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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 28 janvier 1993, n° 90-22524

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher (SA)

Défendeur :

Conception Administration Participation (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Serre

Conseillers :

Mme Garnier, M. Bouche

Avoués :

SCP Fisselier Chiloux Boulay, SCP Lagourgue

Avocats :

Mes Peignard, Collin, de Sainte Croix

T. com. Paris, 1re ch., du 10 sept. 1990

10 septembre 1990

La société anonyme Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher (ci-après Y. Rocher) a interjeté appel d'un jugement rendu le 10 septembre 1990 par le Tribunal de commerce de Paris qui :

- a dit que le contrat de franchise par elle conclu le 12 décembre 1984 avec la SNC Bleines et Compagnie s'était trouvé résilié à ses torts le 22 novembre 1988,

- l'a condamnée à payer à la société Bleines et Compagnie les sommes suivantes : en l'état : 1 203 352 F à titre de dommages intérêts,

40 000 F pour abus de procédure,

50 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau code procédure civile.

Le 12 décembre 1984, la société Y. Rocher a conclu avec la société Bleines, actuellement dénommée Conception Administration Participation (ci-après Bleines), un contrat de franchise d'une durée de 5 ans, en vue de l'exploitation d'un " Centre de beauté Y. Rocher " sis 1 rue du Renard à Paris IV.

Aux termes de cette convention la société Y. Rocher s'engageait à ne pas accorder de franchise et à ne pas installer elle-même un centre de beauté dans le périmètre concédé mais conservait le droit d'y vendre directement ou indirectement ses produits notamment par correspondance.

Elle s'engageait en outre :

- à apporter au franchisé une aide technique en vue de l'aménagement et de l'agencement du magasin selon les normes et l'usage de sa marque,

- à organiser avant et après ouverture du centre, des séances de formation professionnelle,

- à fournir une assistance technique, commerciale et comptable,

- à organiser des campagnes publicitaires.

En contrepartie, la société Bleines s'obligeait à ne vendre que des produits expressément approuvés par la société Y. Rocher, et notamment s'interdisait de céder directement ou indirectement lesdits produits à des revendeurs autres que les franchisés Y. Rocher des pays de la Communauté européenne.

La société Y. Rocher indique avoir découvert que de mai à septembre 1988, la société Bleines a expédié des produits de sa marque, en quantités importantes à Mme Eva Seidl, Quellestrasse 119 à Vienne (Autriche), ancienne franchisée de son réseau.

Par acte du 22 novembre 1988, la société Y. Rocher a assigné la société Bleines à l'effet de voir prononcer la résiliation du contrat de franchise aux torts de celle-ci et d'obtenir le versement de dommages-intérêts.

La société Bleines a prié le tribunal de prononcer la résiliation du contrat aux torts exclusifs de la société Y. Rocher et de condamner celle-ci à lui payer la somme de 3 603 352 F en réparation du préjudice par elle subi.

Par jugement rendu le 13 janvier 1989 le tribunal a ordonné aux parties de communiquer divers documents et a commis en qualité de constatant la SCP Blondet Chevrier de Zitter, huissier de justice à l'effet de déterminer le nombre des expéditions effectuées par la société Bleines à destination de l'Autriche ou de tout autre pays appartenant ou non à la zone de libre échange.

Maître Blondet a dressé procès verbal de ses opérations le 17 mai 1989.

C'est dans ces circonstances qu'a été rendu le jugement déféré à la Cour.

La société Y. Rocher fait valoir au soutien de son appel :

- que la société Bleines en vendant des produits à Mme Seidl, ancienne franchisée autrichienne, a contrevenu aux stipulations contractuelles et ne saurait se prévaloir des dispositions de l'article 23 alinéa 1er de l'accord conclu le 31 décembre 1972 entre la CEE et l'Autriche, qui sont dépourvues d'effet direct,

- que c'est à tort que le tribunal a considéré qu'elle n'avait pas respecté les modalités de résiliation prévues à l'article 8-2 du contrat, dès lors qu'elle s'est adressée à la juridiction compétente à l'effet d'obtenir la résiliation judiciaire.

La société Bleines, intimée réplique qu'elle à vendu les marchandises à M. Biechy et non à Mme Seidl et qu'elle ignorait que celle-ci n'appartenait plus au réseau Y. Rocher.

Elle reproche à la société Y. Rocher le non respect de ses obligations contractuelles concernant :

- le montant des frais d'installation et d'agencement du magasin,

- la transmission du savoir-faire,

- le montant de la marge brute,

- les ventes promotionnelles et la participation exceptionnelle de 5 % imposée aux franchisés.

Elle lui reproche en outre :

- une concurrence déloyale par le biais des ventes par correspondance,

- un abus de dépendance économique,

- le non respect de la décision prise le 17 décembre 1986 par la Commission des Communautés Européennes,

- l'imposition du prix de revente,

- l'impossibilité d'acquérir des produits auprès des autres franchisés,

La société Y. Rocher conteste l'intégralité des griefs allégués par la société Bleines.

En définitive, la société Y. Rocher demande à la Cour :

- d'infirmer la décision entreprise,

- de prononcer la résiliation du contrat de franchise aux torts et griefs de la société Bleines, à la date du 30 décembre 1988,

- de déclarer irrecevables comme nouvelles les demandes formées par celle-ci en cause d'appel, portant sur : les frais d'expertise et d'huissier, soit 74 432 F, les frais de garde meuble, et de transport s'élevant à 16 435 F,

- de dire que l'article 23 § 1 des accords conclu entre la CEE et l'Autriche le 31 décembre 1992 n'a pas d'effet direct,

- de lui donner acte de ce que la société Bleines renonce au moyen relatif à l'abus de position dominante,

- de dire que celle-ci n'était pas dans un état de dépendance économique et qu'aucun abus d'une telle situation ne peut lui être reproché,

- de condamner la société Bleines à lui rembourser avec intérêts de droit à compter du paiement, les sommes par elle versées au titre de l'exécution provisoire ordonnée par le tribunal,

- de condamner la société Bleines à lui verser la somme de 200 000 F à titre de dommages intérêts et celle de 200 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La société Bleines prie la Cour,

- de confirmer le jugement à l'exception des dispositions afférentes au devis d'agencement, aux ventes par correspondance et au montant de son préjudice,

- de condamner la société Y. Rocher à lui payer les sommes suivantes :

3 318 240 F en principal,

100 000 F pour procédure abusive et dilatoire,

100 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

I- SUR LES VENTES DE LA SOCIÉTÉ BLEINES À MME SEIDL :

Considérant qu'aux termes de l'article 6-4 du contrat de franchise, la société Bleines s'est interdit " de céder directement ou indirectement les produits approuvés par la société (Y. Rocher) à d'autres revendeurs que les franchisés Y. Rocher des pays de la Communauté Européenne ;

Considérant qu'il résulte des pièces versées aux débats :

- que de mai à fin octobre 1988, la société Bleines a établi neuf factures totalisant la somme de 378 942,55 F portant les mentions suivantes :

" Correspondant : M. Jean-Luc Biechy

30 rue Piéton

75011 Paris

Facture : Eva Seidl Vienne "

- que celles-ci à l'exception des deux premières émises en mai 1988 indiquent en outre :

" Je soussigné, Michel Bleines, gérant de la SNC Bleines et compagnie, exportateur de marchandises couvertes par le présent document déclare que sauf indication contraire, ces marchandises répondent aux conditions fixées pour obtenir le caractère originaire dans les échanges préférentiels avec l'Autriche et sont originaires de France " ;

- que la société Fiduciaire d'Assistance et de Conseil, expert comptable de la société Bleines a attesté le 3 avril 1989 que les ventes susvisées étaient destinées à l'exportation,

- que la société Elbaum, expert comptable de la société Y. Rocher présente lors des opérations de constat effectuées par Maître Blondet huissier de justice, précise que M. Bleines qui tenait les écritures de base de la société, avait ouvert un compte particulier, dans lequel, les ventes litigieuses étaient enregistrées hors taxes, contrairement aux autres ventes ;

Considérant qu'il s'ensuit que la société Bleines n'est pas fondée à soutenir avoir vendu les produits en cause à M. Biechy qui s'était présenté à son magasin et avoir ignoré que ceux-ci étaient en réalité destinés à un revendeur autrichien, compte tenu de l'importance des transactions effectuées, de leur pourcentage par rapport au chiffre d'affaires réalisé au cours de la même période et du libellé des factures par elle établies ;

Considérant que la société Y. Rocher qui affirme avoir résilié le 14 mars 1988 le contrat de franchise la liant à Mme Seidl, ne produit aucun document probant établissant la réalité de cette résiliation ;

Considérant que la société Bleines fait valoir :

- que l'accord conclu le 31 décembre 1972 entre la CEE et l'Autriche fait partie intégrante de l'ordre juridique communautaire et a pour but d'établir la libre circulation des marchandises entre les Etats,

- que cet accord ne comporte aucun obstacle à la reconnaissance de l'effet direct,

- que les dispositions de l'article 23 § 1 du Traité peuvent donc être invoquées par les juridictions d'un Etat membre de la Communauté,

Considérant que la société Y. Rocher réplique que fautes d'obligations suffisamment claires et précises, l'article 23 §1 susvisé, n'a pas d'effet direct et que sa mise en œuvre est subordonnée à l'accord, du Comité mixte institué à l'article 27 ;

Considérant que les dispositions des accords conclu par la Communauté Européenne avec les Etats tiers " forment partie intégrante de l'ordre juridique communautaire "( CJCE arrêts Kupferberg du 26 octobre 1982, Sevince du 20 septembre 1990), que pareil accord doit être " considéré comme étant d'application directe lorsque, eu égard à ses termes ainsi qu'à l'objet et à la nature de l'accord ", il comporte " une obligation claire et précise qui n'est subordonnée dans son exécution ou dans ses effets à l'intervention d'aucun acte ultérieur " (CJCE arrêts Demirel du 30 septembre 1987, Sevince du 20 septembre 1990 ) ;

Considérant que l'accord conclu entre la Communauté Européenne et l'Autriche dispose : - à l'article 23 §1 " sont incompatibles avec le bon fonctionnement de l'accord, dans la mesure où ils sont susceptibles d'affecter les échanges entre la Communauté et l'Autriche, tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées entre entreprises qui ont pour objet ou effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence en ce qui concerne la production et les échanges de marchandises ",

- à l'article 27-3 auquel se réfère l'article 23-2, que chaque partie contractante peut saisir le comité mixte si elle estime qu'une pratique donnée est incompatible avec le bon fonctionnement de l'accord au sens de l'article 23 §1 ;

Considérant que l'article 85 §1 du Traité de Rome qui prohibe les ententes restrictives de concurrence n'a pas été intégralement transposé dans l'article 23-1 de l'accord de libre échange, qui vise seulement la production et les échanges de marchandises, alors que l'article 85 §1 s'étend à l'ensemble des secteurs de l'économie.

Que l'alinéa 2 de l'article 85 du Traité de Rome sanctionnant de nullité les ententes illicites et l'alinéa 3 du même article relatif aux conditions que doit remplir un accord pour bénéficier de l'exemption individuelle, après instruction du dossier par la Commission des Communautés Européennes ne sont pas reproduits dans le traité de libre échange conclu avec l'Autriche qui stipule seulement une " incompatibilité " avec le fonctionnement dudit traité et prévoit dans pareil cas, la saisine par l'une des parties prenantes à l'accord d'un comité fixe ;

Qu'il s'ensuit que les conditions fixées par la Cour de Justice des Communautés Européennes dans les arrêts Demirel et Sevince n'étant pas réunies, la société Bleines n'est pas fondée à soutenir que l'accord CEE Autriche a un effet direct ;

Considérant en outre, que la Commission des Communautés Européennes, qui, par décision du 17 décembre 1986, prise en application de l'article 85 alinéa 3 du Traité de Rome, a accordé à la société Y. Rocher une exemption individuelle " pour la distribution de ses produits cosmétiques à l'intérieur de la Communauté Economique Européenne " n'a pas étendu aux pays tiers liés à la CEE par des accords de libre échange, antérieurs à sa décision, les règles de droit européen interdisant à un franchiseur d'empêcher une franchisée de vendre des produits hors du territoire contractuel;

Considérant en conséquence que la société Bleines, en cédant " directement ou indirectement " les produits à un membre du réseau situé hors du territoire de la CEE n'a pas respecté les obligations prévues à l'article 6-4 du contrat conclu le 12 décembre 1984;

II- SUR L'ÉTAT DE DÉPENDANCE ÉCONOMIQUE :

Considérant que la société Bleines qui déclare renoncer au moyen fondé sur l'abus de position dominante, fait valoir :

- que les franchisés, de par la nature du contrat de distribution les liant au franchiseur sont dans une situation de dépendance économique,

- que la société Y. Rocher, par ses pratiques anticoncurrentielles, a enfreint l'exemption accordée par la Commission des Communautés Européennes,

- que son comportement est constitutif d'un abus de dépendance économique compte tenu de certaines pratiques ;

Considérant que la société Y. Rocher réplique :

- que les conditions caractérisant l'état de dépendance économique tel que défini par le Conseil de la Concurrence et la Cour d'appel de Paris, section concurrence, ne sont pas réunies en l'espèce,

- que la société Bleines ne rapporte pas la preuve d'une atteinte à la concurrence,

- que les comportements critiqués par ladite société ne constituent pas à les supposer établis des cas d'abus de dépendance économique ;

Considérant que la situation de dépendance économique au sens de l'article 8 alinéa 2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 s'apprécie en tenant compte du caractère simultané des 4 critères suivants :

a) Importance de la part du fournisseur dans le chiffre d'affaires du revendeur :

Considérant qu'aux termes de l'article 6-4 du contrat de franchise, le franchisé s'oblige à ne pas approvisionner son Centre de Beauté et à ne pas vendre de produits non expressément approuvés par la société Y. Rocher qui se réserve la possibilité de déterminer si les caractéristiques et les qualités de ces produits sont compatibles avec l'image de sa marque ;

Considérant que par décision du 17 décembre 1986, la Commission des Communautés Européennes, constate aux § 26 et 2 que le franchisé s'oblige à ne vendre que les produits de la marque Y. Rocher, sous réserve d'une tolérance pour certains produits accessoires, sous réserve d'un accord préalable ;

Considérant qu'il résulte des documents produits, que la part du fournisseur dans le chiffre d'affaires de la société Bleines, nonobstant l'exploitation de plusieurs cabinets de soins, est prépondérante ;

b) Notoriété de la marque :

Considérant qu'il existe en matière de cosmétiques et de produits de beauté un certain nombre de marque de notoriété équivalente et même supérieure à celle de la société Y. Rocher, notamment des marques de produits de luxe associées au nom de grands couturiers dont l'impact sur le marché, et dans l'esprit de la clientèle est supérieur à celui d'Y. Rocher ;

c) Importance de la part de marché du fournisseur :

Considérant que la Commission des Communautés Européennes constate dans sa décision d'exemption du 17 décembre 1986 :

- au § 6 : que " l'offre des produits cosmétiques est assez dispersée au niveau tant de la production que de la distribution ",

- au § 7 : que " la concentration en termes d'entreprise est relativement faible, le premier producteur européen " détenant une part du marché de la Communauté de 15 %, tandis que les autres n'en contrôlent pas plus de 5 % ",

- au § 9 que " sur l'ensemble du secteur des cosmétiques, Y. Rocher détient 7,5 % du marché français, 6 % du marché belge et moins de 5 % dans tous les autres Etats membres d'implantation du réseau " que " contrairement à certains producteurs ...Y. Rocher est présent dans tout le secteur des cosmétiques " et que " sa part de marché national n'excède pas 15 % des ventes d'une branche déterminée " ;

d) Impossibilité pour le distributeur d'obtenir d'autres fournisseurs des produits équivalents :

Considérant qu'aux termes du contrat, la société Bleines avait la possibilité d'obtenir auprès d'autres franchisés Y. Rocher implantés dans l'un des Etats membres de la Communauté, des produits identiques,

Que la Commission des Communautés Européennes a constaté au § 28 de la décision, cette faculté ;

Considérant que la société Bleines n'est pas fondée à prétendre n'avoir pu s'approvisionner auprès d'autres franchisés du Marché Commun, dès lors qu'elle ne justifie pas avoir réclamé à la société Y. Rocher la liste desdits franchisés ;

Considérant qu'il s'ensuit que l'état de dépendance économique allégué par la société Bleines n'est pas caractérisé, dès lors que la réunion des 4 conditions susvisées n'est pas établie ;

III- SUR LES GRIEFS ALLÉGUÉS PAR LA SOCIÉTÉ BLEINES :

a) Transmission du savoir-faire :

Considérant que la société Bleines fait valoir :

- que la société Y. Rocher ne lui a transmis ni savoir-faire, ni méthode commerciale,

- que les documents communiqués étaient d'une " banalité déconcertante ",

- que l'assistance et la formation en cours de contrat n'était pas obligatoire ;

Considérant que la société Y. Rocher explique :

- que la Commission des Communautés Européennes a admis la réalité et la transmission de son savoir-faire,

- que la communication de celui-ci à ses franchisés s'effectue par l'envoi de divers documents, les visites de ses conseillers dans les magasins et l'organisation de stages ;

Considérant que la décision d'exemption individuelle prise le 17 décembre 1986 par la Commission des Communautés Européennes précise au paragraphe 36 que la société Y. Rocher transfère à ses franchisés " un savoir-faire constitué par un ensemble de connaissances techniques et commerciales éprouvées au préalable par le fournisseur lui-même, non divulguées aux tiers et constituant de ce fait un avantage concurrentiel ", que " ce savoir-faire qui est consigné dans un manuel de procédure et complété par une assistance technique et commerciale continue, est constamment mis à jour en fonction des résultats de l'expérience acquise par le franchiseur par le biais de la vente par correspondance et dans ses magasins pilote " ;

Considérant qu'il résulte des pièces versées aux débats que la société Y. Rocher communique à ses franchisés outre le " manuel de procédure " examiné par la Commission, des dossiers mensuels, des revues, des circulaires ainsi que des fiches techniques afférentes aux gammes commercialisées, permettant à ceux-ci de connaître la composition, la qualité et les conditions d'utilisation des produits cosmétiques ainsi que de l'état du marché ;

Considérant que la société Bleines qui, dans ses écritures, indique ne pas avoir participé aux stages de formation organisés par Y. Rocher à l'exception d'un seul, préalable à l'ouverture du magasin et prétend s'être trouvée dans l'incapacité de distinguer certaines catégories de produits, n'est pas fondé à reprocher à ladite société, d'une part, la " banalité " de ses documents, d'autre part, l'absence de transmission de son savoir-faire dont la réalité, a été vérifiée et admise par la Commission des Communautés Européennes à une époque où le contrat litigieux était en cours d'exécution,

Qu'au surplus la société Bleines ne justifie pas avoir mis en demeure la société Y. Rocher de respecter ses obligations contractuelles ;

b) Prix de revente imposés aux franchisés :

Considérant que la société Bleines fait valoir que les bons de commande et les tarifs des livres verts de la beauté où figurent les prix de revente des produits établissent que la société Y. Rocher imposait aux franchisés les prix à la clientèle ;

Qu'en outre, faute de connaître les prix d'achats, et la liste des franchisés, elle ne pouvait s'adresser à ceux-ci ;

Considérant que la société Y. Rocher réplique qu'elle a seulement communiqué à ses franchisés des " prix conseillés " pratique admise par les instances communautaires ;

Considérant que par décision du 17 décembre 1986, la Commission des Communautés Européennes a constaté :

- au paragraphe 30 :

que la société Y. Rocher diffusait auprès de ses franchisés " un catalogue de prix indicatifs " ;

que les franchisés étaient libres " de fixer leurs prix de vente aux consommateurs à un niveau inférieur ou supérieur, étant entendu qu'il leur (était) recommandé de ne pas dépasser les prix indiqués sur le catalogue ",

- au paragraphe 51 que " les prix indicatifs figurant sur les catalogues diffusés par Y. Rocher auprès de ses franchisés (étaient) licites dès lors que les franchisés (conservaient) la faculté de déterminer leur prix en toute liberté et qu'il n'a été relevé au cours de l'instruction aucune pratique concertée entre le franchiseur et les franchisés ou entre les franchisés en vue de l'application effective de ces prix " ;

Considérant que par circulaire du 26 novembre 1986, la société Y. Rocher a précisé aux franchisés que les prix publics de produits tels qu'ils ressortaient des livres verts de la beauté et des tarifs de mise à jour par elle édités, constituaient " des prix conseillés " leur laissant " la possibilité de les adapter "

Que par ailleurs, le contrat ne leur enlevait pas la possibilité légale d'effectuer entre franchisés établis dans chacun des Etats membres du Marché Commun, des transactions portant sur ses produits ;

Considérant que la société Bleines ne saurait pour établir la réalité des prix imposés à la revente par elle alléguée, se fonder sur les tarifs du livre verts et les bons de commande, dès lors

- qu'elle ne verse aux débats pour la période contractuelle, que quelques pages en photocopie du livre vert édité en 1988-1989 ne permettant pas de déterminer si les prix mentionnés sur ces documents sont indicatifs ou impératifs,

- que les bons de commande passées au cours de cette même période ont été établis conformément à l'article 5-4 du contrat de franchise qui stipule que la société Y. Rocher s'engage à vendre au franchisé des produits " avec une remise de 31 % sur les prix de vente unitaires hors taxes tels qu'ils ressortent des livres verts de la beauté et des tarifs de mise à jour édités par elle " ;

Considérant que les autres pièces produites par la société Bleines (notamment : livre vert de 1992, tickets d'achat en 1992 de deux produits d'une valeur inférieure à 10 F) ne sauraient établir la réalité de ses affirmations, s'agissant de documents émis postérieurement à la cessation des relations contractuelles ;

Qu'au surplus, la DGCCRF, dans son rapport établi le 7 février 1991, n'a pas relevé de pratiques répréhensibles au regard de l'ordonnance du 1er décembre 1986, " notamment de comportement visant à faire respecter des prix minima de revente au consommateur " et a seulement demandé à la société Y. Rocher de préciser dans ses catalogues que les prix mentionnés étaient indicatifs ;

c) Marge brute :

Considérant que la société Bleines fait valoir que la société Y. Rocher, compte tenu de certaines pratiques (qui seront examinées ci-après), n'a pas respecté la marge minima de 31 % prévue au contrat ;

Mais considérant que l'article 4-5 du contrat, précédemment cité, n'a pas pour objet d'assurer à la société franchisée une marge brute minima de 31 % mais précise seulement les modalités de calcul du prix d'achat des produits par celui-ci, qui reste libre de fixer lui-même le prix de revente à la clientèle et par voie de conséquence sa marge bénéficiaire ;

Qu'au surplus, la société Bleines est mal fondée à prétendre avoir eu une marge inférieure à 31 % dès lors qu'il résulte des documents produits que celle-ci s'est élevée :

- en 1987, à 31,20 % (cf. lettre de l'expert comptable de la société Bleines du 31 mai 1988)

- en 1988, à 33 % (cf. le rapport de M. Nicollas chargé par la société Bleines de procéder à l'estimation de la valeur vénale du fonds de commerce),

et qu'elle ne verse aux débats aucun document probant afférent aux autres exercices de la période contractuelle ;

Que dans ces conditions les autres arguments fondés sur ce même moyen, à savoir les actions promotionnelles afférentes aux campagnes publicitaires prévues à l'article 5-5 du contrat, et les cadeaux destinés aux clients ne sauraient prospérer ;

d) Vente par correspondance (VPC) :

Considérant que la société Bleines fait valoir :

- que l'autorisation de la Commission des Communautés Européennes impliquait les mêmes conditions de ventes dans les différents systèmes,

- qu'en réalité, la société Y. Rocher a utilisé la VPC pour concurrencer de façon déloyale le réseau de franchisés en proposant par mailing ou par voie de presse des lots de produits à des prix nettement inférieurs à ceux " imposés " aux franchisés au cours des mêmes périodes ;

Considérant que la société Y. Rocher réplique :

- que la coexistence de systèmes de distribution différente est considérée par les instances communautaires comme un élément favorable au maintien d'une concurrence efficace,

- que la société Bleines a accepté ce système prévu au contrat,

- qu'en pratique toute offre promotionnelle du réseau VPC est accompagnée d'une offre différente mais équivalente dans les magasins franchisés ;

Considérant que l'article 2 du contrat du 12 décembre 1984 stipule que la société Y. Rocher " peut directement ou indirectement vendre des produits dans le périmètre réservé " aux franchisés notamment " par correspondance ";

Considérant que par décision du 17 décembre 1986, la Commission des Communautés Européennes, a admis la licéité d'une telle clause;

Considérant que les deux systèmes de vente répondent à des comportements divers de la clientèle :

- que la vente par VPC constitue un achat réfléchi de produits choisis par les clientes,

- que l'achat dans un magasin répond d'une part à un besoin immédiat ou spontané, d'autre part à un besoin de conseil qui ne peut être assuré par la VPC ;

Qu'il ne saurait dans ces conditions, sauf pratiques frauduleuses dûment établies, y avoir de concurrence déloyale entre les deux systèmes de vente;

Considérant que la société Bleines ne produit à l'appui des exemples cités dans ses écritures, aucun document probant établissant la réalité de la concurrence déloyale qu'elle allègue ;

Qu'il s'ensuit que le moyen n'est pas fondé ;

e) Participation exceptionnelle de 5 % :

Considérant que la société Y. Rocher expose :

- qu'elle s'est aperçue courant 1988, que certains franchisés se faisaient remettre dans le cadre de ventes promotionnelles des produits, mais ne les revendaient que passée cette période, bénéficiant ainsi de tarifs spéciaux qu'ils ne répercutaient pas à la clientèle,

- qu'elle a, alors, demandé aux franchisés, pour les techniques de vente les plus coûteuses et pour certaines promotions, une participation exceptionnelle de 5 % ;

- que ceux qui refusaient, se voyaient rembourser ladite somme avec en contrepartie l'impossibilité de participer aux ventes promotionnelles,

- que la société Bleines a accepté le principe de cette opération ;

Considérant que la société Bleines réplique avoir accepté de régler ladite somme, dans le seul but d'être approvisionné en produits cosmétiques ;

Considérant qu'il résulte des pièces produites aux débats :

- que par télégramme, puis par lettre non datée, reçus courant mai 1988 par la société Bleines, la société Y. Rocher a reproché aux franchisés d'avoir vendu à prix catalogue, des produits achetés auprès d'elle à des prix promotionnés et a réclamé le paiement d'une somme de 62 000 F hors taxes ;

- que les livraisons suspendues à compter du début juin 1988, en vue de l'analyse de la situation, ont été reprises le 16 juin,

- que par lettre recommandée avec accusé de réception du 3 juin 1988, la société Bleines a répondu que les ventes promotionnelles à prix catalogue n'avaient pas excédé les quotas prévus,

- que le 21 juillet 1988, la société Y. Rocher a établi à l'ordre de la société Bleines une facture de 62 000 F hors taxes correspondant à la " participation exceptionnelle aux opérations promotionnelles du second semestre 1988 ",

- que la société Bleines a réglé cette somme à l'aide de trois chèques ;

Considérant que la société Bleines qui a versé la participation de 62 000 F hors taxes à réception de la facture et selon les modalités prévues, alors qu'elle était régulièrement approvisionnée, a expressément accepté le principe de cette opération et n'est donc pas fondée à solliciter le remboursement de cette somme ;

f) Installation et agencement du magasin :

Considérant que la société Bleines fait valoir qu'elle a déboursé à ce titre, une somme supérieure à celle prévue par le devis d'agencement établi par la société Y. Rocher, conformément à l'article 5-1 du contrat de franchise, soit hors taxes :

- agencements : 310 808 F

- mobilier : 92 461 F

Considérant que le devis édité le 4 juin 1984 par la société Y. Rocher a prévu au titre des travaux et agencements une somme de 300 000 F hors taxes, et n'a pas chiffré le montant du mobilier,

Considérant que c'est à juste titre que le tribunal a constaté qu'il n'y avait " pas eu de dépassement appréciable " ;

Qu'il convient de confirmer sur ce point la décision entreprise ;

g) Prime de 10 000 F :

Considérant que par lettre du 29 septembre 1988, la société Y. Rocher a accordé à la société Bleines une somme de 10 000 F toutes taxes comprises, compte tenu de ses " performances exceptionnelles du mois d'août " ;

Considérant qu'il n'est produit aux débats aucun document établissant le versement de cette somme ;

Que la demande en paiement formée de ce chef par la société Bleines est donc justifiée ;

IV- SUR LA RUPTURE DES RELATIONS CONTRACTUELLES :

Considérant que la société Y. Rocher en assignant la société Bleines à l'effet de voir prononcer la résiliation du contrat de franchise, compte tenu des fautes par elle reprochées à son franchisé, n'a contrevenu à aucune disposition légale ou contractuelle ;

Considérant qu'il résulte des faits précédemment examinés que la société Y. Rocher n'a commis aucune faute de nature à justifier la résiliation de la convention à ses torts ;

Qu'en revanche la société Bleines en vendant à Mme Seidl, franchisée ou ex franchisée autrichienne les produits Y. Rocher d'une part, en déposant l'enseigne et en refusant de commercialiser les produits du franchiseur à compter de fin décembre 1988 d'autre part, a commis une faute justifiant la résiliation de la convention à ses torts exclusifs ;

V- SUR LES COMPTES DES PARTIES :

a) Demande formée par la société Y. Rocher :

Considérant que la Cour dispose des éléments nécessaires pour chiffrer à 100 000 F le montant du préjudice subi par la société Y. Rocher, du fait du non respect par la société Bleines de ses obligations contractuelles ;

b) Demande formée par la société Bleines :

Considérant qu'il convient, compte tenu des développements précédents de condamner la société Y. Rocher à payer à la société Bleines au titre de la prime exceptionnelle la somme de 10 000 F toutes taxes comprises, en deniers ou quittances, et de la débouter du surplus de ses demandes dès lors que la résiliation a été prononcée à ses torts exclusifs ;

VI- SUR LES AUTRES DEMANDES :

Considérant que la société Y. Rocher ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui réparé par l'allocation des intérêts moratoires ;

Qu'il convient de rejeter sa demande en paiement de dommages-intérêts ;

Considérant que la société Bleines qui succombe, n'est pas fondée à solliciter des dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Considérant qu'il n'est pas contraire à l'équité de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles qu'elles ont engagés ;

Par ces motifs : Infirme le jugement entrepris ; Statuant à nouveau, Prononce la résiliation du contrat de franchise en date du 12 décembre 1984 aux torts exclusifs de la société Bleines et Compagnie actuellement dénommée Conception Administration Participation ; Condamne la société Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher à payer à la société Conception Administration Participation en deniers ou quittances la somme de 10 000 F toutes taxes comprises en principal ; Condamne la société Conception Administration Participation à payer à la société Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher la somme de 100 000 F en principal ; Déboute les parties du surplus de leurs demandes ; Condamne la société Conception Administration Participation aux dépens de première instance et d'appel ; Admet la société civile professionnelle Fisselier Chiloux Boulay, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.