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Conseil Conc., 27 mai 1997, n° 97-PB-02

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Saisine présentée par la société moderne d'assainissement et de nettoiement

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de M. Jacques Poyer, par M. Jenny, vice-président, présidant la séance, en remplacement de M. Barbeau, président empêché, M. Cortesse, vice-président, M. Rocca, membre.

Conseil Conc. n° 97-PB-02

27 mai 1997

Le Conseil de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre enregistrée le 17 mars 1997 sous les numéros P 04, F 952 et M 200 par laquelle la Société Moderne d'Assainissement et de nettoiement (SMA) a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société Monin Ordures Services (MOS), pratiques qu'elle qualifie de prix abusivement bas et d'anticoncurrentielles et a sollicité le prononcé de mesures conservatoires ; Vu l'ordonnance n° 86­1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86­1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu les observations présentées par la Société moderne d'assainissement et de nettoiement, la société Monin ordures services et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et le représentant de la Société moderne d'assainissement et de nettoiement entendus, la société MOS ayant été régulièrement convoquée ;

Considérant que le Syndicat Intercommunal pour le Traitement des Ordures Ménagères de l'aire de Fréjus Saint­Raphaël (SITOM) qui regroupe sept communes, possède une décharge contrôlée appelée centre d'enfouissement technique, située au lieu­dit du "Vallon des Lauriers" sur la commune de Bagnols­en­Forêt ; que neuf communes utilisent cette décharge ; qu'autorisé par arrêté préfectoral à procéder à une extension de cette décharge, le SITOM a décidé de choisir un prestataire de service pour l'exploiter à compter du 1er janvier 1997 ; que la commission réunie le 10 juillet 1996 pour procéder à l'examen du résultat de l'appel d'offres restreint européen lancé le 30 juin 1996, a décidé de retenir quatre entreprises : la Société moderne d'assainissement et de nettoiement, la société Monin ordures services, la société France­Déchets et la société Coved ; que la société France­Déchets a décidé de ne pas remettre de proposition au motif qu'elle appartenait au même groupe que la société Monin ordures services ; que la société Coved a également décidé de ne pas remettre de proposition sans donner de motif ; qu'au cours de la seconde phase de la procédure, la commission d'appel d'offres, réunie à nouveau le 14 novembre 1996 pour attribuer le marché, a retenu la Société moderne d'assainissement et de nettoiement, considérée comme mieux­disante pour un montant annuel de 13 768 482 F HT, sur la base de huit critères élaborés par le bureau d'études Girus ; que la société Monin ordures services a présenté une offre d'un montant de 7 217 200 F HT ; que le sous­préfet de l'arrondissement de Draguignan, ayant estimé que la passation du marché était entachée d'irrégularités, a demandé par lettre du 10 février 1997 au président du SITOM d'annuler le marché ; qu'en l'absence d'une décision en ce sens du syndicat, le préfet du Var a déféré le marché passé entre le SITOM et la SMA, ainsi que la délibération du SITOM en date du 28 novembre 1996 qui s'y rattache, au Tribunal administratif de Nice et a demandé le prononcé du sursis à exécution de ce marché ;

Sur l'application des dispositions de l'article 10.1

Considérant que la société saisissante soutient que la société Monin ordures services a proposé à l'occasion de l'appel d'offres restreint lancé par le SITOM pour l'exploitation d'un centre d'enfouissement technique un prix abusivement bas et que cette pratique est contraire aux dispositions de l'article 10.1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant que l'article 10.1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 prohibe les "offres de prix ou pratiques de prix de vente aux consommateurs abusivement bas par rapport aux coûts de production, de transformation et de commercialisation, dès lors que ces offres ou pratiques ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'éliminer d'un marché ou d'empêcher d'accéder à un marché une entreprise ou l'un de ses produits" ;

Considérant qu'en passant le marché en vue du renouvellement de la concession de l'exploitation de la décharge intercommunale, le Syndicat Intercommunal pour le Traitement des Ordures Ménagères de l'aire de Fréjus Saint­Raphaël (SITOM) est intervenu pour déléguer une mission de service public confiée aux communes et à leurs regroupements par l'article 12 de la loi n° 75­633 du 15 juillet 1975 relative à l'élimination des déchets et à la récupération des matériaux, exerçant ainsi une fonction collective dans l'intérêt des collectivités territoriales concernées, et non en tant que consommateur personne physique ou morale contractant pour satisfaire ses besoins personnels; qu'en conséquence, l'offre de prix proposée par la société Monin ordures services au Syndicat intercommunal pour le traitement des ordures ménagères de l'aire de Fréjus Saint­Raphaël n'est pas visée par les dispositions de l'article 10.1 qui prohibent les seules offres ou pratiques de prix de vente aux consommateurs;

Sur la recevabilité au regard des dispositions des articles 7 et 8

Considérant que la Société Moderne d'Assainissement et de nettoiement soutient que la société Monin Ordures Services n'a pu déposer une offre d'un montant de 7 217 000 F HT, inférieure de près de moitié à celle de la société SMA, qu'en raison du fait que les prix proposés dans cette offre sont artificiellement bas, comme il ressort de l'analyse effectuée par le cabinet d'expertise comptable Trintignac ; que cette pratique n'a été rendue possible qu'en raison de l'entente existant entre entreprises appartenant au groupe Lyonnaise des Eaux et de l'appui logistique et financier dont dispose la société MOS de par son appartenance à ce groupe ;

Considérant d'une part, que deux sociétés appartenant au groupe Lyonnaise des Eaux, la société France­Déchets et la société MOS, ont répondu à l'appel d'offres restreint lancé par le SITOM ; que la société France­Déchets s'est ensuite désistée au bénéfice de la société MOS en justifiant son retrait par son appartenance au même groupe que cette dernière ;

Considérant, d'autre part, que le cahier des charges de l'appel d'offres prévoyait que l'attributaire du marché devait passer une convention avec la société Degrémont, concepteur de la station de traitement des lixiviats, appartenant également au groupe Lyonnaise des Eaux ; que le montant du traitement des lixiviats prévu par la convention annexée au cahier des charges prévoyait un prix de 27 F HT le m3, prix retenu par la SMA ; que la société MOS a proposé dans sa soumission un prix de 15,08 F HT le m3 ; que l'auteur de la saisine affirme que la société MOS n'a pu bénéficier d'une telle offre très inférieure aux prix mentionnés en annexe au cahier des charges qu'en accord avec la société Degrémont ;

Considérant qu'au stade actuel de la procédure et sous réserve de l'instruction de l'affaire au fond, il ne peut être exclu, en raison des conditions de participation des sociétés du groupe Lyonnaise des Eaux à l'appel d'offres concerné, que les pratiques dénoncées par la société SMA puissent entrer dans le champ d'application des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Sur la demande de mesures conservatoires :

Considérant que la société saisissante demande que soit enjoint à la société MOS de cesser sa pratique de prix abusivement bas et d'intégrer dans ses offres de prix le coût réel des prestations proposées ;

Considérant qu'en vertu de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le Conseil de la concurrence ne peut prendre les mesures conservatoires qui lui sont demandées que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante ;

Considérant que la SMA ne saurait soutenir utilement que la pratique dénoncée porte atteinte à ses intérêts ; qu'en effet, elle a été attributaire du marché de l'exploitation de la décharge intercommunale du SITOM ; que la circonstance que le préfet du Var ait déféré le marché au Tribunal administratif de Nice et en ait demandé le sursis à exécution ne peut suffire à justifier le prononcé de mesures d'urgence alors même qu'aucun jugement n'est intervenu et que, en cas d'annulation du marché, la SMA serait en mesure de présenter une soumission dans le cadre d'un nouvel appel d'offres ;

Considérant que dans ces conditions, la demande de mesures conservatoires ne peut qu'être rejetée,

Décide

Article 1er : ­ La saisine enregistrée sous le numéro P 04 est déclarée irrecevable.

Article 2 : ­ La demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro M 200 est rejetée.