles ; pour Darty, 15 p. 100 sur les consoles et 5 p. 100 sur les logiciels ; pour Carrefour France, 9 p. 100 sur les consoles et 2 p. 100 sur les logiciels ; pour Casino, 7 p. 100 et, pour Euromarché, aucune remise. En 1990, les différences de remises étaient sensibles selon les formes de distribution : ainsi, les conditions offertes aux détaillants et aux multi spécialistes, avec une remise de fin d'année assise sur des critères qualitatifs et égale à 9 p. 100 sur les consoles et à 5 p. 100 sur les logiciels, ont été les plus fréquemment appliquées. Mais, pour les grands magasins, Bandaï accordait respectivement 9 p. 100 et 3 p. 100. Pour les grandes surfaces, Bandaï a consenti sur les consoles des remises quantitatives de 0 à 9 p. 100 et, sur les logiciels, aucune remise. En matière de vente par correspondance, Bandaï a octroyé pour les consoles des remises qualitatives de 15 p. 100 et pour les logiciels des remises de 3 p. 100.

En 1991, les conditions de remise différées sont apparues un peu différentes selon les distributeurs pour les magasins Fnac, Leclerc, Cédij et Carrefour, 9 p. 100 sur l'ensemble du chiffre d'affaires ; pour le BHV, 9 p. 100 sur les consoles et 12 p. 100 sur les cartouches ; pour Distri-Sarmon, 8 p. 100, 9 p. 100 ou 10 p. 100 en fonction du chiffre d'affaires réalisé ; pour Darty, 13 p. 100 sur les consoles et 15 p. 100 sur les logiciels ; pour Sapac-Prisunic, 9 p. 100 sur les consoles et 3 p. 100 sur les logiciels. Il est ressorti du dossier qu'en 1989, 1990 et 1991, parallèlement à l'utilisation dans ses contrats de critères flous comme la notion de remise qualitative, Bandaï octroyait à ses distributeurs des conditions différentes qui n'étaient pas justifiées par de réelles contreparties.

2. Des prix imposés

Bandaï a diffusé des prix conseillés à des distributeurs en mettant en place un système de police des prix appliqué de façon stricte.

Selon ses responsables, Bandaï n'a jamais diffusé de prix publics conseillés et ses tarifs (annexe I, cote 3 du dossier) ne comportaient que des prix nets de facturation hors taxes. Cependant, différents documents figurant au dossier prouvent que Bandaï imposait à ses distributeurs des prix de vente au public des produits Nintendo.

Des notes internes datées du 1er mars 1990 et du 26 avril 1990, retrouvées chez Bandaï (annexe X, scellé I, cotes 19, 20 et 74 du dossier) montrent clairement que dans l'esprit des dirigeants de Bandaï les prix publics devaient être respectés.

Par exemple, dans une note interne du 26 avril 1990, il était indiqué "Toys'R US Bordeaux : dans ce magasin les prix conseillés concernant nos cassettes sont respectés ".

"Carrefour Mérignac : prix TTC respecté ".

Deux correspondances, en outre, de Bandaï adressées l'une à la Sapac-Prisunic (annexe X, scellé 1, cote 11 du dossier) et l'autre au BHV (annexe X, scellé 1, cotes 25 à 27 du dossier) prouvent qu'elle informait ses clients de la liste des prix publics minimum constatés et couramment pratiqués ainsi que des correspondances usuelles entre prix facturés et prix constatés.

Par ailleurs, un grand nombre de télex recueillis avec les documents saisis par les enquêteurs comportent la mention de prix publics ou de prix publics constatés pour des produits qui n'ont pas encore été commercialisés (annexe X, scellé 1, cotes 36, 37, 40, 42 49 et 60 du dossier).

Figurent ainsi au dossier les copies, saisies dans les locaux de Bandaï, de 19 télex adressés entre le 18 septembre 1989 et le 21 août 1990 aux différentes enseignes de la distribution spécifiant, à l'occasion de la sortie d'un produit nouvellement commercialisé, le prix public de vente de ce produit (annexe X, cotes 452 et 453 du dossier).

A titre d'illustration, le télex du 23 août 1990 de Bandaï à Darty (annexe X, scellé I, cote 49 du dossier) se présentait de la manière suivante

" Nouveautés Nintendo

EMPLACEMENT TABLEAU

" Les correspondances usuelles entre les prix facturés et les prix publics minimums constatés et couramment pratiqués sont les suivantes :

"220,00 = 360 F prix public ;

" 239,00 = 390 F prix public ;

"260,00 = 430 F prix public ;

" Salutations. "

Le système de facturation mis en place par Bandaï, tel qu'il ressort des différentes correspondances, prenait comme référence les prix publics de vente pour en déduire les prix nets de facturation HT et cela tant pour les consoles que pour les logiciels.

L'instruction a mis en lumière le fait que le prix conseillé par Bandaï était le même pour tous les distributeurs.

Lorsque les prix n'étaient pas respectés, Bandaï mettait en œuvre une police des prix de vente publics par des contrôles et des mesures auprès des revendeurs.

Ainsi, en ce qui concerne l'enseigne Leclerc, une note de M. B., responsable commercial de Bandaï, à sa force de vente, en date du 2 janvier 1990, décrivait la politique commerciale mise en place par son entreprise pour maîtriser ses prix de vente dans les centres Leclerc dans les termes suivants : " Au cours de ses visites, le représentant définira avec le responsable du magasin l'emplacement et la présentation des produits ainsi que les prix de vente aux consommateurs " (annexe X, scellé 1, cote 67 du dossier). Une autre note en date du 15 mars 1990 de M. S., également responsable commercial de Bandaï, à sa force de vente, a confirmé cette attitude à l'égard de Leclerc : " Nous allons participer au Salon du jouet organisé par le Galec suite à votre référencement très récent. Ce salon aura lieu du 19 au 21 mars à Villepinte. Dans un premier temps, nous ne proposerons que les consoles, et ce d'autant que la console de base sera présentée sur le catalogue de fin d'année. Nous vous laisserons le soin, par la suite, de proposer les logiciels en petites quantités, de façon à pouvoir réagir au coup par coup, si le problème du respect du prix constaté devenait trop important. Nous vous communiquerons ultérieurement toutes précisions utiles sur la façon d'opérer " (annexe X, scellé 1, cote 16 du dossier).

Par ailleurs, une fiche (annexe X, scellé 1, cotes 68, 69 et 70) adressée par Bandaï au Galec contenait les éléments suivants :

" PV public - console de prix de base + TVA

" Logiciel prix de base coefficient 1,63.

" Attention au retrait des marchandises par le fournisseur.

" Calcul de prix pratiqué actuellement par l'ensemble de la grande distribution ".

S'agissant de Sapac-Prisunic, un télex de Bandaï (annexe X, scellé 1, cote du dossier) en date du 2 novembre 1990, adressé à Mme L. et à M. B., respectivement chef de produits et acheteur de la Sapac-Prisunic et signé de Mme Q., secrétaire de M. L., directeur commercial de Bandaï, contenait les termes suivants : " Objet : prix de vente des logiciels - Merci de faire le nécessaire. "Mme L., dans son procès-verbal d'audition, devant le rapporteur du Conseil de la concurrence du 11 janvier 1991 (annexe XIV, cotes 490 et 491 du dossier) a expliqué les raisons de ce télex : " En septembre 1990, Bandaï France nous a adressé un listing de prix d'achat et de prix de vente conseillés. Un contrôle effectué par le fournisseur dans plusieurs magasins Prisunic (Boulogne, Lille, Clermont-Ferrand) a transformé l'aspect conseillé des prix de vente en prix de vente impératifs, d'où le télex de Bandaï France du 2 novembre 1990".

En ce qui concerne le Cédij, il a été saisi par les enquêteurs une lettre de M. B., responsable commercial de Bandaï, en date du 23 avril 1990 (annexe X, scellé 1, cotes 34 et 35 du dossier) concernant l'édition de son catalogue qui contenait les éléments suivants : " Nous souhaiterions vivement que lors de la mise en page vous puissiez inclure le logo Nintendo et la phrase suivante : logiciels pour console Nintendo (prix de la console : à partir de 690 F)".

Il est apparu ainsi que le prix de 690 F correspondait au tarif public conseillé de la console de base et que cette lettre illustrait l'action de Bandaï pour imposer le prix de la console de base dans le catalogue Cédij.

Ce système mis en place par Bandaï s'est traduit en pratique par l'imposition de prix de vente aux distributeurs. Ainsi, la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de Savoie a établi le 11 décembre 1989 une fiche de renseignements (annexe XVI, cotes 545 à 548 du dossier), sur les prix pratiqués par six distributeurs de matériel Nintendo. Sur la pièce I (annexe XVI, cote 548 du dossier), jointe à la fiche de renseignements, figure un tableau récapitulatif avec les prix conseillés par Bandaï et les prix de vente relevés en 1989. Sur 133 prix, il est apparu que 67 prix (50 p. 100 du relevé) étaient égaux aux prix conseillés à 1 franc près, 37 prix (28 p. 100 du relevé) étaient au-dessus avec un faible écart (2 à 5 francs).

3. Des menaces de refus de vente

Bandaï a menacé de ne plus réapprovisionner les magasins qui ne se conformaient pas à sa politique commerciale. M. B., responsable des achats de jouets du groupement d'achats des centres Leclerc (Galec) a, par procès-verbal d'audition du 7 janvier 1991 (annexe XIV, cotes 486 et 487 du dossier), fait la déclaration suivante : " Pour mon hypermarché de Mont-de-Marsan (40), en décembre 1990, je pratiquais, sur des logiciels, un coefficient inférieur à celui de 1,63 ; très rapidement, le représentant local de Nintendo s'est présenté au magasin et nous a signifié fermement qu'il nous fallait remonter nos prix des logiciels, faute de quoi nous ne serions plus réapprovisionnés ... J'ai su que la même attitude de la part de Bandaï a été constatée dans notre point de vente Leclerc de Bollène dans le Vaucluse ". Pour sa part, M. L., de Carrefour, a indiqué à propos de moyens de pression ou de menaces de la part de Bandaï : " Il y avait des sous-entendus c'est-à-dire des sortes de menaces de ne pas livrer à temps, de ne pas distribuer des nouveautés ou encore de "bloquer le compte", c'est-à-dire cesser les livraisons. Toutefois, ces menaces n'ont pas reçu d'application " (annexe XXIII, cote 858 du dossier).

4. Une discipline de marché

L'instruction a également révélé que Bandaï exerçait un contrôle général sur l'offre de consoles et de logiciels en France et intervenait sur la demande. En s'appuyant sur le contrat d'exclusivité pour la France des produits Nintendo, Bandaï a mis en place une action visant à limiter l'offre présente sur le marché français à ses seules importations.

A cette fin, Bandaï a demandé à sa force de vente de menacer de suspendre la livraison des revendeurs qui s'approvisionneraient en logiciels sur le marché parallèle, c'est-à-dire les produits importés sans respecter l'exclusivité Bandaï. Une note du 21 juin 1990 de M. S., responsable commercial de Bandaï, à la force de vente Nintendo, comportait une menace dans les termes suivants : " Les logiciels adaptables et proposés par DPMF Diffusion commencent à faire leur apparition. Vous vous devez d'être vigilants et de ne tolérer, en aucune façon, leur présence dans ou sur nos meubles. Faites en sorte qu'ils soient nettement séparés des produits Nintendo, et laissez planer la possibilité de ne plus approvisionner en nos produits, les magasins qui jouent le double jeu " (annexe X, scellé 1, cotes 76 et 77 du dossier). Cette " action disciplinaire " a été confirmée par une lettre, dont une copie figure au dossier, du 12 novembre 1990 de M. P., président-directeur général de Bandaï, adressée au magasin Joué Club de Bordeaux qui précisait la stratégie mise en place par Bandaï pour s'opposer à des importations parallèles : " Le contrôle de la distribution. Nous estimons contrôler environ 90 p. 100 de la distribution des produits Nintendo en France (grandes surfaces, grands magasins, détaillants sélectionnés). Aucun de ces points de vente ne distribuera de produits parallèles importés parce que nous avons demandé à nos clients de choisir entre être fournis pour la distribution des produits Nintendo par Bandaï ou par des circuits parallèles ; mais qu'ils ne pourraient pas être fournis par les deux ... " (annexe X, scellé 1, cotes 1 et 2 du dossier).

Par ailleurs, il a été relevé qu'il était arrivé à Bandaï de manipuler la demande de façon artificielle. Dans son audition du 22 juin 1992, M. A., responsable des achats micro-informatiques et bureautiques à la Fnac, a rapporté qu'en novembre et décembre 1991 Bandaï a mené une sorte de stratégie de la pénurie sur le logiciel Super Mario III ; il s'agissait de faire en sorte que la clientèle soit particulièrement attirée par un produit déterminé tout en sachant qu'on ne pourrait satisfaire la demande, de façon à ce que la clientèle se reporte sur d'autres produits de la gamme Bandaï.

Ainsi, au cours des années 1989, 1990, 1991, Bandaï a imposé une discipline sur les marchés des consoles et des logiciels de jeux vidéo électroniques. caractérisée par une limitation des importations de Bandaï aux meilleurs logiciels (42 titres sur 200), la non-livraison des points de vente approvisionnés par des circuits parallèles et le contrôle des prix de vente.

5. Des pratiques de concertation

En raison de l'impossibilité pour les magasins de l'ouest de la France à l'enseigne Carrefour d'aligner leurs prix sur la concurrence sous peine de revendre à perte, le responsable des produits télé-vidéo de Carrefour, M. L., a reconnu avoir appelé Bandaï pour lui demander d'intervenir auprès des magasins Leclerc et Auchan (annexe XXIII, cote 857 du dossier). Le 9 janvier 1990, un télex émanant de Bandaï à l'intention de M. L. de Carrefour mentionnait : " Suite à litige de prix avec les magasins Leclerc et Auchan de la région nantaise, nous vous informons que les magasins Leclerc et Auchan ont réajusté leurs prix Nintendo suite au passage de notre représentant de ce jour ".

II. SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL

Sur la procédure :

Considérant que la société Bandaï soutient, dans son mémoire en réponse au rapport notifié le 3 septembre 1993, que la procédure engagée à son encontre révèle un détournement de procédure qui lui permet d'en solliciter l'annulation au motif que les documents figurant en annexes X et XI du rapport administratif ont été saisis le 29 novembre 1993 dans les locaux de Bandaï à Saint-Ouen-l'Aumône sur le fondement de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, alors que la notification de griefs et le rapport se fondent sur une violation de l'article 8 de l'ordonnance précitée.

Considérant que Bandaï a demandé au président du tribunal de grande instance de Pontoise, par requête en date du 1er décembre 1993, de prononcer la nullité des saisies effectuées et des procès-verbaux dressés en vertu de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 sur autorisation par ordonnance du Président du même tribunal, en date du 27 novembre 1990 ; que le magistrat délégué par celui-ci a fixé une audience contradictoire au 15 décembre 1993 pour examiner cette demande ; qu'en conséquence, Bandaï a sollicité, par lettre du 1er décembre 1993, le renvoi de la séance du Conseil de la concurrence fixée au 7 décembre 1993 ou un sursis à statuer ;

Considérant qu'aux termes de l'article 11 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le Conseil de la concurrence "peut être saisi par le ministre chargé de l'économie ... Il examine si les pratiques dont il est saisi entrent dans le champ des articles 7 et 8 ou peuvent se trouver justifiées par application de l'article 10 " ; qu'il s'ensuit que le Conseil de la concurrence est saisi de pratiques in rem, qu'il n'est pas lié par la qualification juridique que l'administration ou les parties donnent à ces pratiques et qu'il n'appartient qu'à lui, et le cas échéant, à la cour d'appel de Paris, de qualifier ces pratiques au regard des articles 7, 8 et 10 de la même ordonnance qu'ainsi, il importe peu, en l'espèce, que la lettre de saisine du ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, du 5 décembre 1991 au président du Conseil de la concurrence demande d'examiner les pratiques au regard aussi bien de l'article 7 que de l'article 8 de l'ordonnance précitée, alors que, en tout état de cause, le rapport administratif en date du 30 septembre 1991 ne fait nulle part référence à un quelconque article de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et se borne à décrire et analyser les pratiques relevées sans les qualifier ; qu'au surplus, sans qu'il soit besoin d'attendre la décision du président du tribunal de grande instance de Pontoise, le Conseil de la concurrence est compétent pour constater en l'état que les documents recueillis auprès de la société Bandaï à Saint-Ouen-l'Aumône, le 29 novembre 1990, et figurant en annexes X et XI du rapport, révèlent des pratiques qui entrent dans le champ d'application de l'article 7 de l'ordonnance susvisée.

Considérant que s'agissant de la procédure devant le Conseil de la concurrence, il est également de la compétence exclusive de celui-ci et, le cas échéant, de la cour d'appel de Paris, de statuer sur la régularité des actes établis par le rapporteur, qu'il s'agisse des procès-verbaux d'audition, de la notification de griefs ou du rapport notifié le 3 septembre 1993.

Considérant qu'il n'y a lieu, dans ces conditions, ni à renvoyer l'affaire ni à surseoir à statuer

Sur les marchés pertinents :

Sur la non-substituabilité des jeux vidéo électroniques avec d'autres types de jeux ou de jouets :

Considérant que les jeux vidéo électroniques se caractérisent par la possibilité d'une pluralité de joueurs, leur facilité de transport, leur alimentation électrique sur secteur ou par pile, l'éventail très large des logiciels susceptibles d'être utilisés et leur caractère évolutif;

Considérant que dans l'esprit de la plus grande part des consommateurs, principalement des adolescents mais aussi des adultes, les jeux vidéo électroniques sont valorisés par leur image moderne liée à leurs qualités audiovisuelles et à l'opportunité qu'ils offrent de créer des scènes virtuelles ; qu'ils sont aussi appréciés pour leurs fonctions éducatives permettant de développer les réflexes, la dextérité, l'aptitude au calcul et à la stratégie;

Considérant que les jeux vidéo électroniques possèdent des caractéristiques technologiques spécifiques mettant en œuvre des techniques de conception, de savoir-faire et de fabrication sophistiquées ; qu'ainsi les techniques de développement utilisées pour créer un nouveau logiciel de jeu comportent la préparation d'un scénario écrit avec le schéma des personnages, le dessin de chaque personnage et de ses différentes positions, la réalisation du décor fixe, la création de séquences d'animation pour chacun des personnages qui sont ensuite "superposées " et la conception du logiciel de gestion de l'ensemble ; que cette technologie propre aux jeux vidéo électroniques a rendu nécessaire, à côté des revendeurs traditionnels de jouets, la spécialisation d'un certain nombre de distributeurs dans la commercialisation exclusive de ces jeux comportant notamment des prestations particulières de service après-vente;

Considérant qu'à la suite d'un avis émis le 7 avril 1993 par la commission de sécurité des consommateurs un arrêté interministériel du 21 juillet 1993 a institué une réglementation particulière pour ce type de jeux et a rendu obligatoire l'apposition de mises en garde sur l'emballage et la notice d'emploi de jeux vidéo électroniques; qu'en ce qui concerne, par exemple, les précautions à prendre, il est conseillé au joueur de ne pas se tenir trop près de l'écran, d'utiliser de préférence ces jeux sur un écran de petite taille, d'éviter de jouer en cas de fatigue ou de manque de sommeil, de jouer dans une pièce bien éclairée et de faire des pauses de dix à quinze minutes toutes les heures ;

Considérant que le cumul de ses caractéristiques ludiques, consuméristes, techniques et réglementaires rend le jeu vidéo électronique non substituable avec d'autres types de jeux et a fortiori avec d'autres types de jouets.

Sur la non-substituabilité des jeux vidéo électroniques avec les jeux électroniques à usage collectif et les jeux sur micro-ordinateur :

Considérant que les jeux électroniques à usage collectif installés dans les lieux publics ne répondent ni au même besoin ni aux attentes d'un même public que les jeux vidéo électroniques et donnent lieu à des systèmes de tarification différents ; que les caractéristiques d'une console de jeux vidéo électroniques et celles d'un micro-ordinateur sont fonctionnellement très différentes; que le micro-ordinateur a une fonction principale de traitement de textes et d'information ; qu'en conséquence, il répond à un besoin professionnel ou d'études à la différence de la console de jeux qui a une fonction de distraction ; que les utilisateurs concernés par les consoles et logiciels de jeux vidéo électroniques sont principalement des adolescents alors que ceux qui achètent des micro-ordinateurs sont en général des adultes; que les fabricants de micro-ordinateurs, notamment IBM, Macintosh, Compacq, Dell, Toshiba et IPC étaient entre 1989 et 1991 distincts des fabricants des jeux vidéo électroniques avec des modes de distribution différents ; qu'ainsi, l'offre et la demande de jeux sur micro-ordinateur de loisirs étaient, sur la période considérée, indépendantes de l'offre et de la demande de jeux vidéo électroniques ; que le prix des consoles de salon, toutes marques confondues, variait en décembre 1990, ainsi que l'indique Bandaï dans ses observations, de 700 F pour les consoles 8 bits à 1 900 F pour les consoles 16 bits, et de 590 F à 2 500 F pour les consoles portables ; que seuls les micro-ordinateurs d'une certaine technicité et dont le prix varie de 10 000 à 15 000 F permettent l'usage de jeux électroniques dans des conditions satisfaisantes; que le rapport des prix entre la console seule de jeux vidéo électroniques et le micro-ordinateur va de 1 à 7 ou 10et que la proportion des prix de la console plus le téléviseur par rapport au micro-ordinateur est au minimum de 1 à 2; que cette différence de prix prouve l'existence de marchés distinctsque, par suite, à l'époque des faits, de 1989 à 1991 inclus, jeux vidéo électroniques d'une part, jeux vidéo à usage collectif et jeux sur micro-ordinateur d'autre part, constituaient des marchés distincts

Sur l'existence de deux marchés pertinents, celui des consoles et des logiciels :

Considérant que Bandaï fait valoir que consoles et logiciels ne forment qu'un seul marché ;

Considérant cependant que, du côté de l'offre, les fabricants de consoles de jeux (Atari, Sega, Nintendo, NSK, etc.) sont distincts des producteurs de logiciels; qu'il existe à cet égard de très nombreux éditeurs liés ou non par agrément au fabricant mais de façon indépendante (Kinami, Capcom, Electronics Arts, Océan, Ifogames, Megasoft, AVE, etc.) ; que les distributeurs de consoles et de logiciels peuvent également être indépendants les uns des autres;

Considérant que, du côté de la demande, même si console et logiciel sont des biens complémentaires et si le jeu d'une marque de logiciel est souvent disponible dans les différents types de consoles, ils correspondent à deux demandes spécifiques; qu'ainsi, il ressort du panel Nielsen (annexe XI, cote 61 du dossier) qu'il a été vendu en 1989 quatre logiciels pour une console ; que cette proportion varie selon les années et les marques ; que ces simples constatations prouvent que l'achat d'un logiciel est indépendant de celui d'une console au même titre que l'achat d'une vidéo-cassette est indépendant de celui d'un magnétoscope; que l'existence de clubs d'échange de logiciels entre utilisateurs démontre le caractère autonome et indépendant de leur demande ; que, par suite, il y a lieu de distinguer deux marchés pertinents, celui de la console de jeux vidéo électroniques et celui du logiciel de jeux vidéo électroniques;

Sur la position dominante :

Considérant que Bandaï fait valoir que les parts de marché des produits de marque Nintendo ne se confondent pas avec les parts de marché de ces mêmes produits distribués par Bandaï ; que l'accord de distribution exclusive entre NES International Inc. et Bandaï du 17 janvier 1988 est venu à expiration le dernier jour de février 1990 et que la concession de distribution a continué sur une base non exclusive à tout le moins jusqu'à la fin de 1991 ; que la France est un des marchés les plus perméables aux importations parallèles ; que les parts de marché relevées par le rapport ne s'inscrivent pas dans la durée ; que la notoriété de la marque Nintendo est liée à des efforts de publicité considérables ; que le rôle pilote joué par Bandaï en matière de prix et de conditions de vente n'est pas démontré et que, contrairement à ce qu'affirme le rapport, les intervenants ne sont ni très "atomisés ni marginaux " ;

Considérant, cependant, qu'aux termes du contrat du 17 janvier 1988, Bandaï disposait de l'exclusivité de l'achat, de l'importation, de la distribution et de la vente des produits Nintendo en France à " l'exclusion de la Corse et de l'outre-mer" ; qu'il ne résulte pas des éléments du dossier que ces accords aient été dénoncés postérieurement à cette date ; que ce contrat a été renouvelé le 27 février 1993 entre Nintendo Co Ltd et NES International Inc. par transfert de l'activité de Nintendo de la société Bandaï à une nouvelle société Nintendo France ; qu'en outre, dans une lettre du 12 novembre 1990, adressée à Joué Club de Bordeaux, dont une copie figure au dossier, M. P., président-directeur général de Bandaï, a reconnu que Bandaï contrôlait environ 90 p. 100 de la distribution des produits Nintendo en France (annexe X, scellé I, cotes 1 et 2 du dossier) ;

Considérant que les parts de marché de la marque Nintendo, dont l'importateur exclusif est Bandaï, s'élevaient, pour les consoles, en 1989, 1990 et 1991 respectivement à 66 p. 100, 77,8 p. 100 et 66 p. 100 et, pour les logiciels, respectivement à 70,6 p. 100, 74 p. 100 et 68,7 p. 100; que ces évaluations ont été confirmées par les déclarations des principaux distributeurs de consoles et de logiciels de jeux vidéo électroniques;

Considérant que les produits de la marque Nintendo bénéficient, aux yeux des consommateurs, d'une grande notoriété, comme il ressort des pièces du dossier mentionnées au I (A, 3) de la présente décision ; qu'à cet égard, il est indifférent que cette notoriété soit due aux efforts publicitaires entrepris par Bandaï ou à d'autres causes ;

Considérant qu'il ressort des témoignages et des documents figurant au I de la présente décision que Bandaï jouait un rôle déterminant en matière de prix et de conditions de vente en faisant en sorte que les consoles et les logiciels soient vendus aux distributeurs la plupart du temps au prix d'achat auquel était ajoutée la TVA, sans marge à ce stade ; qu'ainsi, les seuls profits réalisés par ces derniers étaient constitués par les remises de fin d'année accordées par Bandaï;

Considérant que, mise à part la marque Sega qui, en 1989, 1990 et 1991, a réalisé respectivement un tiers, un cinquième et un quart du marché de la console et respectivement 27 p. 100, 20 p. 100 et 27 p. 100 du marché du logiciel, les autres fabricants ne représentaient que moins de 6 p. 100 en 1991 du marché de la console et, en 1989, 1990 et 1991, respectivement 2,4 p. 100, 4,3 p. 100 et 3,8 p. 100 du marché du logiciel, où les intervenants étaient plus nombreux; qu'ainsi le reste de l'offre de consoles et de logiciels était dispersé;

Considérant que, dans ces conditions, Bandaï a détenu, pendant les trois années considérées, une position dominante sur les marchés de la console et du logiciel de jeux vidéo électroniques;

Sur les abus de position dominante :

Considérant qu'aux termes de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les abus de position dominante " peuvent consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de ventes discriminatoires ainsi que dans la rupture des relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées " ;

En ce qui concerne les conditions de vente :

Considérant que Bandaï soutient que les éléments retenus par le rapport ne portent que sur une très courte période en 1989 et 1990 et qu'aucun élément du dossier ne permet d'établir que Bandaï aurait appliqué son barème de manière discriminatoire ou que les remises auraient été octroyées sans contrepartie réelle ou encore que cette différenciation aurait eu pour objet d'écarter un agent économique ;

Considérant qu'il résulte des constatations figurant au I, B, 1 de la présente décision que Bandaï a consenti des remises sur facture et de fin d'année à ces distributeurs au cours des années 1989, 1990 et 1991 de façon discriminatoire ; que ces conditions de vente, en retenant des critères variables selon les contrats, tendaient à privilégier parmi les revendeurs la vente par correspondance, les multispécialiste et les détaillants au détriment des grands magasins et des grandes surfaces, par le recours à des critères qui ne se retrouvaient pas d'un contrat à l'autre ; que de ce fait, ces pratiques créaient pour certains de ses partenaires un désavantage dans la concurrence et présentaient dans ces conditions un caractère discriminatoire sans qu'il soit nécessaire de démontrer qu'elles visaient à écarter un agent économique;

En ce qui concerne les pratiques de prix :

Considérant que Bandaï nie le caractère imposé de ses prix et conteste l'assistance d'une uniformité des prix de ses consoles et logiciels en faisant valoir que près de la moitié des 133 prix relevés par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de Savoie, ne suivaient pas les hypothétiques recommandations de Bandaï ;

Considérant, cependant, qu'il résulte des constatations figurant au I, B, 2 de la présente décision que Bandaï a mené de façon générale auprès de ses distributeurs une politique de prix imposés en diffusant des prix conseillés sous forme de notes, de correspondances ou de télex et par des contrôles de prix, des mesures ou des menaces d'actions coercitives auprès des distributeurs; que ces prix conseillés ont fait l'objet d'une application stricte puisque, en 1989, sur les 133 prix mentionnés, 67 étaient égaux aux prix conseillés par Bandaï à 1 franc près et 37 étaient supérieurs de 2 à 5 F pour des consoles dont les prix conseillés étaient de 690 F et 990 F et pour des logiciels dont les prix conseillés étaient de 290 F, 330 F, 360 F et 390 F ; qu'ainsi, sur cet échantillon, 78 p. 100 des distributeurs n'ont pas déterminé leurs prix de vente de façon autonome ; que, par ailleurs, dans les catalogues pour 1990 diffusés sur le plan national par Auchan, les Nouvelles Galeries et Carrefour, par exemple, le prix du produit "Game Boy" de Nintendo était dans les trois cas de 590 F et le prix de la console de jeu "Action set" était dans deux cas à 990 F et dans le catalogue d'Auchan à 989,95 F ; qu'ainsi, les pratiques susmentionnées de Bandaï ont eu pour effet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché;

En ce qui concerne les menaces de refus de vente :

Considérant que Bandaï fait valoir que l'existence de prétendues menaces de refus de vente ne repose que sur les déclarations vagues de deux responsables des enseignes de la distribution qui auraient cherché par ce moyen à obtenir des avantages indus auprès des fournisseurs ;

Considérant, cependant, que les constatations figurant au 1, B, 3 de la présente décision et les déclarations, du responsable des achats de Leclerc ont été, à cet égard, particulièrement circonstanciées, notamment quant aux périodes (fêtes de Noël, en 1990) et quant aux lieux (Mont-de-Marsan et Bollène) et que ces précisions figurent également dans les propos du responsable de Carrefour, qui a fait état d'une procédure de "blocage du compte " ; qu'ainsi, ces pratiques de menaces de refus de vente au seul motif que le partenaire refusait de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées ont eu pour effet de limiter l'accès au marché;

En ce qui concerne l'attitude de Bandaï sur le marché :

Considérant que Bandaï conteste le fait qu'elle aurait cherché à contrôler l'offre de logiciels en France en arguant qu'aux termes de son contrat de distribution exclusive, elle ne disposait jusqu'en février 1990 que d'un nombre limité de logiciels et que la sélection qu'elle opérait en tant que distributeur n'avait d'autre objet que de satisfaire le consommateur en lui fournissant un produit de qualité ;

Considérant, cependant, qu'il résulte des constatations figurant au I, B, 4 de la présente décision que l'intervention de Bandaï ne se limitait pas à faire respecter par des voies de droit son exclusivité sur les produits Nintendo puisqu'il ressort des courriers de juin et novembre 1990 adressées par Bandaï à sa force de vente, d'une part, et à Joué Club de Bordeaux, d'autre part, qu'elle demandait à ses représentants de menacer les distributeurs de ne plus les réapprovisionner s'ils acceptaient de vendre des produits Nintendo importés ou obtenus par des voies parallèles; qu'ainsi, ces pratiques ont eu pour objet et pour effet de limiter le libre exercice de la concurrence et de faire obstacle à la fixation des prix par le jeu du marché;

Considérant que sa position dominante sur les marchés de la console et du logiciel de jeux vidéo électroniques en 1989, 1990 et 1991 permettait à Bandaï de diffuser une publicité de masse qui informait la clientèle des conditions de vente de ses produits, d'accorder aux distributeurs, à court terme, une marge nulle et, en fin d'année, une marge arrière ou une remise en fonction du chiffre d'affaires réalisé, d'utiliser la notoriété de la marque Nintendo pour faire pression sur les distributeurs et d'obtenir d'eux un alignement quasi-général sur les prix de vente publics conseillés par elle ; qu'ainsi, les différentes atteintes portées à la concurrence ci-dessus mentionnées ont un lien de causalité directe avec le pouvoir de domination exercé par Bandaï; que, dès lors, ces pratiques sont prohibées par le 1 de l'article 8 de l'ordonnance précitée;

Sur les pratiques de concertation :

Considérant que Carrefour France fait valoir que la notification de griefs et le rapport n'ont retenu une pratique d'action concertée qu'à l'égard de Carrefour France et Bandaï alors que Carrefour France aurait demandé à Bandaï de faire réajuster les prix des logiciels Nintendo aux enseignes Leclerc et Auchan de la région nantaise ; qu'elle soutient qu'il y aurait dans cette pratique quatre partenaires à l'entente et non deux seulement ; qu'elle fait valoir, en outre, que l'atteinte à la concurrence n'aurait pas eu d'effet sensible dès lors qu'elle concerne quatre hypermarchés sur les huit présents ; qu'il s'agirait d'un marché géographiquement restreint et que les pratiques ne seraient établies que sur une période extrêmement courte ;

Considérant que la pratique reprochée est celle par laquelle Carrefour France a pris l'initiative de demander à Bandaï d'intervenir pour restreindre la concurrence sur le marché des logiciels de jeux vidéo électroniques et par laquelle cette dernière a répondu à cette sollicitation ; que l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 prohibe toutes les ententes ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché ; que, dès lors, par cette concertation, Carrefour France et Bandaï ont enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant que la preuve de l'entente n'est établie que pour la seule journée du 9 janvier 1990 alors qu'il est avéré que les ajustements de prix auxquels a procédé Carrefour France, pour tenir compte des prix pratiqués par ses concurrents, ont été très fréquents ; que cette concertation n'a concerné qu'un espace géographique restreint ; que la part des achats de Carrefour France en matériel de marque Nintendo ne représentait en 1992 qu'une partie insignifiante de son chiffre d'affaires ; qu'en conséquence, il n'y a pas lieu d'infliger à Carrefour France de sanction pécuniaire ;

Sur la sanction :

Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : " Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 p. 100 du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos ... " ;

Considérant que Bandaï fait valoir qu'en vertu d'un accord conclu avec Nintendo Co Ltd et NES, elle n'est plus depuis le 31 décembre 1992 distributeur des produits Nintendo en France, les éléments matériels et humains de l'activité de distribution des produits Nintendo ayant été transférés à cette date à une nouvelle société, Nintendo France.

Considérant que le chiffre d'affaires à prendre en compte est celui réalisé en France au cours du dernier exercice clos ; qu'au jour de la présente décision le dernier exercice clos porte sur la période courant du 1er janvier au 31 décembre 1992 ; qu'au cours de l'année considérée l'ensemble des éléments matériels et humains concourant à l'activité d'importation et de distribution des produits Nintendo en France se trouvaient dans la société Bandaï ; qu'en conséquence, il y a lieu de prendre en compte comme assiette de calcul de la sanction le chiffre d'affaires de Bandaï au titre de l'année 1992 ;

Considérant que la gravité des pratiques d'abus de position dominante et de concertation reprochées à Bandaï tient tant à leur nature, dans la mesure où elles ont empêché les entreprises de distribution des consoles et logiciels de jeux vidéo électroniques de marque Nintendo, de déterminer librement leurs prix, leurs quantités et leurs conditions de vente au public, qu'à la généralité de leur mise en œuvre à tous les types de distribution et leur caractère répété pendant trois ans sur tout le territoire national ; que le fait de maintenir des prix artificiellement élevés a eu un effet d'entraînement sur les marchés de la console et du logiciel de jeux vidéo électroniques ;

Considérant que les jeux vidéo électroniques ont représenté en 1991 un quart du chiffre d'affaires du secteur des jeux et jouets en France ; que Bandaï a réalisé, sur les trois années 1989, 1990 et 1991, entre les deux tiers et les trois quarts du chiffre d'affaires de consoles et de logiciels de jeux vidéo électroniques ;

Considérant que le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par Bandaï au cours des années 1989, 1990 et 1991, pendant lesquelles ont été relevées les pratiques, s'est élevé, respectivement, à 458 millions de francs, 858 millions de francs et 1 839 millions de francs ; que son chiffre d'affaires net en France pour 1992 est de 2 060 888 670 F ; qu'il y a lieu, dans ces conditions, de lui infliger une sanction pécuniaire de 30 000 000 F,

Décide :

Article 1er. Il est infligé à la société Bandaï France une sanction pécuniaire de 30 000 000 F ;

Article 2. Dans un délai maximum de trois mois suivant sa notification, le texte intégrai de la présente décision sera publié, aux frais de la société Bandaï France, dans les revues Jov Pad et Console + ainsi que dans les quotidiens Le Monde et Le Figaro. Cette publication sera précédée de la mention : "Décision du Conseil de la concurrence en date du 7 décembre 1993 relative à la situation de la concurrence dans le secteur des consoles et des logiciels de jeux vidéo électroniques ".