Conseil Conc., 15 décembre 1999, n° 99-D-78
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques anticoncurrentielles dans le secteur de la porcelaine de Limoges
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport de Mme Luc, par Mme Pasturel, vice-présidente, présidant la séance, Mmes Boutard-Labarde, Mader-Saussaye, M. Nasse, Mme Perrot, M. Ripotot, membres.
Le Conseil de la concurrence (section IV),
Vu la lettre en date du 10 septembre 1993, enregistrée sous le numéro F 622, par laquelle le ministre de l'Economie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques relevées dans le secteur de la porcelaine de Limoges ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu les observations présentées par les sociétés Bernardaud, Haviland, Raynaud et le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Bernardaud, Haviland et Raynaud entendus ; Après en avoir délibéré hors la présence du rapporteur et du rapporteur général ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et sur les motifs (II) ci-après exposés:
I. - CONSTATATIONS
A. - Le secteur concerné
1. Le produit
La porcelaine est un type de céramique qui se distingue de la faïence ou du grès par sa pâte compacte, imperméable et translucide. Elle est définie en France par le décret n° 78-141 du 8 février 1978, comme un " mélange de matières kaoliniques, argileuses, fondantes (notamment feldspathiques), siliceuses et dégraissantes, mis en forme avant cuisson par façonnage " en poudre ", en " pâte ", ou en " barbotine " ". Le produit doit, en outre, présenter des caractéristiques de densité, de porosité et de translucidité fixées réglementairement.
La plus importante production française de porcelaine concerne les produits dits des " arts de la table ", à savoir :
- les produits à usage du consommateur final, en porcelaine fine traditionnelle (services de table ou objets décoratifs et de fantaisie tels que vases, statuettes et miniatures) ;
- les produits destinés à l'hôtellerie et aux collectivités, qui obéissent à des caractéristiques techniques différentes.
Les deux principaux centres de production de la porcelaine française sont la région du Berry et la ville de Limoges. Les porcelainiers de Limoges produisent essentiellement de la porcelaine haut de gamme et de prestige, illustrée par les grandes marques Bernardaud, Haviland et Raynaud, tandis que les fabricants de porcelaine du Berry ont une production plus diversifiée. Le groupe Deshoulières est le plus connu des producteurs de cette région.
L'indication d'origine " Limoges " ne bénéficie pas de la reconnaissance et de la protection d'une appellation d'origine. Elle constitue toutefois une dénomination défendue par l'Union des fabricants de porcelaine de Limoges regroupant les marques de notoriété (dont Bernardaud, Haviland, Raynaud, Coquet, Jammes-Seignolle) et témoigne de la volonté des fabricants de différencier les produits en porcelaine de Limoges des autres catégories de porcelaine, notamment en en délimitant strictement la provenance. Elle est, par ailleurs, considérée comme un indice de qualité par les consommateurs. Le Tribunal de commerce de Limoges a considéré dans un jugement de 1962, confirmé par la Cour d'appel de Limoges, que seule méritait l'indication " Limoges " la porcelaine fabriquée et décorée à Limoges.
2. L'offre
En 1991, les fabricants de porcelaine française ont réalisé un chiffre d'affaires total de 1,240 milliard de francs. Depuis 1982, la production a connu une chute continuelle, passant de 16 000 tonnes à 10 900 tonnes en 1992, si l'on excepte la brève période de reprise de 1987 à 1990. En 1996, le chiffre d'affaires total s'est élevé à 1,104 milliard de francs. La part du chiffre d'affaires des fabricants de porcelaine de Limoges dans le chiffre d'affaires total de la porcelaine française tend à diminuer continuellement depuis 1987, au profit des porcelainiers du Berry (56 % en 1987, 55 % en 1992, 52,7 % en 1995 et 51,7 % en 1996).
Les producteurs :
En 1992, une quarantaine d'entreprises se partagent la production de la porcelaine de Limoges ; il s'agit essentiellement de PME d'origine et à structure familiale orientées vers la fabrication de porcelaine fine de table, vendue par un réseau de points de vente spécialisés. Deux seulement de ces entreprises ont un effectif supérieur à 200 personnes (Bernardaud et Haviland) ; dix-huit entreprises ont moins de cinquante salariés. Ces entreprises ont réalisé en 1991 un chiffre d'affaires total de 675 millions de francs, dont 35 % par les sociétés de prestige Bernardaud, Haviland et Raynaud (respectivement 18, 11 et 5,6 %). Caractérisées par une masse salariale relativement importante et une taille réduite, les entreprises limougeaudes doivent faire face à un certain nombre de handicaps. Situées sur le segment haut de gamme du marché de la porcelaine française, elles connaissent les difficultés afférentes aux secteurs du luxe, à savoir une demande plus orientée vers le rapport qualité-prix. Les porcelainiers de Limoges ne disposent pas de la surface financière nécessaire aux investissements dans le marketing et la recherche créative. Leurs principaux concurrents, Villeroy et Boch, Rosenthal, Hutschenreuther, Wedgwood ou Royal Doulton, sont de grosses sociétés, dont le chiffre d'affaires dépasse le milliard de francs et dont la production est diversifiée, allant du moyen de gamme au luxe, tandis que les porcelainiers de Limoges ont un chiffre d'affaires inférieur à 200 millions de francs et sont spécialisés dans les produits haut de gamme. Enfin, la demande des consommateurs évolue ; la part représentée par les services de table en porcelaine de Limoges dans les listes de mariage tend à diminuer au profit d'autres produits, tels la hi-fi ou l'ameublement et les voyages. En outre, les pièces sont de plus en plus vendues à l'unité et non plus par services entiers.
Les distributeurs :
La porcelaine haut de gamme, dont fait partie la porcelaine de Limoges, est commercialisée par deux catégories de distributeurs :
- les artisans spécialisés, exploitant des magasins d'" arts de la table ", qui, outre la porcelaine, vendent d'autres articles liés à la table, tels des articles d'argenterie ou de cristallerie ;
- les grands magasins qui disposent de rayons spécialisés dans les arts de la table (Printemps, Galeries Lafayette, Nouvelles Galeries, Samaritaine).
3. Les marchés pertinents
Les produits en porcelaine de Limoges de marque Bernardaud, Raynaud et Haviland font partie du segment haut de gamme du secteur de la porcelaine.
Les fabricants de porcelaine de Limoges revendiquent pour leurs produits un positionnement sur le segment de luxe du marché de la porcelaine, qu'ils justifient par l'organisation de réseaux de distributeurs agréés, par une politique de sélection rigoureuse des articles produits et, enfin, par la protection du nom de " Limoges ", conçu comme un label de qualité.
Le recours à un nombre restreint de revendeurs spécialisés, liés aux fabricants par des contrats de distribution sélective renforce, aux yeux des consommateurs, la notoriété et le prestige des trois marques citées et les place aux côtés des marques Villeroy et Boch, Rosenthal, Hutscheurenther, Wedgwood ou Royal Doulton.
Dans chaque agglomération, plusieurs distributeurs spécialisés dans les arts de la table ou les grands magasins peuvent répondre à une demande potentielle de porcelaine de luxe, leur zone de chalandise pouvant s'étendre, au-delà de la ville où ils sont implantés, à l'ensemble du département. Chacun de ces marchés locaux peut être considéré comme un marché spécifique.
4. Les trois sociétés en cause
La société Bernardaud est une société anonyme dont le siège social est situé 27, rue Albert Thomas à Limoges. Il s'agit du premier fabricant de porcelaine de Limoges. Elle détient 60 % du capital de la Société ancienne manufacture royale implantée à Aix-Sur-Vienne et exploite trois unités de production en Haute-Vienne, une direction commerciale ainsi qu'un magasin implantés rue de Paradis à Paris (Bernardaud Diffusion ). D'un effectif de 400 personnes en 1992, elle a réalisé en 1991 un chiffre d'affaires (HT) de 151,69 millions de francs, dont 45 % sur le marché intérieur et 55 % à l'exportation.
La société anonyme Manufacture moderne de porcelaine (RCS B 755 500 741) a acheté, le 30 décembre 1987, les éléments du fonds de commerce de la société Haviland manufacture de porcelaine, fondée en 1842. Cette société commercialisait deux marques, Haviland et Boyer, la première représentant 90 % du chiffre d'affaires de la société (103 345 000 francs en 1990). Le 10 juillet 1994, soit postérieurement aux faits dénoncés, cette société a été absorbée par la SA Haviland (RSC 347 994 337), dont le siège social est situé rue Pierre Lebon, ZI Nord, à Limoges. Elle réalise environ 50 % de son chiffre d'affaires à l'exportation.
La société anonyme A. Raynaud et Cie fabrique de la porcelaine de haut de gamme depuis 1849. Son siège social est situé au 30, avenue Montjovis à Limoges. Placée en redressement judiciaire par jugement du Tribunal de commerce de Limoges du 24 juillet 1992, elle a bénéficié d'un plan de continuation par jugement du 18 décembre 1992 et est devenue, le 15 avril 1993, une société anonyme à directoire et conseil de surveillance. Elle a réalisé en 1991 un chiffre d'affaires de 47 438 000 francs, dont 50 % à l'exportation. Son chiffre d'affaires a baissé en 1992 (34,5 millions) et en 1993 (28,8 millions) et ses résultats ont été déficitaires jusqu'en 1995 (- 3,2 millions de francs) ; depuis l'exercice 1996, la société dégage des bénéfices.
5. Les griefs notifiés
Ont été notifiés les griefs suivants :
A l'encontre de la société Bernardaud :
- d'avoir mis en place des contrats de distribution sélective contenant des clauses anticoncurrentielles, à savoir une clause se référant à la notion de " commerce traditionnel de produits de luxe ", une clause imposant aux distributeurs de détenir " un stock suffisant pour répondre aux besoins des consommateurs " et une clause contraignant les distributeurs à s'acquitter d'un minimum d'achats lors de la première commande (grief n° 1) ;
- d'avoir mis en œuvre une police des tarifs, par la diffusion de tarifs " conseillés " dont le respect est contrôlé (grief n° 2) ;
- d'avoir résilié le contrat de distribution sélective de la société Pujol-Chaumet à Toulouse (grief n° 3) ;
- d'avoir résilié le contrat de distribution sélective de la société Reynaud à Toulouse (grief n° 4) ;
- d'avoir opposé un refus de vente à la société Regalo's à Pau (grief n° 5).
A l'encontre de la société Haviland :
- d'avoir mis en place des contrats de distribution sélective contenant des clauses anticoncurrentielles, à savoir une clause imposant la réalisation d'un chiffre d'affaires minimal pour garder la qualité de distributeur agréé et une clause soumettant à l'accord de Haviland les promotions publicitaires des distributeurs (grief n° 1) ;
- d'avoir refusé de contracter avec la société Pujol-Chaumet à Toulouse (grief n° 2) ;
- d'avoir résilié le compte de la société Reynaud à Toulouse (grief n° 3) ;
- d'avoir résilié le compte de la société Vog à Toulouse (grief n° 4) ;
- d'avoir opposé un refus de vente à la société Reynaud à Lyon (grief n° 5).
A l'encontre de la société Raynaud :
- d'avoir mis en place des contrats de distribution sélective contenant des clauses anticoncurrentielles, à savoir une clause se référant à la notion de " commerce traditionnel de produits de luxe ", une clause imposant que le magasin soit situé directement sur une artère commerçante, une clause exigeant une vitrine sur rue, une clause imposant une surface minimum de vente, une clause imposant l'exposition de la totalité des vingt modèles leaders de la collection Raynaud, une clause interdisant aux distributeurs la revente des produits de marque Raynaud à tout grossiste, une clause imposant le respect des prix de vente fixés par le fabricant et une clause soumettant à l'accord de Haviland les promotions publicitaires des distributeurs (grief n° 1) ;
- d'avoir résilié le compte de la société Pujol-Chaumet à Toulouse (grief n° 2).
Au stade du rapport écrit, ont été abandonnés le grief n° 2 à l'encontre de la société Bernardaud, la première branche du grief n° 1 et les griefs n° 2, 3 et 4 à l'encontre de la société Haviland et le grief n° 2 à l'encontre de la société Raynaud.
II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,
A. - Sur la prescription de la procédure
Considérant que les sociétés Bernardaud, Haviland et Raynaud exposent que les faits soumis au Conseil sont prescrits, la saisine ministérielle ayant été enregistrée le 13 septembre 1993 et la notification de griefs subséquente ayant été effectuée le 9 janvier 1998 ; que les trois sociétés prétendent que le seul acte qui aurait été susceptible d'interrompre la prescription, à savoir le procès-verbal d'audition de M. Christophe Pujol, directeur général de la société Pujol-Chaumet, établi le 9 juillet 1996 par M. Thierry Bruand, rapporteur initialement désigné, serait irrégulier et, par conséquent, dépourvu d'effet interruptif sur le cours de la prescription ; qu'en effet, selon les sociétés mises en cause, la preuve que la personne entendue a été préalablement informée de la nature et du cadre juridique de l'enquête ne serait pas rapportée, ce qui entraînerait la nullité du procès-verbal d'audition ;
Considérant que le procès-verbal incriminé mentionne que le rapporteur agit " conformément aux dispositions des articles 45 et suivants de l'ordonnance du 1er décembre 1986 " ; qu'il est daté et signé par le rapporteur et par M. Pujol ; qu'il ne porte ni la mention de l'objet de l'enquête ni l'indication que cet objet a été indiqué à l'intéressé ;
Considérant que, dans un arrêt du 2 mars 1999 (SA Seco-Desquenne), la cour d'appel, appréciant la valeur probatoire des mentions formelles des procès-verbaux produits, a énoncé que la seule utilisation, dans un procès-verbal de déclaration, de la " formule pré-imprimée, telle que celle selon laquelle l'enquêteur "a indiqué à Monsieur X l'objet de l'enquête", ne permet pas (à elle seule) (...) de vérifier que les exigences légales et réglementaires ont été respectées, dès lors qu'elle ne mentionne pas d'une façon concrète l'objet et l'étendue de l'enquête " ; que la vérification du respect de ces exigences a pour objet de s'assurer que le recueil des preuves s'est déroulé dans des conditions loyales, de telle sorte que la personne auditionnée n'ait pu se méprendre sur la portée de ses déclarations et se trouver conduite à s'auto-incriminer ; que, dans un arrêt du 17 mars 1998 (Syndicat des pharmaciens de l'Aveyron), la cour a, néanmoins, précisé que " la preuve du respect de l'obligation de loyauté peut être recherchée dans les énonciations du procès-verbal ou dans des éléments extrinsèques à celui-ci " ; qu'il y a donc lieu, en l'espèce, de vérifier si M. Pujol avait conscience de l'objet de son audition ; qu'il convient de rappeler qu'en sa qualité de directeur général de la société Pujol-Chaumet, M. Pujol est la principale victime, à Toulouse, des pratiques de résiliation des sociétés Bernardaud, Haviland et Raynaud ; qu'il ne pouvait ignorer que le rapporteur procédait à son audition dans le cadre d'investigations complémentaires concernant la mise en œuvre de pratiques anticoncurrentielles par ces trois sociétés ; qu'il a, du reste, lui-même spontanément indiqué, lors de cette audition, qu'après la résiliation du contrat de distribution par la société Bernardaud, la reprise des livraisons avait été obtenue à la suite d'une ordonnance de référé ; que les sociétés Bernardaud, Haviland et Raynaud ne sont donc pas fondées à soutenir que le procès-verbal du 9 juillet 1996 aurait méconnu le principe du respect de l'obligation de loyauté ; qu'il convient, en conséquence, de dire que ce procès-verbal est régulier et qu'il a valablement interrompu la prescription ;
B. - Sur la validité des procès-verbaux d'enquête
Considérant que la société Bernardaud et la société Haviland exposent que la quasi-totalité des procès-verbaux sur lesquels s'appuie le rapporteur doit être écartée pour violation du principe de loyauté qui doit présider à la recherche des preuves ;
Considérant qu'il convient donc de vérifier si, conformément à la jurisprudence rappelée ci-dessus, l'obligation de loyauté dans la recherche des preuves a bien été respectée dans chacune des auditions concernées, ce qui peut ressortir des énonciations des procès-verbaux eux-mêmes ou d'autres éléments extrinsèques à ceux-ci ;
Considérant que les procès-verbaux d'audition de M. Christian Morelle, directeur commercial de la Manufacture moderne de porcelaine, du 2 septembre 1992, de M. de Martimprey, directeur commercial de la société Raynaud, du 27 février 1992, de M. Pierre Bernardaud, président de la société Bernardaud, du 1er avril 1992 et de M. Frédéric Bernardaud, directeur du marketing de la même société, du 19 juin 1992, ne comportent ni la mention de l'objet de l'enquête ni l'indication que celui-ci a été indiqué aux intéressés ; que, s'agissant des procès-verbaux d'audition de M. Morelle et de M. de Martimprey, le fait que ces deux personnes évoquent expressément le litige Pujol-Chaumet ne démontre pas qu'elles aient eu, préalablement à leur audition, connaissance de l'objet de l'enquête, leurs déclarations faisant apparaître qu'elles ont répondu à une interpellation de l'enquêteur sur ce point ; que, s'agissant de MM Pierre et Frédéric Bernardaud, leurs déclarations ont largement débordé le champ de la résiliation du contrat de distribution de la société Pujol-Chaumet qui avait donné lieu à une ordonnance de référé en date du 15 janvier 1992 et qu'elles se sont étendues à la totalité de leur système de distribution sélective ; qu'ainsi, il n'a pas été satisfait à l'obligation de loyauté dans la recherche des preuves ; que les sociétés Bernardaud, Haviland et Reynaud sont donc fondées à demander que les procès-verbaux dont il s'agit soient écartés des débats ;
Considérant, en revanche, que le procès-verbal d'audition de Mme Nadal du 15 mai 1992 ainsi que le procès-verbal d'audition de M. Georges Pujol du 7 mai 1992 sont réguliers, bien que ne contenant ni l'objet de l'enquête ni la mention de l'ordonnance de 1986 ;qu'en effet, Mme Nadal s'est présentée spontanément aux services d'enquête pour se plaindre du refus de vente opposé par la société Bernardaud ; qu'elle ne pouvait donc, par hypothèse, se méprendre sur l'objet de l'enquête, étant elle-même à l'origine de celle-ci ;que, par ailleurs, le procès-verbal d'audition de M. Pujol du 7 mai 1992 fait suite à l'ordonnance de référé du 15 janvier 1992 qui, sur la demande de la société Pujol, a condamné la société Bernardaud à reprendre ses livraisons à ce distributeur ;
Considérant que les circonstances de rédaction des procès-verbaux d'audition de Mme Calamelli du 30 avril 1992, de M. Félix du 5 mai 1992 et de M. Apostolu du 24 avril 1992, bien que ne contenant pas l'objet de l'enquête ni la mention de l'ordonnance de 1986, démontrent qu'ils ont été établis loyalement ; qu'en effet, Mme Calamelli exploite, à Toulouse, le magasin Arty, M. Félix, le magasin Félix et M. Apostolu, le magasin Espitalier Line ; que tous trois sont spécialisés dans les arts de la table et distribuent les principales marques de porcelaine de Limoges ; que, saisi par la société Pujol-Chaumet, le président du Tribunal de grande instance de Toulouse avait, par ordonnance du 30 octobre 1991, commis un huissier pour se rendre dans ces trois magasins, aux fins de décrire les conditions dans lesquelles étaient présentés à la clientèle les produits Bernardaud ; que l'huissier a dressé un procès-verbal de constat de ses opérations, le 12 novembre 1991 ; qu'à chaque visite, il a fait part de sa mission au distributeur concerné et lui a signifié l'ordonnance en vertu de laquelle il agissait ; que les termes de cette ordonnance ne laissaient aucun doute sur la comparaison que l'huissier devait établir entre le magasin Pujol-Chaumet, dont les pratiques de prix avaient motivé l'intervention des concurrents auprès du fournisseur tête de réseau, et les magasins des trois distributeurs ; qu'ainsi, interrogés en avril-mai 1992, ceux-ci ne pouvaient se méprendre sur l'objet de l'enquête ; que, dès lors, les procès-verbaux relatant leurs déclarations sont réguliers ;
C. - Sur les pratiques
1. Concernant la société Bernardaud
a. Le contrat de dépositaire agréé (grief n° 1)
Sur l'exception de chose jugée :
Considérant que la société Bernardaud soutient que les griefs relatifs au caractère anticoncurrentiel de certaines clauses du contrat de dépositaire agréé ne peuvent plus être soulevés, en raison de l'autorité de chose jugée qui s'attache au jugement du Tribunal de commerce de Pau en date du 2 octobre 1996 ; que le tribunal de commerce, saisi par le ministre de l'Economie d'un refus de vente opposé par la société Bernardaud à un distributeur de porcelaine de la ville de Pau, la société Regalo's, a jugé que la société Bernardaud s'était rendue coupable, à l'encontre de la société Regalo's, d'un refus de vente, en violation de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et l'a condamnée à verser à cette société 40 000 francs à titre de dommages et intérêts ; que cette juridiction a aussi été appelée à statuer sur la validité du mode de distribution sélective choisi au regard de l'article 7 de l'ordonnance ; que le jugement contient la disposition suivante : " la société Bernardaud devra mettre ses contrats commerciaux en conformité avec la réglementation en la matière et selon les observations qui lui ont été faites par le ministre de l'Economie " ; que, de fait, les nouveaux accords de distribution sélective mis en place par la société Bernardaud depuis le mois de janvier 1993 ne contiennent plus les clauses incriminées ;
Considérant que le moyen soutient, en réalité, non pas que le Conseil, s'il entrait en voie de condamnation, méconnaîtrait l'autorité de la chose jugée par le tribunal mais qu'il se prononcerait alors sur des faits déjà jugés ; qu'il ne pourrait en être ainsi que si la demande était formée entre les mêmes parties, reposait sur le même fondement juridique et avait le même objet ; qu'en l'espèce, il n'y a pas identité d'objet avec le litige dont a eu à connaître le Tribunal de commerce de Pau ; qu'en effet, le ministre de l'Economie a poursuivi devant le Tribunal de commerce de Pau la nullité de plusieurs dispositions du contrat de distribution sélective tandis que, devant le Conseil de la concurrence, il agit en vue de l'application de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que, de surcroît, le dispositif du jugement ne se prononce pas sur la validité du contrat au regard de l'article 7 ; que l'exception de chose jugée ne peut donc être ici invoquée ;
Sur les clauses incriminées :
Considérant que, dès lors qu'ils préservent le jeu d'une certaine concurrence sur le marché, les systèmes de distribution sélective sont conformes aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, si les critères de choix des revendeurs ont un caractère objectif et ne sont pas appliqués de façon discriminatoire, s'ils n'ont ni pour objet ni pour effet d'exclure une ou des formes déterminées de distribution qui seraient aptes à distribuer les produits en cause, ou de créer des barrières artificielles à l'entrée sur le marché de la distribution des produits concernés et s'ils maintiennent la liberté commerciale des revendeurs quant aux prix pratiqués vis-à-vis des consommateurs ;
Considérant que les conditions d'agrément des distributeurs, exposées dans le préambule du contrat de distribution sélective proposé par la société Bernardaud à ses distributeurs et conçu en 1988, se réfèrent à la notion de " commerce traditionnel de produits de luxe ", exercé soit " dans le cadre d'un magasin spécialisé dans les arts de la table ", soit " dans le cadre d'un département spécialisé à l'intérieur d'un magasin "; que cette notion de commerce traditionnel peut aboutir à exclure certaines formes modernes de distribution; que, dès lors, la référence à un tel critère constitue une pratique prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;
Considérant qu'en vertu de l'article 2 du contrat de distribution, le distributeur agréé s'engage, notamment, à détenir un stock suffisant pour répondre aux besoins des consommateurs et à entretenir un courant d'affaires minimum avec le fournisseur, " comme défini à l'annexe I ", que cette annexe fixe le niveau de commande minimal pour une ouverture de compte à 40 000 francs et le montant minimal annuel d'achats hors taxe à 25 000 francs, lesdits montants variant en fonction de l'importance de l'agglomération concernée ;
Considérant que les obligations de constituer des stocks ou de s'acquitter d'un minimum d'achat lors de la première commande constituent des exigences qualitatives si elles contribuent à une meilleure distribution du produit concerné ;
Considérant qu'en l'espèce, un distributeur qui souhaite entrer sur le réseau de distribution Bernardaud doit réaliser une immobilisation immédiate en stock d'un montant très nettement supérieur au montant du chiffre d'affaires minimum annuel exigé d'un distributeur déjà membre du réseau ; qu'ainsi, pour une ville de moins de 100 000 habitants, le fabricant exige une commande minimale de 40 000 francs pour une ouverture de compte, alors que le montant annuel d'achats minimum imposé aux distributeurs agréés est de 25 000 francs ; que, cependant, la différence entre ces deux obligations apparaît justifiée par la nécessité, pour les nouveaux distributeurs, de se procurer une gamme homogène de produits, alors que les distributeurs déjà en place auront simplement à compléter leur gamme chaque année ; qu'ainsi les obligations mises à la charge des nouveaux membres du réseau n'apparaissent pas excessives au regard des nécessités d'une bonne distribution du produit ; que l'obligation de détenir " un stock suffisant pour répondre aux besoins des consommateurs " ne saurait être isolée de la clause précédente et, dès lors, ne peut être taxée d'imprécision ; qu'enfin, les clauses incriminées ont disparu dans la nouvelle rédaction des accords de distribution sélective mis en place par la société Bernardaud, depuis le 1er janvier 1993 ; qu'ainsi il n'y a pas lieu de retenir les deux dernières branches du grief n° 1 ;
b. Les pratiques dénoncées sur le marché toulousain à l'encontre de la société Pujol-Chaumet (grief n° 3)
Considérant que, par lettre recommandée avec accusé de réception du 18 septembre 1991, la société Bernardaud a signifié à la société Pujol-Chaumet sa décision de résilier le contrat de dépositaire agréé qui la liait à ce détaillant : " Suite aux différents rapports établis par notre inspecteur des ventes, nous regrettons de constater que vous ne remplissez plus les conditions prévues dans notre contrat pour être dépositaire agréé. En effet, nous avons remarqué que le standing de votre surface de vente et les autres produits que vous y présentez sont sans rapport avec l'image de luxe et de qualité des produits Bernardaud. Cette situation qui nous a déjà été signalée est très préjudiciable pour notre image de marque, et peut gravement compromettre nos efforts de promotion commerciale sur la région. De plus, lors des passages de notre inspecteur, vous ne remplissez pas plusieurs des obligations prévues à l'article 2 du contrat de dépositaire. Conformément au contrat, nous vous informons que nous mettons fin à nos relations commerciales en résiliant celui-ci (...) " ; qu'en vertu de l'article 2 du contrat auquel il était ainsi référé, le distributeur agréé s'engage, notamment, à " présenter les produits Bernardaud de la meilleure manière possible, en particulier par l'agencement d'une surface d'exposition apte à assurer la promotion des produits Bernardaud. Cette surface aura un minimum de 3 mètres de linéaire sur 2 mètres de hauteur et devra être réservée aux produits Bernardaud ", à " mettre en devanture l'enseigne (Bernardaud), à présenter dans ses vitrines une exposition permanente des produits Bernardaud qui devront être bien identifiés ", à " tenir un stock suffisant pour répondre aux besoins des consommateurs " et enfin à " entretenir un courant d'affaires minimum avec le fournisseur (comme défini à l'annexe I) " ;
Considérant que la société Bernardaud soutient que le refus de poursuivre le contrat de dépositaire agréé de la société Pujol-Chaumet était fondé au regard des pratiques dépréciatrices de " discount " pratiquées par ce distributeur et conteste son caractère discriminatoire ; qu'elle fait valoir qu'en tout état de cause et quand bien même la pratique serait considérée comme discriminatoire au sens de l'article 36 de l'ordonnance de 1986, cette pratique ne saurait, à elle seule, constituer une action concertée, non démontrée en l'espèce ;
Mais considérant que les motifs évoqués par la société Bernardaud dans sa lettre du 18 septembre 1991 pour résilier le contrat de distributeur de la société Pujol-Chaumet, à savoir l'incompatibilité du standing de la surface de vente et des autres produits vendus avec l'image de luxe des produits Bernardaud, sont contredits par les observations de l'huissier Cottin désigné par ordonnance du président du Tribunal de grande instance de Toulouse en date du 30 octobre 1991 ; qu'il ressort, en effet, du procès-verbal de constat du 12 novembre 1991 que les produits de marque Bernardaud bénéficiaient, sur les murs de la salle d'exposition des produits " Arts de la Table ", au premier étage du local commercial de Pujol-Chaumet, de trois modules de présentation à trois étagères, chacun formant un ensemble de trois mètres de linéaires de longueur sur deux mètres de hauteur entièrement consacrés à ces produits et bien identifiés par une imposte en lettre noires, chaque article étant référencé sur étiquettes ; que, dans une lettre du 27 septembre 1991 faisant suite à la notification de la résiliation du contrat, la société Pujol-Chaumet expliquait que si, lors de la visite de l'inspecteur de la société Bernardaud, il n'y avait, dans sa vitrine linéaire, que deux mètres des produits de cette maison, ceci était compensé par des présentations de tables mises avec les services de porcelaine de la marque et que, de toute manière, les trois mètres linéaires consacrés à Bernardaud avaient été ultérieurement remis en place ; que l'huissier constatait encore que divers autres produits de marque (Villeroy et Boch, Royal-Doulton, Minton, Coquet, Raynaud) disposaient à proximité de la même présentation ; que les produits Bernardaud étaient aussi présentés sur des tables d'exposition au centre de cette salle ; que l'huissier notait qu'aucune porcelaine ne figurait à l'intérieur des vitrines visibles de la voie publique ; qu'à l'exception de cette observation, le constat d'huissier ne faisait donc pas ressortir de manquement aux obligations fixées à l'article 2 du contrat de distribution sélective ; qu'en outre, ce constat ne révélait pas de distorsions flagrantes entre les conditions de distribution de la porcelaine Bernardaud par la société Pujol-Chaumet et les conditions de distribution de ces produits par les sociétés Félix frères et Arty, ses deux concurrents directs sur le marché de Toulouse ; qu'en effet, le même jour, l'huissier constatait, dans le local commercial de la société Arty, que les modules de présentation Bernardaud ne formaient pas un ensemble de trois mètres linéaires ; qu'il relevait, par ailleurs, l'absence de tout présentoir ou module de présentation réservé à la marque Bernardaud dans le local commercial de la société Félix frères ;
Considérant, en réalité, qu'il ressort des auditions des principaux concurrents de la société Pujol-Chaumet sur le marché de Toulouse, les sociétés Arty, Félix et Espitalier Line, distributeurs des produits Bernardaud, que la politique de prix de la société Pujol-Chaumet les gênait et qu'ils sont intervenus auprès de la société Bernardaud pour lui demander d'y mettre un terme ; que Mme Calamelli, exploitant la société Arty, a ainsi exposé aux enquêteurs : " Sur la place de Toulouse, nous sommes très gênés par les pratiques commerciales de la société Pujol-Chaumet. La politique de rabais suivie par cette société n'est pas adaptée à la diffusion des produits des arts de la table, produits de luxe qui doivent être distribués dans un cadre adéquat, ce qui implique des investissements importants. Avec la maison Félix, autre seul véritable spécialiste des arts de la table sur Toulouse, nous avons des accords vis-à-vis des prix et des remises sur liste de mariage. Nos magasins sont des magasins exclusifs des arts de la table et nous ne pouvons pas nous rattraper sur la bijouterie et de pseudo-cadeaux, dont la valeur annoncée est souvent contestable. Nous sommes moins gênés par la société Cash Collectivités car elle est en étage et n'a pas de vitrines sur rue " ; qu'elle a aussi reconnu avoir fait pression sur la société Bernardaud, afin que cette dernière mette un terme à cet état de fait : " Compte tenu de ces pratiques et dans la mesure où nous ne voulions pas suivre cette politique de surenchère de rabais, nous avons fait part à nos fournisseurs de notre malaise. Nous leur avons précisé qu'il nous était difficile de mettre en avant leur marque dans la mesure où nos efforts de promotion profitaient à Pujol-Chaumet. Les fournisseurs ont essayé de réagir principalement Bernardaud. J'estime que la réaction de Bernardaud a été commercialement saine " ; que M. Félix, de la société Félix frères, a aussi reconnu être intervenu auprès de la société Bernardaud : " Je n'approuve pas la politique de remises élevées et de publicité sur les remises conduites par ce détaillant. J'ai été amené à attirer l'attention de certains fournisseurs sur ces pratiques. Je pense que je suis intervenu auprès des sociétés Bernardaud et Raynaud. Je ne les ai pas menacés de boycott, mais j'ai souligné le caractère dévalorisant pour le prestige de la marque, et des arts de la table en général, de telles pratiques " ; que M. Apostolu, président-directeur général de la Société toulousaine des arts de la table, a reconnu être intervenu auprès de M. Frédéric Bernardaud pour faire cesser le " discount permanent " de la société Pujol-Chaumet ; qu'il a établi lui-même une relation de cause à effet entre son intervention et le refus de vente opposé à Pujol-Chaumet : " Pour ce qui concerne ma société, je suis intervenu personnellement auprès de M. Frédéric Bernardaud, afin de souligner le problème soulevé par la société Pujol-Chaumet. (...) nous lui avons demandé de faire cesser ces pratiques de cette société, ce discount permanent. Je pense que les autres distributeurs ont agi de même. C'est à ce moment là que Bernardaud a refusé la vente à Pujol-Chaumet. Bernardaud m'a fait savoir depuis qu'il était contraint par la justice de livrer ce point de vente. Nous n'aurions pas cessé les achats mais nous voulions mettre la pression sur ce fournisseur. Nous craignions beaucoup que ces faits se reproduisent pour les Cristalleries Saint-Louis. (...). Nous ne sommes pas gênés par Cash Collectivités qui ne s'adresse pas à la même clientèle. Quant aux Galeries Lafayette, la politique limitant les rabais à 5 % du prix conseil, est très correcte " ; que M. Georges Pujol résumait ainsi l'attitude de ses concurrents, sur la place de Toulouse : " Certains fournisseurs ont prétexté par écrit l'insuffisance de l'environnement pour nous opposer des refus de vente. Le tribunal de grande instance a fait un sort à ces allégations. Mais oralement et par téléphone, ces mêmes fournisseurs m'ont déclaré que c'était l'importance de mes remises qui posait problème. Ils m'ont même invité à harmoniser ma politique de remise avec les autres détaillants de la place " ;
Considérant qu'il résulte donc de l'instruction que le non-respect des critères qualitatifs n'était pas le motif réel de résiliation du contrat de distribution sélective et que les véritables raisons de cette résiliation résidaient dans la politique commerciale de remise de prix de la société Pujol-Chaumet, et donc de non-respect des prix conseillés par le fournisseur ; que la résiliation du contrat témoigne de la volonté de la société Bernardaud de sélectionner ses revendeurs non pas en fonction de critères objectifs, de nature qualitative, mais de leur adhésion à une politique commerciale ayant pour objet et pouvant avoir pour effet de limiter la concurrence par les prix entre les revendeurs ; que cette pratique discriminatoire de résiliation a eu pour objet et a eu pour effet de restreindre la concurrence entre les distributeurs sur le marché toulousain de la porcelaine, par l'éviction de la société Pujol-Chaumet de la distribution des produits Bernardaud du 18 septembre 1991 au 15 janvier 1992, date à laquelle la société Bernardaud s'est engagée à reprendre ses livraisons à la société Pujol-Chaumet ; qu'intervenue dans le cadre d'un réseau de distribution sélective, elle tombe sous le coup des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance de 1986 prohibant les ententes anticoncurrentielles ;
c. Les pratiques dénoncées sur le marché toulousain à l'encontre de la société Reynaud (grief n° 4)
Considérant que, par lettre recommandée avec accusé de réception du 14 novembre 1991, rédigée dans des termes identiques à ceux du courrier adressé le 18 septembre à la société Pujol, la société Bernardaud annonçait à la société Reynaud la rupture de leurs relations contractuelles pour non-respect des clauses du contrat de distributeur agréé : " Suite aux différents rapports établis par notre inspecteur des ventes, nous regrettons de constater que vous ne remplissez plus les conditions prévues par notre contrat pour être dépositaire agréé (...) " ; que, dans une lettre datée du 23 juin 1992, la société Bernardaud motivait cette résiliation par l'absence de vitrine sur rue, d'enseigne commerciale et d'entrée élégante de l'établissement Reynaud ;
Considérant que la société Bernardaud reprend ici les mêmes arguments que précédemment, le refus de poursuivre le contrat de distribution sélective avec la société Reynaud ayant été, selon elle, motivé par les pratiques dépréciatrices de ce distributeur et ne constituant pas, en tout état de cause, une entente ;
Mais considérant qu'ainsi qu'il a été indiqué ci-dessus, les constatations effectuées par l'huissier, le 12 novembre 1991, chez les principaux concurrents de la société Reynaud ont permis d'établir que la plupart de ces distributeurs ne respectaient ni la clause d'enseigne, ni la clause de vitrine ; qu'en effet, ni la société Arty, ni la société Félix ne disposaient d'enseigne Bernardaud sur la rue ; qu'il ressort de l'instruction que, bien qu'à un moindre titre que la société Pujol, la politique de prix de la société Reynaud se démarquait elle aussi de celle des autres distributeurs de la place par la pratique de remises importantes et la réalisation de promotions publicitaires ; que ses concurrents sont intervenus auprès de la société Bernardaud et d'autres fournisseurs pour y mettre un terme ; que les deux résiliations se sont succédées à un bref intervalle et que les deux courriers sont rédigés en termes identiques ; qu'en outre, les conditions objectives de distribution des produits Bernardaud par la société Reynaud, inchangées, voire améliorées par la réfection, en novembre 1990, du rayon des arts de la table de ce magasin, attestent bien que les véritables motifs de cette pratique discriminatoire résident aussi dans la politique commerciale de la société Reynaud ; que la résiliation du contrat conclu avec cette dernière témoigne de la volonté de la société Bernardaud de sélectionner ses revendeurs non pas en fonction de critères objectifs, de nature qualitative, mais de leur adhésion à une politique commerciale ayant pour objet et pouvant avoir pour effet de limiter la concurrence par les prix entre les revendeurs ; qu'il convient, pour les mêmes raisons que celles exposées plus haut, de constater que cette pratique discriminatoire de résiliation a eu pour objet et a eu pour effet de restreindre la concurrence sur le marché toulousain de la distribution de la porcelaine et, qu'intervenue dans le cadre d'un réseau de distribution sélective, elle tombe sous le coup des dispositions de l' article 7 de l'ordonnance de 1986 prohibant les ententes anticoncurrentielles ;
d. Les incidents de distribution survenus sur le marché de Pau (grief n° 5)
Considérant que trois sociétés distribuent les produits de la société Bernardaud dans l'agglomération paloise, les sociétés Le Ster, Thierry et Moreau orfèvre ; que, le 4 mars 1992, le représentant de la société Bernardaud, M. Imbert, visitait le magasin Nadal, exploité par la SARL Regalo's, concurrent des trois sociétés citées plus haut, et lui proposait les gammes de produits des marques " Bernardaud " et " Ancienne manufacture royale ", les deux marques du groupe ; qu'une commande portant sur des produits des deux marques était passée à l'occasion de cette visite ; que, par courrier du 11 mars 1992, la société Bernardaud adressait au distributeur le contrat de distribution sélective en double exemplaire en lui demandant de lui faire retour des deux documents signés et portant le tampon de la société Regalo's ; que les deux exemplaires du contrat étaient renvoyés à la société Bernardaud le 18 mars 1992 par le distributeur ; que, le 24 mars 1992, le magasin Nadal ne recevait que la livraison partielle de sa commande du 4 mars, portant exclusivement sur les produits de la marque " Ancienne manufacture royale " ; que, par lettre circulaire du 8 avril 1992, la société Bernardaud annonçait au distributeur la sortie de nouveautés et joignait les références et tarifs de ces nouveaux produits ; qu'en réponse à une lettre recommandée du distributeur datée du 13 avril 1992 le sommant de lui livrer les produits de marque Bernardaud, le fabricant lui adressait une lettre datée du 24 avril 1992, dans laquelle il exposait les motifs de son abstention : " Avant toute ouverture d'un nouveau dépositaire agréé Bernardaud, notre travail est logiquement d'aller voir le client en question, de visiter son magasin, de lui présenter notre contrat, ces engagements et d'étudier la situation générale de son entreprise. C'est la même démarche que nous adoptons à chaque fois, et nous avons procédé ainsi avec votre établissement. Après ces différentes enquêtes, nous avons jugé que votre établissement, vu sa faible activité, le grand nombre de fournisseurs déjà présents, ne pourrait remplir les engagements prévus par le contrat Bernardaud. (...). Nous restons très attentifs à la situation de nos distributeurs ; si des changements importants devaient intervenir à Pau, et si votre établissement poursuit son développement dans de bonnes conditions, nous devrions finir par trouver un accord (...) " ; que la société Bernardaud n'a jamais repris ses relations commerciales avec la SARL Regalo's et qu'elle a été condamnée par le Tribunal de commerce de Pau à verser 40 000 francs de dommages-intérêts à cette dernière ;
Considérant que la société Bernardaud expose que le refus de vente opposé par elle à la société Regalo's a déjà été jugé sur le fondement de l'article 7 de l'ordonnance par le Tribunal de commerce de Pau et que l'autorité de chose jugée qui s'attache à cette décision s'oppose à ce que le Conseil statue une nouvelle fois sur ce grief ;
Mais considérant que le Tribunal de commerce de Pau, se fondant, non pas sur les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, mais sur celles de l'article 36, et retenant que la société Bernardaud s'était rendue coupable d'une violation de ce dernier texte en se livrant à des pratiques discriminatoires et à un refus de vente à l'égard de la société Regalo's, a condamné la société Bernardaud à réparer le préjudice ainsi causé à la société Regalo's par le versement de dommages-intérêts ; que la chose jugée par cette décision ne fait donc pas obstacle à l'application, distincte, dans la présente procédure des articles 7 et 13 de l'ordonnance ;
Considérant, sur le fond, que la société Bernardaud invoque l'absence d'éléments démontrant l'existence d'une action concertée à l'origine du refus de vente ;
Mais considérant qu'il résulte de l'instruction que la société Bernardaud a invoqué, pour justifier son refus de vente à la SARL Regalo's, des motifs non prévus dans les conditions d'agrément du contrat type de dépositaire agréé, à savoir la faible activité de l'entreprise et le grand nombre de fournisseurs déjà présents sur le marché de Pau ; que, par ailleurs, selon le résumé du litige présenté par Mme Nadal, gérante de la SARL Regalo's, lors de son audition par les services d'enquête le 15 mai 1992, le véritable motif du refus de livrer les marchandises, allégué par le fabricant en la personne de M. Imbert, était l'existence d'un concurrent consacrant un espace privilégié aux produits Bernardaud, dans son magasin à l'enseigne Moreau orfèvre : " Ce même jour (...), M. Imbert (...) nous fait part de la décision de M. Frédéric Bernardaud de ne pas nous livrer car un de nos confrères qui vient de refaire son magasin consacre à " Bernardaud " un espace de présentation privilégié " ; que cette déclaration est corroborée par l'enquête réalisée auprès des principaux concurrents du magasin Nadal et de laquelle il ressort que la Société Pyrénéenne des Arts de la Table (SPAT), exploitant l'enseigne Moreau orfèvre, a signé, le 1er avril 1992, avec la société Bernardaud un contrat de coopération commerciale prévoyant, à l'intérieur du magasin, la création d'un " îlot Bernardaud " exclusivement consacré à l'exposition permanente des pièces Bernardaud, conclu pour une durée de cinq années, ainsi qu'un contrat de coopération promotionnelle et publicitaire pour l'année 1992 ; que la signature de ces deux contrats est intervenue le 1er avril, soit peu après la visite de M. Imbert au magasin Nadal, le 4 mars, et précédait de quelques jours l'annonce orale du refus de livrer du 8 avril, confirmée par écrit le 24 avril 1992 ; que cette pratique de refus de livraison aboutissait à refuser au magasin Nadal l'entrée dans le réseau de distribution sélective de la société Bernardaud ; qu'il résulte des constatations précédentes que ce refus d'entrée n'était pas motivé par le non-respect de critères prévus par le contrat de dépositaire agréé ; qu'il s'ensuit que la société Bernardaud n'a pas, en l'espèce, sélectionné un revendeur par référence à des critères objectifs ; qu'une telle pratique, intervenue dans le cadre d'un réseau de distribution sélective, constitue une entente prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
2. Concernant la société Haviland
a. Le contrat de distribution sélective et les conditions générales de vente (grief n° 1)
L'article 5.4 :
Considérant que l'article 5.4 du contrat de distribution sélective dispose que " Il est rappelé que Haviland est une marque déposée et protégée en ce sens. De ce fait, la marque et la signature " Haviland " ne pourront être utilisées par le distributeur qu'après accord écrit et préalable de Haviland. Sont particulièrement concernés tous les documents administratifs, annonces, actions promotionnelles ou publicitaires dont se sert ou qu'utilise le distributeur " ;
Considérant que la société Haviland soutient que la clause précitée ne constitue pas une entrave à la liberté commerciale des distributeurs ; qu'elle expose qu'une telle clause a déjà été reconnue valable par la Commission européenne dans sa décision du 24 juillet 1992 relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE au système de distribution sélective des parfums Givenchy (92-428-CEE) et ajoute que cette clause n'aurait pas été appliquée ;
Considérant qu'il résulte des termes de la clause ci-dessus reproduite qu'est visée la protection de la marque Haviland et qu'il n'est pas démontré que, sous couvert de protection de la marque, la clause ait été utilisée en réalité pour dissuader les distributeurs de faire porter leurs campagnes publicitaires sur les prix ; qu'ainsi, il n'est pas établi que cette clause soit prohibée par l'article 7 de l'ordonnance susvisée ;
b. Les pratiques dénoncées sur le marché lyonnais à l'encontre de la société Reynaud (grief n° 5)
Considérant que M. Pous, gérant de la SARL Reynaud, a exposé, le 23 juillet 1991, aux enquêteurs de la direction de la concurrence de Lyon, qu'au salon Bhijorka de janvier 1991, le représentant de la société Haviland lui avait fait connaître que la société Haviland ne désirait plus lui livrer les nouvelles collections ; que, depuis lors, la société Reynaud ne pouvait plus qu'obtenir les réassortiments dans les produits de la gamme Haviland, à l'exclusion des nouveautés ; que, par lettres des 28 janvier 1991 et du 14 février 1991, il avait demandé des explications à la société Haviland qui lui avait répondu, le 29 mars 1991 seulement, en ces termes : " En aucun cas, nous ne vous avons indiqué prendre la décision de ne plus vous livrer, mais simplement porté à votre attention le fait que l'évolution de la situation dans la ville aurait des conséquences sur votre activité. Le développement de notre marque chez votre confrère, la Maison Chatet, représente plus du double de votre chiffre d'affaires avec notre société, et les perspectives de développement dans un magasin parfaitement adapté à une bonne présentation de nos produits nous permettent d'espérer un développement encore plus important. Notre expérience en ce domaine nous amène à réfléchir sur les possibilités de développement de notre marque chez vous à un moment où nous faisons des efforts pour améliorer la présentation de nos produits. Nous pensons qu'il sera utile de faire un point de situation avec vous à l'issue du premier semestre et d'évaluer ainsi ensemble les possibilités de développement de notre marque dans votre affaire " ;
Mais considérant que la société Haviland a adressé néanmoins à M. Pous trois chevalets avec les nouveaux décors de la société, dont elle lui avait annoncé l'envoi dans une lettre du 7 mars 1991 ; que M. Pous a reconnu avoir passé commande de trois produits parmi les nouveautés Haviland de 1991, fin avril 1991 ; qu'ainsi, il n'est pas établi que la société Haviland ait opposé à la SARL Reynaud un refus de vente constitutif d'une pratique anticoncurrentielle prohibée par l'article 7 ;
3. Concernant la société Raynaud
a. Le contrat de distribution sélective (grief n° 1)
Considérant que, dès lors qu'ils préservent le jeu d'une certaine concurrence sur le marché, les systèmes de distribution sélective sont conformes aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 si les critères de choix des revendeurs ont un caractère objectif et ne sont pas appliqués de façon discriminatoire, s'ils n'ont ni pour objet ni pour effet d'exclure une ou des formes déterminées de distribution qui seraient aptes à distribuer les produits en cause ou de créer des barrières artificielles à l'entrée sur le marché de la distribution des produits concernés et s'ils maintiennent la liberté commerciale des revendeurs quant aux prix pratiqués vis-à-vis des consommateurs ;
Considérant que le premier critère de sélection des lieux de vente, exposé dans le a) du contrat de distribution sélective de la société Raynaud, se réfère à la notion de " commerce traditionnel de produits de luxe ", ayant pour objet la distribution d'articles de forte notoriété dans les arts de la table; que cette notion de commerce traditionnel peut aboutir à exclure certaines formes modernes de distribution; que, dès lors, la référence à un tel critère constitue une pratique prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;
Considérant que les critères de sélection des lieux de vente, exposés dans le b) du contrat de distribution sélective, sont relatifs aux caractéristiques du magasin, qui doit satisfaire aux trois conditions cumulatives suivantes :
- être situé directement sur une artère commerçante ;
- disposer d'une vitrine sur rue d'au moins trois mètres de large ;
- avoir une surface de vente minimum de plus de cinquante mètres carrés;
Considérant que le cinquième critère de sélection des lieux de vente, énoncé dans le e) du contrat de distribution sélective, est relatif à l'obligation pour le commerçant d'" exposer la totalité des 20 modèles leaders de la collection Reynaud sous forme de têtes de service (6 pièces minimum) par magasins " ;
Considérant que l'exigence d'une surface de vente minimum n'apparaît pas injustifiée au regard des nécessités de la distribution adéquate de produits de luxe; qu'il convient donc de rejeter cette branche du grief ; que les autres clauses, en revanche, ne sauraient être considérées comme des conditions nécessaires à la distribution adéquate des produits en cause et sont de nature à dissuader certaines formes de commerce d'y accéder; qu'elles peuvent avoir pour effet de limiter ou de restreindre le jeu de la concurrence; qu'elles sont, dès lors, prohibées par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;
Considérant, par ailleurs, qu'en vertu de l'article III.5 du contrat de distribution sélective, le revendeur " s'engage à soumettre à l'accord préalable de A. Raynaud et Cie toute action publicitaire ou promotionnelle portant sur les produits ou la marque A. Raynaud et Cie. Cette action ne pourra être entreprise qu'après l'accord écrit de A. Raynaud " ;
Considérant que la société Raynaud expose qu'elle avait le droit d'exercer un contrôle sur les documents publicitaires diffusés par ses revendeurs pour faire respecter la notoriété de ses produits, conformément à la décision citée plus haut de la Commission européenne du 24 juillet 1992 (Givenchy) ;
Considérant qu'il résulte des termes de la clause qu'est visée la protection de la marque Raynaud et qu'il n'est pas démontré que, sous couvert de protection de la marque, cette clause ait été utilisée en réalité pour dissuader les distributeurs de faire porter leurs campagnes publicitaires sur les prix ; qu'ainsi, il y a lieu d'écarter ce grief ;
Considérant que l'article III.6 du contrat de distribution sélective dispose : "Agissant conformément à sa fonction économique, le revendeur détaillant agréé concentre ses efforts commerciaux sur la vente au détail à l'utilisateur final. A ce titre, il doit respecter les conditions et les prix de vente au public conseillés sur les tarifs de vente conseillés en vigueur, il s'interdit, par ailleurs, la revente des produits A. Reynaud et Cie, tant en France qu'à l'étranger, à tout groupement, grossiste ou magasin de détail et de ne pas pratiquer de remise supérieure à 10 % sans l'accord express de A. Reynaud et Cie" ; que la portée de cette clause est renforcée par un paragraphe intitulé "IX - Cessation des relations commerciales", dans lequel il est précisé que les relations commerciales pourront être résiliées sur le champ si le revendeur n'a pas respecté cette interdiction ; qu'ainsi, l'article III.6 limite la liberté commerciale du revendeur, par la fixation de prix imposés et par l'interdiction générale de revendre les produits ;
Considérant que la société Raynaud expose que la preuve des pratiques de prix imposés et d'interdiction de vente n'est pas rapportée ;
Mais considérant que la fixation de clauses imposant expressément aux distributeurs le respect de prix de vente au public conseillés par le fabricant a pour objet et peut avoir pour effet d'inciter les distributeurs à s'aligner sur ces prix conseillés et ainsi de restreindre la concurrence par les prix entre les distributeurs de produits de marque Raynaud en situation de concurrence potentielle ; que cette clause est donc en elle-même prohibée par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Considérant, enfin, que l'interdiction générale de revendre les produits de marque Raynaud est incompatible avec l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, en ce qu'elle prive les distributeurs de la faculté d'accepter les commandes émanant spontanément d'utilisateurs situés en dehors de leur zone de chalandise et érige une protection territoriale absolue ;
b. La menace de résiliation du contrat de distribution sélective de la société Pujol-Chaumet à Toulouse (grief n° 2)
Considérant qu'une fois le procès-verbal d'audition de M. de Martimprey retranché des débats pour les motifs indiqués ci-dessus, il ne resterait pas suffisamment d'éléments pour étayer le grief initialement retenu ; que c'est donc à bon droit que ce grief a été abandonné au stade du rapport écrit ;
Sur les sanctions :
Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : " le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise de 5 % du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos. Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le maximum est de 10 millions de francs. Le Conseil peut ordonner la publication de sa décision dans les journaux ou publications qu'il désigne (...). Les frais sont supportés par la personne intéressée " ;
Considérant que, si les sociétés Bernardaud et Raynaud ont, depuis les faits, modifié les contrats de distribution sélective examinés dans la présente affaire, les contrats actuellement en vigueur de la société Raynaud comportent encore une clause illicite ; qu'il y a lieu de faire application des disposition de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 en enjoignant à cette société de supprimer de ses contrats cette clause, qui réserve la commercialisation des porcelaines Raynaud aux " commerces traditionnels de produits de luxe " ;
Considérant que, dans l'appréciation du dommage à l'économie, il y a lieu de tenir compte du prestige des sociétés impliquées ainsi que de leur poids au sein des fabricants de porcelaine de Limoges ; que les pratiques retenues à leur encontre pouvaient avoir un effet d'entraînement sur les systèmes de distribution de la porcelaine de marques concurrentes ;
Mais considérant que les pratiques imputables à la société Bernardaud n'ont été mises en œuvre que pendant une courte période ; que les contrats ont ensuite été mis en conformité avec les exigences légales ; que la société Bernardaud a réalisé, au cours de l'exercice 1998, dernier exercice clos disponible, un chiffre d'affaires hors taxes de 189 millions de francs ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 50 000 francs ;
Considérant que, si les pratiques imputables à la société Raynaud ont conduit à limiter la liberté des distributeurs en matière de prix, elles n'ont été mises en œuvre que pendant une courte période, les contrats ayant ensuite été régularisés ; que, si la clause réservant la commercialisation des porcelaines Raynaud aux commerces traditionnels de produits de luxe a été mise en œuvre de façon permanente, sa gravité était moindre ;
Considérant que la société Raynaud a réalisé, au cours de l'exercice 1998, dernier exercice clos disponible, un chiffre d'affaires hors taxes de 47 millions de francs ; qu'en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 10 000 francs,
Décide :
Article 1er : - Il est établi que les sociétés Bernardaud et Raynaud ont enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Article 2 : - Il est enjoint à la société Raynaud de modifier, dans ses accords de distribution sélective, la clause réservant la commercialisation des porcelaines Raynaud aux " commerces traditionnels de produits de luxe ".
Article 3 : - Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :
50 000 francs à la société Bernardaud ;
10 000 francs à la société Raynaud.