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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 3 juillet 1998, n° ECOC9810206X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

SMA (SA)

Défendeur :

MOS (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

M. Feuillard, Mme Marais

Avoués :

SCP Dauthy-Naboudet, SCP Roblin-Chaix de Lavarene

Avocats :

Mes Mauduit, Gaudin, Berdou.

CA Paris n° ECOC9810206X

3 juillet 1998

LA COUR statue sur le recours formé par la Société moderne d'assainissement et de nettoiement (SMA) en réformation partielle de la décision n° 97-PB-02 du conseil de la concurrence (le conseil) du 27 mai 1997.

Il est fait référence pour l'exposé des faits à la décision déférée.

Il suffit ici de rappeler que le Syndicat intercommunal pour le traitement des ordures ménagères de l'aire de Fréjus - Saint-Raphaël (SITOM), qui regroupe plusieurs communes, a lancé un appel d'offres restreint européen pour l'extension de la décharge contrôlée qu'il possède sur la commune de Bagnols-en-Forêt ; que, le 14 novembre 1996, la commission d'appel d'offres a retenu la SMA comme mieux disante pour un montant annuel de 13 768 482 F (HT) ; que la société Monin Ordures Services (MOS) avait fait une offre d'un montant de 7 217 200 F (HT) ; que le préfet du Var a déféré le marché passé entre le SITOM et la SMA au tribunal administratif de Nice ; qu'en cet état la SMA a saisi le conseil de pratiques qu'elle impute à la société MOS qu'elle qualifie de prix abusivement bas et de pratiques anticoncurrentielles et a sollicité la mise en œuvre de mesures conservatoires.

Le conseil, pour déclarer la saisine irrecevable et rejeter la demande de mesures conservatoires, a retenu, pour l'essentiel, que l'article 10-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relatif à la pratique des prix de vente aux consommateurs abusivement bas ne pouvait recevoir application en l'espèce dès lors que le SITOM était intervenu pour déléguer une mission de service public confiée aux communes en exerçant une fonction collective dans l'intérêt des collectivités territoriales concernées et non comme consommateur contractant pour satisfaire ses besoins personnels.

Il a par ailleurs observé que, sous réserve de l'instruction en cours, il ne pouvait être exclu que les pratiques dénoncées entrent dans le champ d'application des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

La société SMA soutient à l'appui de son recours que le SITOM n'est pas un intermédiaire, qu'il est un véritable établissement public disposant de compétences propres et d'un patrimoine constitué par les centres d'enfouissement techniques, qu'il réalise d'importants investissements financiers et assume des tâches qui débordent le cadre des prestations fournies par les exploitants des centres d'enfouissement.

Elle estime que le marché considéré a été passé par le SITOM dans son intérêt propre en vue d'assurer pour son compte une prestation qu'il ne se borne pas à refacturer à ses adhérents mais qui constitue l'un des éléments du service qu'il assume, à savoir la complète gestion de la politique d'élimination des déchets dans son aire géographique.

Elle conclut donc que l'article 10-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 est applicable à l'occasion du marché concernant le centre d'enfouissement technique de Bagnols-en-Forêt et prie la cour de renvoyer le conseil à poursuivre l'instruction du dossier.

La société MOS sollicite la confirmation de la décision du conseil qu'elle approuve d'avoir retenu que le SITOM n'était pas un consommateur au sens de l'article 10-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Dans ses observations écrites, le ministre de l'économie observe que le SITOM exerce la fonction du choix du concessionnaire et que le contrat de concession par lequel le concédant délègue au concessionnaire la gestion du service exclut que le demandeur consomme, pour satisfaire ses besoins propres, la prestation qu'il réclame.

Il approuve en conséquence la décision.

Le conseil, usant de la faculté de présenter des observations écrites, insiste sur le fait qu'il a écarté l'application de l'article 10-1 précité en ce que le SITOM, étant intervenu pour déléguer une mission de service public, ne pouvait être considéré comme un consommateur de produit, d'autant que le marché concernait l'exécution même de sa mission.

Le ministère public a conclu oralement à la confirmation de la décision.

Par arrêt du 17 février 1998, la cour a invité les parties à s'expliquer sur l'applicabilité des dispositions de l'article 10-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 dans l'hypothèse de la passation d'un marché public, tant du point de vue de la compatibilité de la notion de "consommateur" avec la qualité de l'autorité publique qui suscite les offres que du point de vue des règles qui gouvernent, de la part des soumissionnaires, les offres de prix.

Suite à cet arrêt :

La société SMA a estimé que l'article 10-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 était applicable en matière de marchés publics et a développé à nouveau son argumentation aux termes de laquelle le SITOM était bien, en l'espèce, un consommateur au sens de ce texte ;

La société MOS, tout en retenant que les dispositions qui gouvernent les offres de prix en matière de marchés publics ont une finalité propre et ne font pas obstacle à l'application de l'article 10-1 précité, a insisté à nouveau sur le fait que, pour le marché concerné, le SITOM n'était pas un consommateur ;

Le ministre de l'économie a relevé que la compétence technique du SITOM lui permettait d'exercer un choix éclairé, ce qui l'écartait de la définition du consommateur, et qu'en outre le fait que le Code des marchés publics contienne des dispositions spécifiques pour combattre les offres anormalement basses excluait pour ces marchés l'application de l'article 10-1 susvisé ;

Le conseil a observé que les dispositions du Code des marchés publics n'étaient pas exclusives de celles de l'article 10-1 dès lors que l'autorité publique qui lancait l'appel d'offres agissait en qualité de consommateur, c'est-à-dire contractait en vue de sa consommation propre ;

Le ministère public a de nouveau conclu oralement au rejet du recours.

Sur ce, LA COUR :

Considérant que l'article 10-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 prohibe "(...) les offres de prix ou pratiques de prix de vente aux consommateurs abusivement bas (...)" ;

Que le "consommateur" est la personne physique ou morale qui, sans expérience particulière dans le domaine où elle contracte, agit pour la satisfaction de ses besoins personnels et utilise dans ce seul but le produit ou le service acquis;

Qu'en l'espèce, comme l'a justement relevé le conseil, le SITOM est intervenu pour subdéléguer une mission de service public confiée aux communes et pour satisfaire, non ses propres besoins, mais ceux des habitants des communes syndiquées;

Qu'il s'ensuit que le SITOM n'est pas un consommateur au sens de l'article 10-1 susvisé qui n'est donc pas applicable;

Considérant au surplus, s'agissant d'un marché public, qu'il convient d'observer que le Code des marchés publics fait obligation aux personnes responsables de la passation des marchés, lorsque le prix proposé leur paraît anormalement bas, de demander, avant de rejeter l'offre, des explications sur sa composition et de vérifier cette composition au vu des explications fournies ;

Que cette exigence, qui pèse sur l'autorité dont émane l'offre, suppose une compétence technique dans le domaine où elle intervient, présumée par la loi, qui est incompatible avec la notion de "consommateur" au sens de l'article 10-1 de l'ordonnance susvisée et exclut l'application de ce texte à l'occasion de la passation des marchés publics ;

Considérant en conséquence que le recours sera rejeté,

Par ces motifs : rejette le recours ; condamne la Société moderne d'assainissement et de nettoiement aux dépens.