Cass. com., 13 février 2001, n° 98-22.698
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Ordre des avocats au barreau de Marseille, Syndicat des avocats de France
Défendeur :
Confédération syndicale du cadre de vie, Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dumas
Rapporteur :
Mme Champalaune
Avocat général :
M. Feuillard
Avocats :
SCP Masse-Dessen, Georges, Thouvenin, Me Ricard.
LA COUR : - Sur le moyen unique, pris en ses quatre branches : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 novembre 1998), que, par décision n° 98-D-07 du 14 janvier 1998, le Conseil de la concurrence a estimé établi qu'en élaborant et en diffusant parmi ses membres un document intitulé "honoraires barème indicatif 1990-1991", l'Ordre des avocats au barreau de Marseille avait enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, lui a enjoint de ne plus élaborer ni diffuser de barèmes d'honoraires et lui a infligé une sanction pécuniaire ;
Attendu que l'Ordre des avocats au barreau de Marseille et le Syndicat des avocats de France font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leur demande tendant à l'annulation et à la réformation de la décision du 14 janvier 1998 du Conseil de la concurrence, alors, selon le moyen : 1°) que constitue une entente illicite celle qui tend à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ; que la cour d'appel a constaté l'absence de transparence et de prévisibilité de coût de l'accès au droit, la volonté du Conseil de l'Ordre de remédier à cette situation, la diffusion aux justiciables du document litigieux, lequel rappelait amplement les règles de fixation des honoraires des avocats et indiquait les honoraires habituellement pratiqués pour les affaires courantes sans complexité particulière, de sorte que la plaquette éditée par le Conseil de l'Ordre remplissait une fonction d'information des justiciables et partant, favorisait la négociation des honoraires entre les clients et les avocats ; qu'en décidant néanmoins que le document litigieux, pris en sa seule partie relative aux honoraires habituellement pratiqués, était de nature à inciter les avocats à fixer leurs honoraires selon les montants suggérés et les clients à ne pas discuter librement le montant des honoraires minima qu'il indiquait, caractérisant en cela l'objet anticoncurrentiel et l'effet potentiellement anticoncurrentiel des pratiques litigieuses, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation des articles 7 et 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; 2°) qu'en estimant que ce document comportait des minima d'honoraires, la cour d'appel en a dénaturé les termes en violation de l'article 1134 du Code civil ; 3°) qu'il appartient aux juges du fond de définir strictement le marché de référence à considérer pour apprécier les conditions dans lesquelles s'exerçait la concurrence dont le jeu aurait été empêché, restreint ou faussé et qui aurait été affecté par une entente tendant à faire obstacle à la fixation des prix par ce libre jeu en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ; que l'Ordre avait fait valoir que le Conseil de la Concurrence n'avait pas délimité le marché de référence dont la définition s'imposait d'autant plus que les avocats du barreau de Marseille, en application de l'article 4 de la loi du 31 décembre 1971, peuvent remplir leurs missions d'assistance, de représentation et de plaidoirie devant toutes les juridictions, organismes juridictionnels ou disciplinaires sans limitation territoriale ; que la cour d'appel, en énonçant que la pratique légitime ayant affecté sensiblement le marché local des prestations juridiques et judiciaires sans le définir ni le délimiter, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; 4°) que sont prohibées les ententes qui font obstacle ou tendent à faire obstacle à la fixation de prix par le libre jeu du marché ; que c'est à la condition qu'elles affectent de manière sensible la concurrence sur le marché ; qu'en décidant que la pratique litigieuse avait affecté sensiblement le marché local aux seuls motifs que le prétendu barème indiquait des prix pour la plus grande partie des prestations que pouvaient rendre les avocats relevant au surplus d'un monopole et qu'il avait été diffusé à l'ensemble des membres du barreau sans caractériser le trouble potentiellement anticoncurrentiel d'une certaine gravité ni même rechercher si le prétendu barème indicatif avait été suivi par des avocats du barreau, peu important qu'ils l'aient trouvé "intéressant" ou que certains aient pensé que d'autres l'utilisaient, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt constate que l'Ordre avait établi un document intitulé "barème indicatif 1990-1991" comportant sous le titre "honoraires usuellement pratiqués et confirmés par la jurisprudence pour les affaires courantes sans complexité particulière" des indications de prix, constituées soit par des fourchettes d'honoraires soit par des montants minima, par type de prestation, pour la plus grande partie de celles que peuvent rendre les avocats dans les affaires courantes ; que l'arrêt énonce que ce document "même s'il n'a été accompagné d'aucune démarche visant à le rendre obligatoire et s'il rappelait les dispositions légales relatives à la fixation des honoraires et son caractère indicatif, d'une part émanait de l'organe investi de l'autorité réglementaire et disciplinaire sur les membres de la profession, dont le représentant dispose en outre du pouvoir de se prononcer sur les réclamations formées contre les honoraires qu'ils facturent, et, d'autre part, proposait aux membres du barreau des prix praticables de leurs prestations, devenait, de ce fait, une référence tarifaire s'assimilant et se présentant comme un barème" ; qu'en l'état de ses constatations et énonciations, dont elle a déduit qu'un tel document était de nature à inciter les professionnels à fixer leurs honoraires selon les montants suggérés plutôt qu'en tenant compte des critères objectifs tirés des coûts de revient des prestations fournies, en fonction de la structure et de la gestion propre à chaque cabinet, et que sa diffusion aux clients était également de nature à les dissuader de discuter librement le montant des honoraires minima qu'il indiquait, faisant obstacle ainsi à la fixation des prix par le libre jeu du marché, la cour d'appel, qui relève que les textes applicables à la profession d'avocat ne justifient pas les pratiques en cause en ce "qu'ils n'imposent ni n'autorisent l'établissement et la diffusion d'un barème", et que "l'Ordre ne se propose pas de justifier que le barème litigieux a eu pour effet d'assurer un progrès économique et que les objectifs de transparence et d'information sur la méthode de calcul des honoraires ne puissent être atteints que par la publication de tarifs" a, hors toute dénaturation, exactement caractérisé l'existence d'une pratique prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 devenu l'article L 420-1 du Code de commerce;
Attendu, en deuxième lieu, qu'ayant retenu que le marché affecté par les pratiques en cause était le marché local des prestations juridiques et judiciaires relevant, au surplus, du monopole édicté par l'article 4 de la loi du 31 décembre 1971, la cour d'appel a délimité le marché pertinent, justifiant ainsi légalement sa décision ;
Attendu, en troisième lieu, qu'ayant constaté, après avoir énoncé que l'établissement du document litigieux et sa diffusion avaient un objet anticoncurrentiel et un effet potentiellement anticoncurrentiel, que le barème examiné comprend des indications de prix par type de prestations pour la plus grande partie de celles que peuvent rendre les avocats dans les affaires courantes et qu'il a été diffusé à l'ensemble des mille membres du barreau à l'initiative de l'autorité ordinale de 1990 à 1996, la cour d'appel, qui en déduit que cette pratique avait affecté sensiblement le jeu de la concurrence sur le marché considéré, a légalement justifié sa décision ; qu'il suit de là que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.