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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 10 mars 1998, n° ECOC9810071X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Dupin, Syndicat des chirurgiens dentistes de l'Indre-et-Loire, Union nationale patronale des prothésistes dentaires

Défendeur :

Syndicat des chirurgiens dentistes du Rhône

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

Mmes Renard-Payen, Marais

Avocat général :

M. Salvat

Conseiller :

M. Perie

Avoué :

SCP Lecharny-Cheviller

Avocats :

Mes Illouz, Negre, Weber, Madec.

CA Paris n° ECOC9810071X

10 mars 1998

Par décision n° 97-D-25 du 22 avril 1997 relative à des pratiques mises en œuvre par les syndicats de chirurgiens-dentistes d'Indre-et-Loire CNSD 37 et du Rhône CNSD 69, le Conseil de la concurrence a :

- dit que le syndicat des chirurgiens-dentistes d'Indre-et-Loire CNSD 37 a enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 en diffusant, le 18 octobre 1994, auprès de tous les praticiens exerçant à titre libéral dans le département, une circulaire qui constituait une incitation manifeste au boycott collectif des prothésistes dentaires qui ne se désolidariseraient pas de la position prise par l'UNPPD ;

- infligé audit syndicat une sanction pécuniaire de 100 000 F ;

- dit que, dans un délai de trois mois suivant la notification de la décision, celle-ci devrait être publiée, à l'initiative et aux frais du syndicat, dans la revue Le Chirurgien-dentiste de France.

Cette décision, sans pour autant en faire mention dans son dispositif, a également estimé que les éléments figurant au dossier ne permettaient pas d'établir que les pratiques dénoncées par M. Guy Dupin à l'encontre du syndicat des chirurgiens-dentistes du Rhône CNSD 69 étaient constitutives d'une tentative de boycott à son égard et que ledit syndicat aurait enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance de 1986.

M. Guy Dupin a formé recours à l'encontre de cette décision à l'effet de voir constater que le syndicat des chirurgiens-dentistes du Rhône CNSD 69, en adressant à la société Publiprint l'arrêt de la cour d'appel de Lyon qui l'a condamné pour exercice illégal de l'art dentaire et publicité mensongère, sans mentionner l'existence d'un pourvoi, et en invitant cette société à cesser de diffuser les encarts publicitaires qu'il faisait paraître dans le cadre de ses activités professionnelles, a commis à son encontre des actes de boycott et a ainsi enfreint les dispositions de l'article 7 précité de l'ordonnance du 1er décembre 1986 (procédure n° 97-13803).

Le syndicat des chirurgiens-dentistes du Rhône CNSD 69 a fait observer, à titre principal, que le recours intenté par M. Dupin est irrecevable à défaut pour celui-ci d'avoir respecté les dispositions de l'article 2 du décret n° 87-349 du 19 octobre 1987 relatif aux recours exercés devant la Cour d'appel de Paris contre les décisions du Conseil de la concurrence, et, à titre subsidiaire, que la décision du conseil est bien fondée et doit être confirmée en tous points.

Le syndicat des chirurgiens-dentistes d'Indre-et-Loire CNSD 37 a formé, de son côté, un recours, aux fins de réformation de la décision du conseil, portant exclusivement sur le montant de la sanction pécuniaire qui lui a été infligée, qu'il estime disproportionnée, et demande à la cour de réduire celle-ci à un montant symbolique, compte tenu de sa bonne foi et de la faiblesse de ses ressources (procédure n° 97-13874).

L'UNPPD (Union nationale patronale des prothésistes dentaires) a formé recours incident à l'effet de voir rejeter l'intégralité des prétentions formulées par le syndicat des chirurgiens-dentistes d'Indre-et-Loire CNSD 37 (procédure n° 97-15446).

Aux termes de ses observations, le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie a conclu à la confirmation de la sanction prononcée à l'encontre du syndicat des chirurgiens-dentistes d'Indre-et-Loire, qu'il estime parfaitement proportionnée aux données de la cause et, dans la mesure où le recours de M. Dupin serait déclaré recevable, s'en rapporte à justice sur la qualification susceptible d'être donnée, au regard de l'article 7 de l'ordonnance de 1986, à la tentative de boycott dénoncée par ce dernier.

M. Guy Dupin a formulé ses observations tant sur la recevabilité de son recours que sur son bien-fondé dans son mémoire du 18 décembre 1997.

Le Conseil de la concurrence a fait connaître qu'il n'entendait pas former d'observations.

Le ministère public a conclu oralement à l'irrecevabilité du recours de M. Dupin et au rejet de celui formé par le syndicat.

Sur quoi, LA COUR :

Considérant que les recours formés par M. Dupin et par le syndicat des chirurgiens-dentistes d'Indre-et-Loire CNSD 37 à l'encontre de la même décision et instruits sous les numéros 97-13803 et 97-13874 doivent être joints ;

Considérant que l'UNPPD a formé un recours incident pour intervenir dans le cadre de la présente instance ; que ce recours instruit sous le numéro 97-15446 doit être joint aux deux instances principales susvisées ;

Sur la recevabilité du recours exercé par M. Guy Dupin :

Considérant que l'article 2 du décret n° 87-849 du 19 octobre 1987 impose, sous peine d'irrecevabilité prononcée d'office, que l'objet du recours soit précisé dans la déclaration écrite déposée, contre récépissé, au greffe de la Cour d'appel de Paris et que celle-ci contienne l'exposé des moyens invoqués, sauf pour le demandeur qui n'a pas déféré à cette prescription, à déposer cet exposé au greffe dans les deux mois qui suivent la notification de la décision du conseil ;

Considérant en l'espèce que, par déclaration déposée au greffe de la cour le 19 juin 1997, M. Guy Dupin a déclaré par la présente interjeter appel de la décision rendue le 23 mai 1997 par le Conseil de la concurrence à l'encontre de M. le président du syndicat des chirurgiens-dentistes du Rhône CNSD 69, sans autre précision ;

Considérant que si la décision attaquée est, dans cet acte, en dépit d'une erreur de date et de l'omission du syndicat des chirurgiens-dentistes d'Indre-et-Loire, suffisamment identifiable et a pu être aisément identifiée par les différents intervenants, la finalité du recours exercé par M. Dupin, qui ne fait l'objet d'aucune mention précise, n'est pas suffisamment déterminée et ne peut se déduire de la nature du dispositif de la décision qui ne comporte aucune mention quant aux pratiques par lui dénoncées;

Que cette déclaration, qui ne contient pas, par ailleurs, l'exposé des moyens que le requérant entend opposer, n'a pas été suivie, dans les deux mois de la notification de la décision du conseil effectuée le 23 mai 1997, du dépôt d'un mémoire destiné éventuellement à la compléter ;

Que la simple communication des pièces, au nombre desquelles figure le mémoire déposé, en son temps, devant le Conseil de la concurrence en réponse au rapport de notification des griefs établi par son rapporteur, n'est pas de nature à se substituer au mémoire susvisé ni à permettre de discerner, avec la précision requise, les points de fait et de droit contestés de la décision du conseil et ne peut constituer l'exposé des moyens au sens de l'article précité ;

Que le mémoire du 18 décembre 1997 n'a pas été déposé dans les délais requis ;

Que le recours de M. Dupin est, dans ces conditions, irrecevable ;

Sur le recours du syndicat des chirurgiens-dentistes d'Indre-et-Loire CNSD 37 :

Considérant qu'il convient de rappeler que le syndicat des chirurgiens-dentistes d'Indre-et-Loire CNSD 37 ne conteste pas la décision du conseil sur le principe même de l'infraction à l'égard des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que le recours par elle exercé ne porte que sur le montant de la sanction qui lui a été infligée ;

Considérant qu'aux termes de l'article 13, alinéa 3, de l'ordonnance de 1986 les sanctions pécuniaires prononcées par le conseil doivent être proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme sanctionné, et être individuellement déterminées ;

Considérant que le syndicat reproche essentiellement au conseil, en lui infligeant une sanction pécuniaire de 100 000 F :

- de n'avoir pas tenu compté de la modicité de ses ressources, puisque sur les 636 131 F déclarés au titre de l'année 1996 il n'a pas été tenu compte de la rétrocession qu'il doit opérer au profit de la confédération nationale ;

- d'avoir évoqué une procédure antérieure qui ne le concernait pas et ne pouvait en conséquence aggraver la sanction prononcée ;

- de n'avoir pas tiré les conséquences de ce qu'aucune rupture des relations commerciales entre chirurgiens-dentistes et prothésistes n'était résultée de la pratique condamnée et de ce qu'il avait immédiatement obtempéré à la mesure conservatoire ordonnée ;

Mais considérant qu'il convient, en premier lieu, de relever que dans le contexte conflictuel opposant les chirurgiens-dentistes aux prothésistes, amplement médiatisé, le syndicat n'ignorait pas que la circulaire qu'il a diffusée, le 18 octobre 1994, considérée par le conseil comme un acte incitatif au boycott collectif, revêtait de toute évidence une gravité d'autant plus importante que le syndicat est fortement implanté auprès des praticiens du département ; que, contrairement à ce qu'il indique, le conseil n'a pas tenu compte des précédents pour retenir un état de récidive à son encontre mais uniquement pour souligner qu'il ne pouvait ignorer la gravité des pratiques auxquelles il s'est livré en raison des sanctions antérieurement prononcées à l'encontre d'autres syndicats pour des pratiques de boycott similaires dont il était pleinement informé ;

Considérant, en deuxième lieu, quel'article 7 de l'ordonnance de 1986 visant toute pratique qui a pour objet ou peut avoir pour effet, réel ou potentiel, de fausser le jeu de la concurrence, et toute pratique de boycott étant en soi anticoncurrentielle, le conseil a considéré, à juste titre, qu'un dommage à l'économie sur le marché de référence, en l'occurence celui de la prothèse dentaire, avait été causé par la pratique consistant à inciter au boycott de tout fournisseur de prothèses, quel que soit le lieu de son implantation, qui refuserait de se démarquer des positions de l'UNPPD; quel'absence de ruptures commerciales entre les praticiens et les prothésistes et le caractère isolé de la pratique ont été, à bon droit, retenus pour limiter la sanction devant en résulter;

Considérant, en troisième lieu, que le conseil a exactement souligné, nonobstant les rétrocessions susceptibles d'intervenir au bénéfice de la confédération nationale, que les ressources déclarées du syndicat s'élevaient à 636 631 F ; qu'il n'est pas contesté, compte tenu de l'implantation certaine de cet organisme au sein du département et du nombre de ses adhérents, que la sanction prononcée n'excède pas la somme de 770 F par adhérent ;

Que la sanction de 100 000 F prononcée a été proportionnée aux critères de référence et parfaitement individualisée à la situation du syndicat en cause ;

Qu'il s'ensuit que le recours formé par ce dernier doit être rejeté.

Par ces motifs: Joint les procédures 97-13803, 97-13874 et 97-15446 ; Donne acte à l'UNPPD de son recours incident aux fins d'intervention ; Déclare irrecevable le recours déposé le 19 juin 1997 par M. Guy Dupin ; Rejette le recours formé le 23 juin 1997 par le syndicat des chirurgiens-dentistes d'Indre-et-Loire CNSD 37 à l'encontre de la décision n° 97-D-25 du 22 avril 1997 du Conseil de la concurrence ; Condamne M. Dupin et le syndicat des chirurgiens-dentistes d'Indre-et-Loire CNSD 37 aux dépens.