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Décisions

Cass. com., 13 mai 1997, n° 95-16.378

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Société Française de transports Gondrand frères

Défendeur :

Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Léonnet

Avocat général :

M. Mourier

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié, Me Ricard.

Cass. com. n° 95-16.378

13 mai 1997

LA COUR : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 23 mai 1995) que le ministre de l'Économie a saisi le Conseil de la concurrence, le 11 juillet 1989, de pratiques d'ententes qu'il estimait illicites concernant le déménagement des militaires de la Gendarmerie et des agents EDF en produisant des devis de couverture établis, après concertation entre elles, par des entreprises concurrentes ; que, par décision en date du 4 octobre 1994, le conseil a condamné les douze sociétés de déménagement impliquées dans la cause dont les sociétés SFT Gondrand frères et Fraisseix, à diverses sanctions pécuniaires ; que ces deux sociétés ont formé un recours devant la Cour d'appel de Paris ;

Sur le premier moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que la société SFT Gondrand frères fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son recours contre la décision du Conseil de la concurrence lui ayant infligé une sanction pécuniaire de 500 000 francs, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en déduisant de la circonstance selon laquelle les sociétés Gondrand frères et Bardon lorsqu'elles présentent des offres concurrentes à des clients potentiels communs, n'effectuent qu'une seule visite des lieux et s'échangent ensuite les éléments d'information permettant de prendre la mesure des déménagements projetés, que celle de ces entreprises qui n'était pas retenue pour effectuer le déménagement avait présenté un devis de couverture, sans rechercher si ces sociétés, faisant partie du même groupe, n'avaient pu légitimement adopter cette méthode afin de réduire les coûts d'élaboration de leurs devis, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, d'autre part, que la cour d'appel s'est bornée à affirmer, pour estimer que les sociétés Gondrand frères et Bardon avaient établi des devis de couverture, que des devis de chacune de ces sociétés avaient été saisis au siège de l'autre et que l'inventaire établi à la suite de la visite sur place ne figurait que dans le dossier détenu par l'entreprise moins-disante, sans rechercher si la communication des devis était antérieure à la présentation des offres, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; et alors, enfin, que la société SFT Gondrand frères faisait également valoir, à l'appui du recours qu'elle a formé à l'encontre de la décision du Conseil de la concurrence, tant en son nom personnel qu'en celui des sociétés Devaut et Bardon qu'elle avait absorbées, que la concertation entre les sociétés Devaut et Rousseau n'était pas établie par la présence, dans un dossier saisi au siège de l' entreprise Devaut, d'un devis de l'entreprise Rousseau, le devis litigieux ayant été remis par le client, M. Bost, à la société Rousseau ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen pertinent, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel a relevé que malgré "l'étroite imbrication" financière des sociétés Bardon, Devaut et SFT Gondrand frères, ces entreprises, personnes morales distinctes, avaient choisi "de travailler en émettant des devis distincts et de se présenter comme des entreprises concurrentes" ; qu'elle en a déduit, à bon droit, qu'elles étaient tenues de respecter les règles de la concurrence ce qui excluait qu'elles puissent présenter des soumissions dont l'indépendance n'était qu'apparente;

Attendu, d'autre part, que la cour d'appel ayant constaté qu'une seule visite des lieux avait été effectuée pour la présentation à un client de deux devis distincts il en résultait que l'entreprise qui n'avait pas effectué de visite, s'était concertée avec l'entreprise de déménagement concurrente antérieurement au dépôt des devis de couverture ;

Attendu, enfin, que la cour d'appel n'était pas tenue de répondre aux conclusions de la société SFT Gondrand frères concernant l'origine d'un devis de l'entreprise Rousseau, saisi au siège de la société Devaut, dès lors qu'il s'agissait d'un simple argument ne remettant pas en cause l'ensemble de ses constatations ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société SFT Gondrand frères fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son recours contre la décision du Conseil de la concurrence lui ayant infligé une sanction pécuniaire de 500 000 francs, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'une entente ne portant pas atteinte de façon sensible au jeu de la concurrence sur le marché considéré n'est pas susceptible d'être sanctionnée par application des dispositions des articles 7 et 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'en infligeant une sanction pécuniaire à la société SFT Gondrand frères, à raison de prétendus devis de couverture établis par les sociétés Gondrand et Bardon, sans rechercher si, comme le faisait valoir la société SFT Gondrand frères, les dossiers litigieux, au nombre total de douze, ne pouvaient avoir eu une influence sensible sur le marché des déménagements de militaires, la cour d'appel a ainsi privé sa décision de base légale au regard des dispositions susvisées ; et alors, d'autre part, qu'en justifiant la sanction pécuniaire infligée à la société SFT Gondrand frères par de prétendus devis de couverture établis entre les sociétés Devaut et Bardon, sans rechercher si les pratiques alléguées, qui concernaient sept dossiers litigieux sur une période de trois années d'activité, étaient susceptibles d'avoir eu un effet sensible sur le marché des déménagements militaires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 7 et 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu que la société SFT Gondrand frères n'ayant pas soutenu devant la cour d'appel que les pratiques illicites reprochées aux entreprises litigieuses aient eu une influence sensible sur le marché des déménagements des militaires, le moyen est nouveau et que mélangé de fait et de droit il est irrecevable ;

Sur le troisième moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que la société SFT Gondrand frères fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son recours contre la décision du Conseil de la concurrence lui ayant infligé une sanction pécuniaire de 500 000 francs, alors, selon le pourvoi, d'une part, que les sanctions pécuniaires, proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise sanctionnée, doivent être déterminées individuellement pour chaque entreprise et de façon motivée pour chaque sanction ; qu'en affirmant, pour confirmer le montant de la sanction pécuniaire infligée à la société SFT Gondrand frères au regard de son chiffre d'affaires total, auquel l'activité de déménagement ne concourait qu'à hauteur de 1,47 %, que "ni l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ni le principe de proportionnalité de la sanction ne conduisent à limiter le chiffre d'affaires de référence pour la détermination du maximum de la sanction aux prestations dédiées à une catégorie de clientèle, même si la réglementation spécifique qui s'y rapporte caractérise un marché", sans apprécier la proportionnalité de la sanction à la gravité des faits reprochés, au dommage à l'économie et à la situation de l'entreprise, autrement qu'au regard du montant maximum de cette sanction, la cour d'appel a violé les dispositions du texte susvisé ; alors que, d'autre part, en statuant ainsi, sans rechercher si la sanction pécuniaire infligée à la société SFT Gondrand frères était proportionnée à la gravité des faits et au dommage causé à l'économie du marché considéré, eu égard, notamment, au faible volume des activités de la société SFT Gondrand frères sur le marché des déménagements de militaires, et à la faible proportion de cette activité dans le chiffre d'affaires de cette société, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; et alors, enfin, que le Conseil de la concurrence avait infligé aux onze autres entreprises sanctionnées des sanctions pécuniaires dont les montants variaient entre 11 000 et 53 000 francs, qui correspondaient dans tous les cas à 1 % du chiffre d'affaires de ces sociétés ; que la cour d'appel s'est bornée à affirmer, pour confirmer la sanction de 500 000 francs infligée à la société SFT Gondrand frères, que les principales activités de cette société -transport routier, import-export, transit en douanes-"constituent des activités liées pour certaines... et en tout cas très voisines" des déménagements ; qu'en statuant ainsi, par un motif général, sans énoncer en quoi la sanction infligée à la société SFT Gondrand frères, qui représente plus de 7 % du chiffre d'affaires réalisé par cette société dans le secteur du déménagement, ce dernier n'entrant que pour 1,47 % dans son chiffre d'affaires total, était proportionnée à la gravité des faits, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu, en premier lieu, que, pour déterminer le montant de la sanction, la cour d'appel n'avait pas à se référer au montant du chiffre d'affaires effectué par la société SFT Gondrand frères dans le secteur spécifique du déménagement, l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, applicable en l'espèce, visant le seul montant global du chiffre d'affaires réalisé en France au cours du dernier exercice par l'entreprise contrevenante ;

Attendu, en second lieu, que la cour d'appel ayant constaté que les principales activités de la société SFT Gondrand frères constituaient "des activités liées" au secteur du déménagement ou "très voisines", eu égard à la mise en œuvre de techniques et de matériels identiques, voisins ou complémentaires, par des personnels de même qualification, a ainsi fait ressortir le dommage porté, tant au marché de référence qu'à l'économie en général et a pu sanctionner la société, ainsi qu'elle l'a fait, sans encourir les griefs du moyen ;

Sur le quatrième moyen [selon arrêt rectificatif de la Cour de cassation, Chambre commerciale, du 18 novembre 1997, n° 95-16.378] : - Attendu que la société Gondrand frères fait encore grief à l'arrêt d'avoir rejeté son recours contre la décision du Conseil de la concurrence lui ayant infligé une sanction pécuniaire de 500 000 francs, alors, selon le pourvoi, que le Conseil de la concurrence s'était notamment fondé, pour infliger à la société SFT Gondrand frères une sanction pécuniaire à raison des pratiques qui étaient imputées à cette société ainsi qu'aux sociétés Devaut et Bardon qu'elle a absorbées, sur de prétendus devis de couvertures établis par la société Hubert Fraisseix au profit de la société Bardon ; qu'ayant retenu, contrairement au Conseil de la concurrence, que la preuve de devis de couverture établis par la société Hubert Fraisseix au profit de la société Bardon n'était pas rapportée, ce dont il résultait que cette concertation illicite ne pouvait davantage être reprochée à la société Bardon, aux droits de laquelle se trouvait la société SFT Gondrand frères, la cour d'appel a confirmé le montant de la sanction infligée à la société SFT Gondrand frères à raison des pratiques imputées tant à cette société qu'aux sociétés Devaut et Bardon, sans énoncer en quoi les infractions encore imputées à ces sociétés justifiaient, en dépit de l'infirmation de la décision du Conseil de la concurrence quant aux pratiques imputées aux sociétés Bardon et Hubert Fraisseix, le maintien de la sanction infligée par le Conseil de la concurrence, la cour d'appel de Paris a privé sa décision de base légale au regard de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu, que si la cour d'appel n'a pas retenu l'existence des devis de couverture établis par la société Hubert Fraisseix au profit de la société Bardon, elle a constaté que "des exemplaires vierges de devis à en-tête de la société Gondrand frères" avaient été saisis au siège de l'entreprise Devaut "tous prêts à l'emploi" avec "des abréviations identiques" pour les deux sociétés ; qu'elle a relevé, en outre, que parmi les dossiers saisis au siège des deux sociétés l'existence du devis de couverture était établie tantôt par l'entreprise Gondrand frères au profit de l'entreprise Bardon, tantôt par cette dernière au profit de l'autre, ces pratiques étant confirmées par les déclarations d'un préposé des entreprises ; qu'en l'état de ces constatations, dont elle a apprécié la gravité en maintenant le montant de la sanction qui avait été prononcée par la Conseil de la concurrence, la cour d'appel a légalement justifié sa décision, au regard de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que le moyen n'est pas fondé ;

Par ces motifs, rejette le pourvoi.