CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 20 octobre 1993, n° ECOC9310177X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Siplec (Sté), Ministre de l'Économie et des Finances
Défendeur :
Esso France (SA), Pétroles Shell (SA), Elf Antar (SA), BP France (SA), Mobil Oil française (SA), Total raffinage distribution (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Premier président :
Mme Ezratty
Présidents :
MM. Borra, Canivet
Conseillers :
M. Guerin, Mme Nerondat
Avoués :
Mes Taze-Bernard, Lagourgue, Bolling, Bourdais-Virenque, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Duboscq-Pellerin
Avocats :
Mes Henriot-Belargent, Amadio, Parleani, Voillemot, Lazarus, Quint, Thorne, Saint-Esteben
LA COUR statue sur les recours principaux formés par les sociétés Esso France, Shell France et Siplec, sur les recours incidents formés par le ministre chargé de l'économie et la société Elf-Antar France et sur les interventions volontaires des sociétés BP France, Mobil Oil française et Total Raffinage Distribution contre la décision n° 92-D-56 du 13 octobre 1992 du Conseil de la concurrence qui a :
- enjoint respectivement aux sociétés Shell France et Elf-Antar France de ne pas subordonner la fourniture de leur carburant SP 98 aux distributeurs n'appartenant pas à leur réseau de marque à un engagement d'exclusivité pour la première et à la commande de l'ensemble de la gamme Optane pour la seconde;
- infligé les sanctions pécuniaires suivantes :
30 MF à la SA Elf-Antar France;
20 MF à la SA Shell France;
10 MF à la SA Esso France;
- ordonné une mesure de publication.
Le Conseil de la concurrence a été successivement saisi, le 11 avril 1991, par le ministre chargé de l'économie des conditions de commercialisation du supercarburant sans plomb à haut indice d'octane (SP 98), le 6 septembre 1991 par ce ministre des conditions pratiquées par la société Shell France pour la commercialisation du supercarburant susmentionné, le 4 octobre 1991 par la Société d'importation Edouard Leclerc (Siplec) des conditions de commercialisation des carburants automobiles.
Aux motifs de sa décision, le conseil a essentiellement estimé que, sur le marché de référence, considéré par lui comme étant celui des carburants automobiles dans leur ensemble, l'existence d'une entente tacite reprochée aux raffineurs n'est pas établie. Il lui est apparu en effet qu'en l'absence de concertation démontrée le parallélisme de leurs décisions prises en 1989 de commercialiser sous leurs marques respectives des carburants sans plomb SP 98 différenciés alors qu'ils avaient commercialisé jusque-là les autres carburants automobiles sous une forme banalisée pouvait s'expliquer par la poursuite de l'intérêt individuel de chaque compagnie dans les circonstances du marché.
Le conseil a également retenu que la condition d'afficher leurs marques sur les pompes à laquelle les raffineurs subordonnaient leurs livraisons de SP 98 aux grandes surfaces n'était pas de nature à exclure les stations service de celles-ci de la distribution de ce produit. Il a enfin relevé que les raffineurs avaient adopté des attitudes différentes en ce qui concerne la livraison effective de leurs produits aux grandes surfaces et qu'aucun élément de preuve ne permettait de conclure à une entente de prix sur le SP 98. En revanche le Conseil de la concurrence a critiqué comme contraire aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 la pratique des sociétés Shell et Esso consistant à imposer aux distributeurs extérieurs à leurs réseaux une exclusivité portant sur la totalité de leur gamme ou sur le seul SP 98. Il a jugé de même anticoncurrentiel de la part de la société Elf-Antar France de livrer son SP 98 aux seuls distributeurs qui s'engagent à commander tous les produits de la gamme Optane. Cependant il a écarté faute de preuve le grief tiré de l'effet cumulatif que ces différentes infractions auraient produit sur le marché.
Dans son recours la société Siplec met en évidence l'identité et la simultanéité des nouvelles politiques commerciales lancées par les six " majors ", dont le Conseil de la concurrence a sous-estimé, selon elle, la signification. Elle fait valoir qu'un parallélisme de comportement aussi poussé suffit à caractériser une entente horizontale, laquelle en l'espèce a eu pour objet et pour effet de créer artificiellement un marché français du SP 98 et d'en exclure pratiquement les grandes surfaces par des refus convergents d'approvisionnement à des conditions acceptables. Elle demande d'une part que des sanctions pécuniaires soient infligées aux six raffineurs, d'autre part qu'il leur soit fait défense notamment de réserver la distribution du SP 98 à leurs réseaux de distributeurs intégrés ou dépendants, de discriminer l'"Eurosuper" 95 et de développer des campagnes publicitaires favorisant les marques qui ont servi de support à l'entente illicite.
Le ministre chargé de l'économie a formé un recours incident. Au soutien de la réformation de la décision et de l'infliction de sanctions mieux appropriées à la gravité des atteintes portées à la concurrence, il reproche au Conseil de la concurrence en premier lieu de n'avoir pas mesuré la portée exacte des contrats proposés par chacune des compagnies pétrolières aux revendeurs, en ne prenant pas en considération l'entente verticale liant Total Raffinage, BP France et Mobil Oil française et en minorant l'incidence des conditions restrictives imposées dans leurs contrats par Elf, Esso et Shell, en second lieu de n'avoir pas mesuré non plus les conséquences sur la concurrence de l'effet cumulatif de l'ensemble des contrats, enfin d'avoir commis une erreur en considérant que le SP 98 ne constitue pas un marché pertinent.
Dans son recours principal la société des pétroles Shell demande à la cour d'annuler, à tout le moins de réformer la décision qui serait d'une part, entachée de violations de procédure, qui reposerait d'autre part, sur une appréciation inexacte en fait et en droit de la clause de non-concurrence négociée et non imposée figurant dans certains contrats conclus entre Shell et des distributeurs. De cette analyse erronée procéderait une sanction disproportionnée.
La société Esso a elle aussi formé un recours principal aux fins d'annulation ou de réformation partielle de la décision, en dénonçant à titre principal l'erreur de fait sur laquelle repose le grief qui lui est adressé d'avoir jusqu'en avril 1991 proposé aux distributeurs non membres de ses réseaux intégrés ou de marque une exclusivité sur le SP 98. Elle fait observer en effet qu'avant cette date elle n'a ni offert ni accepté de livrer du "super plus" aux distributeurs susmentionnés. Dès lors qualifier d'anticoncurrentielle une pratique inexistante lui apparaît dénué de sens. Subsidiairement elle relève certaines irrégularités qui entacheraient le rapport. Elle en conclut que la sanction pécuniaire qui lui a été infligée est dépourvue de fondement.
La société Elf-Antar France a déclaré former un recours incident en annulation ou en réformation contre la décision en ce qu'elle a retenu à son encontre qu'elle n'accepte de livrer son SP 98 que si le distributeur s'engage à commander tous les produits de la gamme Optane, exigence tenue pour injustifiée à l'égard des revendeurs libres ou des grandes surfaces et pour contraire aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986. Elle fait valoir que ce grief, non seulement ne lui a pas été notifié expressément, mais surtout est tiré de faits matériellement inexacts en raison notamment de l'indisponibilité physique du produit à l'époque considérée (1989-1991). Les sanctions prononcées à son encontre lui apparaissent donc injustifiées. Elle sollicite le remboursement des sommes qu'elle a versées à ce titre ainsi que la condamnation de Siplec et du ministre chargé de l'économie à lui payer la somme de 50 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Estimant que leurs droits et charges risquaient d'être affectés par les recours susmentionnés, les sociétés HP France et Mobil Oil française, parties en cause devant le Conseil de la concurrence, ont déclaré se joindre à l'instance devant la cour d'appel conformément aux dispositions de l'article 7 du décret n° 87-849 du 19 octobre 1987.
Dans son intervention, la société BP France conclut à la confirmation de la décision attaquée en ce qui la concerne et demande acte de ce qu'elle s'en rapporte à la justice sur le bien-fondé des recours exercés par les sociétés Shell et Esso. Elle sollicite en outre la condamnation de la société Siplec à lui payer la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Au soutien de ses demandes, elle souligne que les refus de livraison dont s'est plaint Siplec ont été démentis par les faits, ce qui a conduit cette requérante à soutenir un moyen différent, tiré de la création d'un marché artificiel du SP 98. Cette thèse lui paraît elle aussi contraire à la réalité puisqu'à la date de la notification des griefs (février 1992) 15 p. 100 seulement des voitures françaises pouvaient utiliser du SP 95.
Autre intervenant, la société Mobil Oil française approuve la définition donnée par le Conseil de la concurrence du marché pertinent, à savoir le marché des carburants autos plombés et sans plomb. Elle prétend qu'en lançant sa marque de SP 98 elle a agi de façon autonome, guidée par le seul souci de son intérêt propre, déterminant sa politique commerciale en fonction de sa position sur le marché, de ses capacités industrielles et de ses impératifs de qualité et ne refusant de vendre qu'en raison de l'indisponibilité physique du produit. Elle conclut en conséquence à la confirmation de la décision et à la condamnation de Siplec à lui payer la somme de 50 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Total Raffinage Distribution, défenderesse aux recours principal de Siplec et incident du ministre chargé de l'économie et déclarant intervenir volontairement, conclut également à la confirmation des dispositions qui la concernent.
Elle souligne que Siplec a renoncé à alléguer un refus de vente de sa part qui s'est révélé contraire aux faits. Elle s'attache à démontrer l'inexistence, tant d'une entente horizontale entre les raffineurs que d'ententes verticales dans lesquelles Total serait impliquée. Contestant l'effet de blocage cumulatif de l'ensemble des contrats mis en place par les six compagnies pétrolières, elle affirme au contraire que le marché n'a pas été fermé et qu'en particulier les grandes surfaces ont des possibilités réelles d'y accéder.
Le ministre chargé de l'économie a développé à l'audience les griefs contenus dans son recours.
Le ministère public a oralement conclu au rejet des recours formés par les compagnies pétrolières sous réserve d'une rectification des données de fait en ce qui concerne la société Esso.
Sur quoi, LA COUR :
I.- Sur la régularité de la procédure :
1. Sur le respect du principe de la contradiction :
Considérant que les sociétés Shell, Elf et Esso soutiennent que ce principe a été violé en ce qu'elles ont été condamnées sur le fondement d'un grief notifié pour Shell, non notifié pour Elf et Esso et en tout cas non retenu dans le rapport;
Que ce grief consistait dans le fait d'avoir proposé aux distributeurs non membres de leur réseau intégré ou de leur réseau de marque des conventions leur imposant une exclusivité sur le SP 98 pour ce qui concerne Shell et Esso ou sur une gamme complète de produits pour ce qui concerne Elf;
Considérant qu'il y a lieu tout d'abord d'observer que la décision déférée contient une erreur sur la matérialité des faits reprochés à Esso;
Qu'en effet après avoir constaté: "Esso a d'abord réservé son SP 98 à son réseau intégré, puis l'a proposé à son réseau lié non intégré; à partir du mois d'avril 1991, elle en a également proposé la fourniture aux stations-service des commerces de grandes surfaces ", le Conseil de la concurrence a indiqué qu'Esso a mis en œuvre la même pratique que Shell (à savoir imposer aux distributeurs extérieurs à ses réseaux une exclusivité portant soit sur la totalité de sa gamme, soit sur le seul SP 98) jusqu'en avril 1991, date à partir de laquelle elle n'a plus exigé l'exclusivité;
Qu'il résulte finalement des notifications de griefs et du rapport qu'Esso n'a proposé qu'après avril 1991 la fourniture de SP 98 aux grandes surfaces sous réserve de contrats de commission ou d'approvisionnement sans exclusivité;
Que le comportement de Esso doit donc être examiné en tenant compte de cette erreur;
Considérant qu'en ce qui concerne Shell et Elf il ressort des trois notifications des 13 août 1991, 17 septembre 1991 et 5 février 1992 ainsi que des énonciations précises du rapport que le grief sur le fondement duquel des sanctions leur ont été infligées leur a été régulièrement notifié;
2. Sur la jonction des procédures dans le rapport:
Considérant que la société Shell soutient que la saisine de Siplec n'a été jointe aux deux saisines du ministre chargé de l'économie que dans la décision critiquée et que, non informée de cette jonction, elle n'a pu solliciter le retrait de certaines pièces mettant en jeu le secret des affaires alors que le rapporteur, en prenant l'initiative de joindre les procédures dès le stade du rapport, avait permis aux autres parties de consulter le dossier;
Mais considérant que la société Shell n'a pas usé de la faculté qu'elle avait de solliciter à tout moment le retrait de pièces touchant au secret de ses affaires, alors que les dispositions de l'article 23 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 peuvent être mises en application pendant toute la durée de la procédure;
Considérant par ailleurs quel'indivisibilité des faits relatés dans trois dossiers mais concernant les mêmes entreprises situées sur le même marché et posant les mêmes questions imposaient l'unité de la procédure, proposée à juste titre par le rapporteur et décidée par le Conseil de la concurrence, qui n'a pas estimé nécessaire d'user de son pouvoir de prescrire la poursuite de l'instruction ou la notification de nouveaux griefs;
Considérant qu'il s'ensuit que la procédure n'est entachée d'aucune irrégularité;
II. - Sur le fond :
1. Sur l'entente illicite et l'abus de position dominante collective imputés aux raffineurs par Siplec:
Considérant que, selon cette requérante, l'existence d'une entente entre les six sociétés pétrolières, bien que non démontrée matériellement, n'en ressort pas moins clairement du parallélisme général de leurs comportements;
Que la quasi-simultanéité des décisions annoncées en 1989 par les compagnies de commercialiser désormais sous leurs marques respectives un carburant SP 98 spécifique, l'analogie des contrats imposés aux distributeurs extérieurs à leurs réseaux, le même refus d'approvisionner les indépendants à des conditions compatibles avec leur autonomie commerciale, la convergence des campagnes publicitaires tendant à marginaliser le carburant SP 95 constitueraient un ensemble d'indices dont la concordance ne pourrait provenir que d'une concertation tacite nouée entre les membres de l'oligopole des raffineurs, laquelle aurait eu pour but et pour résultat de créer puis de contrôler un marché artificiel du supercarburant SP 98;
Mais considérant qu'un faisceau d'indices apparemment concordants ne peut pallier l'absence d'une preuve positive que si ces éléments sont par ailleurs suffisamment précis;
Or considérant qu'en fait les pratiques relevées sont loin de correspondre exactement à la description de Siplec et que leur parallélisme peut s'expliquer autrement que par l'effet d'une action concertée;
Considérant qu'il y a lieu tout d'abord de considérer les conditions du lancement du SP 98 à la lumière de la donnée de base rappelée par le Conseil de la concurrence dans ses constatations, E savoir qu'au 1er octobre 1989, date d'application de la directive (CEE) du 20 mars 1985 relative à l'essence sans plomb, 45 p. 100 du parc automobile français ne pouvait fonctionner sans difficulté qu'avec du SP 98 tandis que 15 p. 100 seulement pouvait utiliser de l'Eurosuper, SP 95;
Que, compte tenu des possibilités d'utilisation encore réduites du SP 95, il était alors nécessaire d'investir rapidement dans la production du carburant sans plomb qui convenait, à court et à moyen terme, au plus grand nombre de véhicules circulant en France;
Que cette nécessité était d'autant plus urgente pour les raffineurs français que, concomitamment à l'application de la directive communautaire précitée la loi de finances de 1989 réduisait fortement la taxation des carburants sans plomb dans le but d'encourager leur diffusion;
Que cette conjonction de facteurs réglementaires et techniques suffit à expliquer que les différentes compagnies aient lancé sur le marché leurs SP 98 respectifs en l'espace de huit mois;
Considérant qu'une politique de " débanalisation" du SP 98 a pu être normalement adoptée par chaque raffineur séparément, comme l'a justement retenu le Conseil de la concurrence;
Qu'en effetla commercialisation d'une variété nouvelle de produit était l'occasion pour chacun de rechercher une augmentation de sa part de marché en portant la compétition sur le terrain de la qualité;
Qu'ainsi chaque compagnie a pu individuellement choisir de dépasser les normes administratives minimales pour élaborer et offrir sous sa marque un produit spécialement " additivé ", présenté comme étant à la fois différent des produits comparables des autres compagnies concurrentes et supérieur aux supercarburants génériques;
Que la mise sur le marché d'un produit sans plomb générique était incompatible avec cette stratégie, laquelle n'est pas moins licite que celle des grandes surfaces consistant à revendre des carburants banalisés;
Considérant que, contrairement à l'affirmation de Siplec, le dossier ne révèle pas un refus caractérisé opposé par les six compagnies aux demandes de fourniture de SP 98 émanant des grandes surfaces;
Que les compagnies ont donné des réponses très diverses à ces demandes;
Que dès juillet 1989, Total a proposé à Siplec d'effectuer des livraisons de SP 98 non subordonnées à la conclusion de contrats de revendeur de marque, offre à laquelle Siplec n'a d'ailleurs pas donné suite;
Que BP et Mobil Oil, obligés d'importer et de recourir à des contrats de façonnage en raison de l'insuffisance avérée de leurs capacités de production de SP 98, ont naturellement réservé le produit de leur importation à leur réseau intégré;
Que Elf-Antar a pu faire état vis-à-vis de Siplec d'une indisponibilité physique de son optane 98, temporaire mais réelle;
Que Shell et Esso ont accepté de livrer les grandes surfaces sous contrat de commission ou de revendeur de marque;
Que les pratiques variées ci-dessus décrites ne font pas apparaître que les raffineurs aient procédé de concert à une raréfaction de l'offre de SP 98 à l'égard des grandes surfaces et de Siplec en particulier;
Considérant que, selon Siplec, le caractère coordonné de l'action des raffineurs s'est particulièrement manifesté, d'une part, dans l'organisation d'une promotion collective du seul SP 98 prolongeant leurs campagnes de publicité individuelles, d'autre part, dans la recherche, également collective, d'une norme spécifique de ce supercarburant sans plomb;
Mais que force est de constater que la seule action promotionnelle à laquelle les six compagnies pétrolières ont participé ensemble a été la "large campagne de sensibilisation du public à l'utilisation des nouveaux carburants sans plomb " lancée le 27 avril 1990 par les ministres chargés respectivement de l'industrie et de l'environnement;
Qu'en ce qui concerne la recherche par les constructeurs autos Renault et Peugeot d'un supercarburant sans plomb particulièrement performant, il est évident qu'elle ne pouvait s'effectuer sans la collaboration de tous les raffineurs;
Que si les compagnies ont choisi en accord avec les constructeurs l'indice 98 et si elles ont réservé à leurs seuls SP 98 la mention de conformité au " cahier des charges qualité " des constructeurs, l'omission du SP 95 pouvait se justifier par le fait qu'il s'agit d'un produit correspondant imparfaitement à l'image de performance particulière qu'elles entendaient promouvoir;
Considérant qu'il résulte de l'analyse des griefs rassemblés par Siplec, qu'ils soient considérés individuellement ou dans leur ensemble, qu'en dépit d'un parallélisme certain de comportement, rien ne permet d'imputer aux raffineurs une action concertée ayant tendu et abouti à créer artificiellement un marché français du SP 98;
Qu'a fortiori manque en fait le moyen tiré de la constitution d'un oligopole ayant abusé de sa domination sur le marché ainsi isolé par captation de l'avantage fiscal consenti à tous les carburants sans plomb;
Considérant au demeurant que, pour des motifs exacts que la cour adopte, le Conseil de la concurrence a retenu que le SP 98 ne constitue pas un marché pertinent compte tenu de la substituabilité relative des différents carburants et de l'élasticité de la demande face au prix;
2. Sur les conditions de commercialisation du SP 98 résultant des contrats de distribution proposés par les compagnies:
Considérant que le ministre chargé de l'économie reproche essentiellement, d'une part, aux sociétés Elf-Antar, Shell et Esso d'avoir imposé à leurs cocontractants non seulement les engagements d'exclusivité qui ont motivé les sanctions pécuniaires infligées, mais encore des conditions restrictives de concurrence supplémentaires, d'autre part, à toutes les compagnies d'avoir constitué au détriment des distributeurs indépendants six groupes d'ententes verticales au moyen de contrats comportant des contraintes supérieures à celles qu'exigeait une commercialisation normale du SP 98, ententes aggravées par l'effet cumulatif de l'ensemble desdits contrats;
Que Siplec fait siens ces griefs;
Considérant qu'il convient d'observer à titre préliminaire que les revendeurs indépendants visés dans les recours du ministre chargé de l'économie et de Siplec sont principalement les stations-service des grandes surfaces, parmi lesquelles Siplec seule se trouve dans la cause en qualité de plaignante;
Queraffineurs et grandes surfaces sont des puissances commerciales disposant de capacités de négociation globalement comparables même si en l'espèce les premiers détenaient l'offre du produit nouveau qu'était le SP 98;
Que diverses grandes surfaces, dont Siplec, et leurs centrales d'achat, titulaires d'autorisations A 5, pouvaient importer ce produit moyennant un léger surcoût;
Qu'il serait par suite excessif de qualifier d'imposés les contrats proposés par les compagnies pétrolières à la grande distribution;
Considérant cependant qu'il convient de rechercher si certaines stipulations contractuelles ont pu restreindre la concurrence en excluant des distributeurs qui, extérieurs au réseau intégré ou au réseau de marque d'une compagnie, étaient aptes à vendre du SP 98;
Considérant que le contrat de commission, bien qu'il prive le commissionnaire de la liberté de fixer le prix, n'est pas en lui-même illicite au regard du droit à la concurrence ;
Que dansce mode de distribution directe où le commettant est à la fois le fabricant et le véritable vendeur, le commissionnaire n'est pas par définition un opérateur économique pouvant être qualifié de revendeur ;
Que le choix fait par certains des raffineurs de ce type de distribution est cohérent avec leurs politiques de promotion du SP 98 de marque;
Que les critiques qui leur ont été adressées à cet égard ne portant d'ailleurs pas sur la validité des contrats de commission qu'ils ont conclus avec les stations-service de la grande distribution mais sur l'emploi systématique qui a pu être fait de ces contrats;
Que toutefois dans la mesure où les commissionnaires se sont engagés librement et où il n'est pas établi qu'ils auraient cessé d'être compétitifs en s'adressant à d'autres fournisseurs, il ne peut être reproché à certains des raffineurs leur propension à proposer ces conventions;
Considérant qu'à la différence de la clause prévoyant l'affichage de la marque à la pompe, dont le Conseil de la concurrence a reconnu à bon droit le caractère licite, la clause stipulant une exclusivité d'approvisionnement est restrictive de concurrence lorsqu'elle s'applique aux distributeurs extérieurs au réseau d'une compagnie en ce qu'elle limite sans nécessité démontrée l'accès des autres compagnies à une partie de sa clientèle ;
Considérant qu'il ressort du dossier et des débats que Shell a négocié à l'extérieur de son réseau pour mettre en œuvre cette pratique dans 73 contrats;
Qu'elle a renoncé à la clause d'exclusivité dans plusieurs d'entre eux; mais que ceux dans lesquels cette clause a été maintenue ont été conclus pour de courtes durées;
Que cette compagnie a par la suite offert à ses cocontractants de les délier de tout engagement d'exclusivité;
Que ces circonstances atténuent considérablement la portée effective de la pratique dont il lui est fait grief;
Considérant qu'il ressort de la notification des griefs et du rapport que jusqu'en avril 1991 Esso a réservé son SP 98 à son réseau intégré et qu'ensuite elle a proposé ce produit aux stations-service des grandes surfaces dans le cadre de contrats de commission ou d'approvisionnement sans exclusivité;
Qu'il apparaît donc que c'est sur la base d'une erreur sur la matérialité des faits que la décision déférée a retenu que cette société avait antérieurement au mois d'avril 1991 imposé une exclusivité aux distributeurs extérieurs à son réseau;
Que la sanction pécuniaire infligée à Esso n'a pas de justification;
Considérant qu'il est établi qu'entre 1989 et 1991, période de lancement de son " Optane 98 SP ", Elf-Antar France n'a proposé aucun contrat de fourniture à des distributeurs extérieurs à son réseau de marque en raison d'une indisponibilité relative du produit;
Qu'en 1991 elle n'a négocié qu'un seul contrat hors de son réseau avec une grande surface, Promodès;
Qu'il s'agissait d'un contrat de commission conclu expressément à titre expérimental concernant deux sites;
Qu'il s'ensuit que le grief énonçant de façon générale que, dans ses relations avec les distributeurs n'appartenant pas à son réseau, Elf-Antar France subordonne la livraison de son SP 98 à la commande de l'intégralité de sa gamme Optane est matériellement inexact;
Que le fait de n'avoir pas modifié sensiblement sa politique de distribution alors que ses capacités de production augmentaient relève de la seule liberté de décision de l'entreprise et ne revêt pas un caractère anticoncurrentiel, dès lors qu'aucun refus de vente n'a été constaté;
Considérant qu'il n'est pas contesté que Total Raffinage Distribution livre son " super premier 98 " à tout revendeur sans autre condition que ce produit soit vendu sous sa marque et sans autres contraintes que celles contenues dans une " charte d'approvisionnement " prévoyant un volume minimum d'achat et quelques précautions techniques destinées à préserver l'authenticité de la marque;
Que ces conditions de commercialisation n'entraînent aucune indisponibilité juridique du produit et n'ont pas d'incidence démontrée sur les prix;
Qu'elles sont acceptées, à l'exception de Siplec, par de nombreuses grandes surfaces pour leurs stations-service;
Qu'il s'ensuit que les critiques dont elles font l'objet ne sont pas fondées;
Considérant que, selon le ministre chargé de l'économie, BP France et Mobil Oil française, en réservant à leurs réseaux respectifs le SP 98 qu'elles importaient pour compléter leur production déficitaire, auraient contribué à la raréfaction de l'offre alors que leur appartenance à des groupes pétroliers internationaux et leurs moyens logistiques leur auraient permis de répondre à la demande des distributeurs extérieurs;
Mais que ces deux compagnies n'avaient et n'ont aucune obligation d'importer pour des tiers qui bénéficient des mêmes autorisations d'importation qu'elles;
Que le comportement dénoncé n'est donc pas critiquable au regard des règles de concurrence;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble des éléments ci-dessus que c'est par une juste appréciation des conditions dans lesquelles Total Raffinage Distribution, BP France et Mobil Oil française ont négocié la commercialisation de leurs supercarburants SP 98 que le Conseil de la concurrence a exonéré ces trois sociétés de toute sanction;
Mais considérant que les contrats conclus par Elf-Antar France et par Esso avec les distributeurs extérieurs à leurs réseaux ne comportent pas les clauses restrictives de concurrence dont il leur est fait grief;
Que ceux des contrats négociés par Shell avec les revendeurs libres qui contiennent une clause d'exclusivité n'ont eu en définitive qu'un effet limité en raison des circonstances relatées précédemment;
Qu'il apparaît nécessaire et suffisant d'enjoindre à cette compagnie comme à toute autre de s'interdire cette pratique critiquable ;
Considérant que force est de constater que l'existence de six groupes d'ententes verticales dont l'effet cumulatif aurait permis aux raffineurs de réserver le SP 98 à leur réseau en accaparant l'avantage fiscal attaché au produit n'est pas davantage établie que l'existence d'une entente horizontale nouée entre les six raffineurs aux mêmes fins;
Que le moyen tiré d'un parallélisme de six réseaux d'accords similaires manque en fait;
Qu'a fortiori doit être écarté celui tiré d'un effet cumulatif de ces accords;
Que les grandes surfaces ou leurs centrales d'achat, titulaires d'autorisations A 5, ayant usé de leurs larges possibilités d'importation de SP 98 générique, et ayant également usé de la possibilité de s'approvisionner en SP 98 de marque en France, auprès notamment de Total et de Esso, ont participé à la distribution de ce produit nouveau dans des conditions qu'elles ont estimées acceptables à l'exception de Siplec;
Considérant par suite qu'il y a lieu de rejeter les recours formés par Siplec et par le ministre chargé de l'économie et de réformer la décision déférée en ce qu'elle a prononcé des sanctions pécuniaires et ordonné une mesure de publication;
Considérant que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en la cause;
Par ces motifs : Rejette le recours principal formé par la société Siplec et le recours incident formé par le ministre chargé de l'économie; Confirme la décision déférée en ce qu'elle enjoint à la société Shell France de ne pas subordonner la fourniture de son SP 98 aux distributeurs n'appartenant pas à son réseau de marque à un engagement d'exclusivité de leur part; La réformant pour le surplus; Dit n'y avoir lieu à injonction à l'égard de la société Elf-Antar France; Décharge les sociétés Elf-Antar France, Shell France et Esso SAF de toute sanction; Dit n'y avoir lieu à une mesure de publication; Rejette les demandes fondées sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne la société Siplec aux dépens à l'exception de ceux afférents au recours incident du ministre chargé de l'économie.