Livv
Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 29 juin 1993, n° 9637-93

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Sharp Electronics France (SA)

Défendeur :

Chavinier (ès qual.), Logitec (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chavanac (Conseiller faisant fonction)

Conseillers :

Mmes Briottet, Vigneron

Avoués :

SCP Fanet, SCP Varin Petit

Avocats :

Mes Colin, Bessis

T. com. Bobigny, du 10 févr. 1993

10 février 1993

Par déclaration remise au secrétariat greffe le 7 avril 1993, la SA Sharp Burotype Machines a interjeté appel du jugement du 10 février 1993 par lequel le Tribunal de commerce de Bobigny l'a condamnée à payer à la SA Logitec la somme de 2 800 000 F à titre de dommages-intérêts et la somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Cette affaire a été instruite selon la procédure à jour fixe.

La SA Sharp Electronics France (anciennement dénommée Société Sharp Burotype Machines et ci-après désignée sous le nom de société Sharp) expose qu'elle est l'importateur en France et en Belgique du matériel de micro-informatique et de bureautique de marque Sharp et que par contrat du 12 janvier 1990 modifié par un avenant du 23 mai 1990, elle a concédé à la société Logitec la distribution de plusieurs scanners Sharp et la distribution exclusive sur le territoire français du scanner type JX100 pour une période déterminée.

La société Sharp fait grief au tribunal d'avoir déclaré qu'elle avait violé son obligation contractuelle de distribution exclusive du produit susvisé en ne veillant pas à ce que soit respecté l'absence de " distribution parasite " de ce produit sur le territoire concédé alors qu'elle était seulement tenue de n'approvisionner, sur ce territoire, aucun autre distributeur que la société Logitec mais qu'elle n'était pas astreinte à lui garantir une exclusivité absolue qui est prohibée par l'article 10-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et par l'article 85-1 du traité de Rome.

A titre subsidiaire, la société Sharp soutient que le préjudice allégué n'est pas établi.

En conséquence, la société Sharp demande d'infirmer le jugement, de débouter Maître Chavinier pris en qualité de liquidateur de la liquidation judiciaire de la société Logitec de ses prétentions et de le condamner à lui payer les sommes de 200 000 F et de 70 000 F respectivement à titre de dommages intérêts pour procédure abusive et de frais non répétitibles.

Maître Chavinier ès qualités conclut à la confirmation du jugement sauf à porter le montant des dommages intérêts à la somme de 5 400 000 F avec intérêts légaux à compter du 27 avril 1990 outre la somme de 300 000 F à titre de dommages-intérêts supplémentaires pour rupture abusive du contrat et celle de 120 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Maître Chavinier demande également de " dire le contrat nul par application de l'ordonnance du 1er décembre 1986 du fait de l'abus de dépendance économique et du fait de la violation du règlement 1983-83 notamment au niveau de la clause de non-concurrence " ;

SUR LE FOND DU LITIGE

Considérant que par acte sous seing privé daté du 12 janvier 1990, la société Sharp, concessionnaire exclusif pour la France et la Belgique de produits de bureautique et d'informatique de marque Sharp, a sous concédé à la société Logitec, sur le territoire de la France, la distribution exclusive du produit JX100 pendant la période du 1er janvier 1990 au 31 décembre 1992 et la distribution sans exclusivité des autres produits de la gamme JX avec des quotas d'achat pour chacun des produits ;

Que la société Logitec s'est engagée à ne pas s'intéresser directement ou indirectement sur l'ensemble du territoire concédé à tous produits identiques à ceux objets du contrat et susceptibles de les concurrencer pendant toute la durée du contrat et pendant les deux ans suivants ;

Considérant que suivant avenant daté du 23 mai 1990, les quotas d'approvisionnement sont supprimés et le terme du contrat est fixé au 30 septembre 1990 avec un préavis de trois mois ;

Considérant que conformément à cet avenant, la société Sharp a par lettre recommandée du 29 juin 1990, avisé la société Logitec qu'elle mettait fin au contrat le 30 septembre 1990 ;

Considérant que la demande de Me Chavinier ès-qualités en annulation du contrat repose sur l'abus de dépendance économique qui serait établie par des quotas d'achat irréalistes imposés par le concédant et par la clause de non-concurrence d'une durée supérieure à celle du contrat ;

Considérant tout d'abord que Me Chavinier ne peut utilement fonder la preuve d'un abus de dépendance économique sur des quotas d'achatqui ont été supprimés par l'avenant du 23 mai 1990.

Considérant qu'il en est de même de la clause de non-concurrence d'une durée supérieure à celle du contrat ;

Que certes, cette durée est contraire à la Communication du 31/12/1983 de la Commission des Communautés européennes relative aux règlements n° 1983-83 et n° 1984-83 de cette Commission qui dispose en son article 18 que les " obligations restrictives de concurrence exemptées par les règlements ne peuvent être stipulées que pour la durée de l'accord. Cette règle s'applique surtout aux interdictions de concurrence imposées au fournisseur et au revendeur " ;

Considérant que cette clause qui continue à faire peser sur la société Logitec une obligation de non-concurrence postérieurement à la durée du contrat, n'est pas un élément essentiel de celui-ci ;

Qu'en conséquence, son illégalité au regard du droit communautaire de la concurrence a seulement pour effet d'entraîner la nullité de l'obligation de non-concurrence après la fin des relations contractuelles et non la nullité du contrat ;

Considérant sur la responsabilité contractuelle de la société Sharp, qu'en concédant à la société Logitec la distribution exclusive du scanner JX100 en France la société Sharp qui était elle-même concessionnaire, avait seulement l'obligation de ne pas livrer ce produit dans ce pays aux autres revendeurs ou utilisateurs;

Que la société Sharp n'était pas tenue d'assurer à la société Logitec une exclusivité territoriale absolue qui est prohibée par l'article 85, alinéa 1 du traité de Rome et par l'article 3 paragraphe d) du règlement n° 1983-83 de la Commission des Communautés européennes relatif aux accords bilatéraux de distribution exclusive;

Considérant que Maître Chavinier qui ne prouve pas que la société Sharp a violé son obligation contractuelle d'exclusivité telle qu'elle est définie ci-dessus, doit être débouté de sa demande en paiement de dommages-intérêts ;

Considérant qu'il y a lieu de rejeter la demande de la société Sharp en paiement de dommages-intérêts compte tenu qu'elle ne rapporte pas la preuve que la société Logitec et son liquidateur ont abusé de leurs droits de recourir à justice ;

Considérant qu'eu égard aux circonstances de la cause, il parait inéquitable de laisser à la charge de la société Sharp ses frais non répétitibles exposés en première instance et en appel à concurrence de la somme de 15.000 F.

Par ces motifs : LA COUR, Infirmant le jugement déféré, Déboute Me Chavinier pris en qualité de liquidateur de la liquidation judiciaire de la SA Logitec de ses prétentions. Déboute la SA Sharp Electronics France de sa demande en paiement de dommages-intérêts ; Condamne Me chavinier ès qualités à payer à la SA Sharp Electronic France la somme de 15 000 F au titre des frais non répétibles ; Condamne Me Chavinier ès qualités aux dépens de première instance et d'appel, et pour ceux d'appel accorde un droit de recouvrement direct au profit de la SCP Fanet.