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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 14 septembre 1999, n° ECOC9910266X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Energie de Bigorre (SARL)

Défendeur :

Electricité de France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Président de chambre :

Mme Kamara

Conseiller :

Mme Guirimand

Avoués :

SCP Fanet-Serra, SCP Gaultier-Kistner-Gaultier

Avocats :

Mes Pecnard, Richer

CA Paris n° ECOC9910266X

14 septembre 1999

LA COUR statue sur le recours en annulation et subsidiairement en réformation formé par la société Energie de Bigorre contre la décision du Conseil de la concurrence n° 99-D-02 du 12 janvier 1999, qui a déclaré irrecevable sa saisine par cette société et qui a rejeté la demande de mesures conservatoires.

Les faits :

La société Energie de Bigorre exploite une installation de production autonome d'électricité sous la forme d'une centrale thermique à gaz à Tournay dans les Hautes-Pyrénées ;

Par contrat du 16 août 1995, elle a signé avec EDF un contrat pour l'achat d'énergie d'électricité au tarif " fournitures partiellement garanties" pour une durée de neuf ans. Aux termes de ce contrat, le producteur autonome d'électricité est rémunéré par une prime fixe et par un prix de vente de l'énergie électrique par les producteurs autonomes, prix à la baisse tant au niveau de la prime fixe que du prix d'achat au Kwh ;

Celle-ci a, en conséquence, par un pli du 30 septembre 1997, demandé à EDF de bénéficier du contrat applicable aux installations de pointe intitulé " contrat pour l'achat par EDF d'énergie électrique produite par une installation dispatchable " dont la durée est de quinze ans moins la période intervenue depuis la date de première mise en service de l'installation ", EDF lui a proposé, le 16 octobre 1997, un contrat dispatchable " inspiré du contrat mis au point pour les groupes diesels " mais d'une durée de neuf ans, avec achat des kilowatts produits au prix de 25,8 centimes par Kwh indexé sur l'évolution des prix du gaz et une prime fixe de 638 F/Kwh. La société Energie de Bigorre a refusé, le 17 octobre 1997, cette offre selon elle discriminatoire tant en ce qui concerne la durée que les tarifs proposés ;

Après un échange de correspondances entre les parties en vue d'une solution amiable resté infructueux, EDF, par courrier du 27 janvier 1998, indiquait à la société Energie de Bigorre qu'elle n'était pas en mesure de répondre à sa demande et que les termes du contrat de fournitures signé antérieurement le 30 octobre 1996 continuaient de s'appliquer ;

Retenant qu'EDF faisait de sa position dominante une exploitation abusive déjà sanctionnée par le Conseil de la concurrence dans sa décision n° 96-D-80 du 10 décembre 1996 confirmée par la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 27 janvier 1998, la société Energie de Bigorre a saisi le Conseil de la concurrence. Elle a fait valoir que les pratiques d'EDF, dont elle était victime, avaient pour effet d'opérer une discrimination entre les producteurs indépendants d'électricité et la centrale de Tournay qu'elle exploitait et de l'évincer du marché de l'électricité, qu'elles s'inscrivaient dans le cadre d'une stratégie globale d'éviction des producteurs d'électricité exploitant une centrale à gaz, pratiques constitutives d'abus de position dominante au sens des dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986. Elle a demandé au Conseil de prendre des mesures conservatoires et d'enjoindre à EDF de cesser ses pratiques et de la faire bénéficier des conditions identiques à celles convenues avec les autres producteurs indépendants afin de permettre la rentabilité des investissements de la centrale de Tournay ;

Par décision n° 99-D-02, le Conseil de la concurrence a retenu que deux producteurs indépendants, exploitant une centrale à gaz, avaient signé avec EDF des contrats dispatchables aux mêmes conditions que celles proposées à la société Energie de Bigorre ;

Que, s'il était fait état de difficultés d'exploitation rencontrées par l'un deux, il n'était pas démontré que sa situation était la conséquence de la conclusion d'un contrat dispatchable ne lui permettant pas de maintenir le taux de rentabilité de son exploitation ;

Le Conseil a, en conséquence, considéré que la société Energie de Bigorre ne justifiait pas être traitée de façon discriminatoire, et a déclaré sa saisine irrecevable et rejeté la demande de mesures conservatoires ;

Le 12 mars 1999, la société Energie de Bigorre a introduit un recours en annulation et subsidiairement en réformation à l'encontre de cette décision.

Au soutien de son recours, elle fait valoir que sa situation n'a pas cessé de se dégrader compte tenu des baisses tarifaires opérées depuis 1995 par EDF ; elle a chiffré la perte de chiffre d'affaires à 494 728,06 F pour l'année 1997 ; elle demande à la cour de :

1. Dire que les pratiques discriminatoires d'EDF à son égard, tant sur la durée du contrat dispatchable proposé que sur le prix d'achat de l'électricité produite, sont constitutives d'un abus de position dominante d'EDF sur le marché de l'électricité contraire à l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

2. Dire que les pratiques d'EDF consistant, d'une part, à refuser de lui appliquer les dispositions du contrat de plan du 8 avril 1997 faisant obligation à EDF de lui proposer un contrat rémunérant de façon satisfaisante les capitaux engagés et, d'autre part, à révoquer unilatéralement et abusivement l'offre de rachat de sa centrale émise le 29 octobre 1997, sont également constitutives d'un abus de position dominante ;

3. Enjoindre à EDF de cesser ses pratiques discriminatoires à son égard et, en conséquence, de la faire bénéficier des conditions similaires et comparables à celles convenues avec les autres producteurs indépendants afin de permettre la rentabilité satisfaisante des investissements de sa centrale conformément à la réglementation en vigueur ;

4. Subsidiairement, enjoindre à EDF d'exécuter l'offre, qu'elle avait acceptée, de lui vendre sa centrale.

EDF demande à la cour de rejeter la requête de la société Energie de Bigorre et de confirmer la décision du Conseil de la concurrence en ce qu'il a déclaré la saisine irrecevable, faisant valoir :

1. Que ses propositions sont calculées sur la base des coûts évités du système électrique pour permettre à la société Energie de Bigorre de recouvrer ses dépenses, ce au vu des éléments qui lui ont été communiqués ;

2. Que seules sont en jeu les relations contractuelles, sans que soit affecté le fonctionnement du marché ;

3. qu'il n'y a pas abus de position dominante ;

4. que la lettre du 29 octobre 1997 n'évoque qu'une possibilité mais ne constitue pas une offre précise d'achat.

Le Conseil de la concurrence indique que le litige persiste sur le montant de la rémunération mais qu'EDF a offert un contrat d'une durée de quinze ans comportant une rémunération similaire à celle des producteurs exploitant une centrale au fioul et qu'il ne peut donc lui être reproché de pratique discriminatoire.

Le ministre de l'Economie demande à la cour de constater la recevabilité de la saisine de la société Energie de Bigorre et de renvoyer l'affaire au Conseil de la concurrence afin qu'il apprécie l'adéquation des mesures conservatoires demandées à la situation actuelle. Il souligne que :

1. Le litige n'est pas uniquement commercial et s'inscrit dans une stratégie visant toute une catégorie de producteurs ;

2. Les propositions d'EDF sont susceptibles de constituer un abus de position dominante.

Le Ministère public s'en est rapporté à justice ;

Les parties ont été mises en mesure, à l'audience, de répliquer aux observations du ministre et du Ministère public ;

Sur ce, LA COUR :

Considérant qu'en application de l'article 19 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le Conseil de la concurrence peut déclarer, par décision motivée, la saisine irrecevable s'il estime que les faits invoqués n'entrent pas dans le champ de sa compétence ou ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants ;

Considérant qu'en l'espèce, EDF détient une position dominante sur le marché de l'électricité dès lors qu'elle dispose du monopole de la distribution;

Considérant que le litige opposant la société Energie de Bigorre à EDF s'inscrit dans le cadre de l'application du contrat d'entreprise conclu entre EDF et l'Etat prévoyant une baisse du prix de vente de l'électricité et mettant en place des contrats ayant pour objectif la préservation de la rentabilité des investissements lancés par les producteurs autonomes sur la base des anciens tarifs ; que ce contrat d'entreprise prévoit, en effet que :

" Les relations d'EDF avec les producteurs indépendants s'établiront sur la base de contrats d'achat dans la durée, basés sur les coûts de développement évités au système électricité. Des contrats-types seront approuvés par les pouvoirs publics dans les meilleurs délais. Les producteurs indépendants ayant réalisé, avant le début du présent contrat, un investissement dont la rentabilité se trouverait compromise, du fait de l'évolution des tarifs d'achat qui diminueront, comme les tarifs de vente, se verront proposer dès que possible un contrat d'achat du type défini précédemment, adapté pour permettre une rémunération satisfaisante des capitaux engagés ".

Considérant que la société Energie de Bigorre est en droit de prétendre au bénéfice d'un contrat conclu selon les conditions prévues par le contrat d'entreprise ;

Que, si au cours de l'audience devant le Conseil, EDF s'est déclarée prête à signer un contrat dispatchable d'une durée de quinze ans conforme au contrat d'entreprise, il n'est pas établi que les conditions d'un tel contrat permettraient la rémunération effective des capitaux engagés par la société Energie de Bigorre, notamment au regard du fait que les coûts d'une centrale fonctionnant au gaz, comme celle de la requérante sont supérieurs à ceux d'une centrale fonctionnant au diesel;

Considérant que, dans ces circonstances, il ne peut être exclu que les pratiques reprochées à EDF soient constitutives d'un abus de sa position dominante, contraire aux dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Que dès lors, il ne saurait être retenu que les faits invoqués n'entrent pas dans le champ de la compétence du Conseil ou ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants, au sens de l'article 19 précité;

Considérant qu'il s'ensuit que la décision déférée étant annulée, la saisine de la société Energie de Bigorre doit être déclarée recevable, et la présente affaire renvoyée pour instruction devant le Conseil, afin que celui-ci apprécie si les conditions nécessaires à la prise de mesures conservatoires sont réunies,

Par ces motifs : Annule la décision n° 99-D-02 du 12 janvier 1999 du Conseil de la concurrence ; Déclare recevable la saisine de la société Energie de Bigorre ; Renvoie l'affaire pour instruction devant le Conseil ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Met les dépens du présent recours à la charge du Trésor Public.