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Décisions

Conseil Conc., 2 novembre 1999, n° 99-D-65

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques constatées lors de l'appel d'offres lancé en octobre 1991 par la communauté urbaine de Lyon pour le renouvellement de marchés de travaux de chaussée

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de M. Guedj, par Mme Pasturel, vice-présidente, présidant la séance, Mmes Boutard-Labarde, Mader-Saussaye, Perrot, MM. Nasse, Piot, Ripotot, membres.

Conseil Conc. n° 99-D-65

2 novembre 1999

Le Conseil de la concurrence (section IV),

Vu la lettre du 30 décembre 1994 enregistrée sous le numéro F 732, par laquelle le ministre de l'Economie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par diverses entreprises lors de l'appel d'offres lancé en octobre 1991 par la communauté urbaine de Lyon pour le renouvellement de marchés de travaux de chaussée ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu les observations présentées par les sociétés Beylat, Entreprise Blondet Marius, Axima Centre, Charles de Filippis, CGLB Routes, Eurovia, Colas Rhône Alpes, Coiro, Curty, Dumas, Entreprise Jean Lefèbvre, ETPVA, Maia Sonnier SA, Mazza, Gauthey, Perrier TP, Sacer, SCR, Screg Sud-Est, SNTL TP, Eurovia Grands Projets et industries, Gerland SA, SN Monin, TGC de Filippis ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et le représentant des sociétés Beylat, Entreprise Blondet Marius, Axima Centre, Charles de Filippis, CGLB Routes, Colas Rhône Alpes, Coiro, Dumas, Entreprise Jean Lefèbvre, ETPVA, Gauthey, Perrier TP, Sacer, SCR, Screg Sud-Est, Gerland SA, SN Monin, TGC de Filippis, Eurovia Grands Projets et industries, Viafrance et Cochery Bourdin Chaussé entendus; après avoir délibéré hors la présence du rapporteur et du rapporteur général; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :

I. - Constatations

A. - La description des marchés

1. Les marchés concernés

La communauté urbaine de Lyon (la Courly) créée par une loi du 31 décembre 1966, regroupe 55 communes sur une superficie de 50 000 hectares et compte 1 132 397 habitants.

Par délibération du 23 septembre 1991, elle a décidé le lancement d'un appel d'offres ouvert pour le renouvellement des marchés d'entretien ou de construction des chaussées et trottoirs, autres que ceux asphaltés, à exécuter sur le territoire de la Courly durant une période de deux ans du 1er janvier 1992 au 31 décembre 1993. La limite de réception des offres était fixée au 12 novembre 1991.

Les marchés de 1991 se différencient de ceux précédents de 1986 en ce qu'il y a eu substitution de la procédure d'appel d'offres à la procédure d'adjudication et en ce qu'il y a eu en 1991 une nouvelle répartition des communes en 36 lots territoriaux distincts au lieu de 34 pour les marchés de 1986.

Ces 36 lots se répartissent en :

27 lots de travaux d'entretien ou de construction ;

9 lots de travaux de réfection de tranchées.

Les lots correspondent soit à une ou plusieurs communes, soit à un ou plusieurs arrondissements pour la ville de Lyon.

S'agissant de marchés à commande, le montant total de l'opération devait être, pour sa durée totale, au minimum de 127 000 000 francs et au maximum de 508 000 000 francs.

Le montant des différents lots a été estimé comme suit dans le CCAP " pour chaque exercice comptable : hors majorations pour révisions de prix, rabais déduit et hors TVA " :

<EMPLACEMENT TABLEAU>

Pour la réalisation de ces opérations, la Courly a souhaité que les entreprises suivantes aient les qualifications FNTP (Fédération nationale des travaux publics) suivantes :

1 AP2 (terrassements), 3 OP2, 3.1., 3.11, 3.301 ou 3.302, 3.71, 3.72, 3.8 et 3.40 ou 3.41 (travaux de routes, d'aérodromes et travaux analogues). Il s'agit de caractéristiques techniques ou professionnelles établies par la Fédération et présentées dans une nomenclature.

S'agissant d'appels d'offres ouverts, 32 entreprises, soit seules, soit en regroupement de deux entreprises, ont soumissionné ; le nombre des soumissions individuelles a été de 88, soit le tiers des soumissions.

L'article 1.2 du CCAP in fine précise :

- " chaque entreprise ou groupement d'entreprises soumissionnaire ne pourra être attributaire de plus de trois lots ;

- en cas d'entreprises groupées solidaires, chaque groupement est limité à deux entreprises par lot ;

- le nombre de sous-traitants est limité à deux par lots, pour les 27 lots de travaux d'entretien ou de construction. "

Le même document précise, en outre, dans son article 1-1-2, que :

" l'entreprise devra, avant la notification du marché, posséder son siège ou une agence qualifiée dans l'agglomération lyonnaise, reliée au réseau téléphonique, où un représentant de l'entreprise pourra être contacté tous les jours ouvrables pendant les heures normales de travail ".

Les entreprises qui ont soumissionné sont les suivantes :

<EMPLACEMENT TABLEAU>

2. Les entreprises concernées

Sur les 33 entreprises qui ont participé à l'appel d'offres, 25, soit seules, soit en groupement, ont obtenu directement ou en sous-traitance un ou plusieurs lots.

En définitive, la répartition des lots a été la suivante :

<EMPLACEMENT TABLEAU>

B. - Les pratiques constatées

1. La note de service du 21 octobre 1991

Lors de l'enquête effectuée le 23 novembre 1993 dans l'entreprise Jean Lefebvre, a été communiquée aux enquêteurs une note de service en date du 21 octobre 1991, antérieure à la date limite de remises des offres, établie par le directeur de l'agence Lefebvre de Lyon, et qui se présente de la façon suivante :

" Lyon le 21 octobre 1991.

" Note de service n° 91.10.20 635 CB/CL.

" A. - Objet : Bilan de l'avancement au dossier Courly :

" 1° Les dossiers sont en cours d'étude, les réponses devant être déposées le 21 novembre prochain.

" 2° Un nouveau découpage a été fait. Il conduit à 27 lots d'entretien et 8 lots de tranchées.

" 3° Le principe du statu quo concernant le nombre d'adjudicataires est acquis à l'exception de Viafrance qui doit obtenir une " petite place ".

" Ce n'est pas encore acquis mais nous craignons d'y être contraint par le maître d'ouvrage.

" 4° Beugnet devrait rester en dehors cette fois-ci. Les négociations sont en cours.

" 5° CBC est titulaire dans la configuration actuelle de deux tiers d'un lot d'entretien. Il demande 2 lots + 1 lot tranchées. Cette demande est exorbitante et en contradiction profonde avec le statu quo ; discussion en cours très difficile.

" 6° Avec un mois de décalage, seront renouvelés deux lots d'enrobés sur la Courly appelés communément tapis d'enrobés.

" 7 Seront également en renouvellement les lots d'enrobés du Marché départemental du Rhône. Cette affaire viendra prochainement à l'ordre du jour après un appel de candidatures début novembre.

" Titulaires actuels :

" - Gerland-EJL-CBC Lot du Sud-Ouest ;

" - Gerland-EJL Lot Est ;

" - Chapelle Lot du Centre ;

" - Mazza-Revillon Lot du Nord.

" PJ : document transmis à la Lyonnais lors d'une précédente demande pour une réunion de coordination.

" Des contacts au plus haut niveau ont eu lieu récemment - Qu'en est-il sorti ?

" Le directeur d'agence.

" C. Beurel. "

2. Comparaison des marchés de 1991 par rapport à ceux de 1986

Les éléments réunis au cours de l'instruction mettent en évidence une stabilité des attributaires des marchés ou des entreprises ayant réalisé les travaux par rapport à la répartition des lots attribués en 1986.

Comme il a été indiqué dans les précédents marchés conclus en 1986, le territoire de la Courly était divisé en 34 lots. En 1991, à la suite d'un nouveau découpage, 36 lots ont été délimités. Cette circonstance ne permet donc pas une comparaison entre les deux séries de marchés par numéro de lot. Toutefois, par territoire communal, il est possible d'effectuer une comparaison qui révèle une stabilité des exécutants par commune et par arrondissement de Lyon (travaux I-1, I-2 et I-3).

C'est ainsi que, dans 16 communes, hors Lyon, il y a identité des exécutants. Sachant qu'il y a en général trois à quatre exécutants par commune, dans sept communes, la seule différence consiste dans l'adjonction d'un exécutant supplémentaire ; dans sept autres communes, il y a simplement suppression d'un exécutant et, enfin, dans cinq communes, il y a un seul exécutant différent.

Pour ce qui est de Lyon, il y a identité pour les 5e et 9e arrondissements et, dans chaque arrondissement, au moins un ou deux intervenants de 1986 se retrouvent en 1991.

Globalement, dans la liste des entreprises attributaires des lots en 1991, on ne trouve, en plus des attributaires de 1986, que les sociétés Viafrance et Gauthey. Pour Lyon, les dix entreprises attributaires des marchés en 1986 le sont également en 1991 (tableau II).

Le montant du rabais a été le critère déterminant pour la commission d'appel d'offres une fois vérifiées les qualifications professionnelles. Les entreprises ont proposé des rabais par marché sans présenter d'études détaillées.

<EMPLACEMENT TABLEAU>

La société Beylat a succédé à l'entreprise CTPA qu'elle a absorbée.

<EMPLACEMENT TABLEAU>

La société Entreprise de Filippis, mise en liquidation judiciaire, a été radiée du registre du commerce, le 23 juin 1994, après un jugement qui a prononcé le clôture pour insuffisance d'actif de procédure, le 17 juin 1994.

Listes des entreprises intervenantes :

<EMPLACEMENT TABLEAU>

3. L'analyse des résultats de 1991

En premier lieu, sur la trentaine d'entreprises ayant participé à l'appel d'offres, 22 ont obtenu directement un ou plusieurs lots. Le groupe GTM (EJL, TGC, Blondet) et le groupe Bouygues (Sacer, Screg, Colas, CLGB) ont obtenu respectivement quinze et onze lots. Si on considère le montant minimum des travaux que l'attributaire peut exiger de réaliser dans ce type de marchés, on constate que :

- la société Entreprise Jean Lefebvre et ses filiales obtiennent : 9 750 000 francs ;

- les sociétés appartenant au groupe Bouygues obtiennent : 9 450 000 francs.

En deuxième lieu, s'agissant des qualifications professionnelles, à l'examen du tableau relatif aux rabais proposés par les entreprises et à la condition relative aux qualifications requises, il apparaît que l'offre d'un grand nombre d'entreprises ou de groupements d'entreprises n'a pas été retenue, dès lors que n'était pas remplie la condition des qualifications professionnelles exigées des soumissionnaires.

En troisième lieu, sur la sous-traitance, il convient de constater :

- dans le cadre de l'appel d'offres.

Sur les 36 titulaires du marché, 12 avaient prévu une sous-traitance dans l'acte d'engagement, comme le montre le tableau ci-après :

<EMPLACEMENT TABLEAU>

Les entreprises ont justifié le recours à la sous-traitance par les dispositions du règlement particulier d'offres qui conduiraient à la multiplication des groupements et à l'appel à des entreprises locales connaissant bien le terrain et situées à proximité des chantiers.

Les rabais semblent avoir été établis sans étude préalable. Par ailleurs, la société Charles de Filippis a soumissionné individuellement en proposant des rabais souvent moins élevés que ceux qu'elle a acceptés en tant que sous-traitant. C'est ainsi que, pour le lot n° 19, elle a proposé un rabais de 3 % en soumissionnant et elle a effectué les travaux avec un rabais de 10,5 % ; pour le lot n° 5, elle soumissionne à - 8 % et exécute en sous-traitance à - 9 % ; pour le lot n° 8, elle soumissionne à - 6 % et opère en qualité de sous-traitante à - 7,5 % ; pour le lot n° 9, elle soumissionne à - 6,5% et exécute en sous-traitance à 7,5 % ; pour le lot n° 10, elle soumissionne à - 7 % et réalise les travaux en sous-traitance à - 8,5 % ;

- après l'attribution du marché :

Le tableau ci-après récapitule les recours à la sous-traitance :

<EMPLACEMENT TABLEAU>

27 lots sur 36 ont ainsi été sous-traités.

A l'issue de l'instruction, le grief suivant a été notifié aux sociétés Beylat TPSA, SA Entreprises Blondet Marius, Redland route centre SA (pour la société Chapelle), Entreprise Ch De Filippis, CLGB routes, Cochery Bourdin Chaussé, Entreprise Coiro, Colas Rhône Alpes, société des Établissements Curty, Entreprise Dumas, Entreprise Jean Lefèbvre, ETPVA, SA Gerland, société SA Entreprise Deluermoz (pour la société EBTP Maia-Sonnier), société Mazza BTP SA, société SN Monin, Entreprise Gauthey SA, Entreprise Perrier, Sacer, SCR, Screg Sud-Est, SNTL, Via France : d'avoir mis en œuvre, dans le cadre de l'appel d'offres lancé par la Courly en 1991, une concertation ayant eu pour objet de maintenir la répartition de ces marchés telle qu'elle avait été mise en œuvre par les mêmes entreprises en 1986, ladite concertation ayant eu pour objet et ayant pu avoir pour effet de faire obstacle au jeu spontané des offres, à l'indépendance des soumissionnaires concernés dans leurs offres de prix et à l'incertitude de chacun de ces soumissionnaires sur le contenu des offres et, d'une façon générale, ayant été de nature à tromper le maître d'ouvrage sur la réalité et l'étendue de la concurrence sur ces marchés, pratiques constitutives d'une violation de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

II. - Sur la base des constatations qui précèdent, le Conseil,

Sur la prescription :

Considérant que, pour soutenir que le grief est fondé sur la qualification de faits prescrits, la société Cochery Bourdin Chaussée fait valoir que, dans la notification de griefs, il est indiqué que la concertation anticoncurrentielle de 1991 avait pour résultat de maintenir un statu quo par rapport à une précédente concertation anticoncurrentielle de 1986 ; que, par ailleurs ont été jointes irrégulièrement en annexe au rapport des pièces relatives au marché de 1986 ;

Mais considérant que la notification de griefs relève seulement que la concertation de 1991 a visé à maintenir le statu quo tel qu'il résultait des marchés de 1986 et qu'on ne peut en déduire que la répartition des marchés de 1986 était elle-même retenue comme une pratique anticoncurrentielle de concertation ; que ceci, non seulement est corroboré par le contenu de la notification de griefs dans laquelle il n'est question de pratiques anticoncurrentielles qu'à l'occasion des marchés de 1991, mais encore a été clairement affirmé dans le rapport ; que dès lors, c'est d'une manière régulière que, pour démontrer le statu quo de 1991, ont été joints au rapport des tableaux descriptifs des attributions de marchés réalisées en 1986 ; que le moyen doit être écarté ;

Sur la procédure,

1. Sur la procédure en général

Considérant que la société Cochery Bourdin Chaussé, la société Screg Sud Est, la société Viafrance, la société Entreprise Jean Lefèbvre et la société TGC de Filippis soutiennent que la procédure a été d'une durée anormalement longue puisque la délibération de la Courly relative au lancement de l'appel d'offres a eu lieu le 23 septembre 1991, que la notification de griefs est datée du 19 décembre 1997 et que la durée prévisible de la procédure, qui est de huit ans, viole le principe du " délai raisonnable " prévu par l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme, alors que l'affaire n'est " ni ample, ni complexe ", ainsi que le principe général du droit communautaire relatif à la même notion applicable à la Commission européenne à l'occasion des procédures administratives en matière de politique de concurrence, principe qui s'applique également aux autorités nationales chargées de la concurrence ; que les droits de la défense nationales chargées de la concurrence seraient également méconnus dès lors que l'ancienneté des faits rend les poursuites " hasardeuses, aléatoires et injustes " ; que la société SN Monin fait valoir qu'elle n'a pas eu accès aux archives relatives à l'époque des faits visés par le présent dossier et qui concernent la société Monin TP SN dont elle a assuré la continuité économique ; que la société nouvelle des transporteurs lyonnais TP fait reproche au rapporteur de ne pas l'avoir entendue ; que la société Entreprise Deluermoz SA fait valoir qu'elle n'a reçu aucune notification de griefs et qu'en outre la dénomination Entreprise Deluermoz SA n'existe plus depuis le mois de décembre 1995 ; que la société Cochery Bourdin Chaussé, la société Perrier TP, la société Entreprise Blondet Marius, la société Screg Sud-Est et la société Viafrance prétendent que la notification de griefs ne respecte pas l'impératif d'individualisation des griefs puisqu'elle se borne à évoquer un grief général ; que la société TGC de Filippis soutient qu'elle n'est pas concernée par la notification de griefs puisqu'elle n'est même pas citée dans la liste des destinataires de ladite notification et qu'il ne lui est rien reproché ;

Mais considérant qu'en ce qui concerne le délai raisonnable, l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dispose que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable ; qu'en l'occurrence, l'appel d'offres considéré a fait l'objet d'une publication de ses résultats le 27 février 1992 ; que le rapport d'enquête est en date du 22 août 1994 ; que la notification de griefs a été effectuée le 19 décembre 1997 ; que le 25 janvier 1999, une nouvelle liste des destinataires du document comportant une entreprise supplémentaire, la société TGC de Filippis, a été notifiée aux sociétés concernées et que la société TGC de Filippis s'est vu également notifier à la même date les griefs considérés ; que le rapport a été communiqué le 15 juillet 1999 ; que le marché considéré comportait 36 lots constituant autant de marchés distincts et dans le cadre desquels la combinaison des entreprises intervenantes est à chaque fois différente ; que, dès lors, le délai écoulé entre les différentes actes de procédure n'apparaît pas excessif au regard des dispositions précitées de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de la jurisprudence communautaire, compte tenu de l'ampleur et de la complexité de l'affaire (Cour d'appel de Paris, 13 janvier 1998, SA Fougerolles Ballot) ; qu'enfin, les sociétés CBC, Screg Sud-Est, Viafrance et Entreprise Jean Lefebvre ne soutiennent pas que la durée de la procédure aurait porté atteinte à leurs droits (Cour d'appel de Paris, 23 janvier 1998, SARL Traditions et perspectives) ;

Considérant, sur ce dernier point, que le principe du contradictoire a été pleinement respecté, conformément aux prévisions de l'article 18 de l'ordonnance, et que les entreprises ont été mises en mesure de présenter à deux reprises des observations sur les griefs qui leur étaient opposés ; qu'en particulier, si la société SN Monin, qui assure la continuité économique de la société Monin TP, SN, soutient qu'elle n'est pas en possession des archives de cette dernière et qu'elle n'est donc pas en mesure de se défendre, cette seule circonstance est sans portée sur la régularité de la procédure d'autant qu'elle produit elle-même une lettre de l'administrateur judiciaire de la société Monin TP SN qui indique à la société SN Monin " .. je n'ai jamais conservé aucune archive de la société Monin ; en votre qualité de cessionnaire il me semble que vous avez dû conserver ces archives " ; que, si la société SNTL fait, de son côté, reproche au rapporteur de ne pas l'avoir entendue, il résulte des dispositions de l'article 20 du décret du 29 décembre 1986 que le rapporteur peut, s'il l'estime opportun, procéder à des auditions, mais qu'il n'est pas obligé d'y procéder ni d'entendre toutes les parties ou personnes interrogées ; qu'en l'occurrence, la saisine ministérielle était accompagnée d'un rapport d'enquête dont la teneur ne justifiait pas un complément d'instruction (Cour d'appel de Paris, 6 mai 1997, Lilly France) ;

Considérant qu'en ce qui concerne le reproche de défaut d'individualisation du grief d'entente, la notification de griefs et le rapport font état d'un " statu quo " dans les marchés de 1991 par rapport à ceux de 1986 et visent expressément les sociétés Cochery Bourdin Chaussé, Perrier TP, Entreprise Blondet Marius, Screg Sud-Est et Viafrance comme ayant été bénéficiaires de lots en qualité de titulaires ou de sous-traitantes, en comparant les résultats du marché de 1991 par rapport à ceux de 1986 pour chaque entreprise ; que, dès lors, il apparaît que " le rapporteur s'est attaché à analyser le comportement individuel des entreprises en cause, à l'occasion de chacun des marchés de travaux publics concernés, en examinant les pièces relatives à chacun d'eux et les explications fournies par les responsables des entreprises impliquées ; qu'il ne saurait par conséquent être prétendu que la multiplicité et la variété des faits soumis au Conseil constituent un amalgame contraire aux garanties de la défense, dès lors que chacune des parties était en mesure de discerner précisément, autant dans la notification de griefs que dans le rapport, les pratiques retenues contre elles et les éléments de preuve qui les caractérisent pour faire valoir utilement leurs moyens de défense " (Cour d'appel de Paris, 4 juillet 1994, Screg Sud-Est) ;

Considérant qu'en ce qui concerne les destinataires de la notification de griefs, la société Entreprise Deluermoz SA a pris la dénomination de Maia Sonnier SA par une décision de son assemblée générale du 29 décembre 1995, avec effet au 1er janvier 1995, en conservant la même adresse et le même numéro de registre du commerce ; que la notification de griefs adressée à la société Entreprise Deluermoz SA a été reçue le 19 décembre 1997 ; que, dans ces conditions, cette société devenue Maia Sonnier SA, par simple changement de dénomination, ne peut valablement soutenir qu'elle n'a pas été destinataire de la notification de griefs ;

Considérant, par ailleurs, que si la notification de griefs, qui vise dans son contenu expressément la société TGC de Filippis comme l'une des entreprises ayant obtenu des travaux en 1991, n'a pas été originairement adressée à ladite société, cette omission a été réparée par l'envoi de la notification et de la liste modifiée des destinataires à cette société ; que, dès lors, la société TGC de Filippis ne peut valablement soutenir qu'elle n'était pas concernée par cette notification de griefs et qu'elle n'a pas été en mesure de se défendre ;

2. Sur la procédure d'enquête

Considérant qu'en ce qui concerne la note de service du 21 octobre 1991, les sociétés Beylat SA, Entreprise Dumas, Gerland, la société Screg Sud-Est, la société Entreprise Jean Lefebvre, la société CLGB Routes et la société Colas Rhône-Alpes soutiennent, d'abord, que les conditions dans lesquelles les enquêteurs en ont disposé ont été irrégulières du fait qu'il est relaté ni dans le procès-verbal du 23 novembre 1993 ni dans celui du 2 décembre 1993 les conditions dans lesquelles les enquêteurs ont eu accès aux armoires de classement et aux dossiers, ensuite, que les références de la note de service du 21 octobre 1991 sont différentes de celles portées sur le parapheur chronologique communiqué ; que la société Entreprise Jean Lefèbvre et la société Gerland font valoir que les enquêteurs ne peuvent, dans le cadre de l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, consulter l'ensemble des dossiers ni a fortiori se faire remettre un document dont ils ne pouvaient connaître l'existence et qu'ils ne l'ont, en réalité, appréhendé qu'en procédant comme s'ils bénéficiaient d'une autorisation de visite et de saisie ; que la société Entreprise Jean Lefèbvre, la société CLGB Routes et la société Colas Rhône-Alpes relèvent que le procès-verbal du 23 novembre 1993 est incomplet puisqu'il ne mentionne pas l'intervention des enquêteurs auprès de Mme Lagrave en l'absence de M. Sopena, ni leur demande de consultation du cahier d'enregistrement des correspondances, ni les conditions d'obtention de la note du 21 octobre 1991 ; qu'elles font valoir que le caractère incomplet du procès-verbal est attesté par le procès-verbal du 2 décembre 1993, également dressé dans les locaux de l'agence de l'Entreprise Jean Lefèbvre à Lyon, qui fait référence aux investigations du 23 novembre ; que ces mêmes sociétés relèvent encore que ce procès-verbal n'a pas été signé par toutes les personnes concernées par les investigations puisque manque la signature de Mme Lagrave, seule présente pendant l'absence de M. Sopena durant une partie des investigations ;

Considérant que l'article 46 de l'ordonnance dispose que :

" Les enquêtes donnent lieu à l'établissement de procès-verbaux et, le cas échéant, de rapports.

" Les procès-verbaux sont transmis à l'autorité compétente. Un double en est laissé aux parties intéressées. Ils font foi jusqu'à preuve contraire " ; que l'article 47 ajoute : " Les enquêteurs peuvent accéder à tous locaux, terrains ou moyens de transports à usage professionnel, demander la communication des livres-factures, et tous autres documents professionnels et en prendre copie, recueillir sur convocation ou sur place, les renseignements et justifications. Ils peuvent demander à l'autorité dont ils dépendent de désigner un expert pour procéder à toute expertise contradictoire nécessaire " ; qu'aux termes de l'article 31 du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 : " Les procès-verbaux prévus à l'article 46 de l'ordonnance sont rédigés dans le plus bref délai ; qu'ils énoncent la nature, la date et le lieu des constatations ou des contrôles effectués ; qu'ils sont signés de l'enquêteur et de la personne concernée par les investigations ; qu'en cas de refus de celle-ci mention en est faite au procès-verbal " ; qu'il résulte de ces dispositions que doivent être relatées dans les procès-verbaux toutes les opérations effectuées par les enquêteurs en application de l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, qu'il s'agisse de la transcription des déclarations des personnes entendues, de la description des démarches effectuées au sein des entreprises ou des remises de documents ;

Considérant que, selon les indications du procès-verbal du 23 novembre 1993, deux agents de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes sont intervenus à 9 h 30 dans l'entreprise Jean Lefèbvre à Lyon, en présence de M. Sopena, adjoint de M. Beurel, chef de l'agence ; qu'après avoir recueilli auprès de M. Sopena des renseignements sur l'entreprise, ils ont obtenu la communication de 22 documents dont la " note de service n° 91-10-20-635 Bilan de l'avancement du dossier Courly, 2 pages " ; que les mêmes agents se sont présentés à nouveau le 2 décembre à l'agence lyonnaise Jean Lefèbvre où ils ont été reçus par M. Beurel ; qu'il leur a été indiqué par celui-ci que la note de service 91-10-20-635 était une note interne à l'agence, qu'elle n'avait pas été expédiée et n'avait pas de destinataire ; que le procès-verbal poursuit en ces termes : " Nous avons demandé à consulter le cahier d'enregistrement du courrier départ, que nous avions consulté le 23 novembre 1993 lors de la précédente intervention, et sur lequel était enregistrée cette note ainsi que les destinataires, M. Beurel nous déclare que l'entreprise n'ayant pas obligation de conserver en archive ce cahier, ne l'a pas à disposition. Seul subsiste le parapheur chronologique. Nous demandons ce parapheur et constatons qu'il s'intitule " 1991, Courrier 91-10-20-471, 23 juillet 1991 ", Le Courrier (note) y figure. M. Beurel nous précise : " A ma connaissance, cette note n'est pas partie. Il s'agit du résultat d'une analyse menée par mes soins au sein de l'agence " ;

Considérant qu'il résulte du rapprochement de ce procès-verbal avec deux attestations établies l'une par M. Sopena et l'autre par Mme Lagrave, secrétaire de l'agence lyonnaise Jean Lefèbvre, que, dans le courant de l'après-midi du 23 novembre 1992, les enquêteurs ont demandé à Mme Lagrave, seule présente à l'agence à ce moment-là, son " chrono " et qu'après avoir consulté ce document, ils ont fait ressortir la note de service n° 91-10, qui était archivée ; que le procès-verbal du 23 novembre 1993, signé par M. Sopena, auquel cette note, parmi d'autres documents, était annexée, ne fait aucune mention des circonstances de la communication de cette note et, dès lors, ne met pas le Conseil de la concurrence en mesure d'exercer son contrôle sur la régularité de la remise dont elle a fait l'objet ; que ce procès-verbal n'a pas été signé par Mme Lagrave ; qu'ont, ainsi, été méconnues les dispositions de l'article 31 du décret du 29 décembre 1986 ; que le procès-verbal du 23 novembre 1993, en tant qu'il constitue le procès-verbal de remise de la note de service du 21 octobre 1991, ne peut être considéré comme régulier et qu'il doit être retiré de la procédure ;

Considérant qu'en ce qui concerne les investigations effectuées dans les autres sociétés, l'intervention dans les locaux de la société Viafrance, le 2 décembre 1993, en présence de M. Patrick Sulliot, chef de l'agence de Lyon, a donné lieu à l'établissement d'un procès-verbal signé sans réserve par ce dernier ; que, si, par une attestation en date du 18 janvier 1998, M. Sulliot soutient que les enquêteurs l'auraient empêché d'aller chercher lui-même les documents qu'ils lui ont demandé et qu'ils en ont pris connaissance hors sa présence et en présence de la comptable et d'une secrétaire qui n'ont pas signé le procès-verbal, cette seule attestation, émanant de la personne concernée (décision précitée n° 96-d-62 du 22 octobre 1996 et arrêt de la Cour d'appel, précité du 9 septembre 1997 Simat) est insuffisante pour établir la réalité des faits allégués, un procès-verbal signé sans réserve faisant foi jusqu'à preuve du contraire ;

Considérant que l'intervention dans les locaux de la société Cochery Bourdin Chaussé, le 9 décembre 1993, en présence de M. Pierre Onfray, chef d'agence, a donné lieu à l'établissement d'un procès-verbal signé sans réserve par ce dernier ; que, si par une attestation en date du 18 février 1998, M. Onfray, soutient que les enquêteurs l'auraient empêché d'aller chercher lui-même les documents qu'ils lui ont demandé, cette seule attestation est insuffisante pour établir la réalité des faits allégués, un procès-verbal signé sans réserve faisant foi jusqu'à preuve du contraire ;

Sur le fond :

Considérant que les entreprises soutiennent que la preuve de pratiques anticoncurrentielles n'est pas rapportée ; que les sociétés Entreprise Ch De Filippis et Entreprise Blondet Marius font valoir qu'il n'existe au dossier ni preuve d'entente ni faisceau d'indices ; que les sociétés CLGB Routes et Colas Rhône-Alpes prétendent que la note de service du 21 octobre 1991 et les résultats de la comparaison des marchés de 1986 et 1991 ne constituent pas des éléments de preuve suffisants ; qu'elles indiquent qu'un parallélisme de comportement ne suffit pas à établir une entente, car il est nécessaire que ce comportement ne puisse s'expliquer ni par les conditions du marché, ni par la poursuite par chaque opérateur économique de son intérêt individuel ; que la société Entreprise Coiro évoque l'existence d'une simple convergence d'intérêts, ce qui ne constitue pas une preuve d'entente, et relève que seuls des éléments précis et concordants peuvent suppléer à l'absence de preuve formelle ; que la société Entreprise Jean Lefèbvre relève que la note de service constitue un élément unique qui ne peut, à défaut d'indices graves, précis et concordants, établir l'existence des pratiques alléguées ;

Considérant qu'en matière de marchés publics une entente anticoncurrentielle peut prendre la forme, notamment d'une coordination des offres ou d'échanges d'informations entre entreprises antérieurs au dépôt des offres ; que l'existence de telles pratiques, qui sont de nature à limiter l'indépendance des offres, condition de jeu normal de la concurrence, peut être établie au moyen soit de preuves ou de déclarations se suffisant à elles-mêmes soit d'un faisceau d'indices constitué par le rapprochement de divers éléments recueillis au cours l'instruction, même si chacun de ces éléments pris isolément n'a pas un caractère suffisamment probant ;

Considérant que, comme il a été dit, la note de service du 21 octobre 1991 qui constituait l'un des principaux indices retenus par le rapport doit être écartée ; qu'au surplus et en tout état de cause, les procès-verbaux du 23 novembre 1993 et du 2 décembre 1993 ne fournissent aucune indication sur l'identité des entreprises qui auraient été destinataires de la note susvisée et qu'on relève, en outre, des disparités entre les références sous lesquelles la " note de service " est désignée dans le premier procès-verbal et celles qui figurent dans le second procès-verbal pour le même document, de sorte que l'envoi même de celui-ci apparaît incertain ;

Considérant qu'en l'absence de cette note l'unique indice d'entente subsistant consiste dans la stabilité, d'ailleurs relative, de l'attribution des lots entre 1986 et 1991, stabilité qui ressort de la répartition des lots entre les entreprises mises en cause et de la sous-traitance ; que, de cette situation, les entreprises fournissent, cependant, des explications tirées des conditions de passation des marchés, qui incitaient aux regroupements, et des avantages propres, pour chaque lot, à certaines entreprises, a priori plausibles, ne pourraient être mises en doute que sur la base d'autres indices inexistants en l'espèce ; que les représentants de la Courly ont déclaré lors de la séance que les lots avaient été attribués aux entreprises qui avaient présenté les meilleurs offres ; qu'ainsi, la preuve de l'existence d'une entente entre les soumissionnaires à l'appel d'offres de 1991 n'est pas établie ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les indices recueillis ne suffisent pas à établir l'existence de pratiques anticoncurrentielles ,

Décide :

Article unique. - Il n'est pas établi que les entreprises ayant soumissionné à l'appel d'offres lancé en octobre 1991 par la Courly aient participé à une entente prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.