CA Paris, 1re ch. H, 2 juillet 1999, n° ECOC9910199X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Compagnie d'organisation des salons des professions (SA), Concerto Vertical (Sté)
Défendeur :
Fédération française des industries du sport et des loisirs, Alpexpo (Association)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Thin
Conseillers :
Mme Bregeon, M. Hascher
Avoués :
SCP Fourgoux, associés, SCP Fessler
Avocats :
Mes Fourgoux, Belajouza, Wincquel
L'association Alpexpo exploite le parc d'expositions de la ville de Grenoble et organise également des salons professionnels. La Fédération française des industries du sport et des loisirs (ci-après désignée FIFAS) regroupe des professionnels qui fabriquent ou importent des articles de sport ou de loisir ; elle les représente dans l'organisation des salons concernant leur domaine. La société Compagnie d'organisation des salons des professions (ci-après désignée COSP) a pour activité l'organisation de salons. La société Concerto Vertical est une entreprise de presse.
Par protocole d'accord du 22 janvier 1996, la FIFAS a confié aux sociétés COSP et Concerto Vertical l'organisation d'un salon à Grenoble et l'association Alpexpo a accepté de leur louer la surface nécessaire à la tenue de cette manifestation, pour une durée de trois ans renouvelable par tacite reconduction. Par contrat du 19 février suivant, la FIFAS a concédé aux deux organisateurs, pour la même durée, un intéressement sous forme d'un pourcentage du chiffre d'affaires réalisé par le salon.
Le 3 septembre 1998, la FIFAS a notifié aux sociétés COSP et Concerto Vertical la résiliation des deux conventions, mettant ainsi fin à la " concession d'organisation du salon Montagne-Evasion ", et leur a indiqué qu'un appel d'offres serait lancé après définition des modalités d'organisation du salon 1999 par les professionnels.
Par lettre du 7 septembre 1998, la société COSP a contesté à la FIFAS le droit d'intervenir dans l'organisation de ce salon. Passant outre et se prévalant de la propriété de la marque Montagne-Evasion, la FIFAS a constitué un dossier d'appel d'offres qu'elle a adressé aux sociétés COSP et Concerto Vertical.
Ces dernières ont, dès le 18 septembre 1998, envoyé une lettre circulaire aux exposants sous le sigle Montagne-Evasion, annonçant que le salon de ce nom aurait lieu du " 29 au 31 août 1999 " au parc d'expositions de Grenoble.
Par communiqué de presse du 26 novembre 1998, la FIFAS a fait connaître qu'à la suite de son appel d'offres l'association Alpexpo avait été choisie pour organiser un salon d'été à Grenoble les 12, 13 et 14 septembre 1999, puis, par nouveau communiqué du 22 janvier 1999, que le salon Montagne-Evasion se tiendrait dans cette ville les 29, 30 et 31 août 1999.
Le 2 décembre 1998, l'association Alpexpo a informé la société COSP qu'elle ne pourrait donner suite à sa demande de réservation d'espace.
Soutenant que leur éviction du marché est le résultat d'une entente entre la FIFAS et l'association Alpexpo et que l'attitude de cette dernière est constitutive d'un abus de position dominante, les sociétés COSP et Concerto Vertical ont, le 9 février 1999, saisi le Conseil de la concurrence de ces pratiques anticoncurrentielles et sollicité le prononcé de mesures conservatoires.
Par décision n° 99-D-23 du 23 mars 1999, le Conseil de la concurrence a déclaré la saisine irrecevable et rejeté la demande de mesures conservatoires.
Les sociétés COSP et Concerto Vertical ont formé un recours tendant, d'une part, à l'annulation de cette décision et, d'autre part, à sa réformation en ce qu'elle a rejeté leur demande de mesures conservatoires, en priant la cour :
- d'enjoindre l'association Alpexpo d'exécuter la réservation des surfaces nécessaires au salon Montagne-Evasion adressée par COSP le 17 septembre 1998 ;
- de faire interdiction à la FIFAS et à l'association Alpexpo de s'opposer à l'organisation de ce salon à Grenoble du 29 au 31 août 1999 ;
- de leur faire interdiction d'utiliser son savoir-faire pour organiser une manifestation similaire à des dates rapprochées ou identiques dans cette ville ;
- de les condamner à lui payer la somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Les demanderesses font valoir :
Au soutien de leur recours en annulation, que :
- le rapporteur a interrogé par téléphone M. Vincent, président de la société COSP, sans que celui-ci puisse être assisté, ainsi que les représentants de la FIFAS et de l'association Alpexpo, sans dresser procès-verbal de ces auditions, méconnaissant ainsi les dispositions des articles 45, 46 et 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et portant atteinte aux droits de la défense ;
- le principe de contradiction posé par l'article 18 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 n'a de la sorte pas été respecté et " la déloyauté de l'instruction conduite, qui a amené le Conseil à statuer après une séance non publique, constitue une violation de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme " ;
- la décision d'irrecevabilité est une décision au fond qui n'a pas à être rendue dans l'urgence ;
- le Conseil de la concurrence a retenu à tort l'insuffisance d'éléments probants, alors qu'au stade de la saisine il n'était pas nécessaire que les pratiques soient établies, et, par son refus de procéder à l'instruction du dossier, il a enfreint les dispositions de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme ;
Au soutien de leur recours en réformation, que :
- les salons professionnels dans le domaine du marché du sport sont en nombre limité et le lieu permet de déterminer le marché qui est relativement concentré de sorte que le marché de référence est celui des salons professionnels du sport à Grenoble ;
- l'association Alpexpo s'y trouve en position dominante puisqu'elle dispose du monopole de la gestion du seul parc d'expositions de cette ville, installation essentielle pour laquelle n'existe aucun service substituable ;
- l'association Alpexpo a signé les protocoles de 1996, a fait acte de candidature après leur résiliation par la FIFAS et s'est abstenue de répondre à la demande de réservation de surfaces, ce qui démontre une connivence ;
- arguant, par la suite, de l'acceptation de sa candidature, l'association Alpexpo a refusé l'emplacement réclamé par la société COSP alors que celle-ci est titulaire de l'autorisation préfectorale nécessaire pour organiser le salon ;
- aucune autre société importante n'a répondu à l'appel d'offres, qui ne pouvait échapper à l'association Alpexpo, et cette dernière a déclaré " de façon mensongère (que) les anciens organisateurs n'ont pas donné suite à cet appel d'offres " ;
- les conditions de mise en concurrence des entreprises et le choix de l'association Alpexpo demeurent opaques, l'huissier désigné par le juge des référés n'ayant pu obtenir communication de la totalité des documents ;
- une entreprise qui participe à la maîtrise d'œuvre ne peut soumissionner ;
- la date du salon a été déplacée pour rendre plus difficile la manifestation organisée par les sociétés COSP et Concerto Vertical ;
- en l'absence de mesures conservatoires, la société COSP ne pourra organiser le salon dont elle est copropriétaire avec la société Concerto Vertical, et elle se retrouvera dans une situation difficile.
L'association Alpexpo, défenderesse au recours, excipe " de la vacuité de l'argumentaire soutenu par les requérantes et de l'absence manifeste d'éléments probants ". Elle demande à la cour, sur le fondement des articles 12 et 19 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, de :
- constater l'inexistence des pratiques dénoncées, " l'intégrité de la concurrence effective ou potentielle sur le marché de référence " ;
- confirmer l'irrecevabilité de la saisine au fond du Conseil de la concurrence ainsi que le rejet des mesures conservatoires.
A titre reconventionnel, elle sollicite la condamnation des " appelants à 100 000 F de dommages-intérêts outre intérêts, pour abus (du droit) d'ester en justice et fraude manifeste dans la production d'éléments de preuve ", ainsi qu'à lui verser la somme de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La FIFAS, également défenderesse au recours, conclut à la confirmation de la décision du Conseil de la concurrence et sollicite la condamnation solidaire des sociétés COSP et Concerto Vertical à lui payer la somme de 300 000 F de dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire ainsi que celle de 50 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Le Conseil de la concurrence observe que :
- la procédure d'instruction concernant l'examen au fond des dossiers qui lui sont déférés ne s'applique pas à la procédure d'urgence relative aux mesures conservatoires ;
- les requérantes n'allèguent pas que des éléments recueillis par téléphone par son rapporteur aient été retenus pour fonder l'irrecevabilité de la saisine ;
- le prononcé de mesures conservatoires est subordonné à ce que les pratiques dénoncées soient susceptibles d'entrer dans le champ d'application du titre III de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
- la possibilité d'organiser le salon dans une autre ville que Grenoble a été clairement envisagée et rien ne démontre que cette possibilité ne constitue pas une alternative envisageable.
Le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, dans ses observations écrites, fait valoir que :
- la cour ne peut statuer que sur la recevabilité et, éventuellement, renvoyer l'affaire devant le Conseil de la concurrence pour instruction et réexamen de la demande de mesures conservatoires ;
- il n'est pas soutenu que la décision soit motivée à partir de documents non débattus contradictoirement ;
- dans la mesure où les requérantes ne produisent pas d'éléments nouveaux, la cour pourra confirmer la décision du Conseil de la concurrence.
Il relève à l'audience que les moyens d'annulation pris de la violation du principe de contradiction posé par l'article 18 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et de la méconnaissance de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, du fait de " l'instruction en catimini ", ne figuraient pas dans la déclaration de recours.
Sur ce, LA COUR :
Considérant que la décision critiquée a été notifiée le 23 avril 1999 ; que, dès lors, les moyens contenus dans les dernières écritures des requérantes, déposées le 16 juin 1999, sont recevables au regard des dispositions de l'article 2 du décret du 19 octobre 1987 ;
Considérant que, dans la mesure où il était saisi d'une demande de mesures conservatoires sur le fondement de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, il appartenait au Conseil de la concurrence, conformément à l'article 19 du même texte, de vérifier que les faits qui lui étaient dénoncés étaient appuyés d'éléments suffisamment probants, l'examen de cette demande étant subordonné à celui, préalable, de la recevabilité de la saisine ;
Que, si les parties saisissantes n'ont effectivement pas à prouver l'existence des pratiques dénoncées, il est cependant nécessaire qu'elles apportent des éléments rendant vraisemblables les atteintes à la concurrence alléguées;
Qu'en cet état, les requérantes ne sont pas fondées à prétendre que le refus de faire procéder à une instruction, découlant d'une décision d'irrecevabilité, méconnaîtrait les dispositions de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme ;
Considérant que le respect du principe de la contradiction doit s'apprécier au regard de la procédure d'urgence prévue et organisée par l'article 12 qui ne prévoit pas d'instruction avant l'examen de l'affaire par le Conseil de la concurrence ;
Qu'au demeurant, il n'est pas allégué que la décision déférée soit fondée sur des éléments non contradictoirement débattus, de sorte que les requérantes ne peuvent utilement soutenir que celle-ci a été rendue en méconnaissance du principe de l'égalité des armes ;
Considérant que la publicité des débats devant la cour s'avère de nature à satisfaire aux exigences de l'article 6 précité de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme ;
Considérant qu'il s'ensuit qu'aucun des moyens tendant à l'annulation de la décision déférée ne peut être accueilli ;
Considérant que, dans le cadre du présent recours, la cour n'a pas le pouvoir de se prononcer sur la propriété de la marque Montagne Evasion ainsi que sur le respect des clauses contractuelles relatives à la durée et au non-renouvellement des conventions ayant existé entre les parties ; qu'elle n'a pas davantage à examiner les autorisations administratives dont se prévalent chacune des parties ;
Considérant qu'il est constant que les requérantes ont été invitées par la FIFAS à participer à l'appel d'offres qu'elle avait lancé, du 18 septembre 1998 au 21 octobre suivant, pour l'organisation " des prochaines éditions du salon Montagne Evasion " couvrant l'ensemble des activités de plein air ;
Que leurs protestations, auprès de la FIFAS, sur la résiliation des conventions s'avèrent dès lors dépourvues d'incidence ainsi que le fait, à le supposer établi, que l'association Alpexpo ait laissé sans réponse leur demande du 17 septembre 1998 de réservation des locaux nécessaires à l'organisation d'un salon du 29 au 31 août 1999 ;
Considérant que la FIFAS verse aux débats cinq correspondances émanant de Themaccord, Miller Freeman, Comité des expositions de Paris, Sepelcom et Charlet Moser dont ressort la réalité de sa recherche de candidats, par demandes directes adressées à divers spécialistes notoires ainsi que par voie de presse, pour organiser cette manifestation ;
Que la procédure ainsi suivie avant l'attribution de l'organisation du salon à l'association Alpexpo ne permet pas de résumer l'existence d'une concertation visant à l'éviction des sociétés COSP et Concerto Vertical ;
Considérant, par ailleurs, que ces dernières ont organisé le salon litigieux de 1996 à 1998, agissant comme maître d'œuvre de la FIFAS ; qu'elles s'avèrent, dès lors, dépourvues d'intérêt à faire grief au loueur d'espace d'avoir participé à l'appel d'offres au motif qu'il est " communément admis qu'une entreprise qui participe à la maîtrise d'œuvre d'une opération ne peut également soumissionner " ;
Considérant qu'après avoir indiqué dans son appel d'offres que le salon se tiendrait " fin août/début septembre ou le week-end suivant ", la FIFAS a, dans un communiqué de presse du 26 novembre 1998, fait connaître " l'organisation par Alpexpo du salon d'été SIG Outdoor " les 12, 13 et 14 septembre 1999 à Grenoble ; que, le 22 janvier 1999, elle a diffusé un nouveau communiqué de presse indiquant que : " le choix de ces mêmes dates pour la tenue de journées d'achat risquant de nuire à l'une et l'autre manifestation, les industriels ont accepté d'avancer leur salon. Ils marquent ainsi leur volonté de collaborer... avec leurs partenaires de la distribution " ; que ce dernier communiqué de presse précise qu'en définitive le salon aura lieu " les 29, 30 et 31 août à Grenoble " ;
Que la FIFAS produit neuf documents émanant des sociétés Rivoty-Joanny, Fusalp, Aigle, Petzl, Fila, Lafuma, Ricochet, Beal et Tecnica dont il ressort qu'elle les a consultées le 5 janvier 1999 sur la date de ce salon au regard de divers événements, notamment " la tenue des journées d'achat généralistes TDS Sport 2000 " les 12, 13 et 14 septembre dans un lieu autre que Grenoble et le salon " Glissexpo " à Biarritz les 5, 6 et 7 septembre ;
Qu'en l'absence de toute pièce produite par les requérantes de nature à établir sa connaissance antérieure des " journées d'achat ", la FIFAS démontre ainsi que la modification des dates du salon est liée aux disponibilités des exposants et des visiteurs ; qu'il n'est donc pas possible de déduire de ce changement l'indice d'une concertation visant à l'éviction des sociétés COSP et Concerto Vertical ;
Considérant qu'en l'état de ces éléments les seules affirmations des requérantes s'avèrent insuffisantes à rendre vraisemblable l'entente alléguée sur le fondement de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Considérant qu'à supposer exacte la définition du marché pertinent, donnée par les sociétés COSP et Concerto Vertical, comme étant celui des salons professionnels du sport à Grenoble, l'association Alpexpo n'occupait de position dominante que sur le marché voisin de la location d'espaces ;
Considérant que, par des motifs pertinents que la cour adopte, le Conseil de la concurrence relève que le site de Grenoble ne revêt pas le caractère d'une installation essentielle ;
Que les défenderesses au recours font, au surplus, justement valoir que l'abondance des salons à Paris, Lyon, Biarritz, Ramatuelle ou Bordeaux, ayant pour thème les sports et loisirs, démontre que d'autres emplacements sont tout aussi appropriés à ce type de manifestation de sorte qu'il existe des services substituables ;
Considérant que la saisine du Conseil de la concurrence ne pourrait propérer que si les sociétés COSP et Concerto Vertical étaient empêchées d'organiser tout salon à Grenoble dans les locaux en cause, ce qu'elles n'allèguent pas ;
Considérant qu'il s'ensuit qu'aucune présomption d'un abus de position dominante, au sens de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ne peut être constatée à l'égard de l'association Alpexpo, contrairement à ce qu'affirment les requérantes;
Considérant, en définitive, que le recours doit être rejeté;
Considérant que, statuant sur un recours formé à l'encontre d'une décision du Conseil de la concurrence, en application des articles 12 ou 15 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, la Cour d'appel de Paris n'a pas le pouvoir de prononcer des condamnations à des dommages-intérêts; qu'en conséquence les demandes de la FIFAS et l'association Alpexpo, visant à de telles fins, sont irrecevables ;
Considérant, en revanche, que l'équité commande l'attribution de la somme de 10 000 F au titre des frais non compris dans les dépens en faveur de chacune des deux sociétés défenderesses ;
Par ces motifs : Rejette le recours formé par les sociétés Compagnie d'organisation des salons des professions et Concerto Vertical ; Dit irrecevables les demandes de dommages-intérêts présentées par la Fédération française des industries du sport et des loisirs et l'association Alpexpo ; Condamne les sociétés Compagnie d'organisation des salons des professions et Concerto Vertical à payer la somme de 10 000 F à la Fédération française des industries du sport et des loisirs ainsi que celle de 10 000 F à l'association Alpexpo, au titre des frais non compris dans les dépens ; Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires ; Condamne les sociétés Compagnie d'organisation des salons des professions et Concerto Vertical aux dépens.