CA Paris, 1re ch. H, 4 décembre 1998, n° ECOC9810410X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Philips Electronic Grand Public (Sté), Darty et Fils (Sté), Toshiba Systèmes France (SA)
Défendeur :
Avantage-TVHA (SARL), Commissaire du Gouvernement, Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget, Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Avoué :
SCP Fisselier-Chiloux-Boulay
Avocats :
Mes Bazin, Devallon, Morin-Sievers, Saint-Esteben.
Le 28 mai 1998, la société Avantage a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par des fournisseurs, des grossistes et des distributeurs de produits de l'électronique grand public, qu'elle estime anticoncurrentielles, et a sollicité le prononcé de mesures conservatoires.
Relevant qu'il n'était pas contesté que la société Avantage, après avoir obtenu l'ouverture d'un compte auprès des sociétés Sony, Pioneer France SA, Toshiba Systèmes SA et Samsumg Electronics France, s'était heurtée à des difficultés pour poursuivre des relations commerciales avec ces sociétés après la diffusion par son magasin à l'enseigne TVHA d'une publicité comportant des prix dits "d'ouverture" inférieurs à ceux géné ralement pratiqués par la profession, qu'il ressortait des tableaux que la plaignante avait élaborés à partir des catalogues publiés au cours du printemps 1998 par les distributeurs de produits d'électronique grand public appartenant à différents réseaux de distribution qu'il existait une identité de prix pour de nombreuses références entre les prix proposés au public par les différents distributeurs alors même que ces prix ne pouvaient résulter d'un alignement, que les tarifs du grossiste SNER comportaient non le prix auquel le détaillant peut acheter les produits mais le prix de vente au consommateur TTC et enfin qu'il ressortait des conversations entre le représentant de la société Avantage et plusieurs fournisseurs, notamment Toshiba Systèmes SA, Pioneer France SA, Yamaha Electronique France, SCIE CREL et SNER, que les difficultés rencontrées par la plaignante pour être livrée dans des conditions commerciales normales étaient liées à sa politique de prix bas, le conseil, par décision n° 98-MC-08 du 8 septembre 1998,
- retenant qu'il ne pouvait être exclu, à ce stade de la procédure, que les difficultés auxquelles se heurte la société Avantage, revendeur pratiquant des prix inférieurs à ceux généralement observés dans le secteur de l'électronique grand public, relèvent de pratiques entrant dans le champ des dispositions des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, a rejeté la demande de mesures conservatoires formée par la société Avantage.
A l'encontre de cette décision, la société Toshiba Systèmes France SA a formé un recours en annulation ou, à titre subsidiaire, en réformation, conformément aux dispositions de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et les sociétés Philips Electronic Grand Public et Darty et Fils un appel-nullité.
La société Toshiba Systèmes France SA soutient que la décision 98-MC-08 qui a décidé, contrairement à ce qu'elle avait demandé, " qu'il n'y a pas lieu d'écarter du dossier les enregistrements des conversations téléphoniques et leur transcription, versés aux débats par la société Avantage ", méconnaît l'obligation, fondamentale de loyauté qui doit présider à la recherche des preuves et constitue une violation des articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme ainsi que des dispositions de la loi n° 91-646 du 10 juillet 1991 relatives au secret des correspondances émises par la voie des télécommunications, et qu'elle a un intérêt légitime à voir écarter ces enregistrements déloyaux et illicites, puisqu'ils lui sont spécifiquement opposés, par la décision déférée.
Elle demande, dans ces conditions, à la cour :
- d'annuler ou, subsidiairement, de réformer la décision :
- en ce qu'elle a rejeté sa demande et décidé "qu'il n'y a pas lieu d'écarter du dossier les enregistrements des conversations téléphoniques et leur transcription, versés aux débats par la société Avantage" ;
- en ce qu'elle a, sur le fondement des enregistrements en cause, décidé qu'il n'était pas exclu que les pratiques alléguées entrent dans le champ d'application des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
- de déclarer, en conséquence, conformément aux dispositions de l'article 19 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, que la saisine au fond de la société Avantage est irrecevable.
Les sociétés Philips Electronic Grand Public et Darty et Fils font valoir, quant à elles :
- que l'appel-nullité est une voie de recours autonome, ouverte subsidiairement, lorsque aucune autre voie de recours n'est possible en cas d'excès de pouvoir ou de violation d'un principe fondamental de procédure ;
- qu'en l'espèce le conseil a entaché sa décision de vices particulièrement graves et excédé ses pouvoirs en décidant, d'une part, la recevabilité des modes de preuves constitués par des enregistrements manifestement illicites, les déboutant ainsi de leurs demandes de retrait du dossier de ces enregistrements, d'autre part, et sur cette base, qu'il ne pouvait être exclu que les pratiques reprochées entraient dans le champ d'application des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
- qu'en effet le conseil, pour retenir les enregistrements effectués à l'insu des personnes écoutées et leur transcription, a fait fi tant du principe général de loyauté des preuves qui s'applique à lui, que des articles 6 et 8 de la Convention européenne des Droits de l'Homme.
Elles demandent en conséquence à la cour :
- de constater la violation par le conseil du principe général de loyauté des preuves et des articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et de dire que le conseil a commis un excès de pouvoir ;
- de dire nulle la décision en ce qu'elle a retenu lès enregistrements réalisés par la société Avantage, ainsi que leur transcription, et s'est fondée essentiellement sur eux pour déclarer qu'il n'était pas exclu que les pratiques reprochées entrent dans le champ des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
La SARL Copra, par conclusions du 17 novembre 1998, demande qu'il lui soit donné acte de son intervention volontaire à l'instance initiée par Toshiba et de ce qu'elle donne adjonction pure et simple aux écritures déposées par celle-ci au soutien de son "appel ".
La société Avantage sollicite oralement la "confirmation° de la décision du conseil.
Le commissaire du Gouvernement et le ministère public concluent oralement à l'irrecevabilité des recours,
Sur ce, LA COUR :
Considérant que les trois recours, enregistrés sous les numéros 98-23280, 98-23301 et 98-23314, qui concernent la même décision, doivent être joints ;
Considérant que l'intervention volontaire de la société Copra au seul soutien des prétentions de la société Toshiba est recevable ;
Sur le recours en annulation ou en réformation :
Considérant que la société Toshiba prétend que le conseil a décidé que les enregistrements téléphoniques produits par la société Avantage ne devaient pas être écartés du dossier et qu'en conséquence la saisine au fond n'était par irrecevable ;
Mais considérant que, contrairement à ce qui est prétendu, la décision n° 98-MC-08 déférée ne contient qu'un article unique selon lequel "la demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro M 215 est rejetée ";
Que les motifs sur lesquels s'appuie cette décision ne sont pas décisoires, dès lors qu'ils ne fondent que l'affirmation de ce qu'il ne peut être exclu, au stade de la procédure où le conseil statue sur la demande de mesures conservatoires, que les pratiques dénoncées entrent dans le champ des dispositions des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; qu'ils ne constituent pas le support d'une décision de recevabilité de la saisine au fond;
Que le recours prévu par l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et exercé par la société Toshiba, ne vise que la décision du conseil relative aux mesures conservatoires;
Qu'en outre, aux termes de l'article 15 du texte précité, l'ouverture d'une instruction sur les faits invoqués dans la saisine ne fait pas l'objet d'une décision susceptible de recours, seules pouvant être attaquées celles, autres que de mesures conservatoires, prévues au titre IV de l'ordonnance, à savoir, qui déclarent la saisine irrecevable, de non-lieu à poursuivre la procédure ou de sanction des pratiques anticoncurrentielles constatées;
Que, dès lors, le recours formé par la société Toshiba, qui ne tend pas à contester la décision rejetant une demande de mesures conservatoires faite à son encontre, doit être déclaré irrecevable;
Sur l'appel-nullité :
Considérant qu'il est de jurisprudence constante qu'un appel-nullité est ouvert en cas d'excès de pouvoir ou de violation d'un principe fondamental de procédure à l'encontre d'une décision insusceptible d'un autre recours;
Considéranttoutefois, au cas d'espèce, qu'aucune décision non susceptible de recours n'a été prise par le conseil, dès lors que les parties intéressées pourront critiquer les modes de preuve qui seront retenus dans le cadre de la saisine au fond par l'exercice des recours prévus à l'article 15 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Qu'il s'ensuit que l'appel-nullité formé, d'une part, par la société Philips Electronic Grand Public et, d'autre part, par la société Darty et Fils, doit être déclaré irrecevable ;
Par ces motifs : Joint les procédures ouvertes, sous les numéros 98-23280, 98-23301 et 98-23314 ; Dit irrecevables les recours formés par les sociétés Philips Electronic Grand Public, Darty et Fils et Toshiba Systèmes contre la décision du conseil de la concurrencé n° 98-MC-08 du 8 septembre 1998 ; Met les dépens à la charge des requérantes.