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Décisions

Conseil Conc., 2 mai 1989, n° 89-D-16

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques anticoncurrentielles reprochées par la société Chaptal SA à la société Mercedes Benz France

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré en section sur le rapport de M. J. Zachmann, dans sa séance du 2 mai 1989 où siégeaient : M. Pineau, vice-président, présidant ; MM. Cortesse, Cabut, Gaillard, Sargos, membres.

Conseil Conc. n° 89-D-16

2 mai 1989

Le Conseil de la concurrence,

Vu la lettre enregistrée le 3 mai 1988 sous le numéro C 171, par laquelle la société Chaptal SA a saisi le Conseil de la concurrence d'une demande dirigée contre des pratiques anticoncurrentielles exercées contre elle par la société Mercedes Benz France ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu les observations de la société Chaptal SA ; Vu les observations de la société Mercedes Benz France ; Vu la lettre du 2 mai 1989 du commissaire du Gouvernement, régulièrement convoqué, empêché ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le représentant de la société Chaptal SA entendus ; Retient les constatations (I) et adopte la décision (II) ci-après exposées :

I. - CONSTATATIONS

La société Chaptal Auto a été concessionnaire de la société Mercedez Benz France pour la gamme des "véhicules particuliers", des "véhicules utilitaires légers" (2 à 5 tonnes) et des "véhicules industriels" (5 tonnes et plus) sur les zones de Lodève et de Montpellier de 1952 à mars 1987.

En janvier 1986, la société Mercedes Benz France a proposé à la société Chaptal Auto, à la suite de la publication du règlement d'exemption européen n° 123-85, entré en vigueur le 1er juillet 1985, un nouveau contrat de concession.

La société Chaptal Auto a d'abord refusé de signer ce contrat au motif que des clauses abusives y auraient figuré : l'une obligeant le concessionnaire "en cas de résiliation du contrat, à payer comptant ses achats au concédant à partir du troisième mois précédant la fin du contrat", une autre disposant que "le concessionnaire devait faire son affaire de la réalisation de ses stocks en fin de contrat sans pourvoir utiliser les marques, emblèmes et documents commerciaux Mercedes Benz France", enfin, une dernière clause prévoyant, par application de l'article L. 122-12 du Code du travail, que la charge des indemnités légales de licenciement incombe à l'ancien concessionnaire, "au cas où des contrats (de travail) seraient rompus après transfert du fait de la modification intervenue". La société Chaptal Auto a signé, début juin 1986, le contrat.

Par lettre du 27 juin 1986, la société Mercedez Benz France a résilié le contrat de concession avec effet au 30 juin 1987, soit une année plus tard conformément au préavis de résiliation d'un an prévu au nouveau contrat.

La société Chaptal Auto, devenue Chaptal SA, déclare d'abord qu'elle a été contrainte d'accepter ce contrat de distribution du fait de son état de dépendance économique, caractérisé par l'ancienneté de ses relations d'affaires depuis 1952, par son statut de concessionnaire exclusif entraînant une spécialisation irréversible de ses activités, et par l'absence de solution équivalente tant par manque de sustituabilité de sa clientèle que de concession concurrente vacante pendant la période de préavis.

Elle dénonce également la résiliation unilatérale et sans motif de ce contrat ainsi que le délai de préavis de résiliation d'un an qu'elle estime d'une durée insuffisante et qui l'a conduite à négocier la cession de sa concession dans de mauvaises conditions.

Elle reproche de plus à la société Mercedes Benz France d'avoir conclu, en rejetant les solutions de reprise qu'elle lui aurait soumises, une entente illicite avec le futur repreneur, la société Pargefi.

Elle dénonce aussi l'entente entre les sociétés Mercedes Benz France et Pargefi par laquelle cette dernière a repris la concession Mercedes Benz France de Perpignan.

La société Mercedes Benz France conteste l'ensemble des points de vue de la société Chaptal SA. Elle fait d'abord valoir que la modification des contrats de concession résultait de la nécessité légale d'une mise en conformité de ceux-ci au regard du règlement d'exemption européen n° 123-85, lequel s'imposait à l'égard de l'ensemble de ses concessionnaires et ne pouvait donc viser la société Chaptal Auto en particulier.

La société Mercedes Benz France soutient que la résiliation du contrat conclu avec la société Chaptal Auto résulte de diverses circonstances tenant en particulier à des agissements frauduleux du concessionnaire, à une réputation locale, ternissant l'image de marque de Mercedes Benz France, ainsi qu'à des résultats d'exploitation irréguliers et insatisfaisants.

Réfutant l'argument selon lequel il aurait été fait obstacle à la reprise de la concession de la société Chaptal Auto par des candidats présentés par elle, la société Mercedes Benz France précise qu'aucun candidat ne lui a été proposé. La sociéte Mercedes Benz France soutient enfin que ni les parallélismes de comportement dans les résiliations des concessions de Perpignan et de Montpellier qui ont eu pour même repreneur la société Pargefi, ni les documents avancés par la société Chaptal SA n'apportent d'éléments de preuve d'une entente illicite qu'elle aurait conclue avec la société Pargefi.

II. - A LA LUMIERE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Considérant que la situation d'un état de dépendance économique au sens de l'article 8, alinéa 2, apprécie en tenant compte de l'importance de la part du fournisseur dans le chiffre d'affaires du revendeur, de la notoriété de la marque du fournisseur, de l'importance de la part de marché du fournisseur, de l'impossibilité pour le distributeur d'obtenir d'autres fournisseurs des produits équivalents; que ces critères doivent être simultanément présents pour entraîner cette qualification;

Considérant que la société Chaptal SA a réalisé la totalité de son chiffre d'affaires avec les ventes et la réparation de véhicules de marque Mercedes Benz; que le taux de notoriété de cette marque est élevé maisqu'il en est cependant de même pour les marques de constructeurs concurrents; que la société Mercedes Benz France possède des parts de marché faibles à l'exception du segment des véhicules industriels où elle détient 21,7 p. 100 du marché derrière Renault Véhicules Industriels qui en possède 39,4 p. 100 et où existe la concurrence d'autres constructeurs disposant de parts de marché se situant entre 5 p. 100 et 15 p. 100;

Considérant qu'il est établi, d'une part, que les concessionnaires peuvent passer d'un réseau de constructeur à un autre; qu'il existe d'autres solutions de conversion pour le concessionnaire évincé; qu'ainsi l'état de la société Chaptal SA à l'égard de son fournisseur Mercedes Benz France ne peut être qualifié comme ressortissant d'une situation de dépendance économique au sens de l'article 8, alinéa 2, de l'ordonnance précitéeet que par conséquent les pratiques qu'elles dénoncent ne peuvent être qualifiées d'abus au sens de ce même article; qu'au demeurant la société Chaptal Auto ne peut fonder sur des prétendues pratiques d'abus de dépendance économique antérieures à la date du 10 décembre 1986, date d'entrée en vigueur de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Considérant que le contrat de concession à durée interminée de Mercedes Benz France mis en vigueur en janvier 1986 ne contient pas de clauses contraires au règlement d'exemption n° 123-85 de la Commission des Communautés européennes ; qu'il introduit un délai de préavis de résiliation d'une durée d'un an conformément aux dispositions de ce règlement ; qu'en outre les autres clauses constestées par la société Chaptal ne comportent pas d'objet anticoncurrentiel, et qu'en particulier la clause relative aux conditions d'application de l'article L. 121-12 du Code du travail ne constitue pas une atteinte à la concurrence.

Considérant enfin que la constatation de la simultanéité dans la résiliation de contrats par Mercedes Benz France au bénéfice d'un même repreneur, et l'examen des documents avancés par la société Chaptal SA n'apportent pas la preuve de l'existence d'une entente au sens de l'article 7 de l'ordonnance précitée,

Décide :

Article unique. - Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.