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Décisions

Conseil Conc., 20 mai 1997, n° 97-D-31

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques relevées dans le secteur de la distribution des produits d'entretien professionnels

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de Mme Nathalie Massias, par M. Jenny, vice-président, présidant la séance, Mme Boutard Labarde, MM. Sargos, Urbain, membres.

Conseil Conc. n° 97-D-31

20 mai 1997

Le Conseil de la concurrence (section II),

Vu la lettre enregistrée le 25 août 1995 par laquelle le ministre de l'économie et des finances a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des produits d'entretien professionnels ; Vu l'ordonnance n° 86­1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86­1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu les observations présentées par les sociétés Johnson Française, Discol, Vallée Ivay et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Johnson Française, Discol et Vallée Ivay entendus; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci­après exposés :

I- CONSTATATIONS

A- Le secteur concerné

1. Les produits

Les produits concernés par la saisine sont destinés à l'hygiène des collectivités. Il s'agit de produits de décapage, de protection et d'entretien des sols, de nettoyage ainsi que de déodorants et de produits destinés à l'entretien du linge et de la vaisselle. Ils sont conditionnés en emballages de grande contenance.

Certains d'entre eux, en raison de leur composition, sont soumis aux dispositions du décret n° 87­200 du 25 mars 1987 modifiant les dispositions du Code du travail et relatif aux fiches de données de sécurité, qui impose, pour les matières dangereuses, la diffusion, par le fournisseur, d'une fiche de sécurité. Un service de conseil est assuré par les distributeurs qui commercialisent ces produits.

2. La place de la société Johnson Française sur le marché des produits d'entretien professionnels

La société anonyme Johnson Française est une filiale de la société SC Johnson and Son Inc. Son chiffre d'affaires s'est élevé, pour l'exercice clos le 30 juin 1993, à 1,3 milliard de francs.

Son activité est divisée en deux grands secteurs.

D'une part, la division "Grand public" commercialise des produits domestiques de grande consommation : produits pour l'entretien des sols et des meubles, produits pour le linge et les métaux, désodorisants, produits pour sanitaires, etc.

D'autre part, la division "Professional", seule concernée par la saisine, dont le chiffre d'affaires annuel était pour l'exercice 1992­1993 de 190 MF, a pour vocation de répondre à la demande des collectivités.

Cette division diffuse trois principales gammes de produits :

- les produits d'hygiène générale : nettoyants pour surfaces, nettoyants spécialisés, produits d'hygiène des sanitaires ;

- les produits pour le sol : décapage, protection, maintenance de tous les sols et entretien des moquettes ;

- les produits pour la cuisine (gamme "food") : produits de lavage de la vaisselle, produits d'hygiène de la cuisine.

Il existe aussi une gamme moins importante de produits pour l'entretien du linge.

La société Johnson Française estime sa part du marché des produits d'entretien professionnels entre 7 et 8 % en 1993.

Elle évalue ses parts de marché par gamme de produits de la façon suivante :

- produits d'hygiène générale : 7,6 % ;

- produits pour sols : 16,89 % ;

- produits pour la cuisine : 4,95 % ;

- produits pour le linge : 2,11 %.

En 1993, les principaux concurrents de la société Johnson Française sur le marché des produits d'entretien professionnels en France étaient la société Henkel Ecolab avec un chiffre d'affaires de 811 MF, la société Lever Industriel avec un chiffre d'affaires de 185 MF et la société Colgate Palmolive avec un chiffre d'affaires de 181 MF.

S'agissant de la société Henkel Ecolab, sa part dans les ventes de produits d'hygiène générale est de l'ordre de 10 à 15 % . Par type de produits, ses parts seraient de l'ordre de 10 à 15 % pour les produits d'entretien pour les sols et de 30 à 35 % pour les produits pour le linge, d'une part, et pour les produits pour la cuisine d'autre part.

La part de la société Lever dans les ventes de produits d'entretien professionnels est de l'ordre de 10 à 15 %. Par type de produits, ses parts seraient de l'ordre de 5 à 10 % pour les produits d'hygiène générale et pour les produits d'entretien pour les sols, de l'ordre de 20 à 25 % pour les produits pour blanchisseries professionnelles et de 10 à 15 % pour les produits pour la cuisine, d'une part, et pour ceux pour le linge destiné à la "micro clientèle" (cafés, restaurants, commerce, etc...), d'autre part.

Enfin, la part de la société Colgate dans les ventes de produits d'entretien professionnels est de l'ordre de 5 à 10 %.

La société Johnson Française commercialise directement ses produits auprès des entreprises de nettoyage. Pour le reste, elle les diffuse par l'intermédiaire, en province, de 10 distributeurs ayant signé un contrat de distribution exclusive (correspondant à 13 points de vente) et de 15 distributeurs disposant d'une zone d'exclusivité en vertu d'une "lettre" de la société Johnson Française (correspondant à 17 points de vente) et, en région parisienne, de 6 revendeurs. Les sociétés Discol et Vallée Ivay, mises en cause par la saisine ministérielle, sont au nombre des distributeurs de la société Johnson Française établis en province.

B- Les pratiques relevées

1. L'organisation du réseau de distribution de la société Johnson Française

a) Le contrat d'exclusivité

Depuis 1988, un contrat de distribution exclusive est proposé à certains distributeurs établis en province.

Les raisons qui fondent ce contrat figurent dans son préambule : "La division collectivités commercialise des produits chimiques d'hygiène (...). La vente de ces produits et leur service après­vente requiert une technicité certaine et un service de conseils et de démonstrations qui contraint Johnson à sélectionner ses distributeurs. Le distributeur a été choisi pour ses aptitudes techniques et commerciales, ainsi que pour sa volonté de respecter les normes de commercialisation définies par Johnson afin d'assurer l'unité du réseau de distribution et de préserver l'image de marque des produits".

Le contrat confie au distributeur l'exploitation d'un territoire (article 1­1) et la société Johnson Française s'engage "à ne vendre les produits dans le territoire qu'au distributeur et à transmettre à ce dernier toute commande qui lui parviendrait directement" (article 1­3).

En contrepartie, le distributeur "s'interdit d'exercer sous le nom (...) en qualité de distributeur, de concessionnaire, de négociant, de commissionnaire, d'agent commercial ou autre, de faire le négoce, de vendre ou de participer à la vente de produits susceptibles de faire concurrence aux produits, et ce sur toute l'étendue du territoire" (article 3).

De plus, il "s'interdit directement ou indirectement de pratiquer une politique active de vente, de solliciter des ventes, de faire de la publicité, de maintenir une succursale ou d'entretenir un stock de produits à l'extérieur du territoire, sauf s'il se trouve confronté à une attaque d'un distributeur exclusif Johnson et après avoir donné à Johnson un délai de 90 jours francs pour pouvoir régler cette situation" (article 7­2).

Aux termes de l'article 4 du "contrat", "Le distributeur devra s'entourer en permanence d'un personnel de vente qualifié et en nombre suffisant pour être en mesure d'assurer d'une manière efficace le démarchage et la prospection de l'intégralité de la clientèle collectivités existant sur le territoire".

L'article 5 impose au distributeur de détenir un stock minimum de 30 jours de chiffre d'affaires et d'assurer une livraison du client dans un délai de 5 jours ouvrables.

L'article 8 relatif au service après­vente stipule : "Le distributeur s'engage à assurer à tout client final des produits une assistance technique prompte et efficace. A cette fin, il procédera à des démonstrations et à la formation du personnel des clients finaux. Il dispensera tous les conseils techniques requis pour une bonne utilisation des produits".

Enfin, l'article 9 fixe le montant de chiffre d'affaires que le distributeur exclusif s'engage à réaliser annuellement avec la société Johnson Française.

A l'époque des faits, seulement dix distributeurs en province avaient signé un tel contrat.

b) L'exclusivité territoriale résultant d'une "lettre" de la société Johnson Française

La société Johnson Française a accordé des zones d'exclusivité, par "lettre", aux autres distributeurs établis en province. Les représentants de la société Johnson Française ont expliqué, le 8 juillet 1994, la coexistence des deux catégories de distributeurs : "Pour les distributeurs qui n'ont pas de contrat écrit d'exclusivité, il peut arriver que nous leur donnions l'exclusivité de commercialisation pour une seule gamme Johnson Professional et non pas sur la totalité des gammes parce que les distributeurs commercialisent d'autres produits concurrents sur les autres gammes. Lorsque nous n'avons pas de contrat écrit d'exclusivité, c'est soit parce que le distributeur ne le souhaite pas (la plupart des cas), soit parce que nous ne le jugeons pas apte à assurer la distribution de nos produits en conformité aux normes de commercialisation que nous attendons de nos distributeurs (qualité et nombre de la force de vente spécialisée notamment)".

Ainsi, par exemple, par "lettre" du 22 janvier 1990, la société Johnson Française a­t­elle accordé à la société Discol une zone d'exclusivité territoriale en indiquant : "Nous sommes persuadés que le partenariat dynamique que nous mettrons en place dans le courant du mois de février, permettra à votre groupe de prendre une place régionale importante dans le marché de l'hygiène en collectivités.

Comme convenu, vous trouverez ci­dessous, la confirmation des nombreux points que nous avons abordés :

Secteur de collaboration :

Loire­Atlantique.

Maine-et-Loire.

Vendée.

Deux­Sèvres,

à l'exclusion de tout autre département ;

Nous vous remercions de nous confirmer par courrier votre accord pour commercialiser nos produits, uniquement sur ces départements".

M. Lambard, directeur de l'établissement Discol Ouest, a déclaré le 11 mai 1994 : "Nous n'avons pas de contrat d'exclusivité avec la Johnson Française mais nous avons un accord de distribution exclusive de fait. Dans ce cadre nous distribuons les produits Johnson Professional dans quatre départements : 85, 49, 44, 79, nous diffusons également dans ces secteurs des produits concurrents à ceux de la société Johnson française".

Dans les mêmes conditions, la société Vallée Ivay a obtenu une exclusivité territoriale par une "lettre" du 30 octobre 1990 qui indique : "Nous vous confirmons les différents points abordés ensemble, dans le cadre d'une collaboration exclusive Johnson :

- dans un premier temps, sur les secteurs 35 et 72 ;

- à moyen terme, sur les secteurs 53 et 61 (aujourd'hui secteurs ouverts) (...)".

M. Vallée, directeur­adjoint de la société Vallée Ivay a déclaré le 13 avril 1994 : "Avec la société Johnson Française, nous n'avons pas de contrat d'exclusivité. Aucun contrat de ce type ne nous a, à ce jour, été proposé. Nous avons des accords d'objectifs commerciaux accompagnés de conditions d'achat particulières. En théorie, nous avons l'exclusivité de la commercialisation des produits Johnson Professional sur un territoire donné".

Enfin, la société Johnson Française n'a pas attribué de zone d'exclusivité territoriale à ses revendeurs établis en région parisienne.

2. Le respect des zones d'exclusivité définies par "lettre" : l'exemple de l'appel d'offres lancé par le groupement d'achat des lycées et collèges de la Sarthe

Lors d'un appel d'offres lancé par le groupement d'achat des lycées et collèges de la Sarthe en décembre 1992, concernant la fourniture de produits d'entretien pour l'année 1993, la société Discol a déposé l'offre la moins­disante, s'élevant à 65 118,20 F HT, et a été retenue pour le lot n° 28 de ce marché qui comprenait la fourniture de produits lustrants et décapants pour sols plastiques.

Par lettre du 23 décembre 1992, la société Vallée Ivay qui s'était vu attribuer l'exclusivité notamment dans le département de la Sarthe est intervenue auprès de la société Johnson Française dans les termes suivants : "Si la proposition de Discol est retenue par ce groupement, il conviendrait que Johnson usant de son poids de fournisseur, de son droit quant à ses accords de distribution fasse transférer ce marché 1993 au profit de Vallée Ivay, tous autres dommages ou préjudices à la charge de Discol (...)".

Le 5 janvier 1993, le responsable de la société Discol a adressé au coordonnateur du groupement d'achat la lettre suivante : "Nous vous avons proposé pour le lot 28, 2 produits de la marque Johnson le Strip off et le Jontec Protect. Nous n'avions pas à le faire et sommes au regret de devoir dénoncer le marché pour ces deux références. En effet, les établissements Johnson, industriels nous fournissant ces produits, travaillent en distribution par concessionnaires et le contrat qui nous lie à eux ne concède pas le département de la Sarthe à Discol en distribution mais à un de nos confrères et non moins concurrent".

Le 6 janvier 1993, la société Johnson Française a elle aussi adressé une lettre au coordonnateur du groupement d'achat rédigée en ces termes : "Nous vous informons que dans le cadre de nos politiques de distribution, nous passons accord avec nos partenaires pour la vente de nos produits Johnson Professional destinés aux collectivités, sur une zone géographique définie et respectée.

Les établissements Vallée Ivay distribuent nos marques Johnson Professional sur le département de la Sarthe, la Mayenne, l'Orne et l'Ille-et-Vilaine.

Les établissements Discol distribuent nos marques Johnson Professional sur le secteur de la Loire­Atlantique, du Maine et Loire, de la Vendée et des Deux-Sèvres.

A ce titre, la société Johnson, par l'intermédiaire de ses collaborateurs directs apporte lors des tournées avec les représentants des sociétés Vallée Ivay et Discol, dans le respect des territoires :

- assistance technique,

- plan et méthode d'hygiène,

- conseil sur le meilleur choix des produits et matériels adaptés à vos besoins (...)".

Après le retrait de la société Discol, la société Vallée Ivay a obtenu le marché en cause, en alignant son prix sur celui initialement proposé par la société Discol.

Le 13 avril 1994, le représentant de la société Vallée Ivay a précisé : "Dans les cas (isolés) où un concurrent répond à un appel d'offres, en dehors de son territoire et sur le notre, nous demandons au chef des ventes de la Johnson Française de faire respecter l'exclusivité".

Le 8 juillet 1994, les représentants de la société Johnson Française ont indiqué : "(...) Dans le cas du litige qui opposait la société Vallée Ivay à la société Discol au sujet d'un marché enseignement de la Sarthe, nous sommes intervenus auprès de M. Lambard pour lui rappeler que la Sarthe faisait partie du territoire de Vallée Ivay et qu'il ne devait pas intervenir auprès de ce marché et M. Lambard nous a fait savoir qu'il s'agissait d'une erreur d'un de ses commerciaux".

3. Les "soutiens au marché" accordés aux distributeurs

La société Johnson Française diffuse auprès de ses revendeurs un tarif de base accompagné d'un extrait de ses conditions générales de vente. Elle leur consent, d'une part, une remise de 41 % sur ce tarif, d'autre part, des conditions particulières sur la gamme de produits "Food", à savoir une remise de 10 % supplémentaire sur facture et 10 % supplémentaire sur l'augmentation du chiffre d'affaires d'un exercice à l'autre, et enfin, une remise de fin d'année variant de 1 à 5 %.

Outre ces remises, la société Johnson Française accorde à ses distributeurs une aide intitulée "soutien au marché", dont les conditions d'octroi ne sont pas formalisées.

Cette aide s'explique par les caractéristiques des produits Johnson qui sont d'un prix relativement élevé par rapport aux produits des marques concurrentes, ce qui peut rebuter les collectivités publiques ou privées, nonobstant la qualité supérieure reconnue de ces produits. Le "soutien au marché" a pour objet de compenser ce handicap des distributeurs face à la concurrence lors des appels d'offres, en leur permettant d'abaisser leur prix et de présenter une offre compétitive susceptible d'être retenue par la collectivité.

A ce sujet, Mme Rochet et M. Florin, représentants de la société Johnson Française, ont déclaré le 11 avril 1994 : "S'agissant plus particulièrement des marchés publics, la Johnson Française ne répond pas directement aux appels d'offres et lorsque nos grossistes répondent à ces appels d'offres force est de constater que nos produits ne sont pas les plus compétitifs et qu'ils sont concurrencés par ceux de fabrication locale. Dans cette dernière éventualité et en certains cas la Johnson Française à la demande du client et sur présentation des justificatifs de la conclusion du marché public consent des remises supplémentaires qui sont les mêmes pour tous les distributeurs exclusifs. Cette remise est de l'ordre de 15 %".

Le 8 juillet 1994, Mme Rochet et M. Amiel, représentant la société Johnson Française, ont déclaré : "Ce soutien au marché a pour objectif d'obtenir certains marchés privés ou publics d'importance. Dans ce cas (c'est­à­dire quand nous avons donné notre accord verbal puisqu'après nous avons des justificatifs) le calcul du soutien au marché est fait dans l'objectif suivant : lui assurer un minimum de 15 % de marge par rapport au prix d'achat net. Concrètement, le distributeur nous fait une facture de ce montant. La compensation de cette marge garantie peut donc varier de 0 à 15 % au franc le franc ; en pratique les distributeurs effectuent des remises de 5, 10 et 15 % par commodité. En tout état de cause, la majorité des soutiens au marché est de 15 % (...) Nous n'avons pas eu l'occasion de remettre un document général d'explication des soutiens au marché à nos clients dans la mesure où ceux­ci connaissent nos règles depuis fort longtemps. Et par ailleurs, ce document n'existe pas".

Dans sa lettre du 6 juin 1994 adressée à la direction nationale des enquêtes de concurrence, Mme Rochet a précisé la nature de cette aide : "Soutien au marché : il s'agit de permettre à tous nos clients revendeurs, dans des situations où la concurrence est extrêmement vive, de rester compétitifs par rapport aux offres des concurrents.

Dans ces situations, ces clients doivent consentir des sacrifices importants en réduisant de façon substantielle leur marge. La Johnson participe financièrement à cet effort en accordant un taux de soutien qui peut aller jusqu'à 15 %.

En effet, si notre client revend le produit à son prix coûtant, le taux de soutien sera de 15 %. Ce soutien sur marché ponctuel requiert l'accord préalable de la Johnson et ne sera versé que sur justificatif des factures de revente".

M. Vallée, représentant les établissements Vallée Ivay, a déclaré le 13 avril 1994 : "S'agissant des marchés publics, la société "La Johnson Française" nous consent une remise supplémentaire de 15 % chaque fois que nous lui attestons avoir obtenu un marché sur la base des prix d'achat (...)". De même, M. Lambard, directeur de l'établissement Prodirest­Discol Ouest, a déclaré le 11 mai 1994 : "Lorsque nous préparons nos soumissions aux appels d'offres nous nous mettons en relation avec le correspondant régional de la Johnson Française lorsque les produits de la gamme Johnson Professional sont concernés. Ce dernier peut nous consentir une remise supplémentaire afin de conquérir le marché public. En tout état de cause, nous avons 15 % de remise pour tout marché public conclu. Sur la base de cette remise de 15 % nous établissons une soumission qui tient compte de cette remise. Après nous devons justifier à la société Johnson Française que nous avons été retenus pour obtenir cette remise".

II- SUR LA BASE DE CES CONSTATATIONS, LE CONSEIL,

Sur l'organisation du réseau de distribution de la société Johnson Française :

Considérant, en premier lieu, que dès lors qu'ils préservent une certaine concurrence sur le marché, les systèmes de distribution exclusive ou sélective sont conformes aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, si les critères de choix ont un caractère objectif et ne sont pas appliqués de façon discriminatoire, s'ils n'ont ni pour objet ni pour effet d'exclure une ou des formes déterminées de distribution qui seraient aptes à distribuer les produits en cause ou de créer des barrières artificielles à l'entrée sur le marché de la distribution des produits concernés et s'ils maintiennent la liberté commerciale des revendeurs quant aux prix pratiqués vis­à­vis des consommateurs;

Considérant, en deuxième lieu, qu'il est loisible à une société de déterminer librement les conditions de distribution de ses produits et de faire coexister au sein de son réseau de distribution plusieurs catégories de distributeurs selon le type de relations commerciales qu'elle entretient avec eux, dès lors qu'une telle pratique ne révèle de sa part aucune discrimination de nature anticoncurrentielle;

Considérant qu'au cas d'espèce, le réseau de distribution des produits d'entretien professionnels mis en place par la société Johnson Française comprend, en province, d'une part, des distributeurs signataires d'un contrat de distribution qui commercialisent l'intégralité de la gamme des produits de la société Johnson Française à l'exclusion des produits de marques concurrentes et bénéficient d'une zone d'exclusivité territoriale, et, d'autre part, des distributeurs qui souhaitent conserver la liberté de commercialiser des produits de marques concurrentes ou ne remplissent les critères de distribution du fournisseur que pour une partie de la gamme des produits Johnson et auxquels une "lettre" de la société Johnson Française attribue une zone d'exclusivité territoriale ; qu'un fournisseur recourant à un réseau de distributeurs auxquels il concède, par contrat ou par "lettre", des zones territoriales exclusives ne saurait licitement leur interdire de répondre à la demande de clients situés dans une zone autre que celle pour laquelle l'exclusivité leur a été concédée dès lors qu'ils ne pratiquent pas une politique active de vente à l'extérieur du territoire qui leur a été concédé ; que d'ailleurs aucune disposition des contrats ou des "lettres" liant Johnson à ses distributeurs ne leur interdit de répondre à la demande spontanée d'un client situé en dehors de la zone pour laquelle ils ont une exclusivité ; que, dans ces conditions, un distributeur situé dans une zone territoriale peut se trouver en concurrence avec un distributeur situé dans une autre zone et ayant éventuellement un statut différent;

Mais considérant qu'aucun élément du dossier ne permet de conclure qu'une éventuelle différence de statut existant entre deux distributeurs de produits Johnson susceptibles de se trouver en concurrence serait due à d'autres considérations que, d'une part, la prise en compte du choix exprimé par les distributeurs concernés quant à la nature exclusive ou non des relations qu'ils entendent entretenir avec la société Johnson Française, et, d'autre part, la prise en compte objective des capacités techniques et commerciales de chacun d'eux pour assurer les services de démonstration et de conseils dans le respect des normes de commercialisation définies par la société Johnson Française; qu'à cet égard, il y a lieu de relever que si M. Vallée, directeur­adjoint de la société Vallée­Ivay, a déclaré, lors de l'enquête, le 13 avril 1994 : "Aucun contrat (de distributeur exclusif) ne nous a, à ce jour, été proposé", il est constant que le représentant de cette société a fait valoir en séance qu'elle n'avait jamais entendu se limiter à la distribution des produits d'entretien de la seule société Johnson Française et avait toujours souhaité pouvoir distribuer des produits de marques concurrentes ; que, dans ces conditions, la société Vallée Ivay ne pouvait prétendre obtenir un contrat de distributeur exclusif ; que, par ailleurs, ni les contrats, ni les lettres conférant à des distributeurs des zones territoriales exclusives ne limitent la liberté commerciale des distributeurs quant à leurs prix de revente ; qu'enfin, il n'est ni établi ni même allégué que le choix par la société Johnson Française de distributeurs exclusifs dans certaines zones aurait pour objet ou pour effet la création de barrières artificielles à l'entrée de marques concurrentes sur le marché des produits d'entretien ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'organisation du réseau de distribution de la société Johnson Française impliquant, d'une part, le recours à des distributeurs exclusifs commercialisant l'intégralité de la gamme dans certaines zones, et, d'autre part, le recours à des distributeurs disposant d'une exclusivité territoriale dans d'autres zones et commercialisant tout ou partie de la gamme de produits Johnson parallèlement à des marques concurrentes, ne constitue pas une pratique anticoncurrentielle ayant pour objet ou pour effet de limiter ou de fausser le jeu de la concurrence entre ses distributeurs ou entre elle­même et ses concurrents et qu'elle n'est pas visée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Sur la réponse à l'appel d'offres lancé en décembre 1992 par le groupement d'achat des lycées et collèges de la Sarthe :

Considérant que l'interdiction faite par un fournisseur à son distributeur de revendre ses produits en dehors du territoire exclusif qui lui est attribué n'est pas prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 si le distributeur conserve la faculté d'accepter des commandes provenant spontanément de clients situés en dehors de sa zone d'exclusivité;

Considérant dès lors que le fait, pour un fournisseur et l'un de ses distributeurs auquel il a confié une zone territoriale exclusive, d'exercer des pressions sur un distributeur disposant d'une exclusivité territoriale dans une autre zone pour que ce dernier retire une offre faite à un client de la zone concédée au premier distributeur, est prohibé par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 si cette offre n'avait été que la réponse passive à la demande spontanée d'un client ; qu'à l'inverse, ne peut être considéré comme ayant pour objet ou pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence le fait, pour un distributeur bénéficiant d'une exclusivité territoriale et son fournisseur, de demander à un autre distributeur disposant d'une exclusivité dans une autre zone de respecter les conditions licites de son contrat ;

Considérant que la simple constatation du fait qu'un distributeur auquel a été conférée une zone territoriale exclusive a répondu à un appel d'offres lancé par un client situé en dehors de sa zone territoriale est insuffisante pour établir si cette réponse s'inscrivait dans le cadre d'une prospection active de clientèle par le distributeur en dehors de la zone concédée ou si elle correspondait à une simple réponse passive à la sollicitation du client ; qu'au cas d'espèce, aucun élément figurant au dossier ne permet d'établir si la société Discol a activement prospecté la clientèle du groupement d'achat des lycées et collèges de la Sarthe en dehors de sa zone territoriale ou s'est bornée à répondre à une demande spontanée de ce groupement ;

Considérant qu'il est par ailleurs établi que la société Vallée Ivay, qui a finalement exécuté le contrat pour lequel l'offre moins­disante de la société Discol avait été initialement retenue, l'a exécuté aux conditions proposées par cette dernière société ;

Considérant, dès lors, qu'il n'est pas établi que les sociétés Johnson Française et Vallée Ivay, en demandant à la société Discol de renoncer à fournir le groupement d'achat des lycées et collèges de la Sarthe au profit de la société Vallée Ivay, et la société Discol, en acceptant de déférer à cette demande, aient mis en œuvre une pratique prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Sur l'octroi de "soutiens au marché" aux distributeurs exclusifs de la société Johnson Française :

Considérant que les avantages tarifaires accordés par un fournisseur à ses distributeurs, explicitement ou tacitement acceptés par ceux­ci, constituent des conventions au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que ces avantages sont prohibés par le texte susmentionné lorsqu'ils ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché ; qu'il en est ainsi, notamment lorsque les remises ou avantages tarifaires ne sont pas définis de façon claire et objective ou ont pour objet ou peuvent avoir pour effet de limiter la liberté commerciale des distributeurs ;

Considérant que la société Johnson Française accorde à ses distributeurs une aide financière intitulée "soutien au marché", pour les inciter à participer aux appels d'offres lancés par les collectivités publiques ou privées, segment sur lequel la société Johnson Française qualifie sa présence de marginale ; que ce soutien, qui peut atteindre au maximum 15 % du prix des produits demandés, serait, selon les dires de la société Johnson Française, rendu nécessaire par le fait que, si les produits Johnson Professional sont reconnus pour leur qualité, ils sont en revanche d'un prix comparativement élevé ce qui implique que, compte tenu de la vivacité de la concurrence entre les fournisseurs, les distributeurs Johnson n'ont que peu de chances de remporter de tels appels d'offres sauf à consentir d'importants sacrifices ou à revendre à prix coûtant; que la société Johnson Française soutient également dans ses observations que cette aide est accordée automatiquement et dans des conditions non discriminatoires aux distributeurs ayant remporté de tels appels d'offres, ce dont les distributeurs seraient conscients, de telle sorte qu'ils seraient assurés de pouvoir compter sur ce soutien de la société Johnson Française lorsqu'ils soumissionnent ; qu'enfin, elle allègue que ses concurrents accordent également à leurs distributeurs des aides pour les inciter à présenter des offres compétitives sur les marchés importants ;

Considérant que si la déclaration de certains dirigeants de la société Johnson Française recueillie par procès­verbal lors de l'enquête, le 8 juillet 1994, et la lettre adressée le 6 juin 1994 par Mme Rochet, chef du service juridique et administratif de la société Johnson Française, à la direction nationale des enquêtes de concurrence, suggèrent que cette société n'accorde ce "soutien au marché" qu'après étude du dossier présenté par chaque distributeur, délégation étant donnée à cet effet à ses responsables locaux, il résulte en revanche des déclarations de plusieurs distributeurs, également recueillies par procès­verbaux, notamment celles de M. Vallée pour la société Vallée Ivay, en date du 13 avril 1994, et celle de M. Lambard, pour la société Discol, en date du 11 mai 1994, que ces derniers considèrent qu'ils sont assurés d'obtenir ce "soutien au marché" dans des conditions non discriminatoires, dès lors qu'ils ont emporté un marché en consentant un effort important, par exemple, en revendant le produit au prix coûtant ; qu'il résulte par ailleurs du dossier que lors de l'appel d'offres lancé par le groupement d'achat des lycées et collèges de la Sarthe, la société Discol a effectivement anticipé ce soutien et en a tenu compte pour l'établissement de son offre ;

Considérant ainsi qu'il n'est pas établi que la pratique tarifaire de la société Johnson Française consistant à accorder à ses distributeurs un "soutien au marché" ait pour objet ou pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence entre les distributeurs de produits Johnson ou entre eux et les distributeurs d'autres marques ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il n'est pas établi que les sociétés Johnson Française, Vallée Ivay et Discol aient enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986,

Décide :

Article 1er : Il n'est pas établi que les sociétés Johnson Française, Vallée Ivay et Discol aient enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.