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Décisions

Cass. com., 13 février 2001, n° 98-21.078

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Synergie (SA)

Défendeur :

Adecco (Sté), Servinter (Sté), Vediorbis (Sté), Bis France (SA), Manpower France (SARL), Ministre chargé de l'Economie, des Finances et du Budget, Procureur général près la Cour d'appel de Paris

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dumas

Rapporteur :

Mme Champalaune

Avocat général :

M. Feuillard

Avocats :

SCP Boré, Xavier, Boré, Me Ricard.

Cass. com. n° 98-21.078

13 février 2001

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 septembre 1998) et les productions, que, saisi par le ministre de l'Economie de pratiques constatées dans le secteur du travail temporaire dans les départements de l'Isère et de la Savoie, le Conseil de la concurrence a, par décision n° 97-D-52 du 25 juin 1997, estimé que, d'une part, les fédérations du bâtiment et des travaux publics de ces départements, en mettant en œuvre, entre 1989 et 1991, à l'occasion des travaux des constructions préparatoires aux Jeux Olympiques d'hiver de l'année 1992, des protocoles limitant la hausse des rémunérations des salariés du bâtiment délégués et, d'autre part, différentes entreprises de travail temporaire, en adhérant à ces protocoles, avaient participé à une action concertée ayant pour objet ou pu avoir pour effet de faire obstacle à la fixation des prix des services des entreprises de travail temporaire par le libre jeu du marché ; que des sanctions pécuniaires ont été prononcées à l'encontre de différentes entreprises de travail temporaire, parmi lesquelles figure la société Synergie ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société Synergie fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son recours contre la décision du Conseil de la concurrence l'ayant condamnée à une sanction pécuniaire, alors, selon le moyen, qu'il résulte de sa déclaration d'appel en date du 22 août 1997 qu'elle faisait expressément valoir que les protocoles litigieux n'avaient pas été signés par son "PDG" et ne pouvaient donc engager sa responsabilité ; qu'en déclarant, dès lors, que la société Synergie ne contestait pas son adhésion aux protocoles litigieux, la cour d'appel a violé l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que si, dans sa déclaration de recours, la société Synergie faisait valoir que "les protocoles litigieux n'ont pas été signés par le président-directeur général de la société Synergie, M. Daniel Augereau et (...) ne peuvent donc engager la responsabilité de la société Synergie", la société Synergie n'a pas contesté sa participation matérielle à la mise en œuvre de ces protocoles, dont elle contestait la portée anti-concurrentielle en faisant valoir que "les protocoles litigieux doivent s'analyser en réalité comme une "charte", aux termes de laquelle la société Synergie s'est engagée simplement à limiter le coût des salaires et des déplacements de ses salariés" ; qu'il en résulte que c'est sans dénaturer les termes du litige que le cour d'appel a pu retenir qu'ayant participé à la mise en œuvre des protocoles litigieux, la société Synergie ne contestait pas y avoir adhéré ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que la société Synergie fait encore le même reproche à l'arrêt, alors, selon le moyen : 1°) qu'il résulte des termes clairs et précis des protocoles de l'Isère et de la Savoie que "s'agissant d'accords librement négociés entre entreprises, ce coefficient est laissé à l'initiative des parties" ; que la cour d'appel a déclaré que la société Synergie ne pouvait prétendre que ses prix étant fixés à l'aide d'un coefficient multiplicateur appliqué au salarié négocié avec les entreprises, les protocoles n'avaient aucune incidence sur la liberté de fixation des prix motifs pris de ce que l'élément auquel s'applique le coefficient multiplicateur n'était pas librement négocié, la liberté de fixation de prix devenait symbolique ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a dénaturé les protocoles litigieux et donc violé l'article 1134 du Code civil ; 2°) que la société Synergie avait fait valoir que la contrainte résultant de ces protocoles ne portait que sur le montant des rémunérations des travailleurs temporaires et non sur le prix de la mise à disposition de ceux-ci par l'entreprise de travail temporaire à la société utilisatrice et que les conditions de facturation des prestations des entreprises de travail temporaires restaient soumises au libre jeu de la concurrence entre celles-ci, en fonction de la marge que ces dernières souhaitaient appliquer et que c'était dans le choix de cette marge que joue la libre concurrence entre les entreprises de travail temporaire ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen pertinent, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; 3°) que l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, qui prohibe les ententes anticoncurrentielles, ne peut être appliqué lorsqu'un accord n'a qu'une portée limitée; que la cour d'appel a relevé que les pratiques incriminées n'avaient duré que trois ans, dans un secteur géographique limité et qu'elles ne concernaient qu'un secteur de l'activité des entreprises de travail temporaires et les seules entreprises locales du bâtiment et des travaux publics tandis que la majeure partie des travaux avait été réalisée par des entreprises d'envergure nationale ; qu'en considérant, cependant, que les protocoles d'accord avaient eu pour effet de fausser le jeu de la concurrence et auraient eu un effet sensible sur la concurrence, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé le texte susvisé ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant, par une analyse concrète des conventions litigieuses et des faits de l'espèce, estimé que ces conventions visaient à limiter la liberté des entreprises de travail temporaire dans l'établissement de leurs tarifs, lesquels sont fixés à l'aide d'un coefficient multiplicateur appliqué au salaire négocié avec les entreprises et à évincer du marché celles qui ne les auraient pas appliqués, la cour d'appel, qui énonce que l'élément auquel s'applique le coefficient multiplicateur n'étant pas librement négocié, la liberté de fixation du prix devenait symbolique, l'incidence du coefficient, à supposer exacte sa variation entre 2,10 et 2,20 environ sur le prix proposé, étant bien moindre que celle qu'aurait eue la variation du salaire lui-même, n'a pas dénaturé les conventions selon lesquelles le coefficient, et non son assiette, laquelle était précisément fixée par les protocoles litigieux, était librement négocié et a, par là même, répondu aux conclusions prétendument omises ;

Attendu, en second lieu, qu'ayant délimité le marché pertinent comme celui des prestations de travail temporaire résultant de l'aménagement des sites olympiques et retenu que ce marché était limité géographiquement aux départements de l'Isère et de Savoie, en raison du caractère non substituable de l'offre de main d'œuvre proposée par des entreprises de travail temporaire plus éloignées par rapport à celle fournie par les entreprises locales, l'arrêt, qui énonce que les protocoles critiqués visaient à limiter la concurrence entre les entreprises de travail temporaire qui, par l'encadrement ainsi imposé du salaire de base, voire de ses accessoires, voyaient leur liberté de négociation réduite au minimum et étant de ce fait soit exclues du marché, soit contraintes d'uniformiser leur offre, et qui constate que ces protocoles ont été appliqués pendant trois ans et par la quasi-totalité des entreprises de travail temporaire ayant une activité significative dans ces deux départements, a pu retenir que ces pratiques avaient nécessairement eu un effet sensible sur la concurrence sur le marché considéré; qu'il suit de là que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le troisième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société Synergie fait encore le même reproche à l'arrêt, alors, selon le moyen : 1°) que le Conseil de la concurrence avait admis dans sa décision que la stabilisation et l'harmonisation des rémunérations et la lutte contre l'inflation liée à une pénurie conjoncturelle de main d'œuvre ainsi que le respect de la parité des rémunérations des salariés intérimaires avec leurs niveaux de qualification pouvaient apparaître susceptibles de favoriser le progrès économique ; que, cependant, pour retenir le caractère anticoncurrentiel des protocoles, il avait déclaré qu'il n'est pas rapporté (sic) que ces mêmes objectifs n'auraient pu être obtenus par d'autres voies sans qu'il eût été nécessaire de recourir aux pratiques illicites de concertation qui ont éliminé la concurrence pour une partie substantielle des prestations de service en cause ; que la société Synergie avait dûment fait valoir que le Conseil ne précisait nullement les "autres voies" qui auraient permis de servir les mêmes objectifs sans avoir recours aux protocoles litigieux ; qu'en s'abstenant d'en justifier, comme elle y était invitée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 10-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; 2°) qu'en tout état de cause, la société Synergie avait fait valoir qu'il convenait, pour apprécier la sanction, de tenir compte du fait que l'agence de Grenoble est un véritable établissement secondaire immatriculé au registre du commerce et des sociétés, bénéficiant d'une autonomie commerciale et technique dans la zone concernée ; qu'en écartant ces écritures, motif pris de ce qu'il n'est pas prétendu que ces agences auraient constitué des entreprises autonomes, la cour d'appel a, encore une fois, dénaturé les termes du litige et violé l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, d'une part, qu'il appartient aux entreprises ayant mis en œuvre des pratiques prohibées par les articles 7 ou 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenus les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce, et qui en sollicitent l'exemption en application de l'article 10 de la même ordonnance, devenu l'article L. 420-4 du même Code, de justifier qu'elles remplissent les conditions d'exonération prévues audit article; qu'en réponse à l'invocation du progrès économique par les entreprises mises en cause qui aurait résulté selon elles des pratiques reprochées, la cour d'appel, qui a énoncé qu'il "n'est pas démontré qu'un quelconque progrès économique ait été assuré par ces pratiques et, en tout cas, que les utilisateurs, et particulièrement les maîtres d'ouvrage, aient bénéficié d'une partie équitable du profit qui en est résulté", a légalement justifié sa décision ;

Et attendu, d'autre part, qu'en l'état du moyen de la société Synergie se prévalant de l'immatriculation au registre du commerce et des sociétés de son agence de Grenoble non pertinent pour établir l'existence d'une entreprise autonome au sens de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 464-2 du Code de commerce, la cour d'appel n'encourt pas le grief de la seconde branche du moyen; qu'il suit de là que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.